Les Adonaissants

Les Adonaissants est un ouvrage de sociologie de François de Singly, paru aux éditions Armand Colin en 2006.

Résumé

François de Singly joue sur la notion d’adonaissant : à la fois ce terme indique la pré-adolescence puisque la recherche porte sur les jeunes filles et les jeunes hommes qui sont en début de collège, et aussi le début d’un long processus, la naissance d’un « individu », autonome. Cet ouvrage se situe donc dans la perspective d’une sociologie de l’individu dans les sociétés contemporaines où l’injonction sociale de « devenir soi-même » est forte.

Durant cette période, l'enfant est toujours un mineur sous l'autorité de ses parents. Il est, selon les termes de François de Singly, « fille de » ou « fils de ». Mais il acquiert progressivement le droit de penser librement, d’avoir des activités non décidées par ses parents. L’adonaissant a donc une nature double : il est petit et il n'est pas seulement petit.

On retrouve le principe central de l’individualisme tel que le définit François de Singly, à savoir que l’individu n’existe que dans un tel dédoublement identitaire. Le lien de filiation doit pouvoir coexister avec d’autres dimensions de l’identité des adonaissants, notamment avec le lien amical. Apprendre à dire « je » n’est possible que dans le « jeu » entre ces différentes dimensions. A l’adonaissance, l’affirmation de soi est encore, le plus souvent, modeste. Elle s’inscrit par exemple dans le refus de telle ou telle activité planifiée par les parents. Les adonaissants sont en demande de petits gestes de flexibilité de la part de leurs parents, sans entrer  en forte opposition avec leur identité familiale.

François de Singly se pose donc la question suivante : si « socialement l’adolescence a été construite comme l’âge autorisant explicitement la revendication d’une identité personnelle[1], quel est le processus d'individualisation qui mène de l'enfance où l'individu est totalement dépourvu d'identité personnelle à l'adolescence ? Comment se déroule le processus d'individualisation grâce auquel l’enfant grandit en ayant de plus en plus une identité personnelle ? »

Delphine Chauffaut, dans un compte-rendu de l’ouvrage[2], souligne qu’un des intérêts de l'ouvrage est de donner à voir une multiplicité d'histoires de vie, ce qui explique sa longueur, et permet au lecteur d'avoir le sentiment de se plonger dans le journal d'enquête du sociologue.

Méthodologie de l'enquête

L'ouvrage a été rédigé à partir de trois enquêtes. La première, centrale, a été menée en Allemagne et en France auprès de quatre-vingt jeunes, élèves de sixième et de cinquième (ou de classes équivalentes en Allemagne), habitants de grandes villes. La méthode employée est une méthode par entretien. Chaque adonaissant devait remplir un carnet de déplacements (sans ses parents) dans la ville, et ensuite répondre à des questions portant sur ses activités. Le corpus était structuré selon trois grandes variables, le milieu social des parents (populaire, moyen, cadre)[1], le sexe de l’adonaissant et la nationalité. Un deuxième entretien permettait de préciser la manière dont chacun vivait sa relation à ses parents. Le matériau était assez riche pour que soient dessinés des portraits différenciés selon leur degré d’individualisation.

Une deuxième enquête portait sur neuf-cent-quatre-vingt parisiens, âgés de douze à treize ans. Ces derniers devaient répondre à un questionnaire, avec des questions portant sur les usages de la chambre et sur sa décoration, sur le contrôle parental des activités scolaires et des loisirs, des fréquentations amicales, des horaires, sur les sorties ainsi que les échanges avec le père et la mère. Une troisième enquête a été conduite auprès de cinquante-cinq adonaissants de la région parisienne pour connaître ce qu’ils désignaient comme les « bons moments » et les mauvais partagés avec leurs parents. On recueillait des récits précis sur la journée précédente, sur le dernier week-end, sur les dernières vacances.

L’originalité de la méthode réside avant tout dans la construction des résultats et dans la manière de les présenter. En effet, l’enquête par entretiens approchait onze dimensions de l’indépendance et de l’autonomie des collégiens. On pouvait donc classer chaque individu selon un score et ensuite observer les variations selon le milieu social, le sexe et la résidence nationale. François de Singly retient une grande différence d’apprentissage de l’autonomie selon le milieu social. Il choisit de dessiner les portraits, à l’intérieur du milieu cadre et du milieu populaire, des filles et des garçons les plus conformes au modèle dominant dans leur groupe, et aussi les moins conformes. Le choix des portraits est donc contrôlé selon une méthodologie explicite[2].

