Georges Pâques

Georges Pâques, né le à Chalon-sur-Saône[1] et mort le à Paris[2],[3], est un résistant et haut fonctionnaire français condamné en juillet 1964 pour espionnage au profit de l'URSS, ayant avoué avoir transmis des informations concernant la Défense de 1944 à 1963.

Pendant la période de la Guerre froide, son activité a révélé aux Soviétiques des renseignements fondamentaux touchant à l'organisation de l'OTAN.

Biographie

Fils d'artisans nommés Charles Pâques et Pauline Deroussin, il est admis à l'École normale supérieure en 1935, avec la place de treizième, section lettres[4]. Animé de profondes convictions catholiques, il est à cette époque agrégé d'italien et depuis , marié à une Italienne, Viviana, ethnologue au musée de l'Homme[5]. En 1940-1941, il enseigne à Nice, qu'il quitte en 1941 pour le lycée de Rabat[1]. Après le débarquement allié en Afrique du Nord, en , il s'engage dans l'armée du général Giraud et s'établit à Alger où il retrouve son ancien condisciple Pierre Boutang. Il s'exprime à la radio pour la Résistance sous le pseudonyme de René Versailles, aux côtés d'André Labarthe[6]. Il est directeur de cabinet au ministère de la Marine en 1944-1945, puis au ministère d'État chargé des affaires musulmanes. Il est ensuite au ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme en 1946-1948 et ensuite à la Santé publique. Il dirige la revue La Production française de 1950 à 1954[7].

Il échoue aux élections législatives de 1951 à Chalon-sur-Saône, aux côtés du républicain indépendant André Moynet, ancien pilote à l'escadrille Normandie-Niémen[8]. Chef de cabinet du secrétaire d'État à la Marine marchande de 1953 à 1958, il est conseiller technique dans divers ministères par la suite. Il passe à cette époque « pour un homme intègre et sérieux, volontiers cynique, résolument antimarxiste, un intellectuel de droite, chrétien et favorable à l'Algérie française[9] ».

C'est à l'arrivée du général de Gaulle en 1958 que sa carrière prend un nouveau tournant. Il sert dans le cabinet de Louis Jacquinot au service de l'information de l'état-major de la Défense, puis devient directeur d'études à l'Institut des hautes études de la Défense nationale (IHEDN) de à . Il entre au service de presse de l'OTAN[1], à partir d', sur la recommandation de Georges Gorse, secrétaire d'État aux Affaires étrangères de 1961 à . Il n'a jamais été ministre.

Il repose au cimetière de l'ouest de Chalon-sur-Saône.

Informations transmises et procès

En 1943, il prend contact à Alger par l'intermédiaire d'un ancien des Brigades internationales de la guerre d'Espagne et rescapé des camps de concentration nazis, le médecin Imek Berstein, avec un conseiller d'ambassade de l'URSS replié à Alger, Alexandre Gouzovski. Il renoue les liens à la Libération avec un officier des renseignements soviétiques, Ivan Agayants.

Il est contacté ensuite par d'autres officiers, successivement Alexandre Alexeïev, Sergueï Gavritchev, Alexeï Tritchine, Nicolas Lyssenko et Vassili Vlassov. Rien que pendant les quatre dernières années de sa collaboration avec les services secrets soviétiques, sur les vingt années au total, il donne des documents sur les projets de défense des pays de l'OTAN, le système de défense occidentale de Berlin-Ouest, le plan d'importation des radars en Turquie et le plan de défense de l'OTAN pour l'Europe occidentale, ainsi que près de deux cents biographies de personnages importants, hommes politiques, hauts fonctionnaires, journalistes et diplomates.[10] Les remises de documents et les contacts avaient lieu tous les quinze jours.

Il est découvert le alors qu'il se rend à un rendez-vous à Feucherolles avec Vassili Vlassov, officier du KGB, grâce à l'enquête menée par Philippe Thyraud de Vosjoli, un agent du SDECE mis sur sa piste par un informateur soviétique de la CIA, Anatoli Golitsyn, major du KGB[11],[12],[13],[14] travaillant en Finlande avant de passer à l'Ouest. Georges Pâques est arrêté par la DST le devant son lieu de travail à la Porte Dauphine (siège de l'OTAN), et reconnaît devant Marcel Chalet qu'il a été recruté par les Soviétiques. Profondément croyant, il souffre de la crainte de ne pouvoir accéder aux sacrements du fait de sa trahison ; Chalet fait venir un prêtre de la Madeleine pour qu'il confesse au milieu d'une cour intérieure du service de renseignement[15]. Libéré par cette confession, il répond à toutes les questions du service.

Sa confession écrite précise qu'avant 1957, ses informations sont uniquement politiques et qu'elles ne deviennent militaires qu'après 1957, ses informations sur l'OTAN devenant capitales pour les Soviétiques[16]. Le procureur de la Cour de sûreté de l'État requiert contre lui la peine de mort. La cour lui reconnaît des circonstances atténuantes, et le condamne pour trahison à la perpétuité le , cette peine étant commuée en 1968 en vingt ans de prison[17]. Il est également déchu de son grade dans l'ordre de la Légion d'honneur[18]. Il est finalement gracié en par Georges Pompidou, son ancien condisciple rue d'Ulm, devenu Premier ministre[19].

