Nestedness

L'imbrication (ou emboîtement ou Nestedness) désigne en écologie un concept apparu dans les années 1990 dans le cadre de la biogéographie pour décrire la manière dont les écosystèmes sont construits, ou plus exactement "structurés" dans l'espace[1]. Il s'agit "patron de répartition" d'espèces où des communautés pauvres en espèces (à faible diversité spécifique) sont un sous-ensemble non-aléatoire de communautés d'espèces plus riches en nombre d'espèces (dans une région donnée).
A titre d'exemple on peut imaginer une série d'îles, classées selon leur distance à un continent homogène. Si le continent abrite toutes les espèces, la première île n'abritera qu'un sous-ensemble des espèces continentales, et l'île n°2 n'abritera qu'une partie (un sous-ensemble) des espèces de l'île n°1 et ainsi de suite. Ce type de système est dit "parfaitement imbriqué".
Cette notion d'imbrication est l'un des outils permettant d'analyser, décrire et mesurer la "structure" d'un système écologique, permettant par exemple de mieux comprendre comment des sous-populations s'organisent géographiquement via des phénomènes de turnover[2], colonisation/extinctions autour d'une population-source et de "puits écologiques", et parfois de "pièges écologiques", au sein d'une métapopulation[3].

Elle est habituellement appliquée aux systèmes espèces-sites (c'est-à-dire s'intéressant à la répartition des espèces entre les sites, comme dans l'exemple précédent îles-continent (cf. théorie de l'insularisation écologique[4]), ou en fonction d'autres facteurs que l'éloignement, par exemple selon l'altitude, la profondeur marine, le degré de trophie...).
Mais l'imbrication peut aussi s'appliquer aux réseaux d'interaction entre espèces (pour décrire des interactions entre espèces telles que les réseaux hôtes-parasites, plantes-pollinisateurs, prédateurs-proies, etc.).

On dit qu'un système (habituellement représenté comme une matrice) est "imbriqué" si les éléments qui contiennent peu d'items (ex : site avec peu d'espèces, espèces avec peu d'interactions) ont un sous-ensemble d'éléments avec plus d'éléments.

Comprendre et connaître le degré d'imbrication d'espèces, de communautés ou d'habitats a des implications importantes pour la conservation de la nature[5].

Mesure et représentation du degré d'imbrication

Atmar et Patterson en 1993 ont proposé d'utiliser la métaphore de la température[6]. Le système le plus riche en espèce ou en interaction est le plus chaud (et peut être coloré en couleur chaude sur une carte ou une autre forme de représentation du système étudié). Les variations géographiques de cette "pseudo-température" donne une indication sur l'ordre probable dans lequel les extinctions d'espèces se produiront dans le système (ou inversement des indications sur les sens probables de colonisation d'un système par les espèces d'un autre système).
Plus le système est «froid» plus l'ordre d'extinction sera fixe et plausiblement facile à anticiper. Inversement plus le système est "chaud" plus les extinctions y sembleront aléatoires et imprévisibles. Dans cette version de la théorie, les températures peuvent s'échelonner de 0° (système le plus froid et absolument fixe) à 100° (absolument aléatoire).

Dans les années 2000 on développe des algorithmes de calcul de l'imbrication[7], pour parer aux limites de la première "calculatrice de température d'imbrication"[8] qui pour diverses raisons n'était pas mathématiquement satisfaisante (pas de solution unique, pas de conservation)[9],[10]. Un logiciel (BINMATNEST) est disponible auprès des auteurs sur demande et auprès du Journal of Biogeography pour corriger ces déficits[11]. En outre, ANINHADO résout les problèmes de grande taille de la matrice et le traitement d'une grande le nombre de matrices randomisées : il implémente plusieurs modèles nuls pour estimer l'importance de l'imbrication[10].

En 2009 Bastolla et al. ont introduit une mesure simple de l'imbrication basée sur le nombre de voisins communs pour chaque paire de nœuds[12]. Ils soutiennent que cela peut aider à réduire la concurrence effective entre les nœuds dans certaines situations. Par exemple, deux espèces d'insectes peuvent «s'entraider» en pollinisant le même sous-ensemble de plantes, réduisant ainsi la mesure dans laquelle elles se nuiraient entre elles. Les auteurs suggèrent que cet effet est à l'origine d'une corrélation entre le degré d'imbrication et la diversité dans les écosystèmes plantes-pollinisateurs.
Johnson et al. ont montré que cette mesure ne tient pas compte de l'effet désiré[13].
Ces auteurs proposent une version affinée de la mesure, et continuent à étudier comment certaines propriétés de certains "réseaux écologiques" affectent l'imbrication (la qualité des habitats en particulier[14]).

