Triage médical

Le triage médical, lorsque le nombre de patients à traiter dépasse la capacité de soin, permet de déterminer quels patients sont prioritaires et l'ordre dans lequel ils vont être traités et évacués, avec l'objectif de sauver le maximum de personnes[1].

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Triage médical en France lors de la Première Guerre mondiale.
Exemple de fiche de triage d'une chaîne de décontamination, portée autour du cou par les victimes.

Principes de base

Lors d'un accident « standard », on a typiquement une équipe préhospitalière (médicale ou paramédicale) de deux ou trois personnes pour s'occuper de la victime. Dans une situation à multiples victimes, ce n'est plus le cas, on a plus de victimes que d'intervenants.

Les décès se répartissent globalement en trois catégories[2] :

  • mort instantanée (50 %) : décès dans les secondes ou minutes qui suivent la blessure ;
  • mort précoce (30 %) : décès dans les minutes ou les heures qui suivent la blessure ;
  • morts tardives (20 %) : dans les heures, les jours, voire les semaines qui suivent la blessure.

L'objectif du triage est de limiter au maximum les morts précoces[3] :

  • on évacue ceux qui peuvent supporter le trajet ;
  • on alloue les ressources médicales à ceux que l'on peut sauver.

« Les personnes blessées, encore vivantes, sont extraites en priorité par les pompiers. « Les premières détresses à prendre en charge sont celles-là », souligne le gendarme Jérôme Perrin, président délégué de l'antenne Paris-Centre de la Protection civile, qui compte 580 bénévoles. C'est la règle : elles passent avant les personnes en arrêt cardio-respiratoire, qui nécessitent un massage cardiaque susceptible de durer des heures, sans certitude, finalement, de pouvoir les réanimer.

L'un des secouristes explique : « Vu le nombre de victimes, si on avait accaparé le peu de secouristes pour des exercices de réanimation, le bilan aurait été encore plus lourd. » »

 Denis Demonpion, Au Bataclan : « Les secouristes sont formés mais ce ne sont pas des robots »[4]

Il s'agit de déterminer d'abord des options pour le transport des victimes ; puis, dès que plus d'informations sont collectées sur la gravité et le pronostic, de choisir et de mettre en alerte le service le mieux adapté pour chaque patient, en fonction du temps disponible et des ressources hospitalières à disposition.

Le triage est donc fait en fonction des ressources de l'arrière et non sur des critères absolus.

Le tri est fait par un « médecin trieur » le plus expérimenté si possible. Dans les centres de triage militaires, il est confié au chirurgien le plus expert et le plus élevé en grade car sa décision doit être acceptée par toute la chaine de soins urgents qui suit. Dans les conditions d'un service d'urgence d'un hôpital, le pré-triage des patients est fait par un infirmier, l'« infirmier d'orientation », qui applique des protocoles de priorité à l'examen médical.

« On nous fait entrer dans une cour d’immeuble. Le Samu est là. […] On regarde ma tête. Je demande très sobrement et calmement si je vais mourir là, si la balle est à l’intérieur, si c’est horrible, si tout le monde est sorti, s’il y a des toilettes. On me répond que je parle trop, trop vite et trop distinctement pour que ce soit très grave, sinon je ne pourrais pas parler du tout. On me met un « bracelet de festival » avec des codes barres qu’on me scannera à chaque changement d’emplacement, et une feuille que je mets autour de mon cou, avec mon nom — « c’est joli, Louise » — et mes allergies. Je trouve ça super bien organisé, et j’aime bien les choses bien organisées. […] On nous dit qu’on va être transportés à Cochin. »

 Louise, rescapée de l'attaque du Bataclan, « Bien sûr que je vais te vomir toute ma version dessus, tu vas pas comprendre, meuf »[5]

Tri en cas d'afflux massif de blessés en France

Le triage intervient en cas d'afflux massif de blessés, qui peut avoir lieu :

Théoriquement on classifie en quatre degrés d'urgence :

  1. Urgence dépassée (UD) ou morituri (ceux qui vont mourir) : dans ces conditions, il est inutile — et cela représente un gaspillage de ressources donc une perte de chances pour d'autres victimes — de s'acharner aveuglément à traiter la personne ; on la confie aux traitements palliatifs ;
  2. Urgence absolue (UA) : la personne doit être traitée (voire opérée) immédiatement et sur place ou dans les délais minimaux imposés par le cas et les ressources (notion d'heure d'or) ;
  3. Urgence relative (UR) : la personne est stable et transportable, elle peut être évacuée vers une structure de soins classique, ou bien mise en attente avant les soins ou le transport ;
  4. Urgence médico-psychologique (UMP) : blessé léger ou impliqué, la personne est dirigée vers une structure parallèle pour sa prise en charge matérielle (logement provisoire) et psychologique (cellule d'urgence médico-psychologique).

