Joseph Duveen

Joseph Duveen (né le à Kingston-upon-Hull et mort le à Londres) est un marchand d'art britannique, l'un des plus célèbres du XXe siècle.

Biographie

Joseph Duveen, photographié par George Charles Beresford.

Britannique de naissance, Joseph Duveen, appartient à une fratrie de quatorze enfants, et est issu d'une lignée de courtiers juifs néerlandais spécialisés dans le négoce, entre autres d'objets d'art ou précieux.

Associé à M. Barnett, dont il épouse la fille, Rosetta, son père, Joseph Joel Duveen (en) (1843-1908), né à Meppel (Pays-Bas), s'installe à Hull (Angleterre) en 1866, et se spécialise dans l'importation de porcelaine de luxe, de meubles français et de tapis persans.

Par la suite, il se rapproche de son propre frère, Henry J. Duveen (en) (1854-1919), par ailleurs philatéliste renommé, et ensemble ils fondent la compagnie Duveen Brothers, ouvrent une première filiale à Londres sur Oxford Street, puis à New York (1877), d'abord à l'angle de Broadway et de la 19e rue, et plus tard sur la Cinquième avenue, alimentant les collections des nouveaux millionnaires américains du Gilded Age.

En 1894, ils ouvrent une seconde galerie de prestige à Londres sur Old Bond Street, ajoutant à leurs spécialités, les tapisseries précieuses du Grand Siècle et du Baroque, dont ils prennent le monopôle à l'importation. Trois années plus tôt, ils commençaient l'achat de tableaux anciens.

À la tête d'une entreprise largement bénéficiaire, totalisant en 1897 un profit de près d'un demi million de livres sterling, Joseph Joel et Henry associent le jeune Joseph à cette pratique commerciale, où il s'illustre à partir des années 1900 lors de deux opérations qui font sensation dans la presse : le rachat des collections du banquier allemand Oscar Hainauer () et du financier français Rodolphe Kann (1907), respectivement pour £ 250 000 et £ 750 000[1],[2].

Grace à l'expérience familiale du marché américain, Duveen avait compris, très jeune, que les fortunes accumulées aux États-Unis pouvaient désormais racheter les œuvres d'art détenues par des aristocrates et gros propriétaires terriens européens désargentés du fait de l'écroulement des revenus agraires à partir des années 1880 ; cependant, il bâtit sa fortune sur un double constat : d'une part, l'émergence d'une classe possédante américaine qui désire collectionner de l'art européen en partie rejeté par les européens eux-mêmes ; d'autre part, une mutation des collections européennes privées. Par ailleurs, il constitue pour son compte, une importante collection de tableaux[3].

Son baptême sur le marché de l'art remonte à , quand le millionnaire Benjamin Altman le charge d'acheter à une vente aux enchères Lady Louisa Manners, une toile de John Hoppner, qu'il paye £ 14 752, une somme très élevée à l'époque pour une peinture de l'école anglaise ; le colis est envoyé à New York et Altman déclare ne pas aimer cette toile. Elle repart vers Londres où Duveen la revend à lord Herbert Michelham pour un prix dérisoire. Cet échec lui sert de leçon[4].

À partir de 1906, Duveen emploie Bernard Berenson comme expert lors de transactions sur certains tableaux de l'époque Renaissance, et travaille en lien avec l'historien d'art allemand Wilhelm von Bode : ces deux hommes mondialement reconnus, par ailleurs des rivaux, lui permettent d'exercer son regard et d'apprendre à distinguer les nombreux faux ou travaux d'élèves de maîtres qui pullulent sur le marché de pièces originales.

Durant cette même année, il s'émancipe de son père vieillissant, grâce à la complicité de son oncle Henry, prenant le contrôle financier de la firme Duween Brothers, dans laquelle seulement trois autres de ses frères seront associés, Louis, Ernest et Benjamin[5].

