Époque hellénistique

L'époque hellénistique correspond à la période de l'Antiquité qui suit la conquête d’une partie du bassin oriental de la Méditerranée et de l’Asie par Alexandre le Grand de 323 av. J.-C. jusqu’à la période romaine en 30 av. J.-C. Si l'on excepte les figures d’Alexandre et de Cléopâtre VII, ces trois siècles et demi sont relativement méconnus et souvent considérés comme une période de transition, voire de déclin ou de décadence, entre l'époque classique grecque et l'Empire romain. Cependant l'éclat de grandes villes, telles Alexandrie, Antioche ou Pergame, l'importance des échanges économiques et culturels, la diffusion de la langue grecque témoignent d'un grand dynamisme et modifient profondément le visage de l'Orient antique, y compris ultérieurement sous l'Empire romain qui est fortement hellénisé dans sa moitié orientale (Paul Veyne utilise l'expression d'« Empire gréco-romain »).

Gaulois blessé de Délos, thème apparu dans la statuaire grecque à la suite de la victoire d’Attale Ier de Pergame sur les Gaulois v. , musée national archéologique d'Athènes.

Le terme « hellénistique » est employé pour la première fois par l’historien allemand Johann Gustav Droysen dans son ouvrage Geschichte des Hellenismus (1836). L’époque hellénistique a été définie par les historiens du XIXe siècle à partir d’un critère linguistique et culturel, à savoir l’accroissement spectaculaire des régions où l’on parle le grec (ἑλληνίζειν / hellênízein) et donc du phénomène d’expansion de l’hellénisme. Ce phénomène d’hellénisation des populations et de rencontre entre les anciennes civilisations orientales, égyptienne, grecque et latine, se déroule jusqu'au IIe siècle av. J.-C. en Asie du Sud-Ouest, mais jusqu'au VIIe siècle en Asie Mineure et en Égypte. Les limites chronologiques de la période hellénistique sont donc conventionnelles et politiques : elles débutent avec la mort d’Alexandre le Grand et se terminent quand le suicide du dernier grand souverain hellénistique, la reine d’Égypte Cléopâtre, fait place à la domination romaine.

Les travaux archéologiques et historiques récents ont conduit à porter un regard nouveau sur cette période, et en particulier sur deux de ses aspects caractéristiques : l’existence et le poids des grands royaumes dirigés par des dynasties d’origine grecque ou macédonienne (Lagides, Séleucides, Antigonides, Attalides) et le rôle déterminant des cités grecques dont l’importance, contrairement à une idée longtemps répandue, est loin de décliner.

L’évolution politique du monde hellénistique

Les conquêtes d’Alexandre le Grand

Le monde hellénistique à la mort d’Alexandre le Grand.

Roi de Macédoine à 20 ans, maître de la Grèce deux ans plus tard, Alexandre le Grand entreprend lors de son règne (336-) la conquête la plus spectaculaire et la plus rapide de l’Antiquité. Un royaume, de taille moyenne, associé à quelques cités grecques vient à bout du plus grand empire de l’époque, l’empire perse. Darius III est vaincu à l'issue d'une campagne de quatre années (334-330) et de trois batailles, celles du Granique, d’Issos et de Gaugamèles[1]. Les trois années suivantes, jusqu'en 327, sont consacrées à la lente et difficile conquête des satrapies de l’Asie centrale, puis jusqu'en 325 à assurer la domination macédonienne sur le nord-ouest de l’Inde. C’est là qu'Alexandre, sous la pression de ses troupes épuisées, doit renoncer à poursuivre son épopée et retourner vers ce qui est devenu le cœur de son empire, la Babylonie[2].

Afin d’assurer sur le long terme son pouvoir, il tente d’associer la classe dirigeante de l’ancien empire achéménide à l’ossature administrative de son royaume[3]. Il essaie ainsi de créer une monarchie assumant à la fois l’héritage macédonien et grec d’une part mais aussi l’héritage perse et, d’une façon plus générale, asiatique. La mort brutale du roi, probablement de maladie, à l’âge de 33 ans met fin à cette tentative originale mais vivement contestée par l’entourage macédonien du souverain[4].

Au cours de sa conquête, Alexandre parsème l’Asie de garnisons et de colonies militaires ; il fonde de multiples cités sur le modèle grec. Ce sont autant de creusets dans lesquels se fondent les cultures asiatiques avec celle héritée d’Athènes ou de Corinthe, donnant naissance à la civilisation hellénistique.

La période des Diadoques (323-281 av. J.-C.)

Alexandre le Grand ne laisse pas de réels successeurs capables de régner, et surtout de s'imposer à ses principaux officiers, les Diadoques, qui se déchirent pendant 40 ans. Les guerres auxquelles se livrent Perdiccas, Ptolémée, Antigone, Séleucos, Cassandre et Lysimaque jusqu'en , font ainsi disparaître toute la parentèle d’Alexandre et éclater l’empire. Antigone, premier des Diadoques à prendre le titre royal, a l'ambition de reconstituer l'empire à son profit ; mais il est vaincu par une coalition de ses rivaux à la bataille d'Ipsos en [5].

La Grèce, la Macédoine, l’Asie Mineure sont profondément bouleversées par les campagnes militaires incessantes des Diadoques, cependant que la partie orientale de l’empire est rapidement perdue par eux du fait de l'émergence du royaume gréco-bactrien et de l'Empire Maurya en Inde. Peu importe à ces généraux la partie de l’empire qu'ils gouvernent, l’essentiel est de régner. Ainsi Démétrios Poliorcète dirige d'abord avec son père Antigone le Borgne l’essentiel de l’Asie puis, après la défaite et la mort de ce dernier, s'empare en 294 de la Macédoine, la perd six ans plus tard avant de finir sa vie en captivité[6]. De même, Ptolémée Kéraunos, chassé d’Égypte en 284 par son père Ptolémée Ier, se réfugie auprès de son beau-frère Lysimaque en Thrace, prend le contrôle de son royaume, puis de la Macédoine après avoir assassiné Séleucos. Le Moyen-Orient est ainsi totalement dominé par les ambitions de ces généraux, qui disposent de troupes essentiellement constituées de mercenaires grecs et macédoniens ; Antigone Ier est le premier d'entre eux à prendre le titre de roi (basileus), en 306, les autres Diadoques faisant de même peu de temps après.

