Histoire connectée

Apparue dans les années 1990 aux États-Unis, l’histoire connectée est une approche historiographique dérivée de l'histoire globale, qui consiste en la reconnexion de différentes histoires nationales longtemps restées cloisonnées. Elle a pour vocation de ne pas être européo-centrée. Dans le monde anglo-saxon, on parle de connected history.

Elle se situe au carrefour de plusieurs courants historiographiques récents tels que : l'histoire globale, transnationale, comparée et croisée ainsi que les transferts culturels. Sanjay Subrahmanyam en est un représentant majeur.

En raison de son évolution historiographique récente, la distinction avec l'histoire globale reste difficile à établir.

Une démarche pratique de recherche historique

L'historien indien Sanjay Subrahmanyam, photographié ici en 2014, est une figure majeure de l'histoire connectée.

L'historien indien Sanjay Subrahmanyam, chez qui l'histoire connectée apparaît en réaction à l'histoire comparée[citation nécessaire][1], voit l'historien comme un "électricien" censé reconnecter les différentes histoires nationales restées isolées[2].

Dérivé de l'histoire globale, le développement de l'histoire connectée reste sensiblement lié à ce courant[réf. souhaitée].

L'histoire connectée est une démarche de recherche historique travaillant sur des "aires culturelles"[3] ainsi que sur des dynamiques de circulation (d'hommes, d'idées, de techniques et de ressources) et de métissages, en se basant sur une documentation en langues vernaculaires extra-européennes. À ce titre, l'histoire connectée a pour but d'étudier les connexions réelles, les contacts entre des communautés initialement opposées géographiquement. Ainsi, elle vise à produire un "contre-récit" par rapport à une histoire européocentrée. Ce "contre-récit" permet de donner une nouvelle compréhension des perceptions locales et des historicités plurielles du "moment colonial des sociétés extra-européennes"[3].

L’histoire connectée est donc l’étude des interactions multiples, réalisée au moyen d’allers-retours entre les différentes échelles d’analyse et par un décentrement du regard. Ces variations d’échelles révèlent la globalité des échanges au sein des sociétés étudiées et permettent d’analyser les mouvements à grande échelle[4]. Cependant, l’histoire connectée se concentre sur l’étude de ces interactions à un moment précis et non sur le long terme. Ce type d’histoire est donc moins pertinent pour étudier les changements de longue durée et les évolutions des connexions[5].

Les deux notions essentielles de l’histoire connectée sont la réciprocité et l’hybridation (ou métissage). L’histoire connectée cherche à comprendre la façon dont chaque communauté vit la rencontre avec l’autre. De ce fait, sa méthodologie permet de critiquer les préjugés ethnocentriques d'autres approches historiques[6]. De par son caractère transnational, l’histoire connectée s’intéresse aux circulations, que cela concerne les hommes ou les objets ou encore les processus créateurs agissant sur les sociétés. Elle veut dépasser les compartimentages nationaux civilisationnels pour montrer les modes d’interaction « entre le local et régional et le supra-régional »[7]. L’histoire connectée nécessite, d'une part, une lecture critique des sources écrites ou orales en privilégiant celles qui sont dans la langue des sujets étudiés et, d'autre part, de se placer au niveau des hommes en tant qu’acteurs des diverses interactions. 

En conclusion, l’histoire connectée est intéressante pour étudier les problématiques portant sur plusieurs contextes géographiques et culturels, comme les migrations de population[8].

Une démarche au carrefour de plusieurs courants historiographiques

L'histoire globale

La différence entre l’histoire connectée et l’histoire globale repose sur le fait que l’histoire connectée est d’abord une approche méthodologique avant d’être une théorie de l’histoire[6]. L’histoire globale, ou histoire de la globalisation des sociétés, est née aux États-Unis. L'approche globale est encore faiblement prise en considération par les historiens français mais on retrouve une grande dynamique de recherche aux Etats-Unis, en Amérique, aux Pays-Bas et en Allemagne[9].

Elle aborde des approches diverses et suppose une grande mobilisation à la fois de connaissances et de matériels, ainsi qu’un décentrement du regard. Elle est globale par son objet d'étude et « par son refus de la fragmentation historiographique et des compartimentages disciplinaires»[10].

"Global" ne signifie cependant pas "totalisant' elle se distingue de l'histoire totale par son point d'observation qui n'est pas le point de vue universel donc elle ne prétend pas reformuler un grand récit explicatif de l'ensemble[11].

L'histoire transnationale

L'histoire connectée est une des branches de l'histoire transnationale, une autre perspective centrée sur un objet d'étude historique. On la trouve plutôt en Europe, car elle tire son objet de l'histoire des organisations internationales.

L'histoire transnationale s'intéresse également aux interactions et interdépendances des sociétés modernes et contemporaines, selon l'axe de la globalisation. Elle porte sur la circulation des hommes, des capitaux et des biens et exige une connaissance poussée en langues diverses afin d'avoir accès à des sources permettant un éclairage nouveau[12].