En 1907 il fait réaliser par l'architecte néoclassique René Sergent en s'inspirant du Petit Trianon de Versailles - comme son client le comte Moise de Camondo lui fera faire au 63, rue de Monceau (futur musée Nissim de Camondo) - une galerie d'exposition située en fond de cour au 20, place Vendôme, à Paris.

Les frères Duveen possèdent alors un réseau de galeries aussi important que Colnaghi, Goupil ou Knoedler. Parmi leurs clients fortunés figurent les Américains Henry Clay Frick, William Randolph Hearst, John Pierpont Morgan, Andrew Mellon, Henry Edwards Huntington, Samuel Henry Kress et John D. Rockefeller. Joseph pousse notamment le banquier Edward T. Stotesbury (en) et sa femme Eva à acquérir un mobilier somptueux pour meubler Whitemarsh Hall, l'une des plus grandes résidences privées des États-Unis.

En 1921 il vend L'Enfant bleu de Thomas Gainsborough  qui, comble d'ironie, avait appartenu à John Hoppner  au milliardaire américain Henry Edwards Huntington contre la somme de £ 182 200, près de 20 millions de francs de l'époque, un record (le tableau est aujourd'hui à la Bibliothèque Huntington).

Donations

Duveen a fait de nombreuses donations, principalement aux musées britanniques. Il finance la construction de la Duveen Gallery au British Museum pour abriter les Marbres Elgin (inaugurée en 1939), ainsi qu'une nouvelle aile importante de la Tate Gallery : amorcée en 1908 sous l'égide de son propre père et poursuivit par lui, l'« aile Turner » comprend cinq salles accueillant les toiles de J. M. W. Turner. L'architecte commandité est W. H. Romaine-Walker (en).

Peu apprécié en France depuis l'affaire de la vente Kann, il effectue néanmoins une vingtaine de dons destinés aux musées français : par exemple, en 1920, Le Village de Knocke de Camille Pissarro, Baigneuse à Perros-Guirec de Maurice Denis et Le Vieillard au bâton de Paul Gauguin, destinés au Petit Palais, puis en 1926, les tableaux Le Violon (Centre Pompidou)[6] de Georges Dufrénoy et Le Quartier Saint-Romain à Anse de Maurice Utrillo, ou encore en 1931, La Femme à la colombe de Marie Laurencin.

Polémiques

Par exemple, quand il offrit de construire pour le British Museum une salle destinée à abriter les marbres issus du Parthénon (acheté par l'État britannique en 1816 à lord Elgin), il commandita également une restauration complète des dits marbres, effaçant leur patine et les quelques restes de couleurs originelles; le British Museum a reconnu en 1999 que « les dégâts commis à cette époque sont irréparables »[7].

Duveen fut également cité dans huit procès pour « diffamation et dépréciation de marchandise » : en tant que marchand et expert, il opéra plusieurs fois avant même une transaction dans laquelle il n'était pas à priori impliqué, un appréciation visant faire douter l'acheteur potentiel. Ensuite, il faisait racheter la pièce dévaluée pour une somme symbolique afin de la revendre ensuite avec profit...de tels actes déloyaux, voire d'escroquerie, sont aujourd'hui plus rares sur le marché de l'art, la jurisprudence internationale les sanctionnant[8].

Une autre méthode consistait pour Duveen, alors reconnu sur le marché des enchères, de laisser entendre soit qu'il n'achèterait pas une pièce et laisserait ses concurrents s'en emparer, soit au contraire d'annoncer publiquement qu'il allait se ruer sur la pièce en question : dans les deux cas il mentait et se faisant, s'arrangeait toujours pour récupérer l'objet à bon prix auprès de l'acheteur[9].

En 1921, Duveen est attaqué en justice par Andrée Hahn qui lui réclame 500 000 $ de dommages et intérêts, après que celui-ci a déclaré publiquement qu'une seconde version de La Belle Ferronnière attribuée à Leonardo da Vinci, appartenant à cette dernière et qui désirait la vendre, était un faux. Le tribunal mit plusieurs années à statuer et finit par renvoyer l'affaire : excédée, Andrée Hahn accepta de solder le litige avec Duveen pour un montant compensatoire de 60 000 dollars[10].