On peut considérer Ptolémée Ier, l’un des compagnons d’enfance d’Alexandre, comme étant le souverain le plus lucide. Il s'empare rapidement de l’Égypte et s'attache à y créer un État durable, renonçant ainsi à récréer l'empire à son profit. Cela fait sans doute de lui l’un des fossoyeurs de l’idée impériale voulue par Alexandre, mais aussi l’un des fondateurs du monde hellénistique.

L’équilibre du IIIe siècle

Les royaumes des Diadoques en

Au début du IIIe siècle av. J.-C. un équilibre précaire s'installe entre trois grandes dynasties issues des Diadoques. La Macédoine est gouvernée par les descendants d’Antigone le Borgne, les Antigonides, l’Égypte par les Lagides (ou Ptolémées), et l’empire le plus vaste mais le moins homogène (une partie de l'Asie Mineure, Syrie, Mésopotamie, Perse) par les Séleucides. Aux côtés de ces trois monarchies principales, existent des royaumes plus petits, tel celui des Attalides autour de Pergame qui émerge autour de 270, ou encore ceux du Pont et de Bithynie.

Il existe également des confédérations de cités qui s'opposent, parfois avec succès, aux entreprises des royaumes hellénistiques. Les deux plus importantes sont sans doute la ligue achéenne et la ligue étolienne, qui jouent un rôle notable jusqu'à la conquête romaine. De même, certaines cités parviennent à préserver totalement leur indépendance et à entretenir des relations d’égal à égal avec les royaumes ; la cité de Rhodes en est probablement le meilleur exemple.

La règle diplomatique qui domine est la suivante : le plus proche voisin est naturellement un ennemi[7]. Le IIIe siècle av. J.-C. est ainsi marqué par les rivalités entre les Séleucides et les Lagides pendant les six guerres de Syrie avec pour enjeu principal la possession de la Cœlé-Syrie. Celle-ci passe finalement sous le contrôle des Séleucides à la fin du IIIe siècle av. J.-C. De même les rivalités sont fortes entre Séleucides et Attalides en Asie Mineure, tout comme entre Rhodes, le royaume de Pergame et les Antigonides pour le contrôle des Détroits.

La Macédoine dispute de la même façon le contrôle des cités grecques aux ligues achéennes et étoliennes. Celles-ci représentent les principales forces politiques et militaires de la Grèce continentale du IIIe siècle av. J.-C., dans la mesure où la puissance militaire d'Athènes s'effondre définitivement après la guerre de Chrémonidès (268-262), la cité passant sous un contrôle antigonide direct jusqu'en 229. Les deux ligues s'allient contre la Macédoine à la fin du IIIe siècle av. J.-C. pendant la guerre démétriaque et remportent quelques succès. Mais la ligue achéenne se rapproche de la Macédoine (vers 229) face à la menace que représentent les réformes du roi de Sparte, Cléomène III. Le roi de Macédoine, Antigone III Dôsôn, reconstitue une lointaine héritière de la Ligue de Corinthe, appelée l'« alliance hellénique », dont il est l'hègémôn, et par sa victoire contre Sparte à Sellasia en 222, réaffirme la domination macédonienne sur une large partie de la Grèce continentale[8]. Cette domination est renforcée par la victoire de son successeur, Philippe V contre la ligue étolienne lors de la guerre des alliés entre 220 et 217.

L’intervention romaine et la disparition politique du monde hellénistique

Carte de la Grèce et du monde égéen vers

À la fin du IIIe siècle av. J.-C., la Grande-Grèce, soit l’Italie du Sud et la Sicile, tombe sous la domination romaine après un siècle d’affrontement, que ce soit avec Pyrrhus ou dans le cadre des guerres puniques. Mais il faut attendre le début du IIe siècle av. J.-C. pour que les Romains interviennent réellement en Orient. Dans un premier temps, elle dompte militairement les Antigonides et surtout Antiochos III, la dernière grande figure politique des souverains hellénistiques avant Mithridate et Cléopâtre VII. Puis, dans un lent et complexe processus de grignotage qui s'étale sur près de deux siècles, avec la complicité de cités et du royaume de Pergame, elle s'assure la domination complète de la Méditerranée orientale. En effet, Rome préfère dans un premier temps ne pas annexer de territoires (première moitié du IIe siècle av. J.-C.). Toutefois, avec la conquête définitive de la Macédoine et de la Grèce (saccage de Corinthe) en 148/146, transformées en provinces romaines, le processus impérialiste est enclenché[9]. En 133 le royaume de Pergame devient romain ; il forme la province d'Asie en 128-26. En 102, la Cilicie passe sous le contrôle de Rome puis c'est le tour de la Cyrénaïque en 96

Parallèlement, l’influence politique des Séleucides s'effondre brutalement en Asie centrale, en Perse puis en Mésopotamie après le règne d’Antiochos III (223-187). Alors que ce dernier possède encore les moyens de diriger une expédition jusqu'aux limites de l’Inde, son fils Antiochos IV Épiphane (175 à 163) est incapable de vaincre l’insurrection des Maccabées en Palestine. L’irruption des Parthes à partir du milieu du IIIe siècle av. J.-C. accélère cette décomposition politique. Aux débuts du Ier siècle av. J.-C. les souverains séleucides ne gouvernent ainsi plus que la Syrie. Celle-ci est conquise par Tigrane II d'Arménie qui constitue un empire de courte durée allant de la mer Caspienne à la mer Méditerranée, à son tour annexé par Pompée en 64-63 av. J.-C.

Cependant, cette pénétration romaine dans l’Orient hellénistique ne va pas sans résistance. Il faut trois guerres aux Romains pour abattre le roi du Pont, Mithridate VI, qui est vaincu en 66 av. J.-C. Pompée réorganise alors l’Orient sous l’ordre romain.

Dans la seconde moitié du Ier siècle av. J.-C., le monde hellénistique n'est plus qu'un arc de provinces romaines bordées de petits royaumes vassaux. À la fin de la République romaine, il devient le champ d’affrontement des ambitions des grands généraux (bataille de Pharsale, bataille de Philippes, Bataille d'Actium), jusqu’à la victoire finale d’Octave. Le dernier acte de cette conquête est la lutte qui oppose Octave à Marc Antoine, allié de la dernière souveraine lagide d’Égypte, Cléopâtre VII, qui s'achève par la défaite puis le suicide de cette dernière en

Les cadres politiques permanents : royaumes et cités

La royauté hellénistique, une monarchie absolue

Séleucos Ier, fondateur de la dynastie des Séleucides, époque romaine impériale, musée du Louvre.

