Histotainment

La confusion de l'information historique et du divertissement médiatique est fréquemment désignée par le néologisme histotainment (de History et Entertainment). On emploie aussi parfois le terme plus large d'infodivertissement (de l'anglais infotainment). La notion d'histotainment a été popularisée au sein de la communauté des historiens par les travaux de l'historien allemand Wolfgang Hardtwig. Elle relève de ce que les historiens allemands appellent l'histoire du quotidien. En France, le concept d'histotainment se diffuse progressivement chez les historiens. Il est utilisé pour la première fois en 2013 de façon péjorative dans le livre intitulé Les historiens de garde de William Blanc, Aurore Chéry et Christophe Naudin, préfacé par Nicolas Offenstadt. Ce dernier l'utilise de nouveau dans le contexte du centenaire de la Première Guerre mondiale à l'occasion d'un dialogue avec l'anthropologue Régis Meyran paru aux Editions Textuel en [1].

Affirmation de l'histotainment

Avec le développement de la société de communication, l'histotainment s'affirme progressivement dans tous les domaines. Cinéma, télévision, jeux vidéo et bien d'autres types de produits culturels sont touchés par le phénomène. On peut considérer que le péplum est sa forme originelle pour l'industrie culturelle moderne.

Cependant, l'histotainment a des racines plus anciennes. Il n'est que la forme moderne de la transformation de l'Histoire en bien de consommation culturelle de masse. On peut en effet estimer qu'il s'inscrit dans la filiation des entreprises de rénovation architecturale d'Eugène Viollet-le-Duc au XIXe siècle ou de l'œuvre du romancier Alexandre Dumas en ce sens qu'ils jouent eux aussi sur le brouillage entre l'histoire et l'imagination.

Intérêts de l'histotainment

Le premier intérêt de l'histotainment réside pour les historiens concernés par ce type de projets dans l'accès à des ressources techniques et financières abondantes: celles que génère l'industrie du loisir et du divertissement à caractère historique. Ces dernières permettent par exemple l'accès à des moyens médiatiques impliquant des investissements lourds propres aux éditions d'ouvrages illustrés, à la production cinématographique ou encore à la conception de jeux vidéo.

Un second intérêt correspond aux formes de didactique de l'histoire qui reposent sur l'utilisation de romans, de BD, de pièces de théâtre et de jeux vidéo dont la dimension historique est évidente. Ces supports doivent être pris en compte dans la perspective de l'histoire culturelle et plus particulièrement de l'histoire des représentations et de leur transformation. À défaut, leur utilisation peut s'avérer dangereuse et même simplificatrice.

Des polémiques existent sur la prise en compte inégale des supports de l'histotainment dans le domaine de l'enseignement. La question peut même par instant devenir un enjeu politique comme le montrent les débats de l'année 2014 sur le développement d'un "enseignement critique du jeu vidéo"[2].

Risques

L'histotainment est remis en cause par certains historiens, parce qu'il suggère une exactitude factuelle et historique qu'il ne possède pas toujours et dont le profane ne peut pas véritablement se faire une idée. Difficile en effet de distinguer ce qui tient du mythe de ce qui tient de la réalité dans des séries comme Les Rois maudits ou Les Tudors. La critique la plus fréquente est celle qui consiste à souligner que les éléments prétendument historiques de ces films et séries sont en réalité des mises en scène anachroniques. Pour certains divertissements, on peut même aller jusqu'à parler de falsification de l'Histoire. L'historien qui le souligne prend le risque de paraître chagrin là où l'artiste pourra se permettre d'être plus léger et prétendre avec Alexandre Dumas qu'« il est possible de violer l'Histoire à condition de lui faire de beaux enfants ».

En réalité, l'aspect purement divertissant d'une reconstitution historique est une question de point de vue et de registre de débat. Certains verront dans la recrudescence en France des fêtes médiévalistes et folkloriques un simple amusement. D'autres les présenteront comme la manifestation euphémisée d'une contestation masquée des valeurs libérales de la société française. Dans une perspective identique, on pourra se demander ce qui tient de la licence divertissante et ce qui tient du discours idéologique reposant sur des falsifications volontaires dans la série le "Métronome" de Lorànt Deutsch.

Il est possible de classer les divertissements historiques en trois catégories: ceux qui tiennent un discours plus ou moins orienté en respectant la vérité historique, ceux qui reposent sur une véritable falsification de l'histoire et enfin ceux qui se servent ouvertement de l'histoire comme d'un simple prétexte permettant de réaliser une comédie qui se présente elle-même comme fictive.

