Lobotomie

La lobotomie est une opération chirurgicale du cerveau qui consistait à sectionner ou à altérer la substance blanche d’un lobe cérébral. Elle est désormais interdite dans de nombreux pays et n'est plus considérée comme une bonne pratique dans la médecine actuelle.

Cet article possède un paronyme, voir Lobbytomie.

On parle aussi de leucotomie (du grec leukos, blanc et tomê, coupure, section) pour décrire une méthode chirurgicale qui consiste à sectionner certaines fibres nerveuses de la substance blanche du cerveau. Elle se distingue de la lobotomie qui consiste à détruire massivement l’ensemble des fibres reliant un lobe cérébral, souvent le lobe frontal, au reste du cerveau.

La lobotomie fut pratiquée en psychochirurgie dans le but d’interrompre certains circuits neuronaux pour traiter les maladies mentales, la schizophrénie, l’épilepsie et même les maux de tête chroniques avant de décliner dans les années 1950 avec l’avènement des premiers neuroleptiques.

La grande majorité (environ 80 %) des patients qui ont subi une lobotomie en France, en Suisse et en Belgique étaient des femmes[1].

Origine et évolution

Les pratiques chirurgicales impliquant le cerveau remontent à loin dans l'histoire de la médecine. Des traces de trépanation remontant à 5 000 ans avant notre ère laissent penser que de telles opérations étaient entreprises à des fins thérapeutiques. Il n'existe pas d'éléments archéologiques permettant de penser que de telles opérations à cerveau ouvert aient pu être pratiquées dans le but d'intervenir sur le cerveau lui-même.

En 1890, Gottlieb Burckhardt a fait l'objet d'un mémoire[2]. Il effectuait des leucotomies partielles sur six patients dans un hôpital psychiatrique de Suisse. Il perce des trous dans leur crâne et extrait des sections de leurs lobes frontaux. L’un d’entre eux meurt après l’opération et un autre est retrouvé noyé dans une rivière dix jours après sa sortie de l’hôpital.

La leucotomie telle qu’elle fut pratiquée au XXe siècle fut mise au point en 1936 par les neurologues portugais Egas Moniz et Almeida Lima de l’Université de Lisbonne, ce qui a valu au premier le Prix Nobel en 1949 (prix décerné conjointement au Suisse Walter Rudolf Hess). Ils affichaient alors 6 % de décès à la suite de l’opération.

La lobotomie (procédure avec résection élargie de la substance blanche du lobe frontal) connait son essor après la Seconde Guerre mondiale, notamment avec l’invention de la leucotomie frontale transorbitaire par l'Italien Mario Adamo Fiamberti, méthode reprise et adaptée par l'Américain Walter Freeman : le pic à glace. On estime que quelque 100 000 patients furent lobotomisés dans le monde entre 1945 et 1954 dont la moitié aux États-Unis. En 1950 l'URSS qualifie la lobotomie d'« anti scientifique et inefficace » et l'interdit[3]. La même année, cette méthode attire aux États-Unis l'attention de James W. Watts et Walter Freeman qui y développent et pratiquent la technique en masse[3]. Freeman parcourt les États-Unis dans les années 1950 dans un autocar équipé pour pratiquer des lobotomies « en série », enfonçant ce pic à glace dans le lobe orbitaire des patients après avoir soulevé la paupière (lobotomie trans-orbitale), moyennant parfois une anesthésie locale. Cette pratique reçut alors un grand succès et on estime que Freeman à lui seul lobotomisa quelque 4 000 patients[4]. James W. Watts met fin à sa collaboration avec Freeman, désapprouvant la banalisation d'une opération aussi lourde de conséquences.

Parmi les patients lobotomisés, il faut signaler Rosemary Kennedy, sœur du Président John Kennedy, que son père fit lobotomiser et qui eut par la suite une vie déplorable, dissimulée au public.

Dès les années 1950, de sérieux doutes concernant cette pratique commencèrent à se faire entendre et les différents domaines médicaux concernés ont tenté d’établir la viabilité de ce traitement, notamment du fait de sa nature irréversible et barbare. Avec la découverte des neuroleptiques en 1951 par deux médecins de l'hôpital Sainte-Anne à Paris, plus efficaces et moins dangereux, cette pratique déclina dès les années 1960 (introduction du premier neuroleptique en 1952 en France et 1954 aux États-Unis). Elle deviendra de plus en plus rare mais continuera jusque dans les années 1980[3].

