Le Zéro et l'Infini

Le Zéro et l'Infini (Darkness at Noon) est un roman d'Arthur Koestler. Écrit entre 1938 et 1940[1], il est publié pour la première fois au Royaume-Uni en 1940, ensuite en France en 1945. Le roman fut originellement écrit en allemand et traduit en anglais par une amie de Koestler, Daphne Hardy Henrion.

Cet article possède un paronyme, voir De l'infini au zéro.

Le Zéro et l'Infini

Couverture de la première édition américaine.

Auteur Arthur Koestler
Pays Royaume-Uni
Version originale
Langue Allemand
Titre Sonnenfinsternis
Éditeur Macmillan
Date de parution 1940
Version française
Traducteur Jérôme Jenatton
Éditeur Calmann-Lévy
Collection Pérennes
Date de parution 1945
Nombre de pages 247
ISBN 9782702135624
Chronologie

Faisant partie des grands classiques de la littérature antistalinienne, Le Zéro et l'Infini fut utilisé comme outil de propagande durant la Guerre froide, notamment par le ministère des Affaires étrangères britannique qui finança la distribution de 50 000 exemplaires (dont le Parti communiste français s'efforça de racheter tous les exemplaires mis sur le marché)[2].

Il figure à la 8e place dans la liste des cent meilleurs romans de langue anglaise du XXe siècle établie par la Modern Library en 1998[3].

Présentation

L'ouvrage est édité pour la première fois en 1940. La première édition en français paraît en 1945, chez Calmann-Lévy. Il est réédité par Le Livre de poche en 1974.

Arthur Koestler est né en 1905 en Hongrie. Il est juif. Il va vivre à Vienne où il étudie, puis est journaliste à Berlin et « pionnier » en Palestine. À la fin des années 1920, il devient rédacteur scientifique pour le groupe allemand Ullstein et participe, seul journaliste, à l'expédition du dirigeable Graf Zeppelin en Arctique en 1931. Il poursuit cette carrière de journaliste, de nouveau à Berlin, où il adhère au parti communiste en 1932. Il voyage également en Union soviétique, et assiste en partie à un procès politique à Achgabat. Le Komintern l'envoie ensuite à Paris, puis en Espagne pour couvrir le soulèvement militaire et il y est arrêté et condamné à mort. Il est épargné grâce à une campagne de presse en sa faveur. Les procès de Moscou, en 1938, le décident à rompre avec le communisme. À Paris à nouveau, il est considéré comme un suspect politique par la police française. Il est interné dans un camp en Ariège. Il est relâché mais est dès lors considéré comme indésirable[4],[5].

Au moment où il écrit le roman, Koestler est communiste. Il a assisté en URSS à un procès d’épuration. Il a déjà fait l’expérience des prisons espagnoles, avec la perspective de sa mise à mort. En 1938, il s’interroge sur le bien-fondé du stalinisme dit « communiste » puis est interné dans un camp d’internement français sous Daladier puis Pétain.

L’espace et le temps

L’action se passe dans un pays totalitaire. Il n’est pas nommé, mais on peut deviner que l'action se passe dans un pays slave (Union soviétique) à la fin des années 1930. (Dans le livre, il précise de 1938 à 1940.) Le livre a été écrit en allemand et est publié en anglais en 1940. Ceci est donc une traduction. L’auteur s’est inspiré des grands procès de Moscou qui se sont tenus de 1936 à 1938 dans le but de supprimer un grand nombre d’opposants potentiels de Staline et surtout d’anciens compagnons de Lénine.

Le héros, Roubachof, évolue pendant toute la durée du roman dans une cellule de prison. Il se remémore son histoire mais surtout il se pose des questions qu'il ne s'était jamais posées auparavant. Il analyse en fait son parcours de militant et les idées du parti. Lorsqu'il était encore un haut fonctionnaire, il effectuait des missions à l'étranger (Belgique, Allemagne...).

