Futurisme

Le futurisme est un mouvement littéraire et artistique européen du début du XXe siècle (de 1909 à 1920), qui rejette la tradition esthétique et exalte le monde moderne, en particulier la civilisation urbaine, les machines et la vitesse.

Umberto Boccioni, Dynamisme d'un cycliste (Dinamismo di un ciclista), 1913,
collection Peggy Guggenheim.

Ne doit pas être confondu avec The Futurians.

Historique

Le futurisme est né en Italie autour du poète Filippo Tommaso Marinetti (Manifeste du futurisme, 1909). Auteurs de deux manifestes en 1910, les premiers peintres du mouvement, Giacomo Balla, Umberto Boccioni, Carlo Carrà, Gino Severini, Luigi Russolo[1] (1886-1947), empruntent à la technique divisionniste et au cubisme pour faire interférer formes, rythmes, couleurs et lumières afin d'exprimer une « sensation dynamique/énergique », une simultanéité des états d'âme et des structures multiples du monde visible.

Le futurisme prône l'amour de la vitesse (Luigi Russolo, Dynamisme d'une automobile, 1912-1913) et de la machine en exaltant la beauté des voitures, ainsi que la nécessité de la violence pour débarrasser l’Italie du culte archéologique du passé. Marinetti est le seul à pousser ses idées jusqu’à se réclamer du social-darwinisme en exaltant « la guerre — seule hygiène du monde ». Théoricien du « dynamisme plastique futuriste », Boccioni écarte les nouveaux médias technologiques, tels le cinéma et la photographie. Il stigmatise les recherches du « photodynamisme futuriste » des frères Anton Giulio Bragaglia et Arturo Bragaglia, ainsi que le cinéma abstrait des frères Arnaldo Ginna et Bruno Corra, considérant que la main de l’artiste est l’instrument le plus apte à transmettre l’élan vital qui nourrit le monde moderne[2].

La révolte, de Luigi Russolo, une peinture de 1911. S'il est difficile de donner une signification politique précise à cette masse d'hommes qui s'avancent poing levé, le poète Alfred Döblin, en 1912, la voit comme un acte de libération. Georges Sorel, un sociologue français, dans son livre Réflexions sur la violence publié en 1908, donne le sentiment de l'époque. Il affirme qu'il faut représenter les révoltés comme une foule en pleine maitrise de sa force, et que le langage pictural était capable de délivrer, immédiatement, par la seule intuition, avant toute réflexion, l'illumination des sentiments que donnent la guerre du socialisme contre la société moderne. Le futurisme avait la volonté de donner aux foules cette image. Dans ce tableau on reconnait une nouvelle fois le motif du chevron, symbole d'un déplacement humain ou technique, utilisé dans de nombreuses oeuvres du mouvement.[3]

Les peintres futuristes vont s'employer à réaliser, presque littéralement, le manifeste fondateur de Marinetti. Mais ils voudront formuler leurs propres moyens de combattre passé et tradition. Ils cherchent un langage plastique pour donner aux masses le sentiment de leur puissance. Rapidement, deux directions graphiques se dégagent : la représentation du mouvement, affirmé comme étant un dynamisme universel, et le conflit des corps dans l'espace. Boccioni s'engage dans la glorification de giffles ou de coups de poing pour secouer l'Italie : avec Rixe dans la galerie il montre une foule attirée par un pugilat entre deux femmes ; Giacomo Balla, lui, montre un mouvement centrifuge avec La lampe à arc, et la lumière qui se diffuse par un motif de chevron, motif qui sera repris dans d'autres œuvres futuristes. Ils veulent rompre avec la priorité donnée à l'homme, pour insérer l'humanité dans une vibration universelle. [3]

Ainsi, dans leur manifeste[3] :

« Notre conscience rénovée nous empêche de considérer l’homme comme le centre de la vie universelle. La douleur d’un homme est aussi intéressante à nos yeux que la douleur d’une lampe électrique qui souffre avec des sursauts spasmodiques et crie avec les plus déchirantes expressions de la couleur. »

 Boccioni, Carrà, Russolo, Balla, Severini, Manifeste des peintres futuristes

Plus qu'un mouvement, le futurisme devient un art de vivre et une véritable révolution anthropologique[4]. Il touche la peinture, la sculpture, la littérature, le cinéma, la photographie, le théâtre, la mise en scène, la musique, le bruitisme, l'architecture, la danse, la typographie, les moyens de communication, et même la politique[5], la cuisine[6] ou la céramique qui sera consacrée dans le dernier des manifestes futuristes de 1939.