Principaux résultats

L'adonaissant, un individu aux identités multiples qui commence un processus d'individualisation par rapport à sa famille

L’adonaissance est quand le jeune fait varier deux distances sociales. Il s’individualise par rapport à ses parents, marquant un certain décalage entre ce qu’il veut et ce que ses parents souhaitent tout en intensifiant mais avec des amis de son âge. Même s’il reste intégré au sein de la famille en tant que « fils de », il s’émancipe « en prenant appui sur les codes culturels de sa génération », et il appartient à d’autres groupes sociaux, notamment celui de sa classe d’âge.

La gestion de l’heure du coucher montre ce balancement entre l’autorité affirmée des parents et l’éventuelle prise de liberté du jeune. Ainsi, les parents des adonaissants font en général respecter une heure de coucher précise, ce qui est apprécié par la plupart des adonaissantscar ils estiment que c’est normal que les parents agissent ainsi. Mais cela ne leur interdit pas de transgresser la règle ainsi fixée en écoutant, après l’heure officielle des parents, leur musique, en jouant ou en regardant des séries. Ainsi une enquête auprès d’élèves de cinquième et de quatrième montre qu’un certain nombre dorment moins de six heures par nuit, allant jusqu’à programmer un réveil dans la nuit[3].  Les parents voulant éviter cette transgression autorisent des horaires plus souples, les soirs sans école le lendemain.

Le temps libre des adonaissants apparaît assez fortement contraint par les parents qui cherchent à éviter à leurs enfants de perdre leur temps ou de rester oisifs. Les parents conseillent très souvent une activité organisée, l’adonaissant interprète ce temps comme un moment défini par les parents et qui n’est donc plus « libre ». Il peut alors remettre en question cette activité, ou la renégocier (par exemple en changeant d’instrument, en passant du violon à la guitare). Cependant cet adonaissant n’apprécie pas non plus que ses parents soient indifférents à ce qu’il fait, il apprécie les encouragements. Les parents doivent éviter et la trop forte implication et l’indifférence. C’est un équilibre subtil d’attention qui est demandée à la mère et au père. La pratique culturelle, ou sportive, doit devenir le projet personnel de l’adonaissant pour qu’il l’effectue non plus seulement en tant que « fils de » (ou « fille de ») mais en tant que personne autonome.

Les adonaissants ont en quelque sorte deux identités, représentées par un nous familial (la relation à la famille, en tant que fils de) et un nous générationnel (la relation aux amis, aux copains, et plus généralement aux jeunes de la même tranche d'âge). Le nous générationnel est un premier pas vers un je personnel, une identité propre, puisqu'il aide le jeune à être autre chose qu'un fils de ou fille de. Ce n’est qu’à l’adolescence que la fille ou le garçon parviendra à construire un univers personnel composé d’éléments tirés de sa famille, de l’école ou de ses pairs.  Dans Les Adonaissants, on remarque que certains adolescents tendent à mettre trop l’accent sur leur univers personnel, et que d’autres restent longtemps sous la dépendance de leurs parents (peut-être davantage les filles, bonnes élèves[4])

Plusieurs vecteurs de la culture jeune permettent à l’adonaissant de s’individualiser

Le processus d’individualisation se joue dans la vie quotidienne. Le choix des vêtements marque une étape dans la prise d’autonomie du jeune. En effet les apparences montrent à tous l’identité revendiquée au regard d’autrui. S’habiller « jeune » est important pour ces adonaissants, c’est un moyen de se démarquer de leurs parents et d’acquérir une identité personnelle, en se rattachant dans un premier temps à la « culture jeune » de manière indifférenciée et en se dessinant une silhouette personnelle dans un second temps. Dans la façon de s’habiller des jeunes, il y a à la fois un comportement de rattachement au groupe des dix-douze ans, à travers l’uniformisation de la façon de s’habiller, et un travail de différenciation par rapport aux autres en s’habillant de façon « unique » dans les années ultérieures. François de Singly décrit comment dans certaines familles (plutôt cadres), les vêtements peuvent être payés par les parents s’ils sont des habits du dimanche, ou s’ils sont jeunes mais pas trop marqués, ou par les jeunes eux-mêmes si la mère (ou le père) considère que c’est « trop » jeune, qu’elle ne le valide pas, même si elle ne l’interdit pas. L’adonaissance est une période pendant laquelle la négociation entre les parents et le jeune est forte.

Il existe d’autres vecteurs d’individualisation, comme la décoration de la chambre qui permet de créer un monde personnel, assez fortement genré (les filles préfèrent les animaux et les garçons les sportifs), ou encore comme le goût musical. L’existence d’un style musical propre à l’adonaissance, parfois appelé « bubble gum music », permet aux jeunes de se séparer à la fois des plus jeunes et de leurs aînés entrés dans l’adolescence. Les chanteurs « représentent plus qu’eux-mêmes, ils témoignent d’une étape de la vie »[réf. nécessaire], qui permet au jeune d’affirmer une « distance avec le goût des adultes afin de témoigner de leur existence personnelle et de leur appartenance à d’autres »[réf. nécessaire] groupes que celui de la famille. Curieusement, l’adhésion à la musique de l’adonaissance et de l’adolescence restera une référence, même à l’âge adulte. Est-ce un signe de ces premiers temps de l’individualisation ?