Cas particuliers

Cette approche a beaucoup été utilisée pour les îles vraies, mais elle a aussi été déclinée pour

  • la flore vivant ou survivant dans le contexte de la fragmentation forestière (naturelle ou artificielle)[15]
  • des mares de ponte d'amphibiens (groupe taxinomique en forte régression dans le monde)[16]
  • des lacs plus ou moins isolés (en zone boréale par exemple[17])
  • des cours d'eau. On a depuis longtemps constaté que les communautés d'espèces s'y structurent notamment en fonction de la largeur/profondeur du segment du cours d'eau considéré (qui dépend aussi souvent de son altitude) [18]3 chercheurs finlandais ont étudié le degré d'emboîtement d'assemblages d'insectes dans des ruisseaux de tête de bassin versant de zone boréale (63–70° N, 23–29° E) en cherchant quels étaient les déterminants des emboitements, en partant de l'hypothèse que l'emboîtement des caractéristiques de l'habitat et de la structure des niches (plus ou mois fractal dans le cas des cours d'eau) crée un emboîtement chez les organismes qui les colonisent. Cette hypothèse a été testée pour 8 bassins versants et a été confirmée dans ces 8 cas par le "calculateur de température d'emboîtement" et dans 5 cas sur la base d'une analyse de divergence.
    Dans le bas du bassin le degré d'emboîtement était assez faible, comme le suggérait les valeurs élevées de "température" de la matrice. Dans la matrice d'emboîtement l'ordre des sites était significativement corrélé à la taille des ruisseaux dans 2 des régions et aux gradients environnementaux dans 5 des régions. L'emboîtement semblait surtout régi par la taille des ruisseaux et par les gradients environnementaux locaux. Les liens entre emboîtement et gradients environnementaux évoquent pour certaines zones une structure en niches emboitées liée aux traits correspondant à leurs réponses aux gradients environnementaux. Dans ce type de contexte ces liens semblent donc très spécifiques à la région, évoquant des patrons d'emboîtement des sous-ensembles très dépendants du contexte biogéographique[19].

Références

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  4. Atmar W. & B.D. Patterson (1993). The measure of order and disorder in the distribution of species in fragmented habitat. Oecologia, 96: 373–382
  5. Fleishman, E. & R. MacNally, 2002. Topographic determinants of faunal nestedness in Great Basin butterfly assemblages: Applications for conservation planning. Conservation Biology, 16:422–429
  6. Patterson and Atmar et Bruce D. Patterson, « The measure of order and disorder in the distribution of species in fragmented habitat », Oecologia, vol. 96, no 3, , p. 373–382 (DOI 10.1007/BF00317508)
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  8. Atmar, W. & B. D. Patterson (1995). The Nestedness Temperature Calculator: A Visual Basic Program, Including 294 Presence—Absence Matrices. AICS Research Inc., Chicago, Illinois. [Online] URL: http://aics-research.com/nestedness/tempcalc.html
  9. M. A. Rodríguez-Gironés et L. Santamaría, « A new algorithm to calculate the nestedness temperature of presence–absence matrices », Journal of Biogeography, vol. 33, no 5, , p. 924–935 (DOI 10.1111/j.1365-2699.2006.01444.x)
  10. (en) Paulo R. Guimarães Junior et Paulo Guimarães, « Improving the analyses of nestedness for large sets of matrices », Environmental Modelling and Software, vol. 21, no 10, , p. 1512–1513 (ISSN 1364-8152, DOI 10.1016/j.envsoft.2006.04.002)
  11. https://doi.org/10.1111/j.1365-2699.2006.01444.x
  12. U. Bastolla, M. A. Fortuna, A. Pascual-García, A. Ferrera, B. Luque et J. Bascompte, « The architecture of mutualistic networks minimizes competition and increases biodiversity », Nature, vol. 458, , p. 1018–1020 (PMID 19396144, DOI 10.1038/nature07950)
  13. S. Johnson, V. Domínguez-García et M. A. Muñoz, « Factors Determining Nestedness in Complex Networks », PLoS ONE, vol. 8, , e74025 (DOI 10.1371/journal.pone.0074025)
  14. Hylander, K., C. Nilsson, B. G. Jonsson & T. Göthner, (2005). Differences in habitat quality explain nestedness in a land snail metacommunity. Oikos, 108: 351–361.
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  16. Hecnar, S. J. & R. T. M'Closkey, (1997). Patterns of nestedness and assemblage composition in a pond-dwelling amphibian fauna. Oikos, 80: 371–381.
  17. Heino J. & T. Muotka, (2005) Highly nested snail and clam assemblages in boreal lake littorals: Roles of isolation, area and habitat suitability. Écoscience, 12: 141–147
  18. Brönmark, C., J. Herrmann, B. Malmqvist, C. Otto & P. Sjöström, 1984. Animal community structure as a function of stream size. Hydrobiologia, 112: 73–79
  19. Jani Heino, Heikki Mykrä & Jaana Rintala (2010) ; Assessing Patterns of Nestedness in Stream Insect Assemblages Along Environmental Gradients ; Ecoscience 17(4):345-355. 2010 https://doi.org/10.2980/17-4-3263

Voir aussi

Articles connexes

Dynamique des populations

  • Métapopulation
  • Théorie source-puits


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