Russolo et Pratella, à travers une théorisation de la notion de bruit, font l'apologie du son. Le bruit est en premier lieu ingérable et échappe à toute classification (par exemple, le bruit d'une usine). C'est ainsi qu'il se différencie du son, de la musique. À présent, l'analyse du bruit, ou plutôt des bruits, permet de le maîtriser. Voilà pourquoi Russolo et Pratella ont commencé à faire un classement du bruit, à chercher ses caractéristiques (chose à laquelle personne n'avait pensé auparavant). Cette nouvelle approche du phénomène sonore fait son apparition dans L'Art des bruits (L'arte dei Rumori), manifeste contenu dans une lettre que Russolo adresse à Pratella en 1913. Cette analyse du bruit va être reprise par les dadaïstes mais avec un point de vue différent : pas de notion d'agressivité ; puis au sein de la musique contemporaine par Edgar Varèse, Pierre Schaeffer et beaucoup d'autres créateurs, et enfin réintroduite dans la musique industrielle au début des années 1980 par Vivenza, théoricien et musicien bruitiste futuriste français, à qui l'on doit la popularisation du terme « bruitisme »[7].

La plupart des grandes œuvres associées au mouvement futuriste sont créées entre 1909 et 1915[réf. souhaitée]. Les théories de Boccioni inspirent les futuristes jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale. Ensuite, les recherches futuristes sont poursuivies à travers « l’art mécanique » pendant les années 1920, puis à travers une véritable « aéro-esthétique » pendant les années 1930[2]. En 1967, Enzo Benedetto[8] publie le manifeste Futurismo-oggi qui propose de passer à la troisième étape artistique du mouvement : « La première était la vitesse, la deuxième la course au ciel, la troisième sera la course à l'espace. »

Les futuristes sont à l'origine du dispositif artistique appelé performance. Il s'agissait pour les peintres d'appliquer leurs manifestes : ils associèrent alors peinture, théâtre et provocations. Ils prolongeaient leur œuvre en devenant objets d'art eux-mêmes par la gestuelle, et en développant un théâtre d'artistes-acteurs. À la suite de cela, ils approfondirent leurs manifestes, en s'inspirant du théâtre de variétés, parce que celui-ci n'avait ni traditions, ni maîtres, ni dogmes. Et, portés par leur admiration pour les machines, ils intégrèrent à leurs spectacles les notions de bruit avec la musique bruitiste, ainsi que la mécanisation de l'interprète. Ils recherchaient la continuité entre dispositif scénique et interprète, par les actions de simultanéité et de danse. Ils dénommèrent l'ensemble « théâtre synthétique »[9].

Le futurisme a eu une influence notable sur Marcel Duchamp, ainsi que sur d'autres mouvements d'avant-garde nés dans l'immédiate après-guerre, comme le précisionnisme américain, l'ultraïsme en Espagne et en Amérique du Sud (Rafael Barradas, Jorge Luis Borges, Guillermo de Torre) ou le formisme, en Pologne (Tytus Czyżewski, Stanisław Ignacy Witkiewicz, Auguste Zamoyski).

Fascisme et futurisme

Joseph Stella, Brooklyn Bridge (1919-1920), huile sur toile (215,3 × 194,6 cm), Yale University Art Gallery.

La réputation du futurisme a souffert de ses collusions avec le fascisme. Pourtant, les futuristes se sont réclamés de nombreux mouvement politiques, tels que le marxisme, du socialisme et du communisme[10]. L’adhésion au fascisme fut plutôt une sorte de compromis passé avec le régime par une partie des futuristes[11], dont Marinetti son fondateur. Giovanni Lista, l'un des principaux historiens du futurisme, montre que ce mouvement avait bien une dimension révolutionnaire et trublionne, par exemple avec la portée exploratoire de ses manifestes. Mais, comme beaucoup de mouvements d'Avant-garde (art), qui ont une forte tendance à se laisser embrigader, il a vite rejoint les académies officielles, c'est-à-dire, pour les italiens à cette époque, le fascisme[12].

Le mouvement des futuristes possédait dès l'origine une composante politique. Marinetti accentue ses exigences pour une modification générale des valeurs sociales. Le futurisme allie des visions réformistes radicales et des visions artistiques.

Les futuristes, en se liant de manière ambiguë au régime fasciste, de 1919 à 1945, ont soulevé des réserves à leur égard, en tant que première avant-garde italienne. Ils seront aussi à l'origine du retard dans la réception de la seconde génération d'artistes futuristes.

En 1909, est publié le Primo manifesto politico. Lors des élections de 1913, Marinetti, Boccioni, Carrà et Russolo ont établi un programme politique futuriste qui évoque la protection économique du prolétariat et qui propose l'expansion coloniale. Dans l'écrit intitulé Che cos'è il futurismo. Nozioni elementari, daté de 1920, les buts politiques sont plus détaillés : mise en place d'une armée de volontaires, modernisation du service de sécurité public et prise en mains du gouvernement italien par des jeunes qui se sont battus sur le front.

