Madeleine Castaing

Madeleine Castaing, née Marie Madeleine Marcelle Magistry le à Chartres[1] et morte le à Paris, est une antiquaire et décoratrice française.

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Elle fut l'amie et le mécène de nombreux artistes, parmi lesquels Chaïm Soutine, qui réalisa son portrait en 1928. Personnalité originale, voire fantasque, elle a révolutionné le monde de la décoration. Le « style Castaing » fait aujourd'hui figure de référence.

Les débuts

Fille d'un ingénieur qui construisit la gare de Chartres, Madeleine Magistry épousa en 1915 un héritier toulousain, le critique d'art Marcellin Castaing, dont elle avait fait la connaissance alors qu'elle était adolescente. Leur rencontre, des plus romantiques, s'était conclue par un « enlèvement » de la jeune fille, qui n'avait guère que quinze ou seize ans à l'époque. De vingt ans plus âgé qu'elle, Marcellin Castaing était réputé pour son impressionnante culture littéraire et artistique. Pendant la cinquantaine d'années que dura leur mariage, il fut la grande passion de son épouse, selon tous les amis du couple. L'écrivain et photographe François-Marie Banier, qui imposa pendant plus de vingt ans sa présence auprès de la riche veuve[2], se souvient du « légendaire amour » de Madeleine pour son mari[3].

Dans les années 1920, Madeleine Castaing fit ses débuts d'actrice dans le cinéma muet, puis renonça à cette carrière alors qu'on la surnommait déjà la « Mary Pickford française »[4].

À la même époque, son mari venait de lui offrir une gentilhommière néoclassique dont elle rêvait depuis longtemps, dans la commune de Lèves, près de Chartres. Il voulait, disait-il, qu'elle puisse « se défouler »[5]. Elle y reçoit de nombreux artistes[6]. La jeune femme s'était en effet découvert une vocation pour la décoration, mais en simple amateur les premiers temps.

Le mécénat

Portrait de Madeleine Castaing par Chaïm Soutine, v. 1929, Metropolitan Museum of Art

Peu après la mort de leur ami Amedeo Modigliani, les Castaing firent la connaissance de Chaïm Soutine, rencontré au café de la Rotonde, dans le quartier du Montparnasse à Paris. La première entrevue fut difficile, Soutine refusant le billet de 100 francs que lui tendait Marcellin Castaing pour lui acheter un tableau sans l'avoir regardé[7].

Quelques années plus tard, en 1925, les Castaing purent acquérir leur première toile de ce peintre chez Léopold Zborowski, le principal marchand de Soutine et de Modigliani, et se lièrent d'amitié avec lui. De 1930 à 1935, ils l'accueillirent chez eux durant l'été dans leur domaine de Lèves, devenant ses mécènes et ses principaux acheteurs. C'est grâce à eux que Soutine put organiser sa première exposition, à Chicago en 1935.

Amedeo Modigliani, Portrait de Jean Cocteau (1916), Collection Pearlman[8].

En tout, les Castaing possédèrent plus de quarante toiles de ce peintre, c'est-à-dire la plus importante collection de tableaux de Soutine appartenant à des particuliers. Madeleine Castaing voyait en lui le plus grand peintre du XXe siècle « Par-dessus les autres, il donne la main au Greco et à Rembrandt », disait-elle [9].

Le portrait de Madeleine Castaing par Soutine, intitulé La Petite Madeleine des décorateurs, se trouve aujourd'hui au Metropolitan Museum of Art de New York. L'expression « petite Madeleine » renvoie à la « petite madeleine » de Proust, auteur avec lequel l'intéressée entretenait un lien particulier : de son propre aveu, Madeleine Castaing a consacré plusieurs dizaines d'années à lire et à relire À la recherche du temps perdu, constamment et intégralement. Elle avait découvert cette œuvre en 1913.

D'une manière générale, les Castaing furent les mécènes de peintres de l'École de Paris et d'artistes de l'académie de la Grande Chaumière.

Madeleine Castaing fut l'amie d'Erik Satie, de Maurice Sachs, de Blaise Cendrars, d'André Derain, de Jean Cocteau (dont elle aménagea la maison à Milly-la-Forêt), de Chagall, d'Iché, de Pablo Picasso, de Henry Miller, de Louise de Vilmorin (à qui elle inspira le personnage de Julietta dans le roman du même nom) et de Francine Weisweiller (dont elle décora la villa Santo-Sospir à Saint-Jean-Cap-Ferrat[10]).