L'histoire comparée

L’histoire connectée est apparue en réaction à la méthodologie de l’histoire comparée[1]. Celle-ci se limite à analyser les différences et similitudes entre deux groupes culturels ou communautés distincts sans se préoccuper des rapports entre ces groupements. Par contraste, l’histoire comparée implique de faire jouer en même temps objet, échelle et contexte, la dernière donnée étant la variable explicative[13]. Ainsi, contrairement à l’histoire comparée, l’histoire connectée ne néglige pas les circulations et les contacts de formes culturelles[6].

L'histoire croisée

Tout comme l’histoire croisée, l’histoire connectée accorde une place importante au décentrement du regard. L’histoire croisée est une histoire connectée qui accorde en plus de la valeur à l’étude des transferts entre différentes zones culturelles[14]. L'histoire croisée appartient ainsi à la même famille des démarches relationnelles et "met en rapport, souvent à l’échelle nationale, des formations sociales, culturelles et politiques, dont on suppose qu’elles entretiennent des relations"[15].

Les transferts culturels

Le concept de « transfert culturel » est développé par Michel Espagne et Michael Werner comme le relève Michel Trebitsch en 1998 dans Pour une histoire comparée des intellectuels. Il consiste en l'étude des métissages culturels, c'est-à-dire l'appropriation ou l'assimilation d'un aspect culturel d'une société par une autre[16]. Sa méthodologie est constituée d' une double analyse : celle des origines des transferts et des vecteurs de ceux-ci (commerçants, voyageurs, musiciens, émigrés, etc.).Son but étant de valoriser les relations entre deux cultures[réf. souhaitée]. On parle de dynamique binaire lors de transferts entre deux pays et de dynamique ternaire ou "transferts triangulaires" lorsque les échanges concernent trois pays[17].

L'histoire connectée met en évidence les relations entre différentes sociétés mais en ne se focalisant pas uniquement sur le culturel.[réf. souhaitée]

Bibliographie théorique sur le courant

  • Romain Bertrand,
    • L'histoire à parts égales : récits d'une rencontre Orient-Occident (XVIe-XVIIe siècle), Paris, Seuil, 2011.
    • « Histoire globale, histoire connectée », dans Christian Delacroix, François Dosse, Patrick Garcia et Nicolas Offenstadt (dir.), Historiographies. Concepts et débats, vol. I, Gallimard, coll. Folio histoire, 2010, p. 366-377 (ISBN 978-2-07-043927-0).
  • Caroline Douki, et Philippe Minard, « Histoire globale, histoires connectées : un changement d'échelle historiographique ? », Revue d'histoire moderne et contemporaine, n°54-4, 2007/5, p.7-21.
  • Chloé Maurel, « Introduction : pourquoi l'histoire globale ? »,Cahier d'histoire : revue d'histoire critique, n°121, 2013, p.13-19.
  • Philippe Minard, « Globale, connectée ou transnationale : les échelles de l'histoire », Esprits, n°12, 2013, p.20-32.
  • Dominic Sachsenmaier, Global Perspectives on Global History. Theories and Approaches in a connected World, Cambridge University Press, 2011.
  • Sanjay Subrahmanyan, Aux origines de l’histoire globale, Paris, Fayard, 2014.
  • Cécile Vidal, « Pour une histoire globale du monde atlantique ou des histoires connectées dans et au-delà du monde atlantique », Annales. Histoire Sciences Sociales, vol 67, n°2, 2012, p. 391-413.
  • Blog Histoire Globale http://blogs.histoireglobale.com/category/histoire-connectee, (fondé par Philippe Norel, aujourd'hui administré par Vincent Capdepuy et Laurent Testot).