La monarchie hellénistique est personnelle. Cela signifie qu'est souverain celui qui par son mérite individuel, ses actions, le plus souvent militaires, sa conduite peut aspirer au titre de basileus roi »). Par conséquent la victoire militaire est le plus souvent l’acte qui légitime l’accession au trône et qui permet de régner sur une province ou un État. Les Séleucides utilisent la prise de Babylone par Séleucos Ier en 312 pour légitimer leur présence en Mésopotamie, ou sa victoire de 281 sur Lysimaque pour justifier leurs revendications sur la région des détroits et sur la Thrace. Les rois de Bithynie tirent également profit de la pseudo-victoire en 277 de leur ancêtre Nicomède Ier (qui en réalité cède des territoires et s'allie avec eux) sur les Galates pour affirmer leurs prétentions territoriales[10].

Cette monarchie personnelle ne possède pas de règles de succession précises, d’où les querelles incessantes et les assassinats nombreux lorsqu'il y a plusieurs héritiers, ni de lois fondamentales, ni de textes réglementant les pouvoirs du souverain. Tout procède du roi et en particulier les lois. Ce caractère absolu et personnel est à la fois la force et la faiblesse de ces monarchies hellénistiques en fonction du caractère et de la personnalité du souverain. Il est par conséquent nécessaire, en dehors de la Macédoine où la monarchie est une institution ancienne, de créer des idéologies justifiant la domination de dynasties d’origine macédonienne et de culture grecque sur des populations totalement étrangères à cette civilisation. Les Lagides deviennent ainsi pharaons aux yeux des Égyptiens et ont l’adresse de s'allier le clergé autochtone par de larges dons aux temples.

Mais ces souverains gouvernent aussi des populations d’origine grecque et macédonienne auprès desquelles ils doivent montrer l’image d’un roi justicier, assurant la paix et qui se comporte en bienfaiteur. C’est la notion d’évergétisme, qui fait du monarque hellénistique le bienfaiteur de ses sujets. La conséquence de ce fait, déjà initié par Alexandre le Grand, est la divinisation de leur vivant d’un grand nombre de souverains ainsi que les honneurs cultuels qui leur sont rendus par leurs sujets[11], ou par des cités autonomes ou indépendantes à qui ils ont rendu service. Cela permet de renforcer la cohésion du royaume autour de la dynastie.

La fragilité du pouvoir des souverains hellénistiques oblige ceux-ci à une incessante activité. Il est d’abord nécessaire de vaincre militairement ses adversaires et cette période est constituée d’une suite de conflits entre souverains ou contre des adversaires extérieurs : Parthes, Romains, etc. C’est ainsi que ces souverains sont contraints de voyager énormément afin d’installer des garnisons, de construire des cités pour quadriller leurs États. Antiochos III est sans conteste celui qui se déplace le plus à travers la Syrie, l’Égypte, la Mésopotamie, la Perse, les frontières de l’Inde, l’Anatolie, la Grèce, avant de mourir près de Suse en Afin d’entretenir ces armées et de financer la construction de ces cités, il est indispensable aux souverains de bâtir des administrations solides et avant tout fiscales[12]. Les royaumes hellénistiques sont ainsi tout d’abord de gigantesques structures d’exploitation fiscale et se posent donc en héritiers directs de l’empire achéménide. Ainsi Ptolémée II en 269-268 enlève-t-il la perception de l'apomoira (un impôt ecclésiastique (entre 1/10e et 1/6e des récoltes versé aux temples) au clergé au profit de l'administration royale[13]. Certes l'apomoira bénéficie toujours au clergé mais il arrive, dans les successeurs de Ptolémée II, que confrontés à des difficultés financières, ceux-ci détournent le produit de l'impôt.

Ce travail du roi, épuisant, auxquelles s'ajoutent les incessantes doléances et récriminations, le roi étant aussi un roi justicier, font dire à Séleucos Ier : « Si les gens savaient quelle corvée ce peut être d’écrire seulement et de lire tant de lettres, on ne voudrait pas ramasser un diadème même s'il traînait par terre »[14].

Pièce à l'effigie de Démétrios Ier, fondateur d’un des royaumes grecs de Bactriane.

Autour de ces souverains gravite une cour où le rôle des favoris du monarque devient rapidement prépondérant. En règle générale ce sont des Grecs ou des Macédoniens qui souvent portent le titre d’Amis du roi (philoi). Le désir d’Alexandre le Grand d’associer les élites asiatiques au pouvoir est abandonné et cette domination politique gréco-macédonienne par bien des aspects s'apparente à une domination coloniale. Pour s'attacher des collaborateurs efficaces et fidèles le roi doit les enrichir par des dons, des domaines pris sur le domaine royal. Cela n’empêche pas certains favoris d’avoir une fidélité douteuse et parfois, surtout dans le cas d’une minorité royale, d’exercer réellement le pouvoir tel Hermias, dont Antiochos III a toutes les peines à se défaire[15], ou Sosibios en Égypte à qui Polybe fait une réputation sinistre[16].

Ces rois disposent donc d’un pouvoir absolu mais sont soumis à de multiples contraintes, s'attacher leur entourage, vaincre leurs ennemis, prouver leur nature royale par leurs comportements, légitimer leur fonction par une divinisation de leur personne. À l’époque classique, le modèle de la monarchie, rejeté par les philosophes grecs, est asiatique ; à l’époque hellénistique, il est grec.

