La Toujours Jeune

La Toujours Jeune est une célèbre partie d'échecs jouée par Adolf Anderssen et Jean Dufresne en 1852[1]. (Bien que connue en français sous ce nom, cette partie est baptisée en anglais The Evergreen, qui serait mieux traduit par « La Reflorissante » ou « La Sempervirente ».)

Cet article utilise la notation algébrique pour décrire des coups du jeu d'échecs.

Contexte

Il y a un an qu'Anderssen est devenu, officieusement, champion du monde des échecs. Depuis le mémorable tournoi d'échecs de Londres 1851, il ne joue que des parties libres, pratiquant son art avec qui souhaite l'affronter. C'est à Berlin que Dufresne, fort joueur allemand, croise le fer avec Anderssen.

À ce moment-là, Anderssen est au meilleur de sa forme, pour le plus grand malheur de Dufresne.

Partie commentée

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Après 7...d3

Adolf Anderssen - Jean Dufresne

Gambit Evans

Berlin, 1852

1. e4 e5 2. Cf3 Cc6 3. Fc4 Fc5 4. b4 Fxb4

La partie commence par un gambit Evans, ouverture très populaire au XIXe siècle, que l'on peut voir encore occasionnellement au XXIe siècle. Les Blancs donnent un pion contre deux temps.

5. c3 Fa5 6. d4 exd4 7. 0-0 d3 (diagramme)

La suite recommandée par la théorie est 7. ... Cge7. Les Blancs profiteront du coup d3 pour installer leur Dame à un poste stratégique. Il peut sembler à première vue que les Blancs ont perdu plusieurs défenseurs, les pions à l'aile-Dame. Cependant, plusieurs pièces blanches sont actives à leur position de départ, favorisant une attaque rapide.

8. Db3 Df6 9. e5 Dg6 10. Te1 Cge7 11. Fa3

Les Blancs sont parvenus à créer une position offensive impressionnante : trois pièces visent l'aile roi adverse et la tour vise indirectement celui-ci. Les Noirs sont réduits à une passivité mortelle.

11. ... b5

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Après 18...Tg8

Les Noirs rendent un pion pour activer leurs pièces mais ils auraient mieux fait de roquer.

12. Dxb5 Tb8 13. Da4 Fb6 14. Cbd2 Fb7?

Comme au 11e coup, les Noirs auraient dû roquer mais ils jouent en style romantique, voulant attaquer le roque blanc.

15. Ce4 Df5

15. ... 0-0 se heurterait à 16.Fxd3 Dh5 17.Cg3 Dh6 18.Fc1 De6 19.Cg5 qui gagne. Les Noirs auraient cependant pu tenter l'astucieux 15...d2!.

16. Fxd3 Dh5

Ici les Blancs pouvent gagner prosaïquement en jouant 17.Cg3, par exemple : 17...Dh6 18.Fc1 De6 19.Fc4 Cd5 (sur Dg6 20.Ch4 gagne la dame) 20.Cg5 Dg4 21.Te4 Cxc3 22.Txg4 Cxa4 23.Fxf7+ Rf8 24.Txa4. Mais à l'époque, la beauté d'une partie consistait autant à son résultat qu'à la manière. Anderssen imagine un sacrifice de pièce profond mais pas totalement correct.

17. Cf6+ gxf6 18. exf6 Tg8 (diagramme)

Qui pourrait croire que ce dernier coup est une faute fatale ? Il faudra cinq coups de plus pour comprendre la faute. À la décharge de Dufresne, Anderssen a calculé une excellente, et inattendue, combinaison qui donnera le gain aux Blancs, laquelle commence par le coup qui suit[1].

19. Tad1 !?

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Après 24.Fxe7#

Alors que les Blancs ont perdu toutes leurs autres pièce et sont à un coup de la défaite, le mat est effectué au moyen de deux fous, aidés d'un pion.

Ce coup, qui sacrifie le Cf3, est à la source d'une polémique qui a duré au moins un siècle[1]. Les Blancs peuvent améliorer leur jeu par 19. Fe4, avec léger avantage, alors que le coup retenu peut être réfuté de différentes façons. Anderssen joue avec une pendule : le temps de réflexion lui est compté et son coup est complètement dans le style romantique.

