Guy-André Kieffer

Guy-André Kieffer est un journaliste franco-canadien, né le à Marseille (France)[1]. Il est enlevé le à Abidjan, capitale économique de la Côte d'Ivoire, dans des circonstances qui n'ont pas été totalement élucidées[2].

Pour les articles homonymes, voir Kieffer.

Biographie

Débuts au Canada

Guy-André Kieffer est l’aîné d’une fratrie de trois garçons issu d’une famille bourgeoise alsacienne, avec un père ingénieur dans le nucléaire et une mère au foyer. Dans les années 1970, il part au Québec et y devient attaché parlementaire d’un député canadien[3]. Il se marie, a un enfant et acquiert la double nationalité franco-canadienne puis divorce à deux reprises. Il revient en France pour passer son diplôme de journaliste, retourne au Canada où il rencontre sa future épouse, Osange Silou-Kieffer, journaliste guadeloupéenne, en 1979 à Ottawa[4], celle-ci le décrivant comme « plutôt trotskiste et idéaliste »[5].

Journalisme

Journaliste économique, il travaille d'abord à Libération. Il rejoint ensuite, dès sa création en 1984, le quotidien La Tribune, créé par quatre journalistes économiques du quotidien Le Monde. Il y reste dix-huit ans. Guy-André Kieffer s'intéresse au monde des affaires dans le domaine des matières premières[6], et l'un des animateurs du Cercle Cyclope, qui réunit des journalistes, économistes, et professionnels des matières premières.

Il est, jusqu'à sa disparition, le principal rédacteur des bulletins mensuels de Cyclope et du rapport annuel[7] Cyclope du même nom, dans le domaine des matières premières[8], sous la direction de l'économiste Philippe Chalmin.

Par ailleurs délégué syndical CGT pour la rédaction de La Tribune[9],[10].

Enquête en Côte d'Ivoire

En 2002, il part pour la Côte d'Ivoire, où le président Laurent Gbagbo lui commande un audit sur la filière cacao. Cet audit met rapidement en lumière des malversations. Un rapport de l'Union européenne sur « l'argent du cacao »[11], publié fin 2005, fait également état de malversations.

Il élargit le champ de ses investigations au financement des ventes d'armes en Côte d'Ivoire, des groupes rebelles du Liberia, de la Banque nationale d'investissement et du paiement des salaires des fonctionnaires de Guinée-Bissau par la Côte d'Ivoire. Il publie de nombreux articles critiques concernant l'économie de la Côte d'Ivoire, dans la presse ivoirienne (sous différents pseudonymes) et dans La Lettre du Continent, publiée en France[12].

Enlèvement

Au moment de sa disparition, Guy-André Kieffer est correspondant de La Lettre du Continent, lettre confidentielle consacrée à l'Afrique, spécialisé dans les matières premières, notamment le cacao, ainsi que les affaires économiques et financières. En plusieurs occasions, après des articles gênants, il avait été la cible de sérieuses attaques dans la presse proche du pouvoir du président Gbagbo.

D'après l'enquête menée en France par le juge Patrick Ramaël[13], il a été enlevé par un commando proche de la présidence ivoirienne, composé de membres des services de renseignement[14]. Elle indique également qu'il a été victime d'un piège tendu par Michel Legré, beau-frère de Simone Gbagbo, qui lui a donné rendez-vous sur le parking d'un supermarché où l'enlèvement a eu lieu[14]. Le , la voiture de Kieffer est retrouvée sur le parking de l’aéroport d’Abidjan. Legré est incarcéré quelque temps à la prison d'Abidjan avant d'être relâché, et n'accepte pas, par la suite, d'être interrogé en France[14]. Une enquête est menée sur une affaire parallèle, le rapt de Xavier Ghelber, un avocat parisien en mission d'audit sur la filière cacao pour le compte de l'Union européenne, brièvement enlevé par des hommes en armes le à l'hôtel Ivoire d'Abidjan[15].

Le , un capitaine de l’armée ivoirienne (officier des services spéciaux), Jean-Tony Oulaï, est arrêté en banlieue parisienne. D'anciens militaires ivoiriens, Germain Bahagbe Daye et Sylvain Kouya Kane, l'accusent d'avoir été le chef du commando qui a kidnappé et fait disparaître Guy-André Kieffer. Le , Oulaï est mis en examen par le juge Ramaël et écroué. Mais après avoir été arrêté par la police ivoirienne, les deux hommes se rétractent, si bien que l'enquête est bloquée à ce niveau[16].

Le , le journaliste de France 3 Joseph Tual diffuse un reportage consacré au dossier. Un témoin à visage découvert, Berté Seydou, Ivoirien vivant en France, affirme avoir été le chauffeur de Jean-Tony Oulaï, chef du commando qui a enlevé Guy-André Kieffer et dit avoir assisté à son assassinat, sur ordre de Simone Gbagbo. Le , la justice ivoirienne lance un mandat d’arrêt international contre Berté Seydou[17].

Un documentaire intitulé « Guy-André Kieffer : un journaliste qui dérangeait » est réalisé par Bernard Nicolas et diffusé sur Canal + dans le cadre de Jeudi investigation fin . Sa chute, reprise sur France 24 par Ulysse Gosset, a prêté à polémique auprès de sa famille et de ses proches[18], le président Laurent Gbagbo ayant en substance déclaré que, en temps de guerre, la mort d'un homme n'était qu'un « détail ».