La place des cités

Maquette de la cité antique de Pergame, musée de Pergame, musées d'État de Berlin.
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De la comparaison avec la période classique de la Grèce antique, il est fréquent de conclure au déclin de la cité (polis) lors de la période hellénistique. Il est sans doute plus prudent de rester nuancé. Ainsi Sparte, Athènes et Thèbes sont des cas assez isolés de cités impérialistes à l'époque classique, mais l’immense majorité des cités grecques aux Ve – IVe siècle av. J.-C. doit composer avec elles et se soumettre à leur autorité ou à celle des rois achéménides. Cette situation est identique à l’époque hellénistique, si ce n’est que le pouvoir des cités impérialistes n’existe plus, comme à Athènes, ou est définitivement brisé comme à Sparte en , date à laquelle Cléomène III est défait à la bataille de Sellasia par les Macédoniens et la Ligue achéenne. Un certain nombre de cités s'organisent en puissantes fédérations, surtout en Grèce, comme la Ligue achéenne ou la Ligue étolienne. D’autres réussissent brillamment à conserver un temps leur indépendance, telles Rhodes ou Héraclée du Pont sur la mer Noire. Nombreuses sont les cités qui jouent des conflits entre les souverains pour préserver, même provisoirement, une indépendance à laquelle elles sont farouchement attachées.

En réalité, le nombre de cités a plus que probablement considérablement augmenté durant cette période. Les monarques hellénistiques fondent plusieurs dizaines de villes dans leurs royaumes, à commencer par leurs capitales : Alexandrie, Antioche, Séleucie de Piérie ou encore Pergame. Les Séleucides fondent des cités sur le plateau iranien (Apamée, Laodicée), en Mésopotamie (Néapolis, Séleucie du Tigre) ainsi que la tétrapole en Syrie ; les Lagides fondent des cités à Chypre (Néa-Paphos, Arsinoé) et en Asie Mineure, mais en nombre bien moindre que les Séleucides. Il s'agit soit d’une cité grecque refondée par un monarque, ainsi Sicyone déplacée et refondée par Démétrios Poliorcète en Démétrias, soit d’une cité indigène transformée en cité grecque. Damas devient Arsinoéia et Kelainai devient en Apamée de Phrygie. En réalité, peu de cités sont réellement fondées ex nihilo, mais la plupart prennent la place d’un établissement indigène antérieur ou s'installent à proximité.

Pour l’essentiel, ces fondations remontent aux débuts de l’époque hellénistique entre la conquête d’Alexandre et le milieu du IIIe siècle av. J.-C., les plus grands bâtisseurs étant les Séleucides. L’objectif premier n’est pas l’hellénisation, qui est plutôt une conséquence du phénomène d’extension urbaine, mais bien un objectif militaire et stratégique : installer une garnison afin de contrôler un territoire, une route commerciale. En Grèce s'y ajoute la volonté de rassembler de petites cités afin de constituer une entité plus solide. Enfin, il y a clairement une volonté politique des souverains hellénistiques dans la fondation de leurs capitales, afin de marquer avec force leur enracinement dans les contrées qu'ils dirigent. Bien que n’étant pas prépondérantes, les visées économiques ne sont pas toujours absentes lors de la construction de ces cités. Leur fondation permet de lotir les soldats, ou des colons pauvres, et ainsi d’exploiter une région au profit d’un monarque qui en percevra des taxes élevées.

Stoa d'Attale, construite à l'époque hellénistique, sur le côté est de l’agora d'Athènes.

Certaines cités sont de taille importante dès leur origine (Antioche, Alexandrie, Pergame, Séleucie du Tigre ou même Aï Khanoum en Asie centrale) ; mais beaucoup ne sont à l’origine que de simples forts militaires et ne se transforment en véritables villes qu'au IIe siècle av. J.-C., comme c'est le cas pour Doura Europos et Zeugma-Séleucie sur l’Euphrate. Quelques fondations sont d’ailleurs des échecs et les cités sont abandonnées, telle Apamée de l’Euphrate.

Dans ces cités, le modèle civique connaît une vitalité toujours aussi affirmée. Les rois ne fondent pas que de simples villes mais bien des poleis sur le modèle grec classique. Ce modèle va s'étendre sur les communautés qui s'hellénisent, ainsi en Asie Centrale et en Phénicie. La vie civique, connue par une documentation plus importante que pour la période antérieure, est riche. Il semble que le régime oligarchique soit en perte de vitesse et que la démocratie, selon les critères de l’époque, devienne la norme la plus répandue dans le monde hellénistique. Un consensus global se met en place, parfois rompu par quelques guerres civiles fréquentes dans des communautés fragiles et instables, afin que les notables conduisent la politique de la cité, mais sous le contrôle souverain du reste des citoyens. L’attachement à sa cité, à sa patrie, est toujours aussi fort et les exemples sont nombreux de citoyens prenant les armes pour défendre leur indépendance menacée.

Les relations complexes entre souverains et cités

Dédicace à Ptolémée VI Philométor, milieu du IIe siècle av. J.-C., musée du Louvre.
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Les relations entre les rois hellénistiques et les cités qu'ils dominent, ou cherchent à dominer, sont complexes. Dans l’absolu, les cités grecques refusent de se soumettre à l’autorité sans partage des souverains. Mais la réalité est plus fluctuante et dépend du rapport de force qui s'installe. En règle générale, un souverain qui s'empare d’une cité est en droit de la supprimer, mais le plus souvent un accord est trouvé et la cité devient ainsi une alliée (contrainte). En fait, on distingue une gamme infinie de nuances entre les cités sujettes, sur lesquelles le contrôle royal est étroit (présence de troupes royales, de fonctionnaires royaux, paiement d’un tribut, etc.) et qui peuvent être parfois cédées comme simple part du domaine royal, et les cités subordonnées qui sont nominalement libres et conservent une large autonomie. Ce cas est fréquent pour les cités du monde égéen, souvent fondées bien avant la création des royaumes hellénistiques.

Les rapports entre ces deux entités politiques sont dominés par un modèle politique que l’on nomme l’échange évergétique : bienfaits contre honneurs. S'inspirant du modèle habituel de relations entre les cités et les citoyens bienfaiteurs, il devient la norme pour les relations entre cités et monarques. Le roi est ainsi présenté comme un souverain puissant, bienveillant envers la cité (par ses dons ou par ses exemptions d’impôts), protecteur (contre une éventuelle attaque extérieure) et garant de la prospérité. En échange, la cité proclame son dévouement (ce qui est un moyen pour le roi d’asseoir sa légitimité), lui assure les honneurs par l’érection de statues ou, le cas échéant, les honneurs cultuels. L’évergétisme est ainsi le principal cadre idéologique des rapports politiques entre souverains et cités. Il est même fréquent que l’évergétisme se manifeste envers des cités n’appartenant pas à la zone d’influence des souverains. C’est ainsi que Rhodes est soutenue par l’ensemble des monarques hellénistiques après le terrible séisme de Les Attalides financent de nombreux monuments d’Athènes[17] dont la fameuse stoa d'Attale, reconstruite au XXe siècle par l’École archéologique américaine d’Athènes.

