Les Jeux d'enfants (Brueghel)

Les Jeux d’enfants est une peinture à huile sur panneau de bois peinte par Pieter Brueghel l'Ancien en 1560. Il est exposé actuellement au Kunsthistorisches Museum à Vienne.

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Historique

De dimension 116 × 161 cm, il porte en bas, à droite, la signature et la date : « BRVEGEL 1560 ». Mentionnée pour la première fois par Carel van Mander dans son évocation de la vie de Bruegel, cette peinture devient possession du duc d'Autriche en 1594.

Elle représente 200 enfants — 122 garçons et 78 filles — jouant 91 jeux différents.

Description

Les Jeux d'enfants, huile sur bois de 1560, frappent par l'architecture du tableau - bâtiments aux lignes franches, perspective volontaire où l'on a vu un rappel de l'art italien ou de Hans Vredeman de Vries en Flandre - et par le monde joyeux qui se construit en tous sens, celui de l'enfance, auquel on pourrait opposer la vision effrayante offerte par Le Triomphe de la Mort quelques années plus tard. Le thème, repris aux bréviaires, livres d'heures, calendriers, parallèle aux allégories du XVIe siècle, infantia ou innocentia, se renouvelle par l'étonnante animation créée dans un site urbain, qu'envahissent quelque deux cent trente enfants et dont l'adulte est banni, à l'exception d'une femme jetant un seau d'eau sur deux garçons qui se battent, comme on le ferait sur des chiens trop excités.

Si les jeux sont identifiables (on en a dénombré près de 91), l'enfant n'est guère individualisé : une attitude, une expression le font vivre et le mouvement naît d'une ligne, d'une forme, d'une tache de couleur. Tel serait peut-être le caractère positif de ce grand tableau dont le titre, Khinderspill von Bruegel, figure en 1595 dans l'inventaire de la succession de l'archiduc Ernest qui l'avait acquis l'année précédente à Bruxelles. Carel van Mander mentionne également une œuvre avec tous les jeux d'enfants, et d'innombrables petites allégories. Ce dernier membre de phrase, qui peut se rattacher aux Jeux ou terminer une énumération, ouvre la porte à des lectures plurielles. En contrepartie à la simple et habile suite des quelque deux cent dix-huit divertissements de Gargantua que Rabelais aligne : au flux, à la prime, […] au renard, aux marelles, […] au poirier, à pimpompet, […] à colin maillard, à myrelemofle […], aux croquinolles […], à cul salé […] et jusqu'aux chiquenaudes on a vu chez Bruegel un prétexte à dénoncer la folie humaine.

Analyse

On épingle, par exemple, la parodie du mariage au centre, un jeu de hasard au bas du tableau où une petite fille joue aux osselets, une huque bleue que porte un enfant dans la procession du baptême. Les essais d'interprétation de l'un ou l'autre groupe, isolés de leur ensemble, peuvent ouvrir la voie à une approche satirique. Mais quoi de plus innocent, inversement, que de jouer à la poupée, de courir après un cerceau, de jouer à saute-mouton, de marcher sur des échasses ou de faire des culbutes ? Certes, l'anonymat physionomique caractérise ces petits personnages ; on ne reconnaît pas Pierre de Paul ou Catherine de Marie, mais le monde enfantin n'est guère personnalisé et le vêtement, sauf ses couleurs, est quasi uniforme, s'il distingue les sexes. Cet univers de l'enfance semble bien réel. L'impression se renforce si on le compare à celui qui anime L'Âne à l'école. Les prétendus enfants y ont un air vieillot et leur physionomie est plus proche du cercle des adultes que de l'école primaire.

Si la scène du mariage, dans les Jeux d'enfants, se trouve au croisement exact des deux diagonales du tableau, doit-on y voir la dénonciation de ce sacrement? Ne serait-ce pas, au contraire l'endroit précis, la source même de l'enfant en tant que tel ? Qu'il y ait, du reste, référence à des proverbes, quoi de plus normal puisqu'ils sont toujours le résumé d'une attitude ou d'une action humaine. De surcroît, les enfants imitant leurs parents, le peintre fait un clin d'œil complice au spectateur. Bruegel, en 1560, auteur des Proverbes, du Combat de Carnaval et Carême, des Vertus, d'Elck ou de L'Alchimiste, de La Sorcière à Mallegem ou de La Fête des fous, procède à des allusions, à des reprises, ou se cite lui-même. Il détient un registre d'images, le meilleur possible, dont il fait naturellement usage.

Quant à la huque[Quoi ?] bleue, il s'agit moins ici d'une dérision que, peut-être, d'une mise en garde. Dans le contexte de la production des années soixante, l'ironie étant toujours latente, on ne change pas d'humeur du jour au lendemain. Si les Proverbes dénoncent souvent, si le Combat de carnaval et de Carême souligne les ridicules, les Jeux d'enfants ne seraient-ils pas un temps de pause absolu ? Si l'innocence peut imiter la folie, elle ne plagie pas une réalité, mais des apparences. Celles-ci restent un jeu qui se pourrait un avertissement adressé aux adultes, sans pervertir pour autant l'univers enfantin. Ce monde de l'enfance n'est en rien simpliste, sa diversité même est exemplaire. Les cerceaux et les tonneaux, au premier plan, donnent le mouvement, les enfants à la barre et l'échassier devant la façade, au plan moyen, conjuguent l'instabilité et la construction, les enfants aux fenêtres, à gauche, jouent avec l'insolite, et la percée du fond paraît abolir le temps et l'espace.

