Grande Jacquerie

La Grande Jacquerie est un soulèvement de paysans survenu en 1358 dans les campagnes d'Île-de-France, de Picardie, de Champagne, d'Artois et de Normandie, lors de la guerre de Cent Ans dans un contexte de crise politique, militaire et sociale. Cette révolte tire son nom de Jacques Bonhomme, figure anonyme du vilain, puis sobriquet désignant le paysan français, probablement du fait du port de vestes courtes, dites jacques. Elle eut pour chef un dénommé Guillaume Carle, aussi nommé Jacques Bonhomme[1].

La Jacquerie à Meaux
Informations générales
Date 28 mai au
Lieu Nord de la France
Issue Renforcement du pouvoir royal, fin des états généraux de 1351.
Belligérants
Réformistes
*Bourgeoisie parisienne
*Royaume de Navarre
*Jacquerie
Soutien:
Royaume d'Angleterre
Royaume de France
Commandants
Étienne Marcel
Gaston III
Jean de Grailly
Charles le Mauvais
Guillaume Carle
Jean II le Bon
Charles V
Pertes
Des milliers

Cette révolte est à l'origine du terme « jacquerie » repris pour désigner toutes sortes de soulèvements populaires. C'est sous la plume du chroniqueur Nicole Gilles, mort en 1503, contrôleur du Trésor royal sous Charles VIII de France, que l'on trouve ce terme dans Les chroniques et annales de la France parues dès 1492.

Ses causes sont multiples, mais peu évidentes. Ainsi, l'impopularité de la noblesse en est une (après la défaite de Poitiers). La simultanéité des révoltes autour de Paris en mai-juin 1358, le mouvement insurrectionnel d'Étienne Marcel et les mouvements qui agitent les villes de Flandres interdisent de les traiter comme des phénomènes isolés[réf. nécessaire][2].

L'événement

Gaston Fébus et Jean de Grailly chargent les Jacques et les Parisiens qui tentent de prendre la forteresse du marché de Meaux où est retranchée la famille du Dauphin ().
Enluminure ornant les Chroniques de Jean Froissart, XVe siècle.

La Grande Jacquerie éclate à la fin du mois de mai 1358, peut-être le 23[3] ou le 28, à la frontière entre l'Île-de-France et le Clermontois et plus particulièrement dans un petit village appelé Saint-Leu-d'Esserent[4],[5]. La principale troupe paysanne est écrasée les 9 et près de Mello par l'armée de nobles rassemblée par Charles le Mauvais, roi de Navarre.

Les origines immédiates de cette révolte sont mal connues mais semblent résulter d'échauffourées survenues entre des hommes d'armes et des paysans. De façon plus générale, cette révolte s'inscrit dans le contexte difficile de la guerre de Cent Ans, assombri depuis 1348 par la peste noire. La noblesse, après les défaites de Crécy en 1346 et de Poitiers en 1356, est déconsidérée. Le roi Jean II Le Bon est prisonnier des Anglais, menés par Edouard III, et le Royaume connaît une grave crise politique. Les grandes compagnies, lorsqu'elles ne guerroient pas pour l'un ou l'autre des partis, pillent les villages et rançonnent les villes. Au-delà, la pression fiscale, due au versement de la rançon du roi, la mévente des productions agricoles placent les paysans dans une situation intolérable qu'aggravent les exigences des seigneurs qui cherchent à compenser l'effondrement de leurs revenus. Étienne Marcel, prévôt des marchands de Paris en lutte contre le pouvoir royal, entretient sciemment l'agitation, offrant même l'alliance de la capitale aux Jacques avant de changer de camp et de s'allier aux nobles rassemblés par Charles de Navarre.

Quelle que puisse être l'étincelle qui déclenche la révolte, celle-ci est tout de suite décrite avec horreur sous le terme d'« effrois » et enflamme, de proche en proche, la moitié nord du pays. Les chroniques du temps dressent un catalogue des violences antinobiliaires qui se déchaînent alors sur le pays.