Dans l’ensemble, les cités ont rarement été les acteurs de premier plan de la période mais elles maintiennent dans le monde hellénistique — ce qui est un facteur supplémentaire d’unité — leurs identités, leurs traditions et leurs modes de fonctionnement face aux souverains. Cette relative unité s'explique par les interactions et les échanges internes à l’espace hellénistique.

Facteurs d’unité et de diversité de la civilisation hellénistique

Vers une langue commune : la koinè

Cléopâtre VII représentée vêtue en pharaon sur une stèle portant une inscription en grec et dédiée par un Grec, adepte du culte d’Isis, , musée du Louvre.

La question des rapports entre les Gréco-Macédoniens d’un côté et peuples non grecs ne se pose pas en Grèce ou dans le royaume de Macédoine, alors dominé par les Antigonides. Mais en Asie, dans les territoires séleucides et en Égypte lagide, la grande masse des habitants est constituée de paysans indigènes. Ces paysans dans l’ensemble sont libres mais sous la coupe des administrations royales, en particulier fiscales. En cela, les royaumes hellénistiques ne diffèrent guère des empires qui les ont précédés dans le Proche-Orient ancien, sauf sur un point : les dynasties régnantes sont désormais allogènes par leur origine, leur mode de vie et surtout leur langue.

Ainsi les dirigeants grecs se refusent à apprendre les langues locales et imposent la langue grecque comme outil de communication dans les domaines fiscaux, administratifs, militaires et politiques. Cléopâtre VII, qui parle de nombreuses langues, est semble-t-il une exception chez les Lagides. Plus révélateur du processus d’hellénisation est l’usage précoce chez les élites égyptiennes, d’Anatolie et juives du grec : la koinè, la langue grecque commune. Ce phénomène avait d’ailleurs débuté dès le IVe siècle av. J.-C. en Anatolie avant même la conquête d’Alexandre le Grand. Dans les royaumes périphériques au monde hellénistique (Cappadoce, Pont, Commagène, Parthie), les souverains cherchent fréquemment à prouver leur philhellénisme et communiquent, au moins avec leurs sujets hellénisés, en grec. Certaines langues anatoliennes disparaissent, du moins dans les documents écrits. Ainsi le grec devient progressivement la langue de communication politique, administrative, diplomatique et culturelle, mais en concurrence avec l'araméen[18].

Représentation d'un Bouddha, exemple de l'art gréco-bouddhique du Gandhara, IIe-Ier siècle av. J.-C., musée Guimet.

Il arrive même à se maintenir pendant un certain temps là où la domination politique du monde hellénistique n’est plus qu'un souvenir. Ainsi en est-il du nord-ouest de l’Inde ou de l’Asie centrale. Sur le site d’Aï Khanoum sur l’Oxus (Amou Daria) en Bactriane, on a retrouvé les restes d’une trésorerie royale, d’archives rédigées en grec. Autre exemple révélateur à Alexandrie d’Arachosie où vit une population fortement cosmopolite et qui tombe à la fin du IVe siècle av. J.-C. sous la domination de la dynastie des Mauryas, premiers unificateurs de l’Inde. Le plus célèbre des souverains de cette dynastie, Açoka, fait graver ses édits dans l’ensemble de son empire. Plusieurs de ceux-ci sont retrouvés à Alexandrie d’Arachosie en araméen mais surtout en grec, dont l’un où l’empereur expose ses principes bouddhiques[19].

Si l’adaptation des édits d'Ashoka s'adresse aux Grecs qui vivent dans son royaume, d’autres textes traduits en grec sont destinés à des non-Grecs. Ainsi en est-il de la Torah, connue aussi sous le vocable de « Bible des Septante » car attribuée à 70 traducteurs, qui est traduite de l’hébreu en grec vers le IIIe siècle av. J.-C., initiative attribuée à Ptolémée II[20], qui souhaitait que les tribunaux possèdent un code en grec pour rendre la justice aux Juifs de ses États selon leur Loi. Le fait que la Torah soit lue en grec dans les synagogues est un excellent indice de la pénétration de cette langue chez les Juifs de la diaspora.

À l’époque classique, la langue grecque était divisée en de nombreux dialectes souvent constitutifs de l’identité d’une région (béotien, ionien, arcadien, etc.) mais lors de la période hellénistique, celle qui s'est imposée de la Méditerranée à l’Indus est la koinè issue de l’ionien-attique. Les anciens dialectes perdurent cependant en Grèce, y compris sur les documents officiels mais partout ailleurs s'impose la koinè. C’est dans cette langue que sont rédigées les œuvres des auteurs, d’origine grecque ou non, de la période hellénistique. Le grec dit « classique » est en fait une création de l’époque hellénistique fondée sur l’héritage athénien de l’époque classique.

La mixité des cultures

Sarapis coiffé du modius. Copie du buste de Bryaxis pour le Sérapéion d’Alexandrie. Musée Pio-Clementino.
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Si la langue grecque en Asie et en Égypte s'impose, les Grecs ont été perméables à certains aspects des cultures souvent multiséculaires des pays qu'ils ont gouverné[21].

Les influences orientales n’ont été profondes que dans le domaine religieux[22]. Nous en avons une preuve relative à l’Égypte, dont la civilisation est prestigieuse même aux yeux des Grecs. Les cultes égyptiens se répandent autour du bassin méditerranéen lors de cette période. Le culte d’Isis au Ier siècle av. J.-C. est attesté en Phénicie, en Asie Mineure, en Grèce, en Cyrénaïque et en Sicile ainsi qu'à Rome. En 70 ap. J.-C., il atteint la Gaule et la Bétique[23]. Cette diffusion de cultes orientaux, du moins le plus souvent d’adaptations grecques de divinités orientales (Sarapis par exemple qui est le dieu Oser-Api des Égyptiens), s'effectue par des Grecs originaires d’Égypte ou des Égyptiens installés autour du bassin méditerranéen.