Bibliographie des représentants du courant

  • Romain Bertrand, « Rencontres impériales. L'histoire connectée et les relations euro-asiatiques », Revue d'histoire moderne et contemporaine, vol.  5, no 54-4bis, 2007, p.  69-89
  • Serge Gruzinski, L’Amérique de la conquête peinte par les indiens du Mexique, Paris, Flammarion, coll. Unesco,1991.
  • Serge Gruzinski, Les quatre parties du monde : Histoire d’une mondialisation, Paris, La Martinière, 2004.
  • Serge Grunzinski, « Les mondes mêlés de la Monarchie catholique et autres "connected histories"», Annales. Histoire, Sciences Sociales, n° 56-1, 2001, p. 85-117.
  • Patrick Manning, The African Diaspora: A History Through Culture, New-York, Columbia University Press, 2009.
  • Patrick Manning, World History: Global and Local Interactions, Markus Wiener, 2006.
  • Jean-Louis Margolin et Claude Markovits, Les indes et l’Europe : histoires connectées, XVe-XXIe, Paris, Gallimard, coll. Folio histoire (n°246), 2015.
  • Antonella Romano, Impression de Chine : l’Europe et l’englobement du monde (XVIe-XVIIe), Paris, Fayard, coll. Histoire 2016.
  • Guy Saupin,Africains et européens dans le monde atlantique. XVe-XIXe, PUR, coll. Histoire, 2014.
  • Guy Saupin, La péninsule ibérique et le monde. 1470-1640, PUR, coll. Didact Histoire, 2013.
  • Sanjay Subrahmanyam, Comment être un étranger de Venise à Goa (XVIe-XVIIIe siècle), Paris, Points, coll. Points histoire, 2013.
  • Sanjay Subrahmanyam, « Connected histories: notes towards a reconfiguration of early modern Eurasia », Victor Benet Lieberman, (ed.), Beyond Binary Histories. Re-Imagining Eurasia to c.1830, Ann Arbor, The University of Michigan Press,1999, p. 289-316.
  • Sanjay Subrahmayam, Explorations in Connected History. From the Tagus to the Ganges, Oxford, Oxford University Press, 2005.
  • SanjaySubrahmanyam, L’éléphant, le canon et le pinceau : histoire connectée des cours d’Europe et d’Asie. 1500-1750, Paris, Alma Editeur, coll. Essai Histoire, 2016.
  • SanjaySubrahmanyam, L’empire portugais d’Asie : 1500-1700. Une histoire politique et économique, Paris, Points, coll. Points histoire, 1994.
  • Sanjay Subrahmanyam, « Par-delà l’incommensurabilité : pour une histoire connectée des empires aux temps modernes », Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. 5, 2007, n° 54-4bis, 2007, p. 34-53.
  • Sanjay Subrahmanyam, (trad.  Myriam Dennehy), Vasco de Gama. Légende et tribulations du vice-roi des indes, Paris, Alma Editeur, 2012, p.  19.

Notes et références

  1. (en) Sanjay Subrahmanyam, Explorations in Connected History. From the Tagus to the Ganges, Oxford, Oxford University Press, , p. 1
  2. Caroline Douki et Philippe Minard, « Histoire globale, histoires connectées : un changement d'échelle historiographiques ? », Revue d'histoire moderne & contemporaine, , p. 7-21 (ISSN 0048-8003, lire en ligne)
  3. Romain Bertrand, « Rencontres impériales. L'histoire connectée et les relations euro-asiatiques », Revue d'histoire moderne et contemporaine, vol. 5, nos 54-4bis, , p. 69-89
  4. Philippe Minard, « Globale, connectée ou transnationale : les échelles de l’histoire », Esprits, vol. 12, , p. 20-30
  5. Philippe Norel, « Le livre de la mondialisation ibérique », sur Histoire Globale. Le blog (consulté le )
  6. Jean-Paul Zugina, « L'Histoire impériale à l'heure de l'"histoire globale". Une perspective atlantique », Revue d'histoire moderne et contemporaine, vol. 5, nos 54-4bis, , p. 62
  7. Philippe Minard, « Globale, connectée ou transnationale : les échelles de l’histoire », Esprits, vol. 12, , p. 27
  8. Sanjay Subrahmanyam (trad. Myriam Dennehy), Vasco de Gama. Légende et tribulations du vice-roi des Indes, Paris, Alma Editeur, , p. 19
  9. Caroline Douki et Philippe Minard, « Histoire globale, histoires connectées : un changement d'échelle historiographique ? », Revue d'histoire moderne et contemporaine, , p. 7-21
  10. Philippe Minard, « Globale, connectée ou transnationale : les échelles de l’histoire », Esprits, vol. 12, , p. 22
  11. Caroline Douki et Philippe Minard, « Histoire globale, histoires connectées : un changement d'échelles historiographique ? », Revue d'histoire moderne et contemporaine, , p. 7-21
  12. « Histoire transnationale », sur Université de Genève, Faculté des Lettres (consulté le )
  13. Cécile Vidal, « Pour une histoire globale du monde atlantique ou des histoires connectées dans et au-delà du monde atlantique? », Annales. Histoire, Sciences Sociales, , p. 391-413 (lire en ligne)
  14. Laurent Testot, Histoire globale. Un autre regard sur le monde, Auxerre, Sciences humaines éditions, , p. 15
  15. Michael Werner et Bénédicte Zimmermann, « Penser l'histoire croisée : entre empirie et réflexivité » », Annales. Histoire, Sciences sociales, , p. 8
  16. Michel Trebitsch, Pour une histoire comparée des intellectuels, Bruxelles, Complexe, , 176 p. (ISBN 2-87027-706-7, lire en ligne), p. 12 et 70
  17. Béatrice Joyeux-Prunel, « Les transferts culturels », Hypothèses, , p. 149-162 (ISSN 1298-6216, lire en ligne)
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