Anatoli Golitsyne aurait déclaré que ces espions infiltrés par le KGB dans les services français seraient « ses saphirs », comme des pierres précieuses[20], d'où la désignation du dispositif par « réseau saphir ».

Lors de son procès, il déclare : « Je suis un homme pacifique. Je n'aime pas les Soviétiques, mais je suis également convaincu que les Américains, en raison de leurs conceptions très primaires, sont de dangereux fauteurs de guerre. J'ai donc pensé que pour éviter un conflit international, aboutissant fatalement à une catastrophe mondiale, il était indispensable de rétablir les forces en présence. Voilà le mobile qui n'a jamais cessé de m'animer[21] ! »

Après sa libération en 1970, il se rend plusieurs fois en URSS et est définitivement conquis par ce pays dont il parle la langue[22], apprise en prison. Sa personnalité et sa trahison s'expliqueraient parce qu'il est issu d'une famille bourguignonne qui paya un lourd tribut à la Première Guerre mondiale d'où son pacifisme. Cette explication n'est pas incompatible avec celle que donne Pierre Assouline dans sa biographie de Georges Pâques[23]. Selon Assouline, la principale motivation de Georges Pâques était son antiaméricanisme radical : il craignait que la politique étrangère américaine, qu'il jugeait impérialiste, ne conduisît à un conflit avec l'URSS et donc à un nouveau conflit mondial. Raison pour laquelle il aurait livré des informations à l'URSS afin de contribuer à rétablir une sorte d'équilibre stratégique.

Une autre raison de sa trahison donnée à son entourage était qu'il craignait que le potentiel nucléaire de la France ne soit surestimé par les Soviétiques ; il n'a cependant jamais transmis d'information « sensible » concernant la défense militaire française.

Notes

  1. Hugues Moutouh et Jérôme Poirot, Dictionnaire du renseignement, Place des éditeurs, , 1401 p. (lire en ligne).
  2. (en) « Georges Paques, 79, French NATO Aide Jailed for Espionage », The New York Times, (lire en ligne , consulté le ).
  3. « DÉFENSE Diplomate condamné pour espionnage au profit du KGB en 1964 Georges Pâques est mort », Le Monde, (lire en ligne).
  4. Michel Winock, Le temps de la guerre froide : du rideau de fer à l'effondrement du communisme, Seuil, , p. 275.
  5. Paul Veyne, « Naïvetés et noblesse de la trahison », L'Histoire, no 81, , p. 18.
  6. André Labarthe est suspecté d'avoir entretenu des liens avec les services de renseignements soviétiques dès 1940, peut-être même avant cette date.
  7. Paul Veyne, « Naïvetés et noblesse de la trahison », L'Histoire, no 81, , p. 15.
  8. (Wolton 1986, p. 169)
  9. Paul Veyne, « Naïvetés et noblesse de la trahison », L'Histoire, no 81, , p. 16.
  10. (en) « Paques Affair », sur nato.int
  11. http://www.time.com/time/magazine/article/0,9171,838289,00.html
  12. https://www.nytimes.com/1993/12/23/news/23iht-obits_25.html
  13. http://www.edwardjayepstein.com/archived/looking.htm
  14. Il sera expulsé fin septembre 1963 quelque temps avant que le procès ne soit rendu public.
  15. Guisnel, Jean (1951-....)., Au service secret de la France, Paris, Éditions Points, 531 p. (ISBN 978-2-7578-5509-6 et 2757855093, OCLC 988751503, lire en ligne)
  16. Paul Veyne, « Naïvetés et noblesse de la trahison », L'Histoire, no 81, , p. 17-18.
  17. Michel Winock, Le temps de la guerre froide : du rideau de fer à l'effondrement du communisme, Seuil, , p. 283.
  18. « La Cour de sûreté a condamné Georges Pâques à la détention criminelle à perpétuité », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
  19. Paul Veyne, « Naïvetés et noblesse de la trahison », L'Histoire, no 81, , p. 22.
  20. Gilles Perrault, Checkpoint Charlie, , 352 p. (ISBN 978-2-213-64477-6, lire en ligne), p. 94.
  21. (Wolton 1986, p. 175)
  22. (Wolton 1986, p. 176)
  23. Pierre Assouline, Une question d'orgueil, Gallimard, 2010.

Voir aussi

Bibliographie

  • Charles Benfredj, L'Affaire Georges Pâques - Side Step, Ed. Jean Picollec, 1993.
  • Georges Pâques, Comme un voleur, Julliard, Paris, 1971
  • Thierry Wolton, Le KGB en France, Paris, Grasset, coll. « Le Grand Livre du mois. Club express », , 310 p., 25 cm (ISBN 2-246-34151-5 et 978-2-246-34151-2, notice BnF no FRBNF34902098)
  • Pierre Assouline, Une question d'orgueil, le roman d'une trahison, Gallimard, oct. 2010 (version extrêmement romancée et inexacte)

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Article connexe

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