Sur 1129 patients lobotomisés entre 1935 et 1985 en Belgique, en France et en Suisse, 84 % étaient des femmes[3].

Effets

Localisation d'une leucotomie.

Le lobe frontal du cerveau, qui est le plus souvent concerné par la lobotomie, contrôle un certain nombre de fonctions cognitives avancées ainsi qu’une partie du contrôle moteur. Le contrôle moteur, qui se trouve en profondeur, n’est généralement pas affecté par l'opération. Le cortex préfrontal gère l’impulsion, le jugement, le langage (dans le cas où la liaison neuronale entre le cortex préfrontal et l'aire de Broca est touchée), la mémoire, une partie des fonctions motrices, une partie des notions mathématiques et du comportement sexuel, la personnalité, la spontanéité et la sociabilité. Les lobes frontaux aident à formaliser, coordonner, contrôler et à exécuter le comportement.

Ces parties du cerveau ne sont pas à proprement parler vitales, mais au vu des nombreuses fonctions plus ou moins avancées qu’elles contrôlent, une opération mène toujours à une altération, parfois à un changement radical, de la personnalité. Les effets de la lobotomie, parfois recherchés, sont donc une modification de la personnalité, de la spontanéité, de la libido. Parfois, une lobotomie peut aboutir à un état proche de la schizophrénie, parfois elle peut atténuer les effets de cette maladie.

Les patients devenaient généralement asociaux, moins flexibles et perdaient leurs capacités d’adaptation. Cela n’affectait généralement pas le quotient intellectuel des patients, mais limitait leur capacité à résoudre des problèmes abstraits.

Utilisation actuelle

En 1977, le Congrès américain fonde le comité national pour la protection des sujets humains, des biomédecines et de la recherche comportementale (National Committee for the Protection of Human Subjects of Biomedical and Behavioral Research ou NCPHSBBR) afin d’enquêter sur l’efficacité réelle de la lobotomie, aussi bien d’un point de vue éthique que médical. Leur conclusion fut que cette pratique, certes dangereuse, pouvait avoir des effets positifs sur des malades autrement incurables. Cependant, des études plus récentes et l’arrivée de méthodes moins radicales mènent à un arrêt de la pratique de la lobotomie dans des pays comme la France, l’Allemagne, le Japon, les Pays-Bas et la plupart des États américains.

Toutefois en France encore aujourd'hui, aucun texte de loi n'interdit explicitement cette pratique. Seule la recommandation 1235 (1994) relative à la psychiatrie et aux droits de l’homme de l’assemblée parlementaire du conseil de l’Europe prescrit que « la lobotomie et la thérapie par électrochocs ne peuvent être pratiquées que si le consentement éclairé a été donné par écrit par le patient lui-même ou par une personne choisie par le patient pour le représenter, soit un conseiller soit un curateur, et si la décision a été confirmée par un comité restreint qui n'est pas composé uniquement d'experts psychiatriques. »[5]

Au XXIe siècle, la lobotomie est considérée comme une pratique barbare et extrêmement dangereuse, et on lui préfère systématiquement un traitement médicamenteux. Faute de preuves concernant son efficacité, on ne l’utilise plus pour traiter la schizophrénie.

La lobotomie est cependant toujours pratiquée de façon légale dans certains pays, elle est notamment effectuée sous contrôle dans certains États américains, en Finlande, en Suède, au Royaume-UniCardiff et à Dundee), en Espagne, en Inde et en Belgique. En France, 32 lobotomies furent pratiquées entre 1980 et 1986 d’après un rapport de l’IGAS.

Évocations culturelles

Musique

La lobotomie est un thème évoqué dans des chansons de punk rock français :

  • thème récurrent chez Bérurier Noir (ces textes furent écrits au début des années 1980, où la lobotomie était pratiquée en France) :
    • le titre Hôpital lobotomie sur l'album Macadam massacre (1984) ;
    • le titre Amputé, du même album ;
    • le titre Pavillon 36, sur l'album Abracadaboum (1987) ;
  • le titre Hôpital d'Oberkampf (1985) se termine sur les paroles "Lobotomie ! Lobotomie !"
  • le titre Lobotomie Collective, de Tagada Jones, sur l'album Plus de bruit (1998) ;
  • Miss Hélium l'évoque dans les titres Psycho-maniaco-dépressif et La crise Punk, sur l'album Vive la sporulation ! (2004).
  • Hubert-Félix Thiéfaine est l'auteur du titre Lobotomie Sporting Club présent sur l'album Suppléments De Mensonge (2011).