Son beau-frère et collègue René Gimpel (1881-1945), époux de sa sœur Florence, l'évoque à maintes reprises dans son Journal d'un collectionneur marchand de tableaux 1918-1939 (1963) et en donne cette éloquente appréciation à la suite d'un désaccord survenu entre eux à propos de l'authenticité d'un primitif français de la collection Frick, un des clients de Duveen : « [Duveen] n'a aucune connaissance en peinture, ne vend qu'étayé par des certificats d'experts, mais son intelligence lui a permis de soutenir une façade lézardée dans ce pays où il y a encore si peu de connaisseurs. »[11]

Titres et vie privée

Armes du baron Duveen.

Pour ses actions philanthropiques, Joseph Duveen est fait chevalier en 1919, puis élevé au titre de baronet of Millbank in the City of Westminster, et enfin, au rang de baron Duveen, of Millbank in the City of Westminster le , intégrant la pairie à la chambre des Lords.

Il épouse Elsie Salomon (1881–1963), originaire de New York, le dont il eut une fille, Dorothy Rose (1903–1985), qui fut longtemps à la tête du Duveen Estate.

Duveen est mort à son domicile londonien le , âgé de 69 ans et est enterré au cimetière juif de Willesden (Willesden United Synagogue Cemetery) à Londres. Sans héritier mâle, ses titres nobiliaires s'éteignirent avec lui.

Bibliographie

  • (en)(fr) N. S. Behrmann, « Duveen », dans The New Yorker — traduit en français sous le titre Duveen. La chasse aux chefs-d'œuvre, (Hachette, coll. « Choses vues, aventures vécues » 1953 - réédité en 1972);.
  • Edward Fowles, Memoirs of Duveen Brothers, Londres, Times Books, 1976 (ISBN 978-0723001553);
  • (en) Meryle Secrest, Duveen, a Life in Art, New York, University of Chicago Press, 2005 [2de édition] (ISBN 978-0226744155);
  • (en) C. Simpson, Artful partners, Londres, Macmillan, 1986 (ISBN 9780026113304).

Notes et références

  1. (en) William Roberts, « Duveen, Joseph Joel », dans Sidney Lee (direction), Dictionary of National Biography, supplément 1, Londres, Smith, Elder & Co., 1912, pp. 539–540en ligne.
  2. (en) Meryle Secrest, Duveen: A Life in Art, Knopf, 2004, Chapitre 2, pp. 26-39extrait en ligne.
  3. S. N. Behrman, Duveen, Londres, Hamish Hamilton, 1972, introduction [citée par Meryle Secrest (2004), p. 43.
  4. (en) Meryle Secrest, Duveen: A Life in Art, Knopf, 2004, Chapitre 3, pp. 56-57extrait en ligne.
  5. (en) Malcolm Goldstein, Landscape with Figures: A History of Art Dealing in the United States, Oxford, Oxford University Press, 2000, pp. 84-85.
  6. Le Violon, notice de la RMN, catalogue en ligne.
  7. (en) « British damage to Elgin marbles 'irreparable' » par Helena Smith, dans The Guardian, 12 novembre 1999 — lire en ligne.
  8. Frank Arnau, L'Art des faussaires et les faussaires de l'art, Paris, Robert Laffont, 1960, p. 287.
  9. (en) Meryle Secrest, Duveen: A Life in Art, Knopf, 2004, Chapitre 2, pp. 57extrait en ligne.
  10. (en) « Duveen on Da Vinci », dans Time, New York, 18 février 1929.
  11. |R. Gimpel, Journal d'un collectionneur marchand de tableaux 1918-1939, Paris, Calmann Lévy, carnet du 26 mars 1923, p. 230.

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