Les échelons UA et UR sont parfois développés en quatre niveaux :

  1. EU : extrême urgence ;
  2. U1 : blessé grave ;
  3. U2 : blessé sérieux ;
  4. U3 : blessé léger.

Les degrés EU et U1 forment les urgences absolues (UA), les degrés U2 et U3 les urgences relatives (UR).

Triage lors d'un repérage des sauveteurs à l'avant

Les secouristes sont souvent les premiers présents sur place, soit qu'il s'agisse de secouristes bénévoles qui tenaient un dispositif préventif, soit qu'il s'agisse de la première équipe de sapeur-pompiers présente sur les lieux.

En l'absence de professionnels soignants un premier tri peut être alors fait par les secouristes; on parle de « repérage secouriste ». En 2007, le nouveau référentiel de formation (PSE2) a indiqué une procédure de repérage pour les situations avec de multiples victimes (SMV) ; toutefois, le texte semble poser problème au ministère de la Santé, le triage étant une prérogative des médecins. Par ailleurs, de nombreux secouristes sont eux-mêmes perplexes quant à l'utilité de la chose : le temps que l'équipe isolée mette en place les premières mesures (protection, regroupement des victimes valides, prise en charge des premières victimes blessées), les renforts seront arrivés.

La procédure est inspirée de la procédure Start :

  1. regroupement des victimes valides (pouvant marcher), auxquelles on attribue la couleur verte (bracelet, ruban autocollant…) ;
  2. pour les victimes non valides : bilan succinct :
    1. victime qui ne respire pas : couleur noire,
    2. victime inconsciente qui respire : couleur rouge (et mise en position latérale de sécurité, dite PLS),
    3. victime consciente qui respire avec une fréquence supérieure à 30 mouvement par minute : couleur rouge,
    4. victime consciente qui respire avec une fréquence inférieure à 30 mouvement par minute mais qui a un pouls supérieur à 120 pulsations par minute : couleur rouge,
    5. victime consciente qui respire avec une fréquence inférieure à 30 et un pouls inférieur à 120 : couleur jaune.

Triage de l'avant en cas de contamination

En cas de contamination NRBC (accident ou attentat), le tri est d'autant plus important qu'il détermine aussi l'ordre de décontamination. Deux chaînes de décontamination sont mises en place : une chaîne debout, pour les victimes pouvant marcher, et une chaîne allongée pour les victimes impotentes. Dans le cadre de la décontamination allongée, les personnes inconscientes et qui respirent sont prioritaires sur les personnes ne respirant pas.

L’Échelle de triage et de gravité (ÉTG) canadienne

Le triage médical fait appel en grande partie aux infirmiers. En 1994, l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec publiait le document Prise de position – Soins infirmiers dans les services d'urgence et de première ligne - Un triage efficace et une prise en charge globale. En 1999, l’Association des médecins d’urgence a publié un guide d’implantation : ÉTG - L’échelle canadienne de triage & de gravité pour les départements d’urgence[6].

Le triage américain

Triage START

Fiche de triage de l'avant. Exercice de l'Armée US (Kaiserslautern, 9 août 2008).

Le triage START (pour Simple triage and rapid treatment (en), en français « triage simple et traitement rapide ») est généralement mené en 60 secondes ou moins. Une fois l'évaluation terminée, on attribue à la victime un des quatre niveaux suivants :

  • Deceased : décédé : mort ou agonisant, pas de traitement ;
  • Immediate : traitement immédiat (respect de l'heure d'or) ;
  • Delayed : traitement urgent, peut attendre jusqu'à une heure ;
  • Minor : traitement en attente, peut attendre jusqu'à trois heures.