Elle est aussi évoquée sur la pochette de l'album Piece of Mind et des albums suivants du groupe de heavy metal Iron Maiden.

Une chanson des Ramones s'intitule Teenage Lobotomy , sur l'album Rocket to Russia (1977).

Nous retrouvons aussi une allusion à la lobotomie dans le populaire titre Brain Damage, écrit par Pink Floyd. Voici l'extrait:

«The lunatic is in my head

The lunatic is in my head

You raise the blade, you make the change

You re-arrange me 'til I'm sane

You lock the door

And throw away the key

There's someone in my head but it's not me »

On retrouve également ce thème sur la chanson "Before The Lobotomy" du groupe de Punk Rock Américain Green Day

Le groupe américain Waterparks ont également une chanson se nommant “Peach (Lobotomy)”.

Littérature

  • Dans le roman Vol au-dessus d'un nid de coucou (One Flew Over the Cuckoo's Nest), publié par Ken Kesey en 1962, le personnage principal McMurphy se fait interner pour échapper à la prison (pour affaire de viol sur mineure). Il lutte contre les autorités de l'établissement psychiatrique et contre l'infirmière Mildred Ratched en particulier. Avec une volonté de révolution, il entraîne les autres patients dans le détournement des règles : sorties clandestines, vols, alcoolisme, violence… À la suite d'un épisode violent durant lequel il a cherché à tuer Ms. Ratched par strangulation, il sera finalement lobotomisé et plongé dans un état neurovégétatif. Un de ses amis, le « Chef » (un Indien), ne le supporte pas et préfère l'étouffer au moyen d'un oreiller, avant de prendre définitivement la fuite de l'établissement.
  • Le Jardin d'acclimatation, écrit par Yves Navarre en 1980 et pour lequel il obtient le Prix Goncourt, raconte la fête pour le quarantième anniversaire du fils d'un ancien ministre français septuagénaire et veuf, en compagnie de sa sœur et de trois de ses quatre enfants mais en l'absence du fêté. Celui-ci vit retiré et hagard dans la maison familiale depuis que son père l'a contraint à subir une lobotomie pour « soigner » son homosexualité.
  • Dans le roman autobiographique Parmi les buissons de Matagouri (An Angel at My Table) paru en 1984, l'écrivain néo-zélandaise Janet Frame raconte qu'elle évite de justesse la lobotomie grâce à un prix littéraire. En effet, son recueil de nouvelles The Lagoon and other Short Stories, publié en 1951, reçoit le prix Hubert Church Award, qui lui permet de sortir de l'hôpital psychiatrique dans lequel elle avait été internée pour schizophrénie. Il a été par la suite avéré qu'elle n'en avait jamais été atteinte.
  • Dans le roman Shutter Island, écrit par Dennis Lehane et publié en 2003, le personnage principal, le marshal Teddy Daniels, enquête sur la disparition d'une patiente d'un établissement psychiatrique, sur l'île de Shutter Island. Au cours de ses investigations, il soupçonne que des expériences illégales se pratiquent sur certains patients (dont des lobotomies transorbitales).
  • Dans son roman L'Horizon et l'Abîme, publié aux éditions L'Harmattan, Timothée Rocca dépeint une uchronie où la leucotomie est proposée aux patients pour calmer certaines angoisses, et leur permettre de mieux s'adapter aux exigences de la société moderne[6].

