Honnête homme

Au XVIIe siècle, l’honnête homme a une culture générale étendue et les qualités sociales propres à le rendre agréable en faisant preuve d'une aisance sociale conforme à l'idéal du moment. Homme de cour et homme du monde, il se doit de se montrer humble, courtois et cultivé mais aussi de pouvoir s'adapter à son entourage. Au nom de la nature, il refuse tout excès et sait dominer ses émotions.

Il est l'héritier du kalos kagathos de la Grèce antique tel qu'il est décrit sous les traits d'Ischomaque par Xénophon. Par la suite, la figure de l'honnête homme s'est également nourrie des réflexions des théologiens médiévaux sur l'honestas et le « clerc honnête » (honestus clerus)[1].

Histoire et sociologie

L’honnête homme est un modèle d’humanité qui est apparu au XVIIe siècle sous la plume des moralistes et des écrivains de l’époque. Il témoigne de l'émergence et de l'affirmation croissante de la bourgeoisie à l'intérieur de la société de ce siècle, face à la noblesse qui occupe tout l'espace de la conscience sociale. L'apparition de l'Honnête homme fait ressortir, en même temps, l'ambiguïté de sa position sociale. Jusqu'alors, l'ascendant de la noblesse faisait du courtisan le modèle idéal d'humanité. La politesse mondaine devient à l'inverse avec l’honnête homme une obligation morale[2]. Nicolas Faret a écrit le premier traité portant sur L'Honnête Homme (1630).

Définition

L’honnête homme est un être de contrastes et d’équilibre. Il incarne une tension qui résulte de cette recherche d’équilibre entre le corps et l'âme, entre les exigences de la vie et celles de la pensée, entre les vertus antiques et les vertus chrétiennes. Il lui faut fuir les excès, même dans le bien. En un mot, il est un idéal de modération et d'équilibre dans l'usage de toutes les facultés.

L’honnête homme est un généraliste, ce qui suppose une représentation unifiée du savoir. Il s’oppose ainsi au spécialiste (en grec, idiôtès: celui qui s'enfermant dans un savoir unique, devient stupide, idiot)[3]. Cet idéal de formation (généraliste) visait moins à développer un certain type de savoir particulier qu'à faire naître le « bon goût ». Cette conception de l'honnête homme, qui exprime davantage une recherche d'équilibre qu'une accumulation du savoir, renvoie au principe de Montaigne voulant qu'il est préférable d'avoir « la tête bien faite que bien pleine ». Elle s'illustre également dans l'affirmation de René Descartes selon laquelle « un honnête homme n'est pas obligé de savoir le grec ou le latin que le suisse ou le bas-breton, ni l'histoire de l'Empire que du moindre état qui soit en Europe; et qu'il doit seulement prendre garde à employer son loisir en choses honnêtes et utiles, et à ne charger sa mémoire que des plus nécessaires»[4].

Par un alliage judicieux de la culture générale avec le bon goût et la politesse des manières, il entendait que l'homme réalise pleinement la définition antique qui faisait de lui un « animal raisonnable »[5]. Selon la formule de Boileau, il lui fallait « savoir et converser et vivre »[6].

Cet idéal d'humanité a perduré jusqu'au milieu du XXe siècle et n'est pas spécifiquement français : le concept de gentleman cultivé, raisonnable et curieux de tout apparaît dans le Londres des années postérieures à la Glorieuse Révolution, mais tend à disparaître vers la fin de l'époque victorienne ; il caractérise également le premier romantisme allemand (l'esprit de l'Aufklärung), etc.

En 1947, l'historien français Philippe Ariès pouvait encore écrire : « l'honnête homme représente non pas un intellectuel professionnel, mais un esprit curieux, cultivé, de goût sûr »[7].

Dans les lettres

Le concept d'honnête homme apparaît aussi dans les œuvres des auteurs du XVIIe, notamment de Madeleine de Scudéry et de Molière. Il est ainsi très représenté dans Le Tartuffe sous le personnage de Cléante et également celui d'Elmire, son double féminin. Molière condamne aussi l'excès chez les précieuses, les qualifiant de dragons de vertus (Les Femmes savantes). Dans Les Caractères de La Bruyère, le personnage d'Arias est décrit en étant l'opposé de l'honnête homme.

Rousseau, dans la préface de son Narcisse, dénonce le fait que, selon lui, il "faut nécessairement renoncer à la vertu pour devenir un honnête homme!'. Comme le remarque Jacques Roger dans sa préface aux deux discours couronnés de Rousseau : la vertu n'a qu'un sens, "et c'est l'entier dévouement de l'homme à ses semblables, du citoyen à sa patrie". Ainsi, dans la continuité de sa critique de la politesse, qui socialement condamne à paraître autre que l'on est et à ne pas voir autrui tel qu'il est, Rousseau critique l'honnête homme - lequel selon lui, en donnant une trop grande importance à la politesse, donne une dimension carnavalesque aux échanges humains.

Notes et références

  1. P. Vuillemin, « Modernité du Moyen Âge ou Moyen Âge de la Modernité ? Généalogie médiévale de "l'Honnête Homme" », dans A. Nijenhuis-Bescher, É.-A. Pépy, J.-Y. Champeley, L'Honnête homme, l'or blanc et le Duc d'Albe. Mélanges offerts à Alain Becchia, Chambéry, 2016, p. 275-320.
  2. Voir : Paul Hazard, La crise de la conscience européenne 1680-1715, Paris, Fayard, (1935), 1968, p. 299.
  3. Jean-Marie Domenach, Ce qu'il faut enseigner, Paris, Seuil, 1989, p. 19.
  4. René Descartes, La recherche de la Vérité par la lumière naturelle, In: Œuvres, Édition de la Pléiade, p. 883-884.
  5. Voir : Pierre Viau, « La fin de l'humanisme classique », (En coll.), In: Options humanistes, Paris, Les Éditions ouvrières, 1968, p. 16.
  6. Cité par Lionel Groulx, « L'originalité de notre histoire », (En coll.), Centenaire de l'Histoire du Canada de François-Xavier Garneau, Montréal, Société historique de Montréal, 1945, p. 38.
  7. Philippe Ariès, « L'histoire pour grand public », In: Notre Temps, 11 janvier 1947, p. 2.

Voir aussi

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