Jean Decety

Jean Decety (né en 1960) est professeur à l'université de Chicago et son collège, avec une affectation primaire dans le département de psychologie et une affectation secondaire dans le département de psychiatrie et de neurosciences comportementales.

Biographie

Il a obtenu un doctorat de neurosciences à l'université Claude-Bernard-Lyon-1[1]. Il a ensuite effectué un séjour postdoctoral à l'hôpital de Lund dans le département de neurophysiologie clinique à l'université de Lund, puis au Karolinska Sjukhuset dans le département de neurophysiologie et de neuroradiologie à Stockholm[2].

Jean Decety a été directeur de recherche à l'Inserm jusqu'en 2001[3]. Puis il a émigré aux Etats-Unis, d'abord à l'université de Washington à Seattle, puis en 2005 à Chicago. Il dirige le Child neurosuite et le Social cognitive neuroscience laboratory à l'université de Chicago[4],[5].

Decety est un spécialiste de neurosciences sociales et est le co-fondateur de la Society for Social NeuroscienceSociety for Social Neuroscience[6]. En 2006, Decety a créé la revue Social Neuroscience dont il a été rédacteur en chef pendant six ans[7].

Travaux scientifiques

Ses recherches actuelles se focalisent sur le développement et les mécanismes neurobiologiques et psychologiques qui sous-tendraient la prise de décision sociale[8], l'empathie[9],[10], la morale[11], la motivation pour la justice[12], le comportement prosocial[13], ainsi que d'autres domaines liés à la cognition sociale.

Son travail a conduit à de nouvelles pistes de connaissances sur les bases neurobiologiques des processus socio-émotionnels et cognitifs impliqués dans la cognition sociale chez les enfants et les adultes, ainsi que la délicate question des présupposés troubles socio-affectifs chez les psychopathes criminels incarcérés. L'impact de ces affirmations que certains trouvent aventureuses ne soient détournées en influant des décisions de justice[14],[15]. Ses travaux de recherche utilisent une approche multidimensionnelle et intégrative qui caractérise les neurosciences sociales (des gènes aux comportements), incluant l'imagerie cérébrale (Imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, Électroencéphalographie quantitative), l'oculométrie et l'économie comportementale.

Origines et mécanismes de l'empathie

À partir d'une série d'études empiriques chez l'homme et chez l'animal, Decety théorise que l'empathie est un construit multidimensionnel reflétant[16] : 1) une capacité naturelle à partager les états affectifs des autres; 2) la capacité d’adopter intentionnellement la perspective subjective d’autrui et 3) la motivation de se soucier de l’autre. Ces composants sont sous-tendus par des processus automatiques et d’autres contrôlés qui interagissent les uns avec les autres. Les circuits neuronaux et hormones, comme l'ocytocine régissant l’empathie affective et le souci de l’autre sont anciens sur le plan évolutif et largement conservés à travers une grande variété d'espèces, y compris au niveau moléculaire.

Origines des comportements prosociaux

Jean Decety postule que les comportements prosociaux sont des produits de la sélection naturelle, des adaptations biologiques nécessaires à la vie en groupe[17],[18]. Ils sont variés et reposent sur des motivations distinctes. En particulier, l’empathie ne doit être confondue avec la morale[19]. La fonction principale de la morale est de réguler les interactions sociales dans la direction de la coopération, en inhibant nos tendances égoïstes, nous aidant ainsi à vivre ensemble. Parfois l’empathie va à l’encontre des principes de justice et d’équité, car elle biaise nos jugements et décisions en induisant du favoritisme[20].

Le développement de la morale chez l’enfant à travers différentes cultures

Afin de comprendre comment la morale émerge à partir de mécanismes biologiques innés, sélectionnées par l’évolution[21], tout en interagissant avec l’environnement culturel local, Decety mène des études empiriques sur le développement du jugement moral et de son lien avec les comportements prosociaux à travers différentes cultures.

Une première étude, réalisée en Afrique du Sud, Canada, Chine, États-Unis et Turquie avec des enfants âgés de 5 a 12 ans a mesuré une variété de facteurs intrinsèques et extrinsèques influençant l’altruisme et la cognition morale, y compris les fonctions exécutives, la théorie de l'esprit, l'empathie et le niveau socioéconomique des parents[22]. Les résultats indiquent que, indépendamment de la culture, ce sont les facteurs du développent cognitif (fonctions exécutives et théorie de l’esprit) et le niveau d’éducation de la mère qui prédisent le mieux les comportements altruistes des enfants. Ces résultats cadrent bien avec une littérature grandissante suggérant que la théorie de l'esprit et le fonctionnement exécutif favorisent le comportement moral[23].