Pour Jeanne Loviton, elle décora une maison à Sennevile (Yvelines), puis conçut "en tanière romantique" et meubla l'hôtel du 11 rue de l'Assomption à Passy (Paris XVIème) , ancienne dépendance du château de La Thuilerie sous Louis XVI - acquise en 1936 - dont le mobilier fut vendu aux enchères publiques en par sa fille adoptive, Mireille Fellous-Loviton (cf. bibliographie).

L'historien et homme politique Michel Castaing (1918-2004), second fils des époux Castaing, fut un libraire célèbre, expert en paléographie.

Le petit-fils de Madeleine Castaing, Frédéric Castaing, est un libraire spécialisé en autographes mais aussi un romancier.

À la mort de Michel Castaing, en 2004, fut vendue aux enchères la propriété de Lèves ainsi que les collections familiales de tableaux et d'objets d'art, dont sept œuvres de Soutine.

Antiquaire et décoratrice

La Diva de la décoration

À partir des années 1930, les choix artistiques de Madeleine Castaing jouèrent un rôle considérable dans le monde de l'art, aussi bien à travers sa profession d'antiquaire que dans son métier de décoratrice. Encore aujourd'hui, le « style Castaing » fait l'objet de nombreuses rééditions.

La galerie d'antiquaire s'ouvrit à Paris en pleine guerre, à l'angle de la rue Jacob et de la rue Bonaparte[11], pour une raison simple : la propriété de Lèves venait d'être réquisitionnée par les troupes d'Occupation, et Madeleine Castaing souhaitait continuer à chiner dans les brocantes et à accumuler ses trouvailles, qu'il s'agît d'objets d'art ou de bibelots de moindre valeur[12]. Dans cette boutique, célèbre durant un demi-siècle pour sa devanture noire et ses larges vitrines, celle que l'on surnommait la « Diva de la décoration[5] » était d'ailleurs réputée pour ne vendre qu'en fonction de ses sympathies, c'est-à-dire uniquement aux personnes qui lui plaisaient et avec qui elle pouvait bavarder des heures durant[13].

Le style de Lèves et de la galerie de la rue Jacob a influencé le goût de plusieurs générations de collectionneurs, en Europe comme aux États-Unis. Il existe même une couleur, le « bleu Castaing », créée par la décoratrice pour l'aménagement de Lèves : un bleu à la fois clair et intense, qu'elle utilisait volontiers en contraste avec du blanc cassé ou du noir, notamment dans les gammes de tissus et de papiers imprimés qu'elle produisait.

Tout au long de sa double carrière d'antiquaire et de décoratrice, Madeleine Castaing s'est expliquée sur ses choix en répétant qu'il « fallait que ça change », se référant par là à l'ostracisme dont souffrait l'esthétique du XIXe siècle, en particulier le style Napoléon III. À contre-courant de la mode, elle insistait sur le sentiment de « saturation » que lui inspiraient « le faux Louis XVI, les sinistres bergères et les tentures de velours frappé »[5].

Il s'agissait donc, en premier lieu, de s'écarter des conventions pour « faire de la poésie avec du mobilier », selon sa devise[5]. « Je fais des maisons comme d'autres des poèmes », disait-elle, et son disciple Jacques Grange évoque à son propos « des émotions que l'on ne connaissait pas jusqu'alors dans le monde de la décoration »[14], émotions qui influencent les architectes d'intérieur encore aujourd'hui[15].

Le style Castaing

Exemple de silhouette en profil.

Madeleine Castaing s'inspire de l'esthétique néoclassique non sans l'interpréter à sa manière. Contemporaine de l'Italien Mario Praz qui s'éloigne des canons habituels de la décoration intérieure et se tourne vers le début du XIXe siècle, rivale d'Emilio Terry qui invente le « style Louis XVII », elle s'inscrit dans un même mouvement de renouveau par rapport à l'omniprésence du Louis XV-Louis XVI, tout en se distinguant par son mélange des genres.

Dans sa galerie comme dans sa gentilhommière ou son appartement de la rue Bonaparte, voisinent les banquettes en demi-lune du Second Empire, les motifs de losanges, d'oves et de palmettes empruntés au Directoire, les chintz anglais – qu'elle remet à la mode –, les « massacres » (trophées de chasse) et le dépouillement monochrome du style « gustavien », les rayures « bayadère » qu'elle adapte au goût du jour, les couleurs franches (surtout le bleu et le vert) du XVIIIe siècle et les demi-teintes du Wedgwood[16], les courbes du Biedermeier, les sièges de bambou et les frontons triangulaires à la manière de Pavlovsk, les ottomanes et les moquettes en faux léopard inspirées de l'Empire, les opalines lactescentes de la période Louis-Philippe… La Russie, la Suède, la Grande-Bretagne des années 1790 côtoient les tôles laquées et les causeuses Napoléon III, les écrans lithophanes et les silhouettes noires à découpe sur fond blanc.