Il ne semble pas, par contre, que les Égyptiens aient été sensibles à l’attrait du mode de vie des Hellènes. Certes, les élites égyptiennes, principalement sacerdotales, outre l’apprentissage de la langue, prennent le plus souvent un nom grec et s'imprègnent des pratiques grecques de gouvernement. Elles participent parfois aux cultes grecs, à celui des souverains tout du moins. Mais la masse de la population reste hermétique à la religion et à la culture hellénique. Les Lagides respectent les privilèges des temples et les cultes autochtones et deviennent ainsi, aux yeux de leurs sujets, des souverains ayant adopté le modèle pharaonique de la monarchie. En fait, il semble que nombre de Grecs vivant en Égypte adoptent certains cultes égyptiens, certaines pratiques funéraires. Les mariages mixtes ne sont pas un phénomène exceptionnel (sauf dans la dynastie royale) et nombre de personnes portent un double nom, égyptien et grec. Citons par exemple, un officier d’Edfou, au IIe siècle av. J.-C., connu sous le nom d’Apollonios dans les textes grecs et sous celui de Pashou sur les stèles hiéroglyphiques[21]. Dans un pays où l’identité ethnique est complexe à établir, et se trouve souvent déterminée par la langue, la double culture est assez répandue, en tout cas à l’intérieur des classes dirigeantes. Les tribunaux de droit égyptien et de droit grec cohabitent, l’appel à l’un ou l’autre ne se faisant qu'en fonction de la langue du contrat litigieux (commercial, matrimonial, etc.). De façon globale, l’identité résulte surtout de la façon dont un individu se comporte, de ses pratiques religieuses, politiques, culturelles et de la manière dont il est perçu : est Grec celui qui est considéré ainsi par les Grecs. Les Juifs d’Égypte, qui parlent le grec, sont assimilés aux Hellènes.

En ce qui concerne la Phénicie, la Syrie, la Mésopotamie et l’Asie centrale, nos connaissances sont plus sommaires. Si un certain nombre de langues indigènes disparaissent, en tout cas des textes écrits, l’araméen reste très vivace. De plus, les Séleucides dans l’ensemble respectent les religions locales (si l’on excepte l’épisode entre Antiochos IV et les Juifs de Judée qui aboutit à la révolte des Maccabées) et les concepts politiques autochtones (de la monarchie en Mésopotamie par exemple). Il est probable, comme le montre l’exemple d’Aï Khanoum en Bactriane, que les villes témoignent d’une culture mixte et que coexistent des éléments grecs et orientaux, notamment dans les domaines religieux et architecturaux. En Judée, nous savons les tensions que provoquent l’hellénisation d’une partie de la population et la réaction engendrée au IIe siècle av. J.-C. sous les Hasmonéens.

Éros représenté à la façon d’Harpocrate, figurine en terre cuite de Myrina, début du Ier siècle av. J.-C., musée du Louvre.

C’est en Syrie et en Phénicie que l’hellénisation est la plus forte ainsi qu'en Asie Mineure. Le mode de vie à la grecque se répand de façon très large avec le développement des cités. La vieille rivalité commerciale entre Grecs et Phéniciens n’a pas disparu mais l’hégémonisme politique et culturel hellène est tel que certains Phéniciens envoient leurs enfants comme éphèbes à Athènes, participent à des concours en Grèce même. Cela signifie qu'ils sont donc considérés comme Grecs. De nombreux Phéniciens de culture grecque, ou Grecs installés à Sidon, n’hésitent pas à rappeler les parentés mythiques entre Sidon, Argos et Thèbes. En Syrie, la construction de la grande métropole des Séleucides, Antioche, renforce considérablement l’hellénisation de cette région, laquelle reste le dernier bastion de la dynastie aux débuts Ier siècle av. J.-C.

En Anatolie, le développement du nombre de cités, né en Carie et en Lycie au IVe siècle av. J.-C., touche toute la partie occidentale et méridionale sans réellement atteindre l’intérieur de la péninsule Anatolienne. Des populations non grecques demandent, souvent spontanément, à des souverains l’autorisation de vivre en cité. Cela suppose, avec la maîtrise de la langue, une habitude des mœurs politiques et de l’éducation grecque (d’où l’édification de nombreux gymnases). Cependant, si les cités d’Anatolie se couvrent de temples, d’agoras et de théâtres, il ne faut pas croire à la disparition des traditions et cultes indigènes. C’est d’ailleurs la même chose en Phénicie. Ainsi nous connaissons le cas d’un habitant de Sidon, appelé Diotimos (fils de Dionysos), vainqueur en Grèce des concours d’Argos, et portant le titre de « juge », c’est-à-dire sophet dans la langue phénicienne[21]. Derrière le vernis grec subsistent des fonctions, des usages locaux.

Il est en fait difficile de généraliser sur la réalité et la profondeur de l’hellénisation et des échanges culturels. Les situations sont variées selon les royaumes, les provinces et même selon les individus. Très souvent, de fortes poches hellénisées (surtout des villes) côtoient des zones où le phénomène reste superficiel. La grande diversité dans les sources disponibles, et leur hétérogénéité, oblige à beaucoup de prudence lorsqu'on parle d’hellénisation mais aussi d’acculturation des peuples dominés par la civilisation gréco-macédonienne. Il n’en demeure pas moins que la culture dominante est la culture grecque et que cet aspect va durer bien au-delà de la conquête romaine.

Circulation des idées et des hommes

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La période hellénistique correspond à un accroissement des échanges humains et commerciaux sur une échelle sans doute inégalée dans cette région du monde. Cela concerne d’abord les soldats qui se déplacent sur des milliers de kilomètres. Cette époque correspond aussi à un fort développement du mercenariat. Ainsi les habitants de Sagalassos, en Pisidie, fournissent pendant longtemps des mercenaires réputés, surtout aux Lagides. Les artistes aussi se déplacent sur de longues distances, tout comme les philosophes (par exemple Cléarque de Soles, un élève d'Aristote), dont la présence est attestée à Aï Khanoum, voire peut-être jusqu'en Inde. Les échanges entre cités, déjà réguliers lors de l'époque classique, sont plus nombreux. Les enfants des familles de notables sont fréquemment envoyés dans de grandes cités (Athènes, Delphes, etc.) pour y poursuivre un enseignement réputé en rhétorique, laquelle est indispensable pour entamer une carrière politique ou diplomatique. Ainsi, le personnage de Moschiôn, citoyen de Priène, représente sa cité aux concours organisés dans les villes situées à proximité puis devient ambassadeur auprès des Séleucides, puis en Égypte et enfin à Rome. Il semble être allé jusqu'à Pétra en Arabie[21]. Des carrières identiques à celle-ci sont nombreuses et n’ont rien d’exceptionnel. Ces ambassades sont motivées par des considérations politiques bien sûr, mais aussi économiques (obtenir par exemple des exemptions ou des allègements de taxes), religieuses et culturelles (concours).

