Grève des mineurs britanniques de 1984-1985

La grève des mineurs britanniques de 1984-1985 est un épisode important de l'histoire de l'industrie britannique, car son déroulement et son aboutissement modifièrent profondément la place des syndicats dans le paysage social et politique en Grande-Bretagne. La grève dura de à . Elle marquait l'opposition de l'Union Nationale des Mineurs (National Union of Mineworkers) au projet de la Commission nationale du charbon (National Coal Board), soutenu par le gouvernement de Margaret Thatcher, de fermer d'abord 20 mines de charbon déficitaires, puis d'autres par la suite.

Manifestation à Londres.

Pour les articles homonymes, voir Grève des mineurs britanniques.

Histoire

Préparation du gouvernement Thatcher

Le parti conservateur de Margaret Thatcher avait prévu cette grève dès 1979, avec l'intention d'abattre le syndicat minier NUM[1] sorti vainqueur des grèves de 1972-1974.

Le charbon produit alors 75 % de l'électricité britannique, et 30 % de la production d'énergie pour l'industrie[2].

Fermer des puits déficitaires était l'objectif du gouvernement, mais l'enjeu fut plus large. Pour Margaret Thatcher, il s'agissait, après avoir défait, selon ses termes, le « socialisme démocratique » dans les urnes, de battre ce qu'elle nomme le « socialisme non démocratique », c'est-à-dire le syndicalisme[3].

Le gouvernement ayant anticipé les difficultés de la réforme du secteur minier avait pris des mesures pour prévenir les conséquences des grèves :

  • en prévision d'une pénurie en charbon, conséquence possible de la grève, le Premier ministre avait ordonné la constitution d'importants stocks, géographiquement proches des centrales électriques utilisant cette source d'énergie[4] ;
  • une loi fut votée obligeant les syndicats à procéder à un vote de leurs adhérents à bulletins secrets pour le lancement d'une grève ;
  • les fermetures furent annoncées en un moment de faible demande de charbon ;
  • un dispositif d'importation de charbon fut mis en place ;
  • des conducteurs non syndiqués furent recrutés pour le transport.

Pour la grève elle-même, le gouvernement avait décidé :

  • de la réduction au maximum de l'emploi du charbon dans les centrales en se servant des ressources d'appoint comme le pétrole ;
  • du recours aux forces policières pour faire respecter la loi, en créant notamment des forces de police anti-émeute[4]. Il s'agissait notamment d'empêcher la formation de piquets de grève (en bloquant par exemple les routes) mais aussi de faire face aux manifestations et d'escorter les non-grévistes vers leur lieu de travail, parfois même en fourgon blindé ; le conflit fera trois morts (deux grévistes, David Jones[5] et Joe Green[6], sur des piquets de grève[7] et un chauffeur de taxi, David Wilkie, tué par des grévistes alors qu'il transportait un non-gréviste[8]) et 20 000 blessés ; 11 300 manifestants ont été arrêtés[réf. nécessaire] et plus de 200 traduits en justice[9];
  • l'interdiction des piquets de grève ou flying pickets[4] ;
  • de limiter les aides sociales aux familles des grévistes ;
  • du vote d'une loi empêchant les travailleurs non-mineurs de soutenir les grévistes mineurs et rendant nul le fait de faire des piquets de grève (non pas en les interdisant mais en obligeant les piquets à « se placer là où ils ne gênent le passage de personne »).

Déclenchement de la grève

Autocollant vendu en Belgique au profit des grévistes.

Le gouvernement sait qu'il vaut mieux que la grève ait lieu au printemps, et qu'elle porte sur la fermeture de puits, sur lesquelles les syndicats de mineurs sont divisés, plutôt que sur les salaires, pour lesquels ils s'accordent[1].

Lorsqu'elle est déclenchée, le [10], la grève de 1984-1985 n'était soutenue que par 40 % des adhérents à l'Union Nationale des Mineurs (National Union of Mineworkers, ou NUM, puissant syndicat britannique), à l'époque moins revendicatifs que les dirigeants, notamment Arthur Scargill. Ce dernier refusait par principe une quelconque fermeture de puits déficitaires, réclamant des investissements publics.

La décision des dirigeants de déclarer la grève sans passer par un vote, la rendant ainsi illégale, s'explique par le fait, qu'au niveau national, la majorité des mineurs ne la souhaitait pas. Pourtant, la fermeture des mines de charbon signifiait la perte de plusieurs dizaines de milliers d'emplois, notamment dans la région du Yorkshire : faire voter les adhérents pour décider du lancement de la grève, alors que 40 % seulement la soutenaient, signifiait le renoncement à la grève et aurait été considéré comme une trahison par les mineurs du Yorkshire.

Le syndicat des mineurs britanniques est alors la plus puissante organisation ouvrière d'Europe ; 80 000 mineurs participent à la grève[11].

Déroulement

La grève connaît de nombreux affrontements entre les grévistes et la police, mais c'est à Orgreave, dans le district métropolitain de Rotherham, qu'ont lieu les combats les plus importants entre des milliers de mineurs et de policiers[4]. On y dénombre plus d'une centaine de blessés[12].

Position

Direction

La direction nationale fut soutenue tout le long du conflit par le gouvernement. Mme Thatcher craignait qu'elle ne décidât un compromis trop avantageux pour le syndicat, qui aurait permis à Scargill d'éviter une défaite totale, voire de proclamer abusivement une victoire. Margaret Thatcher rapportera, dans ses Mémoires, qu'après quelques mois de grève, toutes les négociations devaient être couchées par écrit pour prévenir les intoxications opérées par le syndicat.