Le tableau fut parfois interprété comme incarnant une saison : le printemps. Ainsi fut-il exposé à Vienne après la mort de Rodolphe II, avec Le Massacre des innocents (l'hiver), La Moisson (l'été) et La Rentrée des troupeaux (l'automne). Quoi qu'en pensent certains, cette grande place publique devant un bâtiment - l'hôtel de ville d'Anvers peut-être -, ouverte à gauche sur un cours d'eau et une campagne verdoyante et, dans l'axe, sur une longue rue en contre-plongée qui monte au lointain vers une église - pourquoi pas la cathédrale ? - ce lieu vivant ne personnifie pas un moment de l'année. On y trouve, en effet, des réjouissances d'été, telles que le feu de la Saint-Jean, mais aussi, à droite, un enfant portant un pain de la Noël et du nouvel an et, à gauche, à la fenêtre, un masque de Carnaval que l'on a déjà vu dans le combat de ce dernier avec Carême. Les temps sont mêlés et s'additionnent comme les jeux eux-mêmes, à l'exception de ceux exclusifs à la neige figurés dans Le Dénombrement de Bethléem et le Paysage avec trappe à oiseaux.

Les Jeux d'enfants ne se réduisent donc pas à une intention précise. L'œuvre ressemble plus à un éclat de vitalité qu'à une leçon de morale, à une manifestation de vie qu'à l'inventaire d'un temps et d'un lieu, mais avec ses notes d'humour. Ainsi le jet des bérets à droite - trois noirs et un rouge - compose-t-il un visage ironique[1]; quant à la fillette qui joue à la marchande, dans le coin inférieur droit, elle gratte une brique rouge afin de préparer les pigments du peintre, et l'artiste a signé au-dessous « BRUEGEL 1560 »[2].

Historiquement, l'œuvre connaît des antécédents images d'enluminures, textes de Froissart, de Rabelais ou de l'humaniste espagnol Juan Luis Vivès qui écrivit en latin des traités d'éducation. Faut-il rappeler l'avertissement de Sébastien Brant dans sa Nef des fous : Tous les enfants ressemblent/quelque peu aux parents… ? La postérité en gardera aussi mémoire. Si des inventaires mentionnent des copies de Brueghel le Jeune, ces œuvres ont disparu.

Cependant, d'autres interprétations existent, telles une composition de Martin van Cleve, des parodies, sous forme de singeries, de Pieter van der Borcht, anversois et suiveur de Bruegel, et, proche du maître également, une gravure de Nicolas de Bruyn d'après un dessin de Martin de Vos qui séjourna en Italie à la même époque que Bruegel. Au siècle suivant, le poète flamand Jacob Cats a sensiblement contribué à orienter la lecture du tableau vers l'irréalisme : « Le monde », dit-il, « n'est rien qu'un jeu d'enfant » et il ajoute « Vous y trouverez là, je le sais, votre propre folie dans le jeu des enfants ». Tout est en tout, bien sûr; mais il est certain que Bruegel, dans cette œuvre comme dans d'autres, donne à voir quelque chose en artiste[3], en créant, et non en discourant, et d'ajouter que les interprètes y apportent leurs formules. Ainsi les Jeux d'enfants deviennent-ils des jeux d'adultes ! Et l'invention juvénile est parfois mieux fondée que le raisonnement.

Si l'on a pu transformer de façon erronée ce monde de l'enfance en une parodie, c'est que l'on a omis son chromatisme. Celui-ci, vif, joyeux, au point de le doter parfois d'un sens printanier ou estival, avec ses rouges, ses bleus, ses verts et ses jaunes, disposés et surtout ponctués, milite en faveur d'une vision positive, voire expansive de ce monde. Formellement d'ailleurs, les groupes et les taches de couleurs occupent l'espace, en prennent possession en tous sens, à la ville comme à la campagne, au rez-de-chaussée comme à l'étage, au civil comme au religieux. L'enfant en ce lieu a établi son siège, au propre et au figuré : celui-ci est bien en évidence au premier plan ! Bruegel adapte parfaitement le thème choisi à l'espace qu'il détermine pour l'exprimer. Il unit la démonstration narrative et l'unité spatiale[4]. Le choix du format est parfois surprenant. Obéit-il aux vœux d'un client ou à l'inspiration de l'artiste? Nulle information n'existe à ce jour[5].

Article connexe

Notes et références

  1. Tolnay[réf. incomplète]
  2. Sandra Hindman[réf. incomplète]
  3. Klaus Demus[réf. incomplète]
  4. Paul Phillipot[réf. incomplète]
  5. Robert-Jones[réf. incomplète]

Liens externes

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