Ces échanges concernent aussi les médecins, les artistes ou parfois des magistrats. En effet, certaines cités préfèrent confier leurs procès à des citoyens d’autres cités, jugés plus impartiaux et moins soumis aux pressions. Cette habitude a sans doute pu permettre un rapprochement des pratiques juridiques entre les cités. Quels que soient les motifs de la présence d'un Grec dans une cité autre que la sienne, en cas de succès la ville d’accueil honore par un décret cette présence. Ces décrets sont aussi transmis à la cité d’origine par une ambassade, ce qui resserre encore plus les liens. Souvent ces relations diplomatiques sont renforcées par une parenté mythique. Chaque cité prétendant descendre d’un héros mythologique il est relativement facile, du fait de la complexité de la mythologie grecque et de l’extrême diversité des légendes et des traditions, de trouver des ancêtres communs. Ainsi, quand la modeste cité de Kyténion (en Doride) envoie une ambassade à la principale cité de Lycie, Xanthe, elle prend soin de démontrer une parenté commune (Apollon serait né à Xanthos et se trouve être l’ancêtre mythique des Kyténiens)[21]. Ces pratiques courantes sont prises très au sérieux à une époque où le mythe ne se dégage guère de l’Histoire et où il est primordial de montrer que l’on descend de héros homériques. Le geste d'Alexandre le Grand qui, à peine arrivé en Asie, rend hommage à Achille et Patrocle, est révélateur de cet état d'esprit. Cela démontre l'existence d’une communauté de pratiques et de valeurs. Les divisions politiques du monde hellénistique sont ainsi partiellement contrebalancées par cette circulation des hommes et des pratiques culturelles et sociales.

Les économies hellénistiques

Octodrachme d'or à l'effigie d'Arsinoé II Philadelphe, sœur et épouse de Ptolémée II.

Dans le domaine économique, la période hellénistique se distingue par une forte extension de l’utilisation de la monnaie, essentiellement de la monnaie d’argent pour les échanges importants[24] et de bronze pour les achats quotidiens de faible valeur à l'échelle locale[25]. La plupart des diadoques, en effet, reprennent la monnaie d’argent mise en place par Alexandre (une monnaie d’argent reprenant le poids des monnaies athéniennes) et en font l’étalon monétaire du monde hellénistique. Ainsi, chaque souverain frappe sa monnaie mais elles possèdent toutes un poids identique et circulent assez aisément d’un territoire à l’autre sans qu'il y ait la contrainte d’un change. Cette ouverture facilite les échanges économiques entre les États. Cependant, cet indéniable développement de l'étalon attique et le processus d'unification monétaire qu'il permet doit être relativisé. Ainsi, la puissante cité commerciale qu'est Rhodes conserve son propre étalon (étalon « chiote »)[24]. Les Lagides et les Attalides au IIe siècle av. J.-C. exigent pour leur part sur leur territoire l’usage exclusif de leur monnaie. Le change leur permet de faire d’importants bénéfices car leur monnaie est échangée à égalité (une pièce d’argent contre une pièce d’argent) alors qu'elle est d’un poids inférieur à l’étalon international de l’époque[26].

Le commerce international connaît quelques évolutions importantes. Ainsi, si les produits échangés n’évoluent guère (esclaves, blé, vin, huile)[27], les distances augmentent considérablement avec la nécessité d’approvisionner les communautés grecques, ou hellénisées, dispersées jusqu'aux portes de l’Inde. L’Égypte ainsi importe du vin de Gaza, Chios, Thasos ou Cnide avant d’ailleurs de développer sa propre viticulture. Il faut transporter de l’huile d’olive jusqu'en Asie centrale, qui n’en produit pas, car elle est indispensable pour le gymnase.

Les centres principaux du commerce hellénistique se modifient considérablement[28]. Alexandrie est ainsi un énorme entrepôt pour les productions et l’artisanat égyptien, mais aussi la porte d’entrée pour les autres états du marché égyptien. Elle sert ainsi d’interface entre l’Égypte et le monde méditerranéen. Jusqu'en , Rhodes est le principal port du commerce égéen et un important centre de redistribution du blé. Totalement indépendante politiquement, Rhodes n’hésite pas à défendre par les armes la liberté de commerce et de circulation maritime. Elle lutte ainsi contre la piraterie et, en , déclenche même un conflit avec Byzance[29]. C’est pour punir Rhodes de sa neutralité dans son conflit contre la Macédoine que Rome fait de Délos un port franc. Délos devient ainsi le principal centre de redistribution du commerce égéen et le principal marché aux esclaves de la région jusqu'à sa destruction par Mithridate en La Grèce continentale, après une brève renaissance dans les années qui suivent la conquête d’Alexandre, connaît une grave crise économique à l’exception du monde égéen. Les divers royaumes hellénistiques fabriquent eux-mêmes leurs produits nécessaires. La Grèce conserve d’importants besoins en céréales, dont les prix ne cessent de grimper après une baisse au début du IIIe siècle, et n’exporte guère que du vin et de l’huile, dont les prix restent stables, et des produits de luxe qui assurent le maintien de l’artisanat en particulier à Athènes et Corinthe. Il s'ensuit une paupérisation croissante de la population (les salaires diminuent en Grèce tout au long de la période) accentuée par l’essor de l’esclavage du fait des guerres incessantes. Pour beaucoup d’hommes libres, il est difficile de trouver du travail. La seule solution est alors le mercenariat[30].

