Journalisme d'enquête

Le journalisme d'enquête, ou journalisme d'investigation, est un genre journalistique qui se caractérise par la durée de travail et des recherches approfondies sur un même sujet[1].

Pour les articles homonymes, voir Enquête.

En consultant plusieurs sources et en interrogeant plusieurs spécialistes du sujet, ou témoins des événements, le journaliste d'investigation peut trier plus efficacement les informations et découvrir des faits inédits. Sa connaissance des faits tiendra donc mieux compte de la réalité et son analyse sera ainsi de meilleure qualité.

La définition du journalisme d'investigation, selon la déontologie du journalisme, implique également une indépendance vis-à-vis des pouvoirs politiques ou économiques, et une profondeur d'analyse qui résiste à la tentation de l'audimat ou à la course à l'exclusivité[1].

Présentation

Le journalisme d'enquête vise à révéler des informations cachées en les recoupant et les vérifiant, au moyen d'enquêtes parfois longues et minutieuses, garanties par le respect de la déontologie du journalisme et de la protection des sources d'information des journalistes, quelle que soit la ligne éditoriale des médias qui le pratiquent. En France, la jurisprudence assez fine de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse a progressivement permis de protéger le journalisme d'enquête.

Les pays anglo-saxons ont longtemps eu une longueur d'avance dans le domaine, grâce au développement de journaux populaires d'information par Edward Willis Scripps dans le nord des États-Unis, résultant dans la création de l'Empire de presse Scripps-Howard et d'une agence de presse indépendante car coopérative, l'Associated Press. En Allemagne, le journalisme d'enquête a eu du succès grâce à la pratique de l'hebdomadaire Der Spiegel.

En France, Le Canard enchaîné, référence dans le domaine dès sa création, a été rejoint par des journaux comme Bakchich (version papier et version numérique) et Mediacités (référence en France) ou Mediapart (les deux étant exclusivement numériques). Certaines « lettres confidentielles » ont également développé un pôle d'investigation important sur les coulisses du pouvoir et sur le monde des dirigeants d'entreprise, tels La Lettre A et Entourages. Le journalisme d'investigation ne se limite toutefois pas à la presse, il se diffuse également à travers des livres d'enquêtes, tels les ouvrages d'Albert Londres publiés dès les années 1920.

Au Québec, le journaliste Daniel Leblanc s'est particulièrement fait connaître en déclenchant le scandale des commandites grâce à une enquête fouillée. Aux États-Unis, Eric Schlosser est l'un des journalistes d'investigation les plus connus. On pourrait le comparer aussi à Mark Curtis en Angleterre, spécialisé dans les enquêtes historiques des affaires étrangères du Royaume-Uni et des États-Unis.

Le journaliste Pierre Péan relève que le journaliste d’investigation n’est généralement pas à l’initiative de son sujet et n’enquête pas sur celui-ci : « il lui parvient tout ficelé par un magistrat, un policier ou un avocat, lequel a ses priorités, ses intérêts  ». Le travail du journaliste d'investigation consiste « à sélectionner les documents d’une instruction judiciaire qui peuvent intéresser les lecteurs, à les réécrire, puis à les compléter ; l’enquêteur est un gestionnaire de fuites. » Cette méthode est ainsi revendiquée par Ariane Chemin, du Monde : « Nous avons pour règle de nous caler sur les instructions. Nous ne faisons pas d’enquête d’initiative[2]. »

Appréciation du concept de journalisme d'investigation

Certains journalistes s'adonnant aux enquêtes au long cours réfutent l'idée de la spécificité d'un « journalisme d'enquête ».

Ainsi, le journaliste français Fabrice Arfi explique-t-il :

« Quand vous allez chercher une information, vous la vérifiez, vous la recoupez, vous la recontextualisez, vous la hiérarchisez, vous l'historicisez si besoin, vous la confrontez avec les personnes concernées, vous la publiez, (...) vous faites un travail de journaliste[3]. »

Le journaliste français Pierre Péan refuse quant à lui le mot investigation :

« Ça fait des années que je m'évertue à répéter que je ne me reconnais pas sous le vocable de journaliste d'investigation. Investigation, c'est la traduction d'une expression américaine policière. Je préfère le mot enquête. Je me définirai plutôt comme un enquêteur d'initiative sur sujets sensibles[4]. »

Journalistes d'investigation

Des journalistes français comme Claude Angeli, Jacques Derogy, Jean Montaldo, Antoine Gaudino, Philippe Madelin, Laurent Léger, Roger Lenglet, Vincent Nouzille, Edwy Plenel, Pierre Péan, Denis Robert ou Marie-Monique Robin figurent parmi les journalistes d'investigation[réf. souhaitée]. On peut aussi citer Mark Hunter, un journaliste et universitaire d'origine américaine qui a conduit un certain nombre d'enquêtes, comme sur l'affaire Suzanne de Canson où une héritière fut dépouillée[5].