Le vécu de l'adonaissance selon le milieu social

Le processus d’individualisation à l’adonaissance diffère selon le milieu social de la famille, même si le contexte général avec une offre de produits générationnels (vêtements, musique, équipements, etc.) est commune. Principalement, deux modèles majeurs sont distingués dans Adonaissants. Premièrement  l’adonaissant dans les familles de cadres. L’enfant doit assurer la reproduction sociale de sa famille en réussissant scolairement. Les parents exercent un contrôle exigeant sur les études des enfants, qui permettent la transmission du capital familial. « Les jeunes sont libres d’expérimenter une partie de leur vie à la condition qu’ils respectent (…) l’obligation de travail scolaire »[réf. nécessaire].

L’identité de l’adonaissant repose donc son appartenance familiale, mais aussi sur son identité générationnelle. Pour François de Singly, leur identité est « clivée ». L’ouvrage commente longuement l’exemple de Nina, 12 ans, fille d’une famille de cadres allemands, qui entretient de bonnes relations avec ses parents et ses amis. Elle possède sa propre chambre et rédige un journal intime, circule fréquemment en bus dans la ville, et se maquille légèrement. Ainsi, elle est encouragée à devenir autonome, mais dans un cadre fixé par les parents. En effet, ceux-ci contrôlent les horaires et les activités extrascolaires. « Cette éducation à l’autonomie n’est donc pas synonyme de laisser-faire  »[réf. nécessaire].

Aussi, l’adonaissant dans les familles populaires possède « une identité cumulative ». Il n’existe pas de séparation dans la vie de l’enfant entre un monde géré par les parents et un monde qui serait propre au jeune. Le statut de « fils de » ou de « fille de » est prépondérant, et la place dans la famille détermine davantage le quotidien de l’enfant. L’individualisation se manifeste autrement par le droit reconnu d’avoir des attributs de la génération, c’est considéré comme une chose normale. Les jeunes filles ou les jeunes gens ont plus souvent la télévision dans leur chambre que dans les autres milieux. Cela peut rendre possible une écoute plus individualisée. Mais en même temps, on observe que cette télévision « individuelle » peut donner lieu à un usage familiale. Par exemple, une mère et sa fille se retrouveront pour écouter des programmes qu’elles considèrent féminins dans la chambre de la jeune fille (et le père et son fils regarderont le sport sur le téléviseur de la salle de séjour). L’indépendance dans les déplacements est moins forte car l’adonaissant est souvent en compagnie d’un membre de sa famille (frère ou sœur, cousine ou cousin). Avoir un monde personnel est moins valorisé.

On peut prendre l’exemple de Cindy, 12 ans, qui est allée au concert du groupe dont elle est fan avec sa copine, ses parents l’ont accompagnée, estimant qu’elle avait le droit de s’y rendre. Elle manifeste son appartenance à la culture jeune sans que cela implique une distance avec son identité de « fille de ». À la différence du milieu cadre, un jeune de milieu populaire peut plus aisément affirmer son identité personnelle par la réussite scolaire puisque c’est un moyen de se différencier qui peut être approuvé par ses parents.

Bilan

De plus en plus les adonaissants bénéficient donc d'une « indépendance sous condition, d'une forme hybride entre le mineur et le majeur. Ils sont déjà ailleurs quand on les croit encore là ».[réf. nécessaire]

Tout indique que ce processus continu d’individualisation va connaître d’autres phases puisque sont évoqués la conduite accompagnée dès quinze ans ou encore le vote à seize ans[5], et qu’il concernera aussi les enfants avant même l’adonaissance (avec par exemple pour l’alimentation, l’offre de produits pour leur tranche d’âge, habituant les filles et les garçons à devoir choisir).  

Notes et références

  1. http://www.cahiers-pedagogiques.com/Enquete-sur-les-adonaissants
  2. Delphine Chauffaut, « Les adonaissants [compte-rendu] », Recherches et Prévisions, no 87, , p. 114 (lire en ligne, consulté le )
  3. Pascal Santi, « Les adolescents, connectés même la nuit », Le Monde, 26 mars 2014.
  4. « Ni ado ni enfant... Adonaissant », sur Sciences Humaines (consulté le ).
  5. Cf. Guillaume Macher, François de Singly, « Pour une politique de l’adolescence », http://www.tnova.fr/sites/default/files/120423%20-%20Pour%20une%20politique%20de%20l%27adolescence%20-%20Macher%20-%20de%20Singly.pdf
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