Mussolini, qui connaissait Marinetti depuis 1915, tire avantage de l'environnement intellectuel révolutionnaire des futuristes. À partir de sa prise de pouvoir en 1922, il s'inspire de leur volonté déterminée de renouvellement, de leur éloquence agressive et de leur bonne organisation de groupe. En 1924, Marinetti réfléchit au lien entre art et politique en Italie dans son traité Futurisme et fascisme. Il met en valeur le rôle pionnier du futurisme et souligne les rapprochements possibles avec le fascisme. Plus tard, Mussolini prend ses distances avec le futurisme. En se rapprochant de l'Église catholique et du parti conservateur par opportunisme politique, Mussolini révèle alors une vision anti-futuriste.

Futurisme et fascisme entretiennent des liens ambivalents. Des artistes de la seconde phase futuriste, comme Enrico Prampolini, Gerardo Dottori et Mario Sironi ont décoré des salles pour les grands spectacles d'auto-représentation de l'État fasciste comme la Mostra della Rivoluzione Fascista de Rome en 1932. Cette relation entre futurisme et pouvoir fasciste donne lieu à des contradictions. Par exemple, Marinetti accepte en 1929 un poste à la nouvelle Reale Accademia d'Italia, alors que les futuristes ont toujours dénigré les professeurs ignorants, les « académies podagres » qui représentent pour eux le passéisme honni.

L'architecte du régime fasciste Marcello Piacentini a fait construire des bâtiments monumentaux destinés à durer éternellement alors que l'architecte futuriste Antonio Sant'Elia prônait une élaboration de l'espace urbain à chaque génération. Mussolini, contrairement à Staline ou Hitler, cherche à s'attirer les appuis des artistes avant-gardistes. Les régimes totalitaires en Allemagne et en Russie ont violemment combattu l'art moderne en le discriminant et en tentant de le neutraliser. Les nazis n'ont d'ailleurs pas hésité à détruire des milliers d’œuvres jugées décadentes (l'art dégénéré).

Mussolini, au contraire, tolérait les courants artistiques modernes, bien qu'il ait voulu également élever à nouveau l'art antique avec sa tendance au monumental ainsi que les références à la mythologie romaine au rang d'art national.

Le fascisme, en s'appuyant sur ces nouvelles formes de la modernité picturale, montre son désir de provoquer une rupture avec le passé, mais aussi sa fascination pour la technique et la vitesse.

Principaux écrivains et artistes futuristes

Italie

Russie

Un mouvement Valet de Carreau a existé en Russie (appelé également cubo-futurisme) dans les années 1910-1917 (Vladimir Maïakovski, Kasimir Malevitch, Velimir Khlebnikov, Piotr Kontchalovski, Mikhaïl Matiouchine, Ilia Machkov, Aristarkh Lentoulov, Natalie Gontcharova, Vladimir Tatline, etc.).

États-Unis

Belgique

Bulgarie

  • Nikolay Diulgheroff (en), peintre

Espagne

Pologne

Ukraine

Notes et références

  1. Création sonore de Luigi Russolo sur UbuWeb.
  2. G. Lista, op. cit., p.???
  3. Éric Michaud, « Le présent du futurisme. Les vertiges de l'auto-destruction », Mil neuf cent. Revue d'histoire intellectuelle, (lire en ligne)
  4. Giovanni Lista, Le Futurisme. Création et avant-garde, Éditions L’Amateur, Paris, 2001.
  5. Manifeste du Parti politique Futuriste, 1918.
  6. Manifeste de la cuisine futuriste de F. T. Marinetti et Fillia, 1931, traduit et présenté par Nathalie Heinich, éditions A. M. Métaillé, Paris, 1982.
  7. G. Lista, Le Futurisme, Éditions Saint-André des Arts, 2000, p. 202.
  8. (it) Enzo Benedetto sur toninosicoli.it
  9. Roselee Goldberg (trad. de l'anglais), La Performance : Du futurisme à nos jours, Londres/Paris, Thames & Hudson / L'univers de l'art, 256 p. (ISBN 978-2-87811-380-8), chap. 1 (« Le futurisme. »).
  10. (it) Giovanni Lista, Arte e Politica: il futurismo di sinistra in Italia, Edizioni Multhipla, Milan, 1980.
  11. Giovanni Lista (éditeur), Marinetti et le futurisme, L’Âge d’Homme, Lausanne, 1977.
  12. Arnaud Labelle-Rojoux, « Le Futurisme ou comment s’en débarrasser », Critique d’art. Actualité internationale de la littérature critique sur l’art contemporain, no 33, (ISSN 1246-8258, DOI 10.4000/critiquedart.559, lire en ligne, consulté le )