En France, certains sujets suscitent davantage la polémique que d'autres en ce qui concerne l'histotainment. C'est le cas des guerres mais aussi de la Révolution française comme le montre la polémique autour de la parution du jeu Assassin's Creed Unity en . On remarquera que le regard porté sur ce jeu par les historiens est d'autant moins critique qu'ils ont participé à sa conception comme c'est le cas pour Laurent Turcot et Jean-Clément Martin. De fait, les historiens ne sont pas seulement spectateurs de l'histotainment. Ils peuvent aussi en être les acteurs ou les producteurs. Il n'existe cependant pas encore de travail de synthèse qui étudie l'implication des historiens dans la production de l'histotainment en France tant dans le domaine de l'audiovisuel que des jeux vidéo.

Histotainment et « hommes doubles »

Le développement de l'histotainment est à l'origine de la montée en puissance d'une catégorie de professionnels du loisir à caractère historique qu'il est possible de qualifier d'« hommes doubles » pour reprendre un concept développé par l'historien Christophe Charle pour le XIXe siècle[3]. Il s'agit d'individus considérés comme des spécialistes de l'Histoire par le grand public alors même qu'ils ne le sont pas du point de vue du monde universitaire.

Cette catégorie professionnelle hétérogène (éditorialistes, présentateurs, réalisateurs...) est d'autant moins capable de produire un discours scientifique fiable qu'elle est confrontée aux règles du champ intellectuel libre. Ces dernières impliquent entre autres une soumission à la nécessité de l'audience qui produit d'importants effets d'aliénation. Elles orientent le discours historique en lui faisant subir un formatage dans le sens d'une simplification du storytelling. Le résultat correspond alors fréquemment aux modes de discours les plus archaïques (roman national, histoire des grands hommes et des grandes familles...).

Pour les professionnels de l'histotainment, la quête d'une légitimité scientifique peut prendre différentes formes. La coopération critique avec le monde universitaire s'oppose alors à la stratégie de dénigrement qui peut aller jusqu'à la forme extrême du procès des intellectuels établis au sens que donne l'historien Vincent Duclert dans son étude sur l'affaire Dreyfus[4].

Diffusion du concept dans le monde francophone

La première occurrence du terme d'histotainment dans un ouvrage publié en 2013 est en réalité précédée par son emploi sur internet. En effet, l'article wikipedia relatif à cette notion est de loin la première apparition de ce terme en français ().

Jusqu'à cette date, une recherche pour les sites rédigés en français ne propose que 7 résultats qui n'ont rien à voir avec l'emploi de la notion en allemand. Une recherche équivalente aboutit en 2017 à plus de 1500 occurrences. La page du professeur de didactique de l'histoire Lyonel Kaufmann fait d'autre part allusion à la définition de wikipedia comme définition de référence[5].

Cette situation unique fait de la notion d'histotainment le premier concept historiographique dont le transfert à l'échelle internationale est dû au moins en partie à l'utilisation de wikipedia par les historiens et les amateurs d'histoire.

Histotainment et historiens

Titre Genre Date Lieu Consultant historique Critiques
Un village français Série (2009-...) Jean-Pierre Azéma
Rome Série (2005-2007) Jonathan Stamp Dans Le Monde diplomatique, Florence Dupont a proposé une critique intéressante de la série qui propose d'après elle une représentation falsifiée de l'Antiquité reposant sur des préjugés occidentaux[6].
L'Affaire Dreyfus Téléfilm 1995 Pascal Lecomte
Capitaine Conan Film 1996 Pascal Lecomte
Indigènes Film 2006 Pascal Blanchard
Les Pirogues des Hautes terres Film 2013 Sénégal Un mémoire de fin d'étude réalisé par Cheick Hamaoullah Traore et dirigé par Jean Bosco Konaré provenant de l'école supérieure de Bamako, Section Histoire/Géographie a été une source d'informations importantes lors de la rédaction du scénario.
Un peuple et son roi Film 2018 France (Arlette Farge, Sophie Wahnich, Guillaume Mazeau, Haim Burstin, Timothy Tackett Critique élogieuse du film par l'historien Pierre Serna pour le site zéro de conduite[7].
Assassin's Creed Unity Jeu vidéo 2014 Laurent Turcot et Jean-Clément Martin[8] Plusieurs erreurs répertoriés par le journal Le Monde[9]

et un article critique rédigé par l'historien Guillaume Mazeau

sur le visage de Robespierre[10].

La Cinéscénie Spectacle (1977-...) Puy du Fou Critique sur le révisionnisme du spectacle par Michel Vovelle dans Le Monde Diplomatique[11].
Les Grandes Médiévales Spectacle (1998-...) Andilly
Fêtes révolutionnaires Spectacle (2008-...) Vizille
Grands jeux romains Spectacle (2010-...) Nîmes Éric Teyssier
L'Escalade Spectacle (1902-...) Genève

Notes et références

Articles connexes

Sources et bibliographie

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