Hommages

Le manoir néoclassique de Lèves fut sa propriété. La voie menant au manoir est désormais dénommée allée Madeleine-Castaing.

Inauguration de l'allée Madeleine-Castaing[17].

Iconographie

  • François-Marie Banier, Portrait de Madeleine Castaing assise sur un rond de feuilles, le regard triste dans le jardin des Tuileries, épreuve argentique [18]

Bibliographie

Ouvrages

Madeleine Castaing, Éditions du Regard, 2010 ;
  • Pierre Levallois et al., La Décoration (5e volume de la collection « Connaissance des Arts », 1963, p. 60 )
  • Jean-Noël Liaut, Madeleine Castaing, Mécène à Montparnasse, décoratrice à Saint-Germain-des-Prés, Payot, 2008 ;
  • (en) Lisa Lovett-Smith, Paris Interiors, Taschen ;
  • Patrick Mauriès et Christian Lacroix, Styles d'aujourd'hui, Gallimard/Le Promeneur, 1995 ;
  • Barbara et René Stoeltie, Chez Elles : le décor au féminin, Flammarion, 2003, p. 13 à 19 ;
  • Suzanne Trocmé, Influential Interiors, Michtell Beazley, 1999, publié en France sous le titre Décorateurs d'intérieurs : Ceux qui ont marqué le siècle, Octopus/Hachette-Livre, 2003, p. 132 à 135 ;
  • Catalogue de la vente de Bijoux Tableaux et Dessins Mobilier et Objets d'art du , p. 175 à 345 (comprenant le mobilier de la maison parisienne de Jeanne Loviton, conçue et meublée par Madeleine Castaing, dont le portait photographique connu, où elle est vêtue d'une jupe au motif de rayure identique à celui qui recouvre un lit de repos (?), est reproduit et un texte de présentation est consacré ;

Revues et catalogues

  • Hervé Joubeaux et Pierre Falicon, Le Temps retrouvé chez Madeleine Castaing, photographies de Claire Flanders, musée des beaux-arts, Chartres, 1997
  • Hervé Leroux, « L'appartement de Madeleine Castaing », Maison française no 509, 2000
  • (es) Anne de Royère, « Madeleine Castaing, Lla Mujer de los azules », Casas e Gente,
  • (en) Barbara Stoeltie, « Au revoir, Lèves », photographies de René Stoeltie, The World of Interiors, 2004
  • Catalogue de l'exposition Soutine de 1963 à la Tate Gallery de Londres
  • Catalogue de l'exposition François-Marie Banier, « Madeleine Castaing », Maison européenne de la photographie, Paris, 2003
  • Catalogue Sotheby's, L'Univers de Madeleine Castaing, Galerie Charpentier, Paris, septembre-

Filmographie

Notes et références

Références

  1. Archives d'Eure-et-Loir, commune de Chartres, acte de naissance no 452, année 1894 (sans mention marginale de décès)
  2. « La "fausse camaraderie" du dandy-photographe », dans le Figaro du 11 février 2009.
  3. Texte de François-Marie Banier
  4. Barbara Stoeltie, in The World of Interiors.
  5. Barbara Stoeltie, ibid.
  6. Bénédicte Burguet, « La maison bleue de Madeleine Castaing », Vanity Fair n°16, octobre 2014, pages 108-109.
  7. Préface de L'Univers de Madeleine Castaing.
  8. Site du musée Granet.
  9. Cité par Jacques Grange, L'Univers de Madeleine Castaing, op. cit.
  10. Madeleine Castaing et les Weisweiller.
  11. Photographie de la galerie en 1960.
  12. Témoignage de Frédéric Castaing dans l'article de Mitchell Owens, New York Times, 2004.
  13. Mitchell Owens, ibid.
  14. L'Univers de Madeleine Castaing, op. cit.
  15. Article de Roxane Azimi, Le Journal des arts, septembre 2004.
  16. . Il s'agit des vases, médaillons, bustes et autres objets en biscuit, c'est-à-dire en porcelaine cuite à demi-grand feu, que produit la firme fondée par Josiah Wedgwood au XVIIIe siècle. Ces objets, de style néoclassique, comportent souvent deux couleurs : les reliefs sont en blanc, et les fonds en teintes rompues – les différents « bleu Wedgwood », « vert Wedgwood », « noir Wedgwood ».
  17. Site de Lèves.
  18. Vendu 16.000 euros à la vente des 30 septembre et 1 octobre 2004 Sotheby's France SVV, Gazette de Drouot n°34 du 8 octobre 2004, p.34.
  19. Culture-infos.
  20. commentaires sur le documentaire

Voir aussi

Articles connexes

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