Langue des signes

Les langues des signes désignent les langues gestuelles (produites par les mouvements des mains, du visage et du corps dans son ensemble) que les personnes sourdes ont développées pour communiquer. Elles assurent toutes les fonctions remplies par les langues orales.

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Lettre V en langue des signes.

Histoire

Depuis le congrès de Milan de 1880, les méthodes orales ont été privilégiées dans l'éducation des enfants sourds, au détriment des langues visuelles. Dans les années 1960, le linguiste William Stokoe analyse la structure de la langue des signes américaine (American Sign Language, ASL) et met en évidence qu'elle possède les mêmes caractéristiques linguistiques structurelles que les langues parlées : une phonologie, une grammaire utilisant une syntaxe. Cette découverte apporte alors une légitimité aux langues des signes, qu'elles n'avaient pas auparavant. Les langues des signes entrent alors dans l'éducation des enfants sourds de certains pays. En 1980, la Suède décide ainsi que l'éducation des sourds doit être bilingue : la langue des signes est la première langue des enfants sourds, et le suédois est la langue seconde. Des pays de plus en plus nombreux suivent cet exemple[1],[2].

Sémiologie

Si la langue des signes est enseignée et diffusée, elle est conçue en tant que « reproduction » d'une langue qu'elle visualise et gestualise. Il faut attendre William Stokoe[3] pour que la langue des signes soit observée comme une langue à part entière grâce à la description selon le principe de la double articulation qu'André Martinet[4] développe pour le langage humain en général et atteste pour la langue des signes dans l’introduction à l’Essai de grammaire de la langue des signes française de Nève de Mévergnies[5]. Ces descriptions, très souvent menées selon les critères d'analyse des langues orales, ont contribué à faire peu à peu reconnaître à ces langues leur statut de langues naturelles à part entière. Cependant du fait que les langues des signes utilisent une modalité visuo-gestuelle et non audio-orale, elles mettent en place des structures spécifiques, bien différentes de celles des langues orales et nécessitent donc une description circonstanciée.

Comme toute langue, une langue des signes nécessite un apprentissage mais il n'est pas nécessaire d'avoir une surdité pour apprendre ou communiquer en langue des signes. Par exemple de nombreux entendants (enfants de sourds, partenaires, ou interprètes et autres professionnels en contact avec des sourds) parviennent à développer un haut degré de bilinguisme. Selon le Ministère de la Culture[6], « les langues des signes sont pour les sourds, le seul mode linguistique véritablement approprié, qui leur permette un développement cognitif et psychologique d’une manière équivalente à ce qu’il en est d’une langue orale pour un entendant. »

On parle souvent quand on traite de la langue des signes d'une « pensée visuelle ». Elle remet en question ce que nous considérons habituellement comme appartenant au domaine de la linguistique. En effet, selon Christian Cuxac[7], dans une perspective sémiogénétique, le modèle de la langue des signes française propose une bifurcation de visée entre deux types de structures (fréquemment imbriquées dans le discours) :

  • les structures dites standard ou « signes standard », au caractère conventionnel ;
  • les structures de grande iconicité, à visée illustrative.

Code gestuel

Les signes standards sont conditionnés par la gestuelle de la ou des mains, de la tête et du visage, par l’orientation du signe, son emplacement et son mouvement, chaque paramètre correspondant à une liste finie d’éléments qui correspond au phonème de la langue orale. Le dénombrement des éléments par catégorie paramétrique varie selon les descriptions. Pour la seule gestuelle des mains, on en compte entre 45 et 60 différentes en langue des signes française. Ces éléments apparaissent simultanément et peuvent se combiner au sein d'un signe de même que les phonèmes se combinent au sein d'un mot.

Prosodie illustrative

Les structures de grande iconicité sont d'un emploi récurrent dans la conduite de récit. Elles sont extrêmement originales et particulières. L'étude poussée de ces structures[8] ont permis de mettre en évidence différents types de transferts possibles dans un discours. Par exemple, le locuteur prend alors le rôle d’une personne ou encore, met en situation des formes[9]. Christian Cuxac l'explicite ainsi : « Toutes les langues permettent de reconstruire des expériences, selon des stratégies variées. (…) dans les cas d’ajouts gestuels (ex : un ballon « grand comme ça ») (…), le geste accompagne ou complète la parole, (…) le locuteur prend la voix des personnages dont il parle, pour raconter une histoire. On observe alors des phénomènes de prosodie tout à fait intéressants, lors de ces prises de rôle. Au contraire, les langues des signes donnent à voir constamment, à des degrés divers. La grande iconicité est donc l’activation, dans le domaine du discours, d’une visée illustrative (ou iconicisatrice), lorsque la dimension donnée à voir est présente. »

Espace-temps

A Il faut également relever l'utilisation particulière de l'espace par la langue des signes. En effet, alors que les langues vocales utilisent de préférences des structures syntaxiques linéaires pour le marquage temporel ou encore les relations entre différents éléments de la phrase, la langue des signes utilise de préférences des structures syntaxiques spatiales : le temps peut par exemple se dérouler selon un axe arrière-avant dans l'espace du signeur ou encore selon un axe gauche-droite.