Le tri se fait en cinq étapes :

  1. Les personnes pouvant marcher sont dans un premier temps classées minor, et seront réévaluées plus tard ;
  2. On contrôle les fonctions vitales des personnes allongées :
    • 2R : respiration, en absence de respiration, la personne est déclarée deceased (décédée),
    • 2P : pouls, si la personne présente des signes de collapsus et n'est pas perfusée, elle est classée immediate,
    • 2M : conscience (mental state), si la personne est inconsciente ou désorientée, elle est classée immediate,
    • si une hémorragie est détectée, elle est maîtrisée par les moyens habituels,
  3. Diagnostic et évacuation des personnes marquées immediate ;
  4. Diagnostic des personnes marquées delayed ;
  5. Diagnostic des personnes marquées minor.

Triage selon le « Tactical Combat Casualty Care »

La doctrine du « Tactical Combat Casualty Care » (TCCC) définit quatre niveaux de triage[7] :

  • Immediate : soldats nécessitant de la chirurgie pour survivre ; l'opération ne doit pas être « trop longue » et le combattant doit avoir de bonnes chances de survie ;
  • Delayed : blessés ayant besoin d'une opération chirurgicale longue, mais dont l'état général permet d'attendre sans complications ;
  • Minimal : blessés ayant des blessures légères, et pouvant être pris en charge par du personnel non médical, voire se prendre en charge eux-mêmes ;
  • Expectant : les blessures sont tellement graves que même dans une situation idéale (blessé unique ayant une équipe médicale pour le soigner), les chances de survie seraient faibles ; l'expectant ne doit pas être abandonné mais mis à l'écart des autres et doit recevoir des soins palliatifs en mobilisant le minimum de personnel.

Le triage anglais

P System

Organigramme de la procédure de tamisage dans le P System BATLS).

L'Armée britannique, avec son BATLS (Battlefield Advanced Trauma Life Support), utilise le système P (P System)[3] :

  • P1 (priority one) — traitement immédiat : blessé nécessitant un traitement immédiat pour survivre (réanimation, chirurgie), mais avec de bonnes chances de survie ; par exemple les blessés ayant une obstruction des voies aériennes traitables, une hémorragie accessible ou nécessitant une amputation ;
  • P2 (priority two) — traitement retardé : blessés nécessitant un traitement, mais pouvant attendre sans que cela compromette leurs chances de survie ; par exemple souffrant d'une fracture ouverte, d'une luxation majeure, ou brûlés sur 15 à 30 % de la surface corporelle ;
  • P3 (priority three) — traitement minimal : blessés légers, pouvant se prendre en charge eux-mêmes ou être pris en charge par du personnel non qualifié ; par exemple souffrant de lacérations mineures ou de fractures sans complication ;
  • P1 Hold — traitement en attente : blessés ayant de multiples blessures nécessitant un traitement important, ou avec peu de chances de survie ; par exemple traumatismes crâniens et cervicaux graves, brûlures étendues, irradiation massive ;
  • Dead : décédé.

La procédure de base, dite « tamisage » (sieve), est décrite dans l'organigramme ci-contre :

  • difficulté respiratoire : fréquence respiratoire inférieure à 10 respirations par minute (bradypnée) ou supérieure à 30 par minute (polypnée) ;
  • difficulté circulatoire : pouls supérieur à 120 pulsations par minute (tachycardie) ou temps de recoloration cutané supérieur à 2 secondes.

Dans des conditions précaires (manque de personnel et manque de temps), le tamisage peut être la seule procédure utilisée. Sinon, le tamisage est la première étape du tri, celle qui détermine la priorité de traitement sur place. La deuxième étape est la quotation de l'état avec un score de 0 à 12, somme de trois items quotés de 0 à 4 — fréquence respiratoire, pression systolique et score de Glasgow ; elle détermine la priorité d'évacuation.

Quotation pour le triage
Variable physiologique Valeur Score
Fréquence respiratoire 10-304
> 303
6-92
1-51
00
Pression systolique > 904
76-893
50-752
< 491
00
Score de Glasgow 13-154
9-123
6-82
4-51
30

Les priorités sont alors :

  • P1 : 1-10 ;
  • P2 : 11 ;
  • P3 : 12 ;
  • P1 Hold : 1-3 ;
  • Dead : 0.

Le médecin peut ensuite modifier le classement en fonction des traumatismes.

Le triage se refait à chaque étape de la chaîne d'évacuation. Par contre, il est important de ne pas tenter d'anticiper l'évolution, ce qui conduirait à une surévaluation des P1 et P2 et donc un engorgement de la chaîne.