Ainsi, le chroniqueur Jean Froissart, dépeint, sous le terme de cruautés des « Jacques Bonhommes », un tableau pour le moins sinistre des méfaits de ceux qu'il qualifie de « chiens enragés ». Ce récit est ponctué de faits qui veulent souligner l'animalité des émeutiers :

« Ils déclarèrent que tous les nobles du royaume de France, chevaliers et écuyers, haïssaient et trahissaient le royaume, et que cela serait grands biens que tous les détruisent. […] Lors se recueillirent et s'en allèrent sans autre conseil et sans nulle armure, seulement armés des bâtons ferrés et de couteaux, en premier à la maison d'un chevalier qui près de là demeurait. Si brisèrent la maison et tuèrent le chevalier, la dame et les enfants, petits et grands, et brûlèrent la maison. […] Ils tuèrent un chevalier et boutèrent en un hâtier et le tournèrent au feu, et le rôtirent devant la dame et ses enfants. »

Le pseudo Jean de Venette, un frère carme d'origine modeste, est plus favorable aux paysans [6] :

« En cette même année 1358, en été, les paysans qui habitaient autour de Saint-Leu-d'Esserent et de Clermont-en-Beauvaisis, voyant les maux et les oppressions qui, de toute part, leur étaient infligés sans que leurs seigneurs les en protègent — au contraire ils s'en prenaient à eux comme s'ils étaient leurs ennemis — se révoltèrent contre les nobles de France et prirent les armes. Ils se regroupèrent en une grande multitude, élurent comme capitaine un paysan fort habile, Guillaume Carle, originaire de Mello. »

De fait, quel que soit l'effroi réel des contemporains, d'autres chroniqueurs se montrent eux aussi moins éloquents sur les atrocités et moins favorables aux nobles que Froissart. Ainsi, Pierre Louvet, dans son Histoire du Beauvoisis, rappelle que « la guerre appelée la Jacquerie du Beauvoisis qui se faisait contre la noblesse du temps du roi Jean, et en son absence, arriva par le mauvais traitement que le peuple recevait de la noblesse » et le cartulaire d'une abbaye de Beauvais souligne que « la sédition cruelle et douloureuse entre le populaire contre les nobles s'éleva aussitôt. »

L'issue de la révolte, une forme de contre-jacquerie, fut marquée par une grande violence qui marqua autant les contemporains que celle commise par les paysans. Après avoir exterminé bon nombre de révoltés, le comte de Foix et le captal de Buch, Jean de Grailly, assiégèrent la ville de Meaux[7] dont quelques quartiers furent incendiés[8]. De son côté, Charles le Mauvais participa à la répression et, le 9 juin lors du carnage de Mello[9], mit fin à la révolte à grands renforts d'atrocités. Le chef des révoltés, Guillaume Carle, ayant reçu l'assurance d'une trêve et d'une rémission, fut entraîné par traîtrise dans le camp des nobles où il fut supplicié et décapité. Cependant, par la suite, une certaine clémence royale se manifesta envers les principaux meneurs sous la forme de « lettres de rémission » qui constituent une autre source pour l'histoire de la Jacquerie.

Interprétations

Les interprétations de cette révolte sont nombreuses et, au-delà de son caractère circonstanciel, elle peut être rattachée à nombre des révoltes et des émotions paysannes médiévales.

Elle a ainsi pu être comparée à la révolte anglaise de 1381, dite révolte des travailleurs d'Angleterre, à l'insurrection des remensas en Catalogne, au mouvement taborite en Bohême ou encore au mouvement hussite. Dans une certaine mesure, la révolte de 1358 fait le lien entre les révoltes paysannes du Moyen Âge central et les mouvements messianiques de l'époque moderne.

Les historiens débattent de son caractère de lutte des classes et, étant donné la présence d'éléments nobles au sein du camp des Jacques, s'interrogent sur l'homogénéité du mouvement. Enfin, au-delà d'un refus de la pression fiscale, la révolte de 1358 peut se lire comme l'expression d'une revendication à la dignité de la part des masses paysannes et d'une perte de légitimité de la noblesse. Clairement, ce sont les nobles et le régime seigneurial en crise qui sont visés tandis que les habitants des petites villes comme Senlis sont plutôt favorables aux Jacques.

La Jacquerie devait profondément marquer les esprits et son nom a été retenu pour désigner toute révolte paysanne.

