Loi Coremans-De Vriendt

La loi Coremans-De Vriendt, dite loi d'Égalité (Gelijkheidswet en néerlandais) est une loi adoptée en Belgique le . Elle décrète que les lois sont votées, sanctionnées, promulguées et publiées en langue française et en langue néerlandaise. À ce titre, elle constitue une étape cruciale de l'instauration du bilinguisme en Belgique.

Histoire

Contexte

Dans les années 1880, l'usage du néerlandais commence à être officialisé. À partir de 1886, les pièces de monnaie sont frappées dans les deux langues. En 1888, pour la première fois, un discours est prononcé en néerlandais au sein de la Chambre des représentants par le député anversois du Meetingpartij, Edward Coremans.

Depuis l'avènement du suffrage universel masculin en 1893 et les premières élections au suffrage plural le , la demande d'égalité portée par le Mouvement flamand se fait plus forte. Des voix se lèvent pour dénoncer le système dans lequel le citoyen néerlandophone "se trouve dans cette situation injuste et tyrannique d'avoir à chérir des lois qu'il ne sait ni lire ni comprendre"[1].

Selon les historiens Jean Stengers et Eliane Gubin, la proposition est motivée par une volonté de rapprocher les élites du peuple, de cimenter les deux communautés de la nation et de permettre aux nouveaux élus du peuple de prendre part au débat parlementaire[2].

Parcours législatif

Julien De Vriendt

Le parcours parlementaire de ce texte législatif fut houleux. Edward Coremans dépose une proposition de loi visant à ce que les lois soient promulguées dans les deux langues[3]. Une autre proposition plus stricte est déposée par cinq députés du parti catholique parmi lesquels figurent Julien De Vriendt et l'abbé Daens, elle vise à ce que le dépôt, le débat, le vote, la sanction et la promulgation des lois se fassent dans les deux langues[4].

Sur proposition du député francophone Montpellier, une commission paritaire (Flamands-Wallons) approuva le principe de l'égalité officielle et rédigea une troisième proposition quasi identique à celle de De Vriendt, elle prit le nom des défenseurs de deux premières[5].

La proposition de loi est tout d'abord est présenté à la Chambre le [6], qui l'adopte en deux séances (92 voix pour, 3 contre et 1 abstention).

Le projet arrive devant le Sénat le où il fera l'objet de plus âpres discussions. Le député catholique Jules Le Jeune dépose un amendement visant à limiter le bilinguisme à la seule promulgation[7], la version néerlandaise n'est alors qu'une traduction de ce qui a été élaboré en français. Ce texte est soutenu, notamment, chez les catholiques par Edouard Otlet et par les libéraux Paul Janson, Emile Dupont. L'amendement fut adopté (51 oui, 23 non et 23 abstentions)[7].

Toutefois, la Chambre rejette la version du Sénat et maintient son projet initial (99 oui, 19 non et 4 abstentions).

De retour devant le Sénat, le projet est de nouveau sujet à des propositions d'amendement, visant notamment à instaurer également l'allemand comme troisième langue officielle[8]. La Chambre haute se plie finalement à la large égalité qui était proposée (47 oui, 39 non et 3 abstentions) non sans que certains sénateurs en viennent aux mains[9].

Réception dans l'opinion publique

L'adoption de cette loi divisa également la population. Des mouvements de pétitions furent lancés dans le camp des partisans et des opposants de la loi d'égalité[10].

Beaucoup de francophones du pays combattirent ce projet. La presse (Le Soir, L'Étoile belge, Le Journal de Liège, La Flandre libérale) craignait la fin de la Belgique ou une révolution en Wallonie[11]. Certains magistrats et avocats du Barreau de Bruxelles, Liège, Gand, Charleroi et Tournai pétitionnèrent également[9]. Les arguments avancés par les opposants du projet étaient un risque de division du pays, les difficultés pratiques d'un système bilingue et l'exclusion des Wallons des institutions du fait de leur mauvaise connaissance supposée du néerlandais[12].

En Flandre, l'adoption de l'amendement Le Jeune provoqua une vive réaction. Les treize sénateurs catholiques élus dans les provinces flamandes furent parfois qualifiés de "traîtres au peuple"[13].

Importance symbolique

La loi d'égalité est considérée comme une grande victoire du Mouvement flamand. Il faudra toutefois attendre 1967 pour qu'une disposition similaire mette sur un pied d'égalité les versions françaises et néerlandaises de la Constitution.

Contenu

Le Moniteur belge avec les deux textes l'un en regard de l'autre

Les dispositions de la loi Coremans-De Vriendt démontrent bien l'obsession d'égalité qu'elle renferme. Les projets et les propositions de lois sont présentés en double texte. Après leur promulgation, les lois sont insérées dans le Moniteur belge avec le texte français et le texte néerlandais en regard. Les années paires, le texte néerlandais est à gauche et le texte français à droite ; les années impaires, c'est l'inverse. Les contestations basées sur les divergences de texte sont résolues selon la volonté du législateur et non sur la prééminence d'un texte sur l'autre.

Notes et références

  1. Coremans, Ann. parl., Chambre, 18 novembre 1896, p. 25.
  2. E. GUBIN et J. STENGERS, Le grand siècle de la nationalité belge - Histoire du sentiment national en Belgique des origines à 1918, t. 2, Racine, Bruxelles, 2002, pp. 108 et 109
  3. Ann. parl., Chambre, 13 mars 1895 : proposition de Coremans visant à modifier l'art. 2 de la loi du 19 septembre 1831 sur la sanction et la promulgation des lois, et décrétant que seul le texte français est officiel
  4. Ann. parl., Chambre, 13 amrs 1895 : proposition de De Vriendt visant à modifier l'art. 2 de la loi du 19 septembre 1831 sur la sanction et la promulgation des lois, et décrétant que seul le texte français est officiel
  5. Ann. parl., Chambre, 18 novembre 1896
  6. Ann. Parl., Chambre, 18 novembre 1896
  7. Ann. parl., Sénat, séance du 5 février 1897
  8. P. FREDERICQ, Schets eener geschiedenis der Vlaamsche beweging, t. I, Gand, 1906, p. 216
  9. ibidem
  10. E. GUBIN et J. STENGERS, op. cit., p. 109
  11. E. GUBIN et J. STENGERS, op. cit., p. 110
  12. Ibidem
  13. M. DUMOULIN, Nouvelle histoire de Belgique, Complexe, Bruxelles, 2005, p. 179
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