Marqueur pronominal

L'espace de signation (là où la personne signe) peut aussi servir à créer des repères, des marqueurs auxquels on se réfère tout au long du discours (par ex. un repère pour l'école, un pour la maison, un autre pour un personnage). Il suffit alors de pointer du doigt ou du regard l'endroit pour "l'activer" et y faire référence dans le discours. C'est en quelque sorte un usage spatial du pronom.

Comparaison des langues des signes

Relief en béton de langue des signes à Prague : « La vie est belle, soyez heureux et aimez. », par la sculptrice tchèque Zuzana Čížková, sur le mur d'une école pour les élèves sourds.

Les langues des signes (LS) ne sont pas universelles, malgré ce que l'on croit. Henri Wittmann (1991) a fourni une classification des langues des signes. Il existe en fait, tout comme pour le langage oral, autant de langues des signes que de communautés différentes de sourds, chaque langue des signes ayant son histoire, ses unités signifiantes et son lexique. Le développement d'une langue des signes dépend de la vivacité de la communauté des personnes qui la composent, comme pour une langue vocale. Comme un jargon, la langue des signes pratiquée dans une région n'a pas nécessairement de liens avec la langue orale de cette même région.[pas clair], par exemple, en France, le signe « Maman » est différent selon les régions voire départements. En dépit des différences entre les langues des signes du monde, la compréhension et la communication est rapidement possible entre deux personnes maîtrisant des langues des signes différentes. Ceci tient à la grande proximité des structures syntaxiques (l'ordre de signes dans la phrase) et à l’existence de structures très iconiques (des signes dont la forme représente assez bien ce dont on parle : la lettre « C », « soleil », « téléphoner »...) [10], caractérisées par l’absence de signes standard (qui sont eux différents pour chaque langue : par exemple « eau »). L’origine de ces structures partagées tient probablement à la nature même de la langue et transfigure l'expérience humaine du monde qu'en ont ses locuteurs.[pas clair]

Reconnaissance légale et soutien juridique à l'accès des sourds à la langue des signes

Seules quelques-unes de la centaine de langues des signes dans le monde ont obtenu une reconnaissance légale, les autres ne bénéficiant d'aucun statut officiel.

Aujourd'hui encore, faute d'information, de nombreuses personnes sourdes ou parents de sourds ne connaissent pas l'existence des langues des signes et considèrent avant tout la surdité comme un handicap. Il semble nécessaire d'avoir une approche différente de la simple vision curative de la surdité et de prendre en considération la réalité sociale et linguistique des langues des signes. De nombreux pays souhaitent avant tout un épanouissement des personnes et développent l'accès en langue des signes aux lieux publics[11], aux universités[12], etc.

Reconnaissance des langues signées par pays

France

En 2005 : la loi no 2005-102 du pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées reconnaît officiellement la LSF.

Ainsi, ses art. 19 et 75 insèrent les dispositions suivantes dans le code de l'éducation :

  • Art. L. 112-2-2. - Dans l'éducation et le parcours scolaire des jeunes sourds, la liberté de choix entre une communication bilingue - langue des signes et langue française - et une communication en langue française est de droit. Un décret en Conseil d'État fixe, d'une part, les conditions d'exercice de ce choix pour les jeunes sourds et leurs familles, d'autre part, les dispositions à prendre par les établissements et services où est assurée l'éducation des jeunes sourds pour garantir l'application de ce choix.
  • Art. L. 312-9-1. - La langue des signes française est reconnue comme une langue à part entière. Tout élève concerné doit pouvoir recevoir un enseignement de la langue des signes française. Le Conseil supérieur de l'éducation veille à favoriser son enseignement. Il est tenu régulièrement informé des conditions de son évaluation. Elle peut être choisie comme épreuve optionnelle aux examens et concours, y compris ceux de la formation professionnelle. Sa diffusion dans l'administration est facilitée.

Une émission d'information en langue des signes existe sur la chaîne de télévision France Info[17].