Voir aussi

Bibliographie

  • Francesco Balilla Pratella, Manifeste des Musiciens futuristes, Lenka lente, Nantes, 2014, 32 p. (ISBN 978-2954584553).
  • Karine Cardini et Silvia Contarini (coord.), Le Futurisme et les avant-gardes littéraires et artistiques au début du XXe siècle, CRINI, Nantes, 2002, 376 p. (ISBN 2-86939-179-X).
  • Silvia Contarini, La Femme futuriste. Mythes, modèles et représentations de la femme dans la théorie et la littérature futuristes, Nanterre, Presses Universitaires de Paris 10, 2006, 341 p. (ISBN 978-2840160007).
  • Maurice Lemaître, Le Théâtre futuriste, italien et russe, Centre de créativité, Paris, 1967 ; réédition 2008, fondation Bismuth-Lemaître, 13, rue de Mulhouse, 75002 Paris (France).
  • Maurice Lemaître, Quelques différences entre le futurisme et le lettrisme, Paris, 1970, Centre de Créativité.
  • Giovanni Lista, F. T. Marinetti, Éditions Seghers, Paris, 1976.
  • Giovanni Lista, Le Futurisme, Éditions Hazan, Paris, 1985.
  • Giovanni Lista, La Scène futuriste, Éditions du CNRS, Paris, 1989.
  • Giovanni Lista, Le Futurisme. Création et avant-garde, Éditions de L’Amateur, coll. « Regards sur l'art », Paris, 2001, 371 p. (ISBN 978-2859173227).
  • Giovanni Lista, Journal des futurismes, Éditions Hazan, Paris, 2008, 384 p. (ISBN 978-2754102087).
  • Giovanni Lista, Le Cinéma futuriste, Éditions du Centre Pompidou-Les Cahiers de Paris Expérimental, Paris, 2008, 159 p. (ISBN 9782912539373).
  • Giovanni Lista, Le Futurisme, une avant-garde radicale, Gallimard, Paris, 2008, 144 p. (ISBN 978-2070355556).
  • Giovanni Lista, Cinéma et photographie futuriste, Skira-Flammarion, Paris, 2008, 332 p. (ISBN 978-2081218284).
  • Giovanni Lista, Le Futurisme. Textes et manifestes, 1909-1944, Éditions Champ Vallon, Ceyzérieux, 2015, 2 208 p. (ISBN 979-1026700104).
  • Giovanni Lista, Qu'est-ce que le futurisme ?, suivi du Dictionnaire des futuristes, Folio, coll. « Folio essais », Paris, 2015, 1 168 p. (ISBN 978-2070450800).
  • Barbara Meazzi, Le Futurisme entre l’Italie et la France, 1909-1919, Chambéry, Éditions de l’Université de Savoie, 2010, 217 p. (ISBN 978-2-915797-62-6).
  • Agnès Sola, Le Futurisme russe, Paris, Presses universitaires de France, 1989.
  • Jean-Pierre de Villers, Debout sur la cime du monde. Manifestes futuristes, Dilecta, Paris, 2008, 152 p. (ISBN 978-2916275413).
  • Jean-Marc Vivenza, Le Bruit et son rapport historique, Grenoble, L'Œuvre bruitiste, 1984 (OCLC 461968408), (notice BnF no FRBNF35040998).
  • Jean-Marc Vivenza, « Le bruitisme futuriste et sa théorie », Inter : art actuel / Les Éditions Intervention, Québec, no 103, , p. 26-33 (ISBN 978-2-920500-72-3, ISSN 0825-8708, OCLC 5962033306, lire en ligne).
    Numéro spécial « Le futurisme a 100 ans »
  • Le Futurisme à Paris. Une avant-garde explosive, catalogue de l'exposition du Centre Pompidou (-), Paris, Centre Pompidou, 2008, 400 p., 360 ill. (ISBN 978-2844263599).
  • Serge Fauchereau (1939-), Avant-gardes du XXe siècle, arts et littérature, 1905-1930, Paris, Flammarion, 2016, (ISBN 978-2-0813-9041-6) (pp. 130-156)
  • Barbara Meazzi, Il fantasma del romanzo. Le futurisme italien et l'écriture romanesque (1909-1929), Chambéry, Presses universitaires Savoie Mont Blanc, 2021 (ISBN 9782377410590).

Bande dessinée

Articles connexes

Influences croisées possibles
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Avec le futurisme
Avec le futurisme russe

(Hylaea, ego-futurisme, cubo-futurisme...)

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