Cinéma et séries

Jeux vidéo

  • Dans les Jeux S.T.A.L.K.E.R (SoC, CS, CoP), un des principaux objectifs du jeu est de passer un lobotomisateur qui transforme les personnages en zombies qui continuent à parler ou alors qui arrivent à tirer pour les moins atteints.
  • Dans le DLC Old World Blues du jeu Fallout : New Vegas, le joueur est lobotomisé à son arrivée au centre de recherche du Grand RIEN. Malgré cette lobotomie, le personnage continue à vivre et à être libre de ses choix et mouvements.
  • Dans le DLC Burial at Sea - Episode 2 du jeu Bioshock Infinite, (spoiler potentiel) le personnage d'Atlas, sous les conseils du Dr Shuchong, prodigue une lobotomie transorbitale sur le personnage principal d'Elisabeth (incarné par le joueur)[7], ayant pour but de faire disparaître l’entêtement de cette dernière.
  • Dans les jeux American McGee's Alice (2000) et Alice : Retour au pays de la folie (2011), le personnage d'Alice Liddell (des Aventures d'Alice au pays des merveilles) est internée et diagnostiquée comme folle. Son pays des merveilles est une création de son esprit pour lui garder un équilibre. On le rapproche de la schizophrénie et de la psychose. Tout au long du déroulement des jeux, des scènes violentes ou sanglantes en hôpital sont directement liées à la pratique de la lobotomie.
  • Dans le jeu The Town of Light (2016), le personnage de Renèe Diary est interné de force dans un hôpital psychiatrique italien du début des années 30, où il est fait régulièrement état de pratiques de la lobotomie pour soigner les patients.
  • Dans le jeu Psychonauts, un des antagonistes le Docteur Loboto tient son nom de la lobotomie. Ce même antagoniste a également été sujet d'une lobotomie quand il était enfant. (On l'apprend dans le spin-off "Rhombus of Ruin").

Notes et références

  1. Nathaniel Herzberg, « Pratiquée jusque dans les années 80, la lobotomie visait surtout les femmes », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
  2. Jonas Hauert, L'asile du docteur Burckhardt, 1882-1896 : incurables et chirurgie à la Maison de santé de Préfargier, Genève, , 129 p. (lire en ligne)
  3. Lynda Zerouk, « Durant 50 ans, 84 % des lobotomies furent réalisées sur des femmes, en France, Belgique et Suisse », sur France TV,
  4. (en) Faria MA Jr, « Violence, mental illness, and the brain - A brief history of psychosurgery: Part 1 - From trephination to lobotomy », Surg Neurol Int, vol. 4, no 1, , p. 49. (PMID 23646259, PMCID PMC3640229, DOI 10.4103/2152-7806.110146, lire en ligne [html])
  5. recommandation 1235 (1994) relative à la psychiatrie et aux droits de l’homme de l’assemblée parlementaire du conseil de l’Europe
  6. Rocca, Timothée, L'Horizon et l'Abîme : roman, Paris, Éditions L'Harmattan, , 636 p. (ISBN 978-2-343-06945-6 et 234306945X, OCLC 964333066, lire en ligne)
  7. (en) [vidéo] BioShock Infinite Burial At Sea Episode 2 Transorbital Lobotomy Scene sur YouTube

Bibliographie

En français
  • Comité consultatif national d’éthique, La neurochirurgie fonctionnelle d’affections psychiatriques sévères, 25 avril 2002, consulter en ligne[PDF]
  • Philippe Pignarre, Les malheurs des psys. Psychotropes et médicalisation du social, La Découverte, 2006
  • Jean-Noël Missa, Naissance de la psychiatrie biologique, PUF, 2006, (ISBN 2130551149)
En anglais
  • (en) G. Rees Cosgrove, Scott L. Rauch, « Psychosurgery », Neurosurg. Clin. N. Am., 1995, 6:167-176 consulter en ligne
  • (en) Renato M.E. Sabbatini, The History of Psychosurgery, 1997 consulter en ligne
  • (en) P. Pohjavaara, Social Phobia, Etiology, Course and Treatment with Endoscopic Sympathetic Blockade (ESB), 2004 consulter en ligne[PDF]
  • (en) L. Baer et al., « Cingulotomy for intractable obsessive-compulsive disorder », Archives of General Psychiatry, 52, 384-392
  • (en) G.C. Davison & J.M. Neale, Abnormal Psychology (7th Ed.), 1998, New York, John Wiley.
  • (en) Pohjavaara P, Telaranta T, Vaisanen E. The role of the sympathetic nervous system in anxiety: Is it possible to relieve anxiety with endoscopic sympathetic block? Nord J Psychiatry, 2003, 57:55-60, PMID 12745792

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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