Le , un squelette est découvert dans l'ouest de la Côte d'Ivoire dans la région d'Issia, annoncé comme pouvant être celui de Guy-André Kieffer ; cependant des tests ADN montrent qu'il ne s'agit pas de son corps[19].

Le , Gnénéma Coulibaly, le ministre de la justice, des libertés publiques et de la promotion des droits de l'homme, annonce la reprise de l'enquête et la volonté de la mener jusqu'à son terme[20].

Le , la famille de Guy-André Kieffer organise une marche en sa mémoire[21].

En , le journal Le Monde déplore l'absence de mobilisation ainsi que la non-réaction de la justice face à sa disparition quinze ans après, l'association Reporters sans frontières continuant seule à chercher la vérité à ce jour[22],[23]. L'enquête est néanmoins relancée en à la grande satisfaction de l'entourage de Guy-André Kieffer[24].

Réactions

La disparition de Guy-André Kieffer a suscité de nombreuses réactions en Côte d'Ivoire et en France. Lucien Tapé Doh, président de l'association des agriculteurs de Côte d'Ivoire et responsable de l'Anaproci (Association nationale des producteurs de café-cacao) s'est dit « consterné par sa disparition », lors d'une conférence de presse organisée peu après, en ajoutant : « Kieffer m'a toujours dit : il faut que les paysans gagnent ce qu'ils produisent. C'est un monsieur qui défend nos intérêts et nous oriente »[25].

Notes et références

  1. Webcentric SARL, « Vérité pour Guy-André Kieffer » (consulté le ).
  2. Cébon, « Affaire Guy-André Kieffer: … ».
  3. Bernard Kieffer, Le frère perdu, éditions La Découverte, , p. 31.
  4. Selon le quotidien Libération du .
  5. Olivier Bertrand, « Portrait : Femme en quête », Libération, (consulté le ).
  6. « Un an après l’enlèvement de Guy-André Kieffer, l’enquête est au point mort », Reporters sans frontières (consulté le ).
  7. Perrine Créquy, « Le cercle CyclOpe, optimistesur les cours du sucre », Le Figaro, (lire en ligne).
  8. « Rapport Cyclope », Le Monde diplomatique, (consulté le ).
  9. Sa qualité de délégué syndical CGT-SNJ est rapportée par International / Monde / Dans l'actualité, L'Humanité, .
  10. CGT, Otages en Irak, .
  11. Sid Amri et Alain Gourdon, Étude diagnostic des organisations et des procédures de la filière café-cacao de Côte d’Ivoire, cabinet ECO, Bruxelles, cabinet BAA, Barcelone, 2006, cité par exemple par Tempête sur le cacao de Côte d’Ivoire. Le Monde diplomatique, juillet 2006. Le rapport aurait par la suite été refusé par la Commission européenne, selon L'Expansion, parce qu'il ne « répondait pas à ce qui avait été demandé ». Voir Gbagbo accusé de détourner l'argent du cacao ivoirien, L'Expansion, .
  12. Côte d’Ivoire Le pays de la peur. Le Nouvel observateur, no 2060, semaine du jeudi  : « Guy-André Kieffer n’a jamais cessé d’enquêter pour la « Lettre du continent », ou de dénoncer sous pseudonyme dans la presse locale les malversations les plus graves. ».
  13. Il y a 4 ans disparaissait le journaliste Guy-André Kieffer, RFI, .
  14. David Servenay, Le journaliste Guy-André Kieffer disparu depuis quatre ans, Rue89, .
  15. AFP, « Affaire Guy-André Kieffer: nouvelle mission d'un juge français à Abidjan », L'Express, .
  16. Bernard Kieffer, Le frère perdu, éditions La Découverte, , p. 147.
  17. Bernard Kieffer, Le frère perdu, éditions La Découverte, , p. 161.
  18. La famille Kieffer réagit aux propos du président ivoirien sur France 24 / Communiqué de la famille de Guy-André Kieffer. Agence panafricaine de presse, , abidjan.net (consulté le ).
  19. AFP, Le squelette exhumé en Côte d'Ivoire n'est pas celui du journaliste Kieffer, 20 Minutes, .
  20. Baudelaire Mieu, « Côte d'Ivoire : la justice va reprendre les auditions dans l'affaire Guy-André Kieffer », Jeune Afrique, (lire en ligne, consulté le ).
  21. Jérémy Felkowski, « Guy-André Kieffer... et la force d'aimer », sur Le Zéphyr, (consulté le ).
  22. Thomas Hofnung, « Côte d’Ivoire : la deuxième mort de Guy-André Kieffer, journaliste « trop curieux » », Le Monde, (lire en ligne).
  23. « Disparition de Guy-André Kieffer : “L'enquête doit être réactivée et les promesses être honorées” (RSF) / Reporters sans frontières », sur RSF, (consulté le ).
  24. « Affaire Kieffer en Côte d’Ivoire : l’enquête relancée par la justice française », Jeune Afrique, (lire en ligne, consulté le ).
  25. « Les planteurs ivoiriens de cacao très inquiets de la disparition de Guy-André Kieffer », AFP, .

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • Bernard Kieffer, Le Frère perdu, avec Benoît Collombat (collaborateur et préfacier), collection Cahiers Libres, éditions La Découverte, 220 p., .
  • Patrick Ramaël, Hors procédure, collection Documents, Actualités, Société, éditions Calmann-Lévy, 272 p., .

Émissions radiophoniques

Liens externes

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