Notes et références

  1. On trouve aussi Cale, Caillet ou Callet, Karle…
  2. Claude Gauvard, La France au Moyen Âge du Ve siècle au XVe siècle, Mayenne, puf, , 650 p. (ISBN 978-2-13-062149-2), p. 445-452.
  3. Renée Grimaud, 1001 secret d'histoire de France, , 312 p. (ISBN 978-2-8104-1859-6), lire "La grande jacquerie" p.123.
  4. Raymond Cazelles, Société politique, noblesse et couronne sous Jean le Bon et Charles V, Librairie Droz, 1982, p. 321.
  5. Georges Duby, Histoire de la France - Dynasties et révolutions, de 1348 à 1852, Larousse, 1975, p. 16.
  6. Jean de Venette, Chronique dite de Jean de Venette, Paris, Le livre de poche, , 501 p. (ISBN 978-2-253-08877-6).
  7. Gallica, Les chroniques de sire Jean Froissart.
  8. François Tommy Perrens, Étienne Marcel et le gouvernement de la bourgeoisie au quatorzième siècle, Hachette, 1860, p. 259-260.
  9. Marie-Thérèse de Medeiros, Jacques et chroniqueurs: une étude comparée de récits contemporains relatant la Jacquerie de 1358, Honoré Champion, 1979.

Voir aussi

Sources et bibliographie

  • Jean Froissart, Chroniques, publiées avec les variantes des divers manuscrits par Kervyn de Lettenhove, t. VI, réimpression de l'édition de 1867-1877, Osnabrück, 1967.
  • Chronique dite de Jean de Venette, éditée, traduite et présentée par Colette Beaune, Le livre de poche, collection Lettres gothiques, Paris, 2011 (ISBN 978-2-253-08877-6).
  • (en) D.M. Besson, « The Jacquerie: class war or co-opted rebellion ? », dans Journal of Medieval History, no 11, 1985.
  • Pierre Bonnassie, Les Cinquante mots clefs de l'histoire médiévale, Privat, Toulouse, 1981.
  • Raymond Cazelles, « La Jacquerie fut-elle un mouvement paysan ? », dans Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Volume 122, no 3, 1978, p. 654-666 [lire en ligne].
  • (en) Samuel Kline Cohn, Lust for liberty: the politics of social revolt in medieval Europe, 1200 – 1425 ; Italy, France, and Flanders, Harvard University Press, Cambridge, 2006.
  • Siméon Luce, Histoire de la jacquerie réédition Champion Paris 1894 [lire en ligne].
  • Raymond Dufour Les Effrois ou la Jacquerie du Beauvaisis, 1963, Bibliothèque de Travail no 548, ICEM, Grasse.
  • Maurice Dommanget, La Jacquerie, Maspéro, Paris, 1970.
  • Michel Mollat du Jourdin et Philippe Wolff, Ongles bleus, Jacques et Ciompi, les révolutions populaires en Europe aux XIVe et XVe siècles, Paris, Calmann-Lévy, coll. « Les Grandes vagues révolutionnaires », , 333 p. (présentation en ligne).
    Réédition : Michel Mollat du Jourdin et Philippe Wolff, Les révolutions populaires en Europe aux XIVe et XVe siècles, Paris, Flammarion, coll. « Champs » (no 279), , 332 p. (ISBN 2-08-081279-3).
  • Émile Morel, « La jacquerie dans le Beauvaisis, principalement aux environs de Compiègne », dans Cabinet historique de l'Artois et de la Picardie, 1891.
  • Fabrice Mouthon, Les communautés rurales en Europe au Moyen Âge. Une autre histoire politique, Presses universitaires de Renne, Rennes 2014 (ISBN 978-2-7535-2927-4).
  • Pierre Rigault et Patrick Toussaint, La Jacquerie entre mémoire et oubli, 1358-1958-2008, actes du colloque de Clermont, éditions Encrage, (ISBN 978-2-36058-007-1).
    Ce colloque en 2008, a traité de la Jacquerie ainsi que partiellement de l'histoire des révoltes. L'ouvrage comprend des aperçus originaux sur la Jacquerie comme l'analyse des lettres de rémission faite par Ghislain Brunel. L'ouvrage comprend aussi une réédition in extenso de la première version de l'étude de la Jacquerie faite par Maurice Dommanget, publiée en 1958 par le SNI Oise sous le nom Les Effrois.

Articles connexes

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