Illusion monétaire

L'illusion monétaire est le comportement par lequel un agent économique confond une variation du niveau général des prix avec une variation des prix relatifs. Un agent est, par exemple, victime d'illusion monétaire s'il pense que seul son salaire a augmenté (variation d'un prix relatif) en cas de hausse générale des prix, c'est-à-dire d'inflation. L'illusion monétaire consiste donc à raisonner à partir des valeurs nominales de l'économie et non des valeurs réelles, c'est-à-dire des valeurs nominales corrigées des effets de l'inflation.

L'existence de l'illusion monétaire se manifeste notamment par la rigidité des salaires et des prix en cas d'inflation, ou par la lenteur de leur indexation.

Origine de l'illusion monétaire

L'expression est due à John Maynard Keynes, qui lui fait jouer un rôle important dans sa critique de l'analyse classique du marché du travail dans sa Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie. Pour Keynes, les travailleurs ont tendance à refuser toute baisse du salaire nominal, alors qu'ils ne s'opposent pas à une baisse de leur salaire réel en raison de l'inflation[1].

Toutefois, Irving Fisher est le premier économiste qui en livre une analyse approfondie dans un ouvrage de 1928, The money Illusion, notamment en produisant l'équation du taux d'intérêt réel.

Dans l'analyse de Milton Friedman, l'illusion monétaire est due au fait que les agents font des anticipations adaptatives. Pour Friedman, les agents font des erreurs d'anticipation qu'ils ne corrigent que progressivement. En particulier, pour Friedman, les gouvernements trompent les agents économiques en faisant varier de manière discrétionnaire et inattendue la quantité de monnaie. Il faut alors un certain temps pour que les agents comprennent que les variations des prix relatifs qu'ils perçoivent tout d'abord ne sont que le produit d'une variation du niveau général des prix. L'illusion monétaire est donc le produit d'une insuffisance d'information sur la politique économique du gouvernement et non d'une irrationalité des agents économiques[2].

Héritiers de Friedman, les nouveaux classiques s'en écartent sur ce point : en levant l'hypothèse d'information imparfaite des agents, ils suppriment par conséquent l'illusion monétaire. Les agents anticipent parfaitement les politiques économiques des gouvernements. Ils raisonnent, par conséquent, en termes réels et ne sont jamais victimes d'illusion monétaire.

L'illusion monétaire comme biais cognitif

L'existence d'une illusion monétaire s'oppose au postulat habituel d'un agent économique rationnel et maximisateur. Pour cette raison, elle a intéressé la psychologie expérimentale appliquée à l'économie, dont un des buts est de rendre compte de l'ensemble des biais cognitifs qui éloignent les agents du modèle classique de l'homo economicus. Dans un article très connu, Elvar Shafir, Peter Diamond (prix Nobel d'économie 2010) et Amos Tversky se sont ainsi efforcés à montrer expérimentalement l'existence de l'illusion nominale et d'en saisir les déterminants[3].

À travers une très large expérience, ils montrent que les agents sont victimes d'illusion monétaire à la fois sur les salaires, les transactions et les contrats. Par exemple, dans le cas des transactions, les agents raisonnement dans leur majorité en termes nominaux et non réels. Shafir, Diamond et Tversky demandent ainsi aux sujets de leur expérience qui de Adam, Ben ou Carl a fait la meilleure transaction après avoir vendu une maison reçue pour 200 000 dollars. Adam la revend pour 154 000 dollars, soit 23 % de moins, mais il y a eu 25 % de déflation. Ben la vend 198 000 dollar, soit 1 % de moins, alors que les prix sont restés stables. Carl la vend 246 000 dollars, soit 23 % de plus, avec une inflation de 25 %. Les sondés devaient répartir Adam, Ben et Carl en leur donnant un rang, de 1 pour celui qui a le plus gagné à 3 pour celui qui a le moins gagné. Les réponses se répartissent de la façon suivante :

Classement des gains par les sujets de l'expérience (en % de réponses)
Adam Ben Carl
Gain en valeur nominale -23 % -1 % +23 %
Gain en valeur réelle +2,667 % -1 % -1,667 %
Rang
1er 37 % 17 % 48 %
2nd 10 % 73 % 16 %
3e 53 % 10 % 36 %

Adam, qui a le plus gagné d'argent en termes réels mais le moins en termes nominaux, est considéré par la majorité des personnes interrogées (53 %) comme celui qui a le moins gagné d'argent. Inversement, Carl, qui a le plus perdu d'argent en termes réels mais qui en a le plus gagné en termes nominaux est considéré comme celui qui a fait la meilleure transaction pour 48 % des sondés. L'illusion monétaire est donc, si l'on suit cette expérience, très forte.

Shafir, Tversky et Diamond analysent cette illusion monétaire comme l'effet de la préférence des agents pour le cadre nominal en raison de sa facilité et de sa saillance. Plus précisément, ils pensent que les agents maîtrisent potentiellement les deux cadres cognitifs, mais préfèrent généralement le cadre nominal pour ces raisons[4]. Ils observent toutefois que le cadre cognitif privilégié peut varier en fonction du contexte et que les agents mélangent le plus souvent, au moins en partie, le cadre nominal avec le cadre réel[5].

Illusion monétaire et fluctuations de l'activité

L'illusion monétaire joue un rôle important dans beaucoup de modèles macroéconomiques contemporains dans la mesure où elle peut être à l'origine de fluctuations de l'activité et de l'emploi.

Ainsi, pour les monétaristes, les politiques de relance monétaire ne doivent leur efficacité qu'à l'illusion monétaire. Dans la mesure où les monétaristes considèrent cette illusion comme passagère, les effets des politiques de relance ne peuvent être que transitoires. Pour les monétaristes, une politique de relance monétaire, en augmentant la quantité de monnaie, provoque de l'inflation. Dans la mesure où les salaires nominaux sont rigides à court terme, le salaire réel baisse. Cela conduit les entreprises à accroître leur demande de travail. Si les travailleurs ne perçoivent pas cette baisse et ne diminuent pas leur offre de travail en conséquence alors la production augmentera. Toutefois, les travailleurs perçoivent à terme leur erreur et ajustent à la baisse leur offre de travail, conduisant le niveau de la production à son niveau antérieur. La hausse de la production est donc le produit de l'illusion monétaire et elle est, pour cette raison, temporaire. Elle dure aussi longtemps que l'illusion monétaire persiste.

Notes et références

  1. John Maynard Keynes, Théorie générale de l'emploi de l'intérêt et de la monnaie, p. 38. Keynes y voit la conséquence de l'attachement des travailleurs à la stabilité des salaires relatifs entre les différentes catégories de travailleurs. L'inflation ne modifie pas, en effet, les salaires relatifs, tandis qu'un salarié ne peut être sûr que la baisse de son salaire nominal soit générale dans l'économie .
  2. The Optimum Quantity of Money and Other Essays, Macmillan Press, 1969.
  3. E. Shafir, P. Diamond et A. Tversky, « Money illusion », The Quarterly Journal of Economics, n°2, vol. CXII, 2, 1997 repris dans Daniel Kahneman et Amos Tversky, Choices, Values, and Frames, Cambridge University Press, 2000.
  4. op.cit., p. 338.
  5. op.cit., p. 340.

Voir aussi

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