Une deuxième série d’études a examiné dans quelle mesure les normes culturelles sont intégrées dans le développent et l’expression comportementale du souci d'équité (un élément fondamental et universel de la morale) avec un large échantillon d'enfants âgés de 4 à 11 ans (N = 2 163) dans 13 pays (Afrique du Sud, Argentine, Canada, Chili, Chine, Colombie, Cuba, États-Unis, Jordanie, Mexico, Norvège, Taiwan et Turquie)[24]. Les différences dans les niveaux d'individualisme et de collectivisme entre les pays prédit l'âge et la mesure dans laquelle les enfants favorisent l'équité plutôt que l’égalité dans jeux économiques de justice distributive. Les enfants qui vivent dans les cultures les plus individualistes adoptent des distributions équitables à un degré plus élevé que les enfants issus de cultures plus collectivistes lorsque les bénéficiaires diffèrent en ce qui concerne leur richesse et mérite. En général, les enfants de cultures plus individualistes favorisent également des distributions équitables à un âge plus précoce que les enfants de cultures plus collectivistes. Ces résultats apportent une clarification pour les théories qui postulent que l'équité est une préoccupation morale universelle et que les humains favorisent naturellement les distributions équitables plutôt que celles égales[25].

Controverses

En 2015, Decety a publié une étude fort discutée sur la religion et la moralité chez les enfants qui concluait que les enfants de ménages identifiés comme l'une des deux grandes religions du monde (christianisme et islam) étaient moins altruistes que les enfants de ménages non religieux. L'étude a utilisé des tests de mesures comportementales des tendances punitives pour évaluer le préjudice interpersonnel, le jugement moral, l'empathie et la générosité («jeu de dictateur») chez 1151 enfants âgés de 5 à 12 ans de six pays (Canada, Chine, Jordanie, Afrique du Sud, Turquie et États-Unis). Les auteurs ont constaté que les enfants de familles religieuses estiment que les préjudices interpersonnels sont plus «graves» et méritent une punition plus sévère que les enfants non religieux[26]. Ils ont également signalé que la religiosité prédisait inversement l'altruisme des enfants, du moins lorsque la générosité s'adressait spontanément à un bénéficiaire anonyme.

L’étude a pour le moins suscité une attention soutenue de la part des médias et des médias sociaux, ces derniers l’ayant citée comme « preuve » que les enfants religieux sont plus méchants que leurs homologues non religieux[27],[28],[29].

Une analyse ultérieure des données de l'étude a révélé que Decety avait commis une erreur en analysant les données, notamment en codant le pays comme une variable continue plutôt que catégorielle. Une fois que cette erreur a été corrigée, la plupart des liens observés en rapport avec l'appartenance religieuse apparaissent comme des artefacts de différences entre les pays, principalement motivés par le supposé faible niveau de générosité en Turquie et en Afrique du Sud. Cependant et en conclusion, les enfants issus de familles très religieuses paraissent légèrement moins altruistes que ceux de familles moyennement religieuses[30],[31].

En 2019, une autre étude d'IRM anatomique de l'équipe de Decety avec plus de 800 prisonniers a mis en évidence une réduction de matière grise cérébrale chez les auteurs d'homicides, comparées à celles d'autres auteurs de violences[32]. Ces données suscitent des questionnements scientifiques, éthiques et judiciaires[33],[34].