19. ... Dxf3

Cette acceptation du cavalier, évidente car le pion g des Blancs est cloué, signe la perte des Noirs, permettant la magnifique combinaison qui suit[1]. Dufresne aurait pu tenir avec le très analysé 19...Tg4, mais aussi avec 19...Dh3 (voir ci-dessous) ou même avec le surprenant 19...Fd4 qui vient intercepter la colonne d.

20. Txe7+ Cxe7

Si 20...Rd8 21.Txd7+! mène à de jolies variantes qui gagnent pour les Blancs.

21. Dxd7+! Rxd7 22. Ff5++!

Le bon échec double, contrairement à 22. Fb5++? Re6 qui gagne pour les Noirs.

22...Re8

22...Rc6 permet l'élégant 23.Fd7#.

23. Fd7+ Rf8 24. Fxe7 mat (diagramme)

Maintenant, l'utilité du coup 19. ... Tg4 apparaît. En effet, le roi noir avait une case de fuite : g8. Dufresne n'a pas trouvé ce coup salvateur, mais il jouait contre forte partie.

Xavier Tartakover a affirmé qu'il s'agit « d'une combinaison unique dans la littérature échiquéenne[trad 1],[2]. »

Postérité

Maintes analyses ont été publiées pour réfuter la combinaison commençant par 19. Tad1. Cependant, aucune n'est parvenue à clore le sujet, car de nouvelles positions toutes aussi favorables aux blancs apparaissent, lesquelles donnent naissance à d'autres combinaisons, toutes aussi « fantastiques »[1].

Selon François Le Lionnais[3], Emanuel Lasker a étudié cette partie, de 1904 à 1908, dans son Lasker's Chess Magazine. Selon Lasker, si les noirs avaient joué 19. ... Tg4, les blancs devaient répondre par 20. Fe4. Pour sauver la partie, les noirs devaient continuer par 20. ... Txg2+. D'autres analyses ont été faites, indiquant que les blancs devaient jouer 20. Fc4, ce qui donne lieu à d'autres possibilités, ne permettant pas d'affirmer de façon définitive si la combinaison d'Anderssen peut être réfutée. Au XXIe siècle, le sujet n'est toujours pas clos. Il existe cependant une autre défense : 19...Dh3 qui menace Dxg2 mat tout en défendant d7, contre le sacrifice de la Dame blanche. Les analyses ne permettent pas d'affirmer avec certitude que les Blancs l'emportent ou les Noirs font nulle.

Pour cette raison, face à l'armée des analystes, cette partie est qualifiée de verdoyante ou toujours reverdissante, d'où son nom de « toujours jeune ». Sachant qu'Anderssen n'a mis au plus qu'une demi-heure pour élaborer la combinaison, il nous faut saluer son génie[1]. Bien sûr, il n'a pas pu calculer toutes les possibilités, mais son intuition profonde et ses énormes capacités combinatoires ont donné naissance à ce joyau.

Notes et références

Citations originales

  1. (en) « A combination second to none in the literature of the game »

Références

  1. Gedeon Barcza, Laszlo Alfody et Jeno Kapu, Les Champions du monde du jeu d'échecs. Tome 1 : De Morphy à Alekhine, Grasset et Europe-Echecs, 1985, trad. Alphonse Grunenwald, p.87-88. (ISBN 224633411X)
  2. (en) Xavier Tartacover et Julius du Mont, 500 Master Games of Chess, Dover Publications, (ISBN 0-486-23208-5)
  3. François Le Lionnais, Les Prix de beauté aux échecs, 1939, 1973, Éditions Payot, p. 24-25. (ISBN 2-228-89493-1)

Annexes

Bibliographie

  • Gedeon Barcza, Laszlo Alfody et Jeno Kapu, Les Champions du monde du jeu d'échecs. Tome 1 : De Morphy à Alekhine, Grasset et Europe-Echecs, 1985, trad. Alphonse Grunenwald, p.87-88. (ISBN 224633411X)

Articles connexes

Liens externes

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