Les journalistes d'investigation ont pu mettre en danger leur vie : Nicolas Giudici[6] et Jean Hélène (respectivement assassinés en 2001 et 2003), Guy-André Kieffer (disparu dans des circonstances mystérieuses en 2004), Jean-Pascal Couraud (disparu également dans des conditions suspectes en 1997). De même, les « suicides » douteux ne les épargnent pas, comme celui de Didier Contant (défenestré en 2004 d'un immeuble parisien) et Alain Gossens (journaliste belge), alias KarmaOne, mort le , à la suite d'une « chute » du haut d'une église ; tous deux travaillaient sur des dossiers sensibles, et Gary Webb, Morris Ketchum Jessup, Serge Monast, Stephen Knight, Michael Hastings et Yann Moncomble qui travaillaient de façon indépendante[réf. souhaitée].

Plusieurs organismes se dédient exclusivement au journalisme d'investigation : ProPublica aux États-Unis, Correctiv en Allemagne[7], Disclose en France[8]. Le Consortium international des journalistes d'investigation (en anglais « International Consortium of Investigative Journalists » ou ICIJ) regroupe, pour l'enquête sur les Implant Files, plus de 250 journalistes issus de 59 pays[9].

Exemples d'affaires ayant fait l'objet d'enquêtes

De nombreuses affaires ont fait l'objet d'enquêtes journalistiques, tel que le scandale de l'amiante ou celui du Watergate, l'affaire du sang contaminé, Rhodia, Karachi ou Carignon.

Les journalistes d'enquête qui « dénoncent le gangstérisme des tout-puissants patrons des trusts et la corruption des politiciens qui l'accompagne » ont été qualifiés de « fouille-merde » par Theodore Roosevelt dans son discours The Man with the Muck Rake[10] en 1906[11].

Scandale des commandites

De 1997 à 2003, le scandale des commandites, relevé par Daniel Leblanc, est une affaire politique canadienne relative à l'usage illégal de fonds publics fédéraux pour financer une opération de relations publiques visant à contrecarrer la popularité de la souveraineté dans la province de Québec, un système de ristourne permettait au Parti libéral canadien de se financer à même le détournement des fonds publics.

Affaires de trafic d'organes

Panama Papers

La révélation sur le scandale des Panama Papers le est à ce jour l'affaire de journalisme d'investigation dans laquelle la plus grande quantité de données ont été révélées.

Notes et références

  1. « Le journalisme d'investigation », sur France Inter.fr, émission La marche de l'histoire, .
  2. Pierre Péan, « Dans les cuisines de l’investigation », sur Le Monde diplomatique,
  3. Fabrice Arfi, « Le journalisme d'investigation existe-t-il encore en France ? », conférence prononcée le 20 mai 2014 à l'École Militaire à l'invitation de l'ANAJ-IHEDN, à partir de 2 min 40 s.
  4. Pierre Péan : « Le journalisme d'investigation n'existe pas ! », Le Figaro.fr, 28 mars 2014.
  5. Mark Hunter. Le destin de Suzanne: la véritable affaire Canson. Fayard, 1995.
  6. (it) Carlo Ruta it:Carlo Ruta (avec Jean-Francois Gayraud) Il caso Giudici. La misteriosa morte del giornalista che indagò i poteri forti di Francia, aux Éditions Alpine Studio, Lecco (Italie) 28 août 2012 (ISBN 9788896822401) 128 p.
  7. Prune Antoine, « Correctiv : La rédaction qui bouscule le paysage médiatique allemand », TéléObs, (lire en ligne, consulté le )
  8. Richard Sénéjoux, « Disclose, un nouveau média pour “enquêter sur la longueur, avoir un impact sur la société” », sur Télérama.fr, (consulté le )
  9. Chloé Hecketsweiler et Stéphane Horel, « « Implant Files » : un scandale sanitaire mondial sur les implants médicaux », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
  10. The Man with the Muck Rake.
  11. Gérard Vindt, « Etats-Unis : Muckrackers contre barons voleurs », sur Alternatives Economiques, .
  12. https://creatavist-vyt7pw6.atavist.com/cadavre-exquis.

Annexes

Bibliographie

  • Patrick Auvret, Le journalisme d'investigation selon la Convention européenne des droits de l'homme, Legipresse, 1997.
  • Laurent Bigot, « Les journalistes fact-checkers français entre réinvention de la vérification et quête de reconnaissance professionnelle », dossier de 2017 : « L’information au prisme des professionnels qui la produisent, la gèrent et l’utilisent », de la revue du GRESEC (Groupe de recherche sur les enjeux de la communication, laboratoire de l'université Stendhal-Grenoble 3) intitulée Les enjeux de l’information et de la communication.
  • (en) Paul Bradshaw, Michael Bromley, Investigative Journalism: Context and Practice, Routledge, 2008
  • Mark Hunter, Le journalisme d'investigation, Presses universitaires de France, collection « Que sais-je ? », 1998.
  • Gilles Labarthe, Mener l'enquête : arts de faire, stratégies et tactiques d'investigation, Éditions Antipodes, 2020 (ISBN 978-2-88901-179-7).

Articles connexes

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