Articles récents

  • Yoder, K. J., & Decety, J. (2018). The neuroscience of morality and social decision-making. Psychology, Crime & Law, 24(3), 279-295.
  • Decety, J., Pape, R., & Workman, C. I. (2018). A multilevel social neuroscience perspective on radicalization and terrorism. Social Neuroscience, 13(5), 511-529.
  • Kiehl, K. A., Anderson, N. E., Aharoni, E., Maurer, J. M., Harenski, K. A., Rao, V., Claus, E. D., Koenigs, M., Decety, J., Kosson, D., Wager, T. D., Calhoun, V. D., & Steele, V. R. (2018). Age of gray matters: Neuroprediction of recidivism. NeuroImage: Clinical, 3(19), 813-823.
  • Meidenbauer, K. L., Cowell, J. M., & Decety, J. (2018). Children’s neural processing of moral scenarios provides insight into the formation and reduction of in-group biases. Developmental Science, 21(6), e12676.
  • Decety, J. & Yoder, K. J. (2017). The emerging social neuroscience of justice motivation. Trends in Cognitive Sciences, 21(1), 6-14.
  • Cowell, J., & Decety, J. (2015). Precursors to morality in development as a complex interplay between neural, socio-environmental, and behavioral facets. Proceedings of the National Academy of Sciences USA, 112 (41), 12657-12662.
  • Decety, J., Lewis, K., & Cowell, J. M. (2015). Specific electrophysiological components disentangle affective sharing and empathic concern in psychopathy. Journal of Neurophysiology, 114, 493-504.
  • Decety, J., Chen, C., Harenski, C. L., & Kiehl, K. A. (2015). Socioemotional processing of morally-laden behavior and their consequences on others in forensic psychopaths. Human Brain Mapping, 36, 2015-2026.
  • Cowell, J. M., & Decety, J. (2015). The neuroscience of implicit moral evaluation and its relation to generosity in early childhood. Current Biology, 25, 1-5.
  • Decety, J., & Cowell, J. M. (2015). Empathy, justice and moral behavior. American Journal of Bioethics – Neuroscience, 6(3), 3-14.

Ouvrages récents

  • The Moral Brain: A Multidisciplinary Perspective (2015). Jean Decety et Thalia Wheatley (éd.). Cambridge: MIT Press.
  • New Frontiers in Social Neuroscience (2014). Jean Decety et Yves Christen (éd.). New York: Springer.
  • Empathy: From Bench to Bedside (2012). Jean Decety (éd.). Cambridge: MIT Press.
  • The Oxford Handbook of Social Neuroscience (2011). Jean Decety et John Cacioppo (éd.). New York : Oxford University Press.

