Journalisme citoyen

Le journalisme citoyen est un aspect particulier du média civique qui est l'utilisation des outils de communication, notamment ceux apportés par Internet (site web, blog, forum, wiki…), par des millions de particuliers dans le monde comme moyens de création, d'expression, de documentation et d'information. Il y a un certain renversement dans ce domaine, le citoyen passant du rôle de simple récepteur à celui d'émetteur, devenant lui-même un média. Dans ce contexte, le journalisme citoyen est à contraster avec le journalisme social qui en est un dérivé.

Personne photographiant avec son téléphone

Les acteurs du journalisme citoyen sont des « citoyens-reporters ». Il s’agit d’internautes qui souhaitent témoigner sur ce qu’ils voient, sur ce qu’ils entendent ou sur ce qu’ils constatent. Citizenside, Journal.re, iReport (en) sont les principaux acteurs sur internet s'étant dotés d'une plateforme communautaire de journalisme citoyen.

Parmi les domaines cités ci-dessus, c'est dans celui de l'information que l'on peut parler de journalisme citoyen.

Abraham Zapruder, qui a filmé l'assassinat de John Fitzgerald Kennedy avec sa caméra amateur en 1963, a été présenté, dans un article de Libération paru en 2007, comme le premier (ou l'ancêtre) des « journalistes citoyens »[1].

Depuis le mouvement des Gilets Jaunes qui a eu lieu en France fin 2018, de nombreux médias alternatifs et média sociaux constitués de citoyens reporters ont été créés partout à travers la France et d'autres pays (par exemple la Belgique), notamment pour montrer le phénomène populaire de ce mouvement, mais également pour dénoncer les inégalités sociales, ainsi que les violences policières qui ont eu lieu lorsque certaines manifestations dérapent.

En 2021, le Prix Pulitzer "Prix spéciaux et citations" fût attribué à Darnella Frazier, pour avoir enregistré avec son téléphone la mort de George Floyd.[2]

Le rôle d'information

Le journalisme citoyen peut être défini comme l'action de citoyens « jouant un rôle actif dans les processus de récupération, reportage, analyse et dissémination de l'actualité et de l'information », selon le rapport We Media : How Audiences are Shaping the Future of News and Information de Shayne Bowman et Chris Willis[3]. Ceux-ci ajoutent : « Le but de cette participation [des citoyens] est de fournir les informations indépendantes, fiables, précises, diverses et appropriées nécessaires à une démocratie ». Le journalisme citoyen consiste généralement à fournir un moyen d'expression à des citoyens ordinaires, y compris des représentants des franges les plus marginales et sous-représentées de la société.

Face à la concentration des médias que certains considèrent comme une menace pour la liberté d'expression et la diversité des opinions[4], Ignacio Ramonet appelle à la constitution d'un cinquième pouvoir, portant les revendications de la société civile et utilisant les canaux de diffusion du journalisme citoyen[5].

Sur l'internet chinois, l'épidémie de coronavirus de la maladie Covid-19 contribue à l'émergence d'une nouvelle source d'information, les citoyens journalistes dont Chen Qiushi, placé de force en quarantaine début février 2019[6].

Le développement

Le développement du Web, et notamment de plates-formes de publication faciles d'usage, ont accéléré la tendance et permis l'apparition de nombreux sites Web donnant la parole à des citoyens ordinaires ou des militants profitant de ce nouveau média. : « En offrant des plates-formes techniques accessibles à tous, les blogs et wikis autorisent ce que nous appelons le "journalisme citoyen", par ce biais nous pouvons tous passer du statut de lecteur à celui de rédacteur, de commentateur des événements. Position éminemment satisfaisante »[7]. Le Web a donné aux citoyens les outils du journaliste, les moyens de faire des reportages et de les diffuser[8].

Dimensions régionale ou locale

Le journalisme citoyen est devenu un média prisé notamment pour l'information de proximité, se concentrant sur une ville, parfois même sur un quartier, pour donner un éclairage différent à la vie d'une communauté dont certains membres s'estiment ignorés par les médias existants ou délaissés par les institutions locales.

À côté des blogs individuels, des sites organisent la publication d'articles de nombreux lecteurs-rédacteurs bénévoles.

Courants de pensée

La plupart des courants de pensée ont également recours à ces possibilités, parfois de façon organisée sous forme de tribune plus que spontanément citoyenne. Certains sites se réclamant comme « citoyens » ont une coloration résolument engagée politiquement ou polémique. En France, L’Échangeur Basse-Normandie, Adverbe et la ville d’Alençon ont même créé un Prix du blog citoyen[9], dont la première édition s'est tenue en juin 2006. De même, on compte parmi les médias altermondialistes des sites se réclamant du journalisme citoyen, par exemple le collectif Indymedia.

Débat sur la pertinence et l'influence

Le fait que de nombreux journalistes citoyens sont souvent des militants pour une cause ou une idéologie particulière a soulevé des critiques.