L’intrigue

Roubachof, membre actif et important du Parti, est jeté en prison après avoir été « vendu » par sa secrétaire. Sa fidélité au Parti est mise en doute. Il se défend très peu, puis est incarcéré et « jugé ». Avant cela, il avait passé deux années de détention dans une prison étrangère. Une fois libéré, il avait été accueilli en héros pour avoir eu une conduite exemplaire. Pendant son séjour en prison, il essaie de communiquer avec d'autres détenus en « alphabet quadratique[6] ». Il est confronté aux rigueurs de la détention. Peu après, il est confronté à un haut fonctionnaire de la prison. Roubachof est suspecté d’être un opposant au seul et unique parti du pays. Il est forcé d'adopter l’idéologie du parti. Selon lui, soit il aura affaire à un jugement administratif (il sera jugé par des hauts fonctionnaires du parti sans aucune chance ni aucun espoir de s’en sortir) soit il aura affaire à un procès public (il pourra y être défendu avec beaucoup plus d’espoir et de facilité). Yvanof veut forcer Roubachof à avouer qu’il fait partie d’un groupe d’opposition. Ce qui est faux. Sa destinée dépend de sa façon de s’exprimer sur ce sujet et si oui ou non il reconnaît ses « soi-disant » propres fautes. Ivanof donne deux semaines à Roubachof pour réfléchir à son attitude tout en prédisant que le témoignage d’autres personnes, connues de Roubachof, serait de toute façon à sa charge. À partir de ce moment, les conditions de détentions de Roubachof s’améliorent. Va-t-il rester fidèle à sa conscience ou être fidèle jusqu’au bout au Parti en se soumettant à ses exigences ? Pourquoi le parti auquel il a adhéré lui demande-t-il de tels sacrifices ?

Au fil du temps, l'interrogatoire de Roubachof arrive. Car il a fini par céder aux propositions d'Ivanof. Ce dernier était venu expliquer " en ami " à Roubachof qu'il ferait mieux de se soumettre. Mais dans un premier temps celui-ci refuse catégoriquement. Le fait qu'il cède finalement le mène à un procès public. Entre les interrogatoires, Roubachof communique avec les autres détenus à l'aide de son pince-nez. Certains détenus lui parlent pendant qu'il effectue son tour de promenade. L'interrogatoire est mené par Gletkin, car Ivanof est condamné et fusillé pour n'avoir pas respecté les lois du parti. Roubachof l'a bien compris, l’individu est le zéro. Le Parti, c’est l’infini. C’est ainsi que les choses sont présentées à Roubachov lors de son premier interrogatoire. Roubachov le sait. Le voilà torturé à son tour par la machine à faire avouer et sommé de se prêter à la mise en scène macabre qui lui fera avouer qu’il est un traître, un renégat, un ennemi de la classe ouvrière.

Roubachof

Membre important du parti, il a eu plusieurs activités de haut fonctionnaire au parti puis il fit des missions de propagande à l’étranger. Il semble avoir «l'instinct du parti», avoir toujours bien fait les choses tout en sachant qu'elles doivent être faites selon les idées du parti et non selon sa conscience personnelle. Concernant son procès, il a peu de chances car son sort est décidé d’avance. Sa captivité l'oblige à une réflexion poussée sur le parti et son détournement en machine totalitaire trahissant la révolution qu'il a engendrée ; réflexion sur son existence et son implication au sein du parti, sur l'histoire, la révolution... Ce révolutionnaire de la première heure n’est pas un personnage historique, mais une synthèse « de plusieurs hommes qui furent les victimes des soi-disant procès de Moscou »[7].

Ivanof

Haut fonctionnaire de la prison, connaissant Roubachof antérieurement. Il est fidèle au n°1, appliquant ses ordres et idées à la lettre. Il doit faire avouer Roubachof. Il va mettre tout en œuvre pour obtenir des aveux de Roubachof, mais par la psychologie du parti et non par la force pour qu’il endosse l’habit d’ennemi du peuple. Il va jouer avec la clémence pour arriver à son but mais c’est cela qui va le faire condamner à être fusillé car il a exécuté les ordres du parti selon sa conscience et non comme le veut le parti[8].

Le narrateur

La narration est une narration à la troisième personne, la plupart du temps en focalisation interne : sauf exceptions, elle épouse le cours de la pensée de Roubachof. Lorsqu'il y a des dialogues, c’est Roubachof qui parle et plus particulièrement lorsque des notes de son livre où des propos antérieurs sont évoqués.