La Royal Navy et la Royal Air Force utilisent le système T (T System, pour treatment), également utilisé par l'OTAN et le CICR :

  • T1 = P1 ;
  • T2 = P2 ;
  • T3 = P3 ;
  • T4 = P1 Hold ;
  • Dead.

Manchester Triage System

Le Manchester Triage System (MTS)[8] est utilisé dans les services d'accueil des urgences. Il a été créé en 1994, et son utilisation a été étendue à tout le Royaume-Uni en 1997 pour devenir le UK National Triage Score. Il classe les patients en cinq catégories :

  1. Immediate resuscitation : le patient nécessite des soins immédiats pour sa survie. Pas de délais avant les soins ;
  2. Very urgent : le patient a des maladies ou blessures sérieuses qui ne le mettent pas en danger immédiat. Délai maximal avant les soins : 10 minutes ;
  3. Urgent : le patient a des problèmes sérieux, mais son état est stable. Délais maximal : 1 heure ;
  4. Standard : l'état de santé n'est pas en danger immédiat. Délais maximal : 2 heures ;
  5. Non-urgent : le patient ne relève pas des services d'urgence. Délais maximal : 4 heures.

Le triage dans les services d'urgence hospitaliers

Aujourd’hui, le triage aux services d’urgence est appliqué dans plusieurs pays. Plusieurs modèles sont proposés :

  • en Australie : The Australasian Triage Scale (ATS) crée en 1997 puis révisé en 2e version ;
  • au Canada : Triage and Acuity Scale (CTAS) ou Echelle de Triage et de Gravité (ETG), crée en 1999 et révisé en 2005 puis en 2008 ;
  • en Espagne : Sistema estructurado de triaje (SET), qui est une adaptation du Model Andorrà de triatge (MAT) ;
  • en France : la Classification infirmière des malades aux urgences (CIMU) qui repose sur la Classification clinique des malades des urgences (CCMU) ;
  • en Royaume-Uni : The Manchester Triage System (MTS), publié en 1997 et révisé en 2005.
  • aux États-Unis : The Emergency Severity Index (ESI) à sa version 4 en 2005.

Triage médical relatif à la pandémie de COVID-19

Pendant la Pandémie de maladie à coronavirus de 2020 en France, le principe du triage est devenu actuelle dans certains hôpitaux de la région du Grand-Est[9], car il n'y a pas assez de ventilateurs pour tous les patients. La même chose se produit dans le nord de l'Italie pendant la pandemie[10].

Selon le journal Die Welt, « le triage – la sélection des patients ayant de meilleures chances de survie – [est] depuis quelque temps à l’ordre du jour en Alsace »[9].

Notes et références

  1. « Le triage médical et ses fantômes : a-t-on décidé de sacrifier les vieux ? », sur France Culture, (consulté le )
  2. (en) Donald Trunkey, « Trimodal Distribution of Death », Scientific american, vol. 249, no 2, , p. 28-35
  3. [BATLS (Confédération interalliée des officiers médicaux de réserve)] ; [BATLS (Boekje Pienter, PDF unique)]
  4. Denis Demonpion, « Au Bataclan : « Les secouristes sont formés mais ce ne sont pas des robots » », Le Nouvel Observateur, (lire en ligne)
  5. « Bien sûr que je vais te vomir toute ma version dessus, tu vas pas comprendre, meuf », Libération, (lire en ligne)
  6. ÉTG - L’échelle canadienne de triage & de gravité pour les départements d’urgence : Guide d’implantation - Association des médecins d’urgence du Québec (AMUQ) [PDF]
  7. (en) Center For Army Lessons Learned (CALL), U.S. Army Tactical Combat Casualty Care Handbook, (lire en ligne), p. 61-63
  8. (de) Entwicklung des MTS
  9. L’Allemagne alarmée par le triage des patients dans les hôpitaux alsaciens
  10. Raccomandazioni di etica clinica per l'ammissione a trattamenti intensivi e per la loro sospensione, in condizioni eccezionali di squilibrio tra necessità e risorse disponibili

Voir aussi

Bibliographie

  • [PSE 2015] Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises, Recommandations relatives aux premiers secours, Ministère de l'Intérieur, , 1re éd. (ISBN 978-2-11-139309-7, lire en ligne), « Situations à nombreuses victimes », p. 267-268, 287-288

Articles connexes

Liens externes

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