La réalité de ce commerce international nous échappe, faute de documents, en ce qui concerne le golfe Persique, la mer Rouge ou l’Asie centrale. De même, il est impossible d’en mesurer l’ampleur réelle et les volumes. Les historiens contemporains ont tendance à minorer le grand commerce international et à insister sur la fragmentation des marchés (Délos commerce ainsi essentiellement avec le reste de la mer Égée et relativement peu avec l’Orient méditerranéen) et sur l’importance du commerce régional. En résumé, il est difficile d’appréhender la réalité de ces échanges. Il est plausible d’affirmer qu'ils ont progressé mais que la majeure partie reste cantonnée à une échelle locale. Par contre, les pratiques commerciales identiques (utilisation de la monnaie d’argent, types de contrats commerciaux, etc.) renforcent dans ce monde hellénistique une identité commune[31].

Culture et vie intellectuelle

L’art hellénistique

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La Victoire de Samothrace, vers 200-185 av. J.-C., musée du Louvre.

Souvent dédaigné par rapport à l’époque classique, l’art hellénistique est pourtant d’une richesse de mieux en mieux appréhendée de nos jours. La multiplication des royaumes hellénistiques, et du mécénat afférent, permet la diffusion de pratiques et de techniques artistiques dans les domaines de l’architecture, avec souvent des proportions tirant vers le gigantisme, de la sculpture ou encore de la peinture murale.

L’innovation artistique n’est désormais plus le fait de la Grèce continentale : c’est ainsi à Pergame que naît le « baroque hellénistique », caractérisé par la violence des expressions et des mouvements représentés, dont les groupes de Gaulois ou encore le Grand Autel sont les meilleures illustrations. Des découvertes archéologiques récentes ont mis au jour des chefs-d'œuvre de peinture murale ou de toreutique à Vergina (ancienne Aigéai) en Macédoine, ou encore à Panagyurichté, en Bulgarie.

La période est également marquée par la disparition de la peinture sur vase et par l’essor des arts dits « mineurs » : travail des métaux, de l’ivoire ou encore du verre, mosaïque, etc. La figurine en terre cuite s'émancipe du cadre religieux pour prendre son autonomie : elle représente un témoignage majeur sur la vie quotidienne de l’époque mais aussi, avec les « grotesques » de Smyrne ou d’Alexandrie, une remise en cause de la « beauté grecque » classique.

La fin du monde hellénistique

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La disparition du royaume lagide d’Égypte en , avec le suicide de sa dernière souveraine Cléopâtre, marque l’achèvement de la conquête par Rome du monde méditerranéen et clôt la période hellénistique. Les Romains ont l’habileté de récupérer et d’utiliser à leur profit l’héritage hellénistique. Ainsi, le modèle de la cité continue son évolution, même si l’indépendance politique n’est plus possible, tandis que la langue grecque reste la langue dominante dans la partie orientale de l’Empire et cela jusqu'à l'émergence du monde musulman et de l'arabe. La culture grecque quant à elle imprègne les élites romaines à tel point qu'une culture commune, issue du monde hellénistique avec des apports romains, s'impose dans l’Empire. Il n’en est pas de même au-delà des limites orientales de l’Empire romain. En effet, la conquête par les Parthes de la Mésopotamie au Ier siècle av. J.-C., l’effondrement des royaumes grecs de Bactriane mettent fin à la domination politique, culturelle et économique du monde grec. Si l’héritage hellénistique perdure dans l’art, il ne s'agit plus que d’un aspect composite dans une culture où les éléments asiatiques et indiens redeviennent prépondérants.

Royaumes et dynasties appartenant à la civilisation hellénistique

Notes et références

  1. Briant 1994, p. 9-16
  2. Briant 1994, p. 17-18
  3. Briant 1994, p. 98-99
  4. Briant 1994, p. 104-112
  5. Will 2003, p. 80.
  6. Will 2003, p. 85-95
  7. François Lefèvre, Histoire du monde grec antique, Le livre de poche, coll. « Références-Inédit Histoire », 2007, p. 366.
  8. François Lefèvre, Histoire du monde grec antique, Le livre de poche, coll. « Références-Inédit Histoire », 2007, p. 375.
  9. Marcel Le Glay, Yann Le Bohec et Jean-Louis Voisin, Histoire romaine, PUF, collection Quadrige, 1991, édition de 2005, p. 99.
  10. Jean Delorme, Le Monde hellénistique, SEDES, coll. « Regards sur l'Histoire », 1975. [réf. incomplète]
  11. Inscription de Névahend (Iran) et d'Eriza (Turquie), citée par L. Robert, Inscriptions séleucides de Phrygie et d'Iran, 1949, p. 5-22.
  12. Flavius Josèphe, Antiquités Judaïque, XII, 138-144.
  13. Extrait de papyrus connu sous le nom de Revenue Laws. Delorme 1975, p. 381-386.
  14. Plutarque, Moralia, « Si la politique est l’affaire des vieillards », 11.
  15. Polybe, Histoires [détail des éditions] [lire en ligne], V, 41-56.
  16. Polybe le traite de « vieille pratique à l’esprit retors » (XV, 25).
  17. Grâce à une diplomatie habile et en utilisant leur prestige, les Athéniens ont pu embellir leur cité durant l’époque hellénistique.
  18. Paul Petit, La Civilisation hellénistique, PUF, collection Que sais-je?, 1981, p. 21.
  19. M. Clair, Comptes rendus des séances de l’Académie des inscriptions et Belles Lettres, 1964, p. 140-141.
  20. Maurice Sartre, D’Alexandre à Zénobie. Histoire du Levant antique, Fayard, 2001. [réf. nécessaire].
  21. Fröhlich 2004, p. 9-14.
  22. Édouard Will, Mossé et Goukowsky 1975, p. 568.
  23. Laurent Bricault, Atlas de la diffusion des cultes isiaques. Mémoires de l’Académie des Belles Lettres, De Boccard, 2001.
  24. Will, Mossé, Goukowski 1975, p. 549.
  25. Pierre Cabanes, Le Monde hellénistique, Seuil, 1995, p.89.
  26. Will, Mossé, Goukowski 1975, p. 550.
  27. Will, Mossé, Goukowski 1975, p. 537.
  28. Will, Mossé, Goukowski 1975, p. 538.
  29. Will, Mossé, Goukowski 1975, p. 540-542.
  30. Pierre Lévêque, Le Monde hellénistique, Armand Colin, coll. « U2 », 1969, p. 21-22.
  31. Paul Petit, opus cité, p.21.

Annexes

Bibliographie

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Articles connexes

Liens externes

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