Le narrateur rapporte les impressions de Roubachof et à travers elles les mécanismes de la construction de la culpabilité. Il explique comment les interrogatoires créent la culpabilité du protagoniste comme communiste convaincu.

Le titre

Le zéro et l’infini. Le zéro représente la conception de l’homme dans un régime totalitaire. Il ne peut exister par lui-même, rien n’est fait pour lui. C’est à lui d’adhérer et de participer au système et s'il n’est rien, il peut être tué s’il s’oppose ou dérange le système du parti. Le but est que chaque individu mette tout en œuvre pour la réussite de la collectivité, qui est représentée ici par le parti, et non l’inverse. L’homme est donc le néant et doit montrer l’exemple pour les générations à venir et doit aller jusqu’à se faire mutiler pour montrer l’exemple et préserver le peuple. L’infini , c'est l'infini du monde planétaire, c’est tout, c’est le possible[7].

Nota: le titre français n'est pas la traduction littérale du titre original (Darkness at noon, la nuit à midi selon Émile Henriot[7], littéralement Obscurité à midi).

Thèmes et messages importants

Derrière le flou relatif de la narration perce une réalité historique particulière, celle de l'URSS stalinienne des années 1930 : les procès de Moscou, les Grandes Purges (1937-1938), un parti devenu machine totalitaire... ainsi qu'une réalité historique plus générale : la mise en place du totalitarisme et de sa vision inhumaine de l'individu. Arthur Koestler, ancien communiste et resté socialiste tout au long de sa vie, figure parmi les premiers intellectuels à dénoncer le détournement de la révolution socialiste à une époque où l'URSS est érigée en « paradis terrestre » par de nombreux penseurs et intellectuels occidentaux de gauche, où toute critique est dénoncée comme une manœuvre réactionnaire[9].

L'ouvrage éclaire aussi la pression psychologique et les débats intérieurs possibles des inculpés, qui en viennent à reconnaître publiquement leurs torts à l’égard du parti et à trouver juste leur châtiment[7].

Réception critique

En France, Le Parti communiste fustige le livre (critiqué notamment par Frédéric Joliot-Curie, Roger Garaudy et Jean Kanapa). Koestler est accusé d'être « l'agent de l'Intelligence Service », un « antisémite pogromiste » ou encore « hongrois de souche allemande »[10].

Malgré un indéniable succès d'édition (près de 200 000 exemplaires vendus[10]), rares sont ceux qui, comme Francine Bloch[11], ou Émile Henriot , prennent publiquement la défense du roman[7].

Notes

  1. À une époque où l'URSS est une alliée du Troisième Reich.
  2. (en) Laurence Zuckerman, « How the C.I.A. Played Dirty Tricks With Culture », The New York Times, (lire en ligne, consulté le )
  3. (en) The Modern Library : 100 Best Novels
  4. François Maspéro, « Arthur Koestler, veilleur du XXe siècle », Le Monde, (lire en ligne)
  5. Michel Laval, L'Homme sans concessions: Arthur Koestler et son siècle, Calmann-Lévy,
  6. il faut imaginer un carré de 5x5 contenant les lettres. ABCDE sur la 1° ligne, FGHIJ sur la seconde, etc. Par exemple pour dire CE, le prisonnier tape 1 coup (1° ligne) puis 3 pour la lettre C, ensuite 1-5 pour le E; pour dire JE, ce sera 2-5,1-5; etc
  7. Émile Henriot, « “ Le Zéro et l’Infini »”, d’Arthur Koestler : dans les méandres d’une âme révolutionnaire russe », Le Monde, (lire en ligne)
  8. Orlane Glises de la Rivière, « Ombres du Grand Inquisiteur de Dostoïevski dans le Zéro et l’Infini de Koestler : entre Dieu et le diable », Aleph, , p. 77-92 (lire en ligne)
  9. Voir, par exemple, l'accueil réservé au Retour de l'U.R.S.S. d'André Gide.
  10. Emmanuel Hecht, « Koestler, le croisé sans croix », Les Échos, (lire en ligne)
  11. Ingrid Galster, « Notices. Francine Béris (pseudo. de Francine Bloch) », dans Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir, Presses Paris Sorbonne, (lire en ligne), p. 321

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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