Nouvelle-Zélande

C’est le 11 avril 2006, après une troisième lecture du texte de loi, loi publique numéro 18, que le Parlement de Nouvelle Zélande a reconnu la langue des signes comme langue officielle (NZSL). C’est le premier pays à reconnaître la langue des signes comme telle. Le but premier de cette loi étant de rendre obligatoire l’utilisation de la NZSL dans le système juridique afin de garantir à la communauté sourde d’avoir le même accès aux informations et aux services gouvernementaux que le reste de la population. Par conséquent, il s’agit également de faire preuve de reconnaissance aux personnes sourdes comme une communauté linguistique, auparavant considéré comme souffrant d’incapacités, notamment dans les politiques en lien avec la santé et l’éducation.

De plus, malgré qu’il n’y ait aucune implication budgétaire à la reconnaissance de la NZSL, les personnes sourdes ont 16 Office des personnes handicapées du Québec qui ont participé au processus d’élaboration de la loi et en ont retiré une forme de reconnaissance qu’elles n’avaient pas auparavant et une meilleure connaissance du système politique.[18]

Langue des signes pour bébés

Depuis la fin du XXe siècle, on assiste à l'émergence de l'utilisation de la langue des signes pour faciliter la communication entre parents et enfants pré-verbaux.

Utilisation notable dans la fiction

Films

Personnalités sourdes ou ayant recours à la langue des signes

Notes et références

  1. (en) S. N. Mahshie, Educating Deaf Children Bilingually, Washington, DC, Gallaudet University Pre-College Programs,
  2. Daphné Ducharme et Rachel Mayberry, « L'importance d'une exposition précoce au langage : la période critique s'applique au langage signé tout comme au langage oral », dans Catherine Transler, Jacqueline Leybaert, Jean-Emile Gombert, L'acquisition du langage par l'enfant sourd : les signes, l'oral et l'écrit., Marseille, Solal, , 344 p. (ISBN 2-914513-80-1)
  3. William C. Stokoe, Sign Language Structure : an outline of the visual communication, Studies in linguistics, Occasional Papers n°8, Buffalo, New York, 1960. et William C. Stokoe, Semiotics and Human Sign Languages, Mouton, La Haye, 1972.
  4. André Martinet, Éléments de linguistique générale, Armand Colin, Paris, 1960.
  5. François-Xavier Nève de Mévergnies, Essai de grammaire de la langue des signes française, Fascicule CCLXXI, Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et Lettres, Université de Liège, Belgique, 1996.
  6. Voir sur le site de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France.
  7. Christian Cuxac, Fonctions et structures de l’iconicité dans les langues des signes ; analyse descriptive d’un idiolecte parisien de la langue des signes française, thèse de doctorat d’État, Université de Paris V. et Christian Cuxac, La Langue des signes française. Les voies de l’iconicité, Ophrys, Faits de Langue no 15-16, Paris, 2000.
  8. M-A Sallandre, Les unités du discours en langue des signes française. Tentative de catégorisation dans le cadre d’une grammaire de l’iconicité, thèse de doctorat d'État, Université de Paris VIII, 2003.
  9. M-A Sallandre, Va-et-vient de l’iconicité en langue des signes française ; Acquisition et interaction en langue étrangère en ligne.
  10. Christian Cuxac. Les voies de l’iconicité, Ophrys, Faits de Langue no 15-16, Paris, 2000. Cette idée de la proximité iconique des langues des signes a été abandonnée dans les courants de pensée internationaux au moins depuis Johnston (1989). Bien que l'iconicité soit plus systématique et répandue dans les langues signées gestuellement que dans les langues signées vocalement, les différences ne sont ni catégorielles et ni calquées sur les langues orales. La complexité d'une morphologie spatiale représente les mêmes embûches à l'apprenant que celle d'une morphologie linéaire (Aronoff et al. 2005).
  11. Art. L. 112-2-2 du Code de l'éducation, inséré par la Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées).
  12. Université Gallaudet pour les sourds, USA.
  13. (de) (de) Allemagne. « Gesetz zur Gleichstellung behinderter Menschen und zur Änderung anderer Gesetze », art. 1, §6 [lire en ligne (page consultée le 11 juin 2011)].
  14. « Angemessene Vorkehrungen für Personen mit Hörschädigungen », sur www.antoniadis.be (consulté le )
  15. « pdf », sur Bulletin Officiel de l'État espagnol,
  16. (en) « New Zealand Sign Language Act 2006 », sur legislation.govt.nz, New Zealand Legislation (consulté le ).
  17. data.over-blog-kiwi.com/0/95/30/84/20160829/ob_b65106_franceinfo-grille-tv.pdf.
  18. « Nouvelle-Zélande: Loi sur la langue des signes néo-zélandaise de 2006 », sur www.axl.cefan.ulaval.ca (consulté le )

Voir aussi

Bibliographie

Articles connexes

Liens externes

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