De nombreux médias traditionnels accusent nombre de partisans du journalisme citoyen de manquer de l'objectivité nécessaire à la pratique du journalisme. Le journalisme citoyen a aussi été critiqué récemment dans le domaine universitaire, notamment par Vincent Maher, dirigeant du New Media Lab de l'Université Rhodes, qui a souligné plusieurs faiblesses parmi les revendications des journalistes civiques, qu'il résume comme « the three deadly Es : ethics, economics and epistemology » (« les trois E fatals : éthique, économie et épistémologie »)[10]. Cet article a été largement critiqué par la presse et la blogosphère. Une étude informelle de Tom Grubisich en 2005 passa par ailleurs en revue de nombreux sites web civiques et jugea sévèrement le contenu et la qualité de nombre d'entre eux sur[11].

Même les partisans les plus ardents du journalisme citoyen en reconnaissent les faiblesses et les limites : « L’avantage, c’est qu’un citoyen journaliste sera capable de publier quelque chose qu’un journal aura peur d’imprimer. L’inconvénient, c’est que la vérification des faits se fait après publication »[12], concède Craig Newmark, fondateur de Craigslist.

Le philosophe Guillaume Cazeaux estime, quant à lui, que dans la pratique du journalisme citoyen, ce n’est pas tant d’un renouvellement du journalisme dont il est question que d’un renouvellement de l’exercice de la citoyenneté. Les « journalistes citoyens » apparaissent avant tout comme des citoyens qui cherchent à sortir de leur état de « minorité », au sens que Kant donne à ce terme dans Qu'est-ce que les Lumières ?, c’est-à-dire qu’ils font l’effort de se servir  en commun  de leur propre entendement, rompant avec les prescriptions de leurs tuteurs traditionnels, constitués essentiellement de nos jours et dans nos contrées des journalistes et autres invités récurrents des médias de masse :

« Le journalisme citoyen peut ainsi être conçu, selon nous, comme un exercice d’émancipation. Et la grossièreté (au moins dénoncée) de certains jugements émis par les “journalistes citoyens” ne saurait servir d’argument recevable contre leur pratique, car, comme le dit Kant au sujet des hommes que l’on placerait subitement en situation de liberté : “Il est certain que les premiers essais seront grossiers et qu’ordinairement même ils se relieront à un état de choses plus pénible et plus dangereux que celui où l’on vit sous les ordres d’autrui, mais aussi sous sa prévoyance ; seulement, on ne peut mûrir pour la raison que par des essais personnels (qu’on ne peut accomplir qu’à la condition d’être libre)”[13]. L’habitude d’exercer son jugement et de débattre, dans un “processus caractéristique d’essais et d’erreurs” […] est ce dont le peuple a besoin pour pleinement entrer dans sa majorité[14]. »

Notes et références

  1. Olivier Costemalle, « La mort de JFK dans le viseur de Zapruder », sur ecrans.liberation.fr,
  2. https://www.pulitzer.org/winners/darnella-frazier
  3. (en) Shayne Bowman et Chris Willis, « We Media: How Audiences are Shaping the Future of News and Information », sur The Media Center at the American Press Institute
  4. « Diversity Versus Concentration in the Deregulated Mass Media Domain. », Journalism and Mass Communication Quarterly,
  5. IGNACIO RAMONET, « Le cinquième pouvoir », sur Le Monde Diplomatique
  6. « Vidéo. Comment le coronavirus défie la censure chinoise », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
  7. (fr) Florence DEVOUARD - Wikimedia Foundation, « Les blogs et wikis autorisent ce que nous appelons le journalisme citoyen », sur Net Eco (consulté le )
  8. « Qu'est-ce qu'un journaliste ? », sur www.franceinter.fr, (consulté le )
  9. (fr) 1res Rencontres nationales du blog citoyen
  10. (en) V.Maher, Citizen Journalism is Dead, New Media Lab, School of Journalism & Media Studies, Rhodes University, Afrique du Sud, 2005.
  11. (en) Grubisich, Tom, « Grassroots journalism: Actual content vs. shining ideal », sur USC Annenberg, Online Journalism Review (consulté le )
  12. (fr) Craig Newmark, « Questions/réponses avec Craig Newmark », sur Des Grenouilles dans la Vallée (consulté le )
  13. Emmanuel Kant, La religion dans les limites de la simple raison, Paris, Éditions Félix Alcan, , p. 230 en notes.
  14. Guillaume Cazeaux, Odyssée 2.0 : la démocratie dans la civilisation numérique, Paris, Armand Colin, , 320 p. (ISBN 978-2-200-28948-5, présentation en ligne), p. 231.

Voir aussi

Photo du tsunami de 2004 prise par un passant

Articles connexes

Liens externes

  • Alternative Media Global Project, site collaboratif qui recense les publications portant sur les médias alternatifs, et propose un panorama géographique et historique du phénomène à l'échelle mondiale
  • QNDM, site d'information participatif
  • Notice dans un dictionnaire ou une encyclopédie généraliste :
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