Références

  1. Jean Decety, « Simulation mentale du mouvement : approche neuro-cognitive : analyse chronométrique d'actions exécutées mentalement et étude du métabolisme cérébral par mesure du débit sanguin cérébral régional », sur theses.fr (consulté le )
  2. (en) « Jean Decety », sur uchicago.edu (consulté le )
  3. Jean Decety sur data.bnf.fr
  4. Florence Rosier, « Jean Decety, l’altruisme chez l’Oncle Sam », Le Monde, (lire en ligne, consulté le )
  5. (en) « Jean Decety, Ph.D », sur uchicago.edu (consulté le )
  6. (en) « A society for social neuroscience », sur uchicago.edu (consulté le )
  7. (en) William Harms, « Forging a new field of social neuroscience », sur uchicago.edu (consulté le )
  8. Yoder, K. J., & Decety, J. (2018). The neuroscience of morality and social decision-making. Psychology, Crime & Law, 24(3), 279-295.
  9. Decety, J. (2015). Composants, mécanismes, develop-pement et fonctions de l’empathie. Encyclopedie Medico Chirurgicale – Psychiatrie. Paris: Elsevier, 13(1), 1-8.
  10. Decety, J. (2015). The neural pathways, development and functions of empathy. Current Opinion in Behavioral Sciences, 3, 1-6.
  11. Jean Decety, « Le sens moral chez le bébé: neurosciences développementales », Spirale, , volume 76, 35-42
  12. Decety, J. & Yoder, K. J. (2017). The emerging social neuroscience of justice motivation. Trends in Cognitive Sciences, 21(1), 6-14.
  13. Decety, J., Ben-Ami Bartal, I., Uzefovsky, F., & Knafo-Noam, A. (2016). Empathy as a driver of prosocial behavior: Highly conserved neurobehavioral mechanisms across species. Proceedings of the Royal Society London - Biology, 371, 20150077.
  14. (en) Jean Decety, « Empathy, justice and moral behavior », American Journal of Bioethics – Neuroscience,, , p. 6(3), 3-14.
  15. (en) Jean Decety, Chenyi Chen, Carla Harenski et Kent A. Kiehl, « An fMRI study of affective perspective taking in individuals with psychopathy: imagining another in pain does not evoke empathy », Frontiers in Human Neuroscience, vol. 7, (ISSN 1662-5161, DOI 10.3389/fnhum.2013.00489, lire en ligne, consulté le )
  16. Empathy: From Bench to Bedside (2012). Jean Decety (éd.). Cambridge: MIT Press
  17. Jean Decety, Inbal Ben-Ami Bartal, Florina Uzefovsky et Ariel Knafo-Noam, « Empathy as a driver of prosocial behaviour: highly conserved neurobehavioural mechanisms across species », Philosophical Transactions of the Royal Society B: Biological Sciences, vol. 371, no 1686, (ISSN 0962-8436, PMID 26644596, PMCID PMC4685523, DOI 10.1098/rstb.2015.0077, lire en ligne, consulté le )
  18. « Comportement prosocial | Contributions de la théorie de l’évolution et des neurosciences à notre compréhension du développement de la prosocialité : Commentaire | Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants », sur Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants (consulté le )
  19. « The complex relation between morality and empathy », Trends in Cognitive Sciences, vol. 18, no 7, , p. 337–339 (ISSN 1364-6613, DOI 10.1016/j.tics.2014.04.008, lire en ligne, consulté le )
  20. Jean Decety et Jason M. Cowell, « Friends or foes: Is empathy necessary for moral behavior? », Perspectives on psychological science : a journal of the Association for Psychological Science, vol. 9, no 4, , p. 525–537 (ISSN 1745-6916, PMID 25429304, PMCID PMC4241340, DOI 10.1177/1745691614545130, lire en ligne, consulté le )
  21. Decety, J. (2017). Les fondements naturels de la morale. In D. Candilis-Huisman et M. Dugnat (Éditeurs), Bébé Sapiens (p. 89-110). Toulouse : Éditions Eres.
  22. Cowell, J. M., Lee, L., Malcolm-Smith, S., Selcuk, B., Zhou, X., & Decety, J. (2017). The development of generosity and moral cognition across five cultures. Developmental Science, doi: 10.1111/desc.12403.
  23. Imuta, K., Henry, J. D., Slaughter, V., Selcuk, B., & Ruffman, T. (2016). Theory of mind and prosocial behavior in childhood: A meta-analytic review. Developmental Psychology, 52(8), 1192-1205.
  24. Huppert, E., Cowell, J. M., Cheng, Y., Contreras, C., Gomez-Sicard, N., Gonzalez-Gaeda, L. M., Huepe, D., Ibanez, A., Lee, K., Mahasneh, R., Malcolm-Smith, S., Salas, N., Selcuk, B., Tungodden, B., Wong, A., Zhou, X., & Decety, J. (2018). The development of children’s preferences for equality and equity across 13 individualistic and collectivist cultures. Developmental Science, epub ahead of print.
  25. Starmans, C., Sheskin, M., Bloom, P., Christakis, N. A., & Brown, G. D. (2017). Why people prefer unequal societies. Nature Human Behaviour, 1(4), 82.
  26. Jean Decety, Jason M. Cowell, Kang Lee, Randa Mahasneh, Susan Malcolm-Smith, Bilge Selcuk et Xinyue Zhou, « The Negative Association between Religiousness and Children's Altruism across the World », Current Biology, vol. 25, no 22, , p. 2951–2955 (PMID 26549259, DOI 10.1016/j.cub.2015.09.056)
  27. « Altmetric – The Negative Association between Religiousness and Children's Altruism across the World », sur www.altmetric.com (consulté le )
  28. (en-GB) Harriet Sherwood Religion correspondent, « Religious children are meaner than their secular counterparts, study finds », The Guardian, (ISSN 0261-3077, lire en ligne, consulté le )
  29. (en-US) Rachel E. Gross, « Are Religious Children More Selfish? », Slate, (ISSN 1091-2339, lire en ligne, consulté le )
  30. Azim F. Shariff, Aiyana K. Willard, Michael Muthukrishna, Stephanie R. Kramer et Joseph Henrich, « What is the association between religious affiliation and children's altruism? », Current Biology, vol. 26, no 15, , R699–R700 (PMID 27505237, DOI 10.1016/j.cub.2016.06.031)
  31. « PubPeer commentary on Decety et al 2015 », sur pubpeer.com (consulté le )
  32. Ashly Sajous-Turner, Nathaniel E. Anderson, Matthew Widdows et Prashanth Nyalakanti, « Aberrant brain gray matter in murderers », Brain Imaging and Behavior, (ISSN 1931-7565, PMID 31278652, DOI 10.1007/s11682-019-00155-y, lire en ligne, consulté le )
  33. « Le cerveau des meurtriers sous la loupe des neurosciences » (consulté le )
  34. Le Temps (quotidien suisse), 26 juillet 2019]

Liens externes

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