Autres syndicats et opposition

Le Parti travailliste reprit de nombreuses revendications des mineurs grévistes mais désapprouva l'extrémisme de Scargill. Le parti essaya sur la fin de sauver la face du syndicat en incitant Mme Thatcher à négocier. Le conflit resta essentiellement circonscrit aux mineurs.

Fin des communautés ouvrières

Indépendamment des aspects politiques ou économiques du démantèlement de l'industrie minière britannique, les protagonistes de cette grève luttaient aussi contre la fin des communautés ouvrières[13]. La grève fut « le chant du cygne du mouvement ouvrier britannique », selon le journaliste Owen Jones[14].

Fin du conflit

Assiette vendue au profit des grévistes.

La grève fut l'une des plus longues de l'histoire du Royaume-Uni. Finalement, les grévistes retournèrent au travail en masse à partir de janvier 1985 et la fin de la grève fut votée le sans que les mineurs n'aient rien obtenu, leurs pertes financières étant trop importantes. L'arrêt de la grève marqua un succès symbolique pour le gouvernement de Margaret Thatcher[15].

Médias

Cette grève a été l'occasion pour les musiciens de The Clash de donner deux concerts au profit des mineurs, les 6 et à la Brixton Academy de Londres. Le mouvement de protestation a d'ailleurs été le thème de chansons pour de nombreux groupes de musique. Citons parmi les plus connues :

Le film Billy Elliot fait également de la grève un élément central, le père et le frère du héros éponyme étant tous deux grévistes.

Le film Pride raconte le combat de soutien du groupe Lesbians and Gays Support the Miners aux grévistes, notamment la levée de fonds pour les familles ; le plus grand évènement de collecte de fonds fut le concert caritatif Pits and Perverts[16],[17] Puits et pervers ») que le groupe organisa au Electric Ballroom (en) dans Camden Town, à Londres, le , avec Bronski Beat, dont le chanteur était Jimmy Somerville, en tête d’affiche. Le nom du concert serait venu, selon plusieurs sources[18],[19], d’un titre du tabloïd britannique The Sun.

Notes et références

  1. (en) DONALD MACINTYRE, « How the miners’ strike of 1984-85 changed Britain for ever », sur newstateman.com, (consulté le ).
  2. Maurice Lemoine, « La longue grève des mineurs britanniques », sur monde-diplomatique.fr, .
  3. in Mémoires, introduction du chapitre 13 : L'insurrection de M. Scargill.
  4. Jean Nouailhac, « Il y a 30 ans, Margaret Thatcher brisait les grèves abusives », sur lepoint.fr, (consulté le ).
  5. David Jones est touché à la tête par une brique le 15 mars 1984 alors que des affrontements ont lieu entre police, grévistes, et non-grévistes — (en) Memories of the miners' strike - BBC News, 12 mars 2004
  6. Joe Green meurt écrasé par un camion le 15 juin 1984 — (en) Dead miners 'never be forgotten' - BBC News, 14 mars 2009
  7. (en) Miners’ Strike timeline - Socialist Worker
  8. David Wilkie meurt le 30 novembre 1984 quand deux mineurs grévistes jettent un bloc de béton depuis un pont sur sa voiture. Il était escorté par deux voitures de police et un motard. — (en) 1985: Miners jailed for pit strike murder - BBC, 16 mai 1985
  9. Franck Ferrand, « À part bien sûr Mme Thatcher », émission Au cœur de l'histoire, 9 février 2012[source insuffisante]
  10. Eric Albert, « La grève qui a changé le Royaume-Uni », sur lemonde.fr, (consulté le ).
  11. « La Dame de fer, le Roi Arthur et la grève des Mineurs », sur franceinter.fr, (consulté le ).
  12. Eugénie Barbezat, « MINEURS D'ORGREAVE : LEUR INFATIGABLE COMBAT POUR LA VÉRITÉ ET LA JUSTICE », sur lhumanite.fr, (consulté le ).
  13. Un peu de l’âme des mineurs du Yorkshire
  14. Les ouvriers, vaincus de l’histoire britannique ?
  15. Bernard Apetche, « Le 3 mars 1985, les mineurs britanniques reprenaient le travail », sur la-croix.com, (consulté le ).
  16. Clews 2012.
  17. Robinson 2007.
  18. Frost 2014.
  19. Doward 2014.

Annexes

Articles connexes

Bibliographie

  • (en) Colin Clews, « 1984. Lesbians and Gays Support the Miners. Part One », sur Gay in the 80s,
  • John et Jenny Dennis, Un peu de l’âme des mineurs du Yorkshire, L'Insomniaque, 2004
  • (en) Jamie Doward, « The real-life triumphs of the gay communist behind hit movie Pride », The Guardian, (lire en ligne)
  • (en) Peter Frost, « ‘Pits and Perverts:’ The Legacy of Communist Mark Ashton », The Morning Star, (lire en ligne)
  • Pierre-François Gouiffès, Margaret Thatcher face aux mineurs, Privat, 2007 (ISBN 978-2-7089-6880-6)
  • (en)Dennis Kavanagh, The Reordering of British Politics: Politics After Thatcher,
  • (en)Dennis Kavanagh, Thatcherism and British Politics: The End of Consensus?, Oxford UP, 1990 (seconde édition)
  • (en) Seumas Milne, The Enemy Within: The Secret War Against The Miners, Verso Books, 2004
  • (en) Lucy Robinson, Gay men and the left in post-war Britain : how the personal got political, Manchester, Manchester University Press, , 219 p. (ISBN 978-0-7190-7434-9, lire en ligne)
  • Henri Simon, Grève des mineurs en Grande-Bretagne (-), Acratie, 1987

Liens externes

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