François Simiand

François Joseph Charles Simiand, né le à Gières (Isère) et décédé le à Saint-Raphaël (Var), est un sociologue, historien et économiste français. Il est considéré comme l'un des fondateurs de l'école sociologique française.

Biographie

François Simiand est natif de Gières. Il naît dans une famille de quatre enfants dont le père qui mourra jeune est instituteur[1]. Élève brillant, il étudie au Lycée de Grenoble puis au Lycée Henri IV à Paris où Henri Bergson le remarque[2]. Il est Premier Prix en composition française et en Histoire au concours général. Il intègre en 1893 l'École normale supérieure (France). En 1896, il est reçu premier à l'agrégation de philosophie[1]. Mais le cours de Lucien Lévy-Bruhl lui a fait découvrir Auguste Comte et Lucien Herr le socialisme. Il rejoint alors la Fondation Thiers et commence des études de droit. En 1904, il soutient une thèse de droit option science politique et économique sur Le Salaire des Ouvriers des Mines en France[3].

La période 1900-1914

Durant cette période il occupe des emplois relativement précaires. Il est bibliothécaire au ministère du commerce (1901-1906) puis du travail (1906-1914) et donne quelques cours à la London School of Economics (1914). Il supplée aussi parfois Adolphe Landry à l’École des hautes études en sciences sociales[4]. Deux raisons semblent expliquer ce parcours modeste : son socialisme et une certaine « exigence de ne pas parvenir »[4].

À partir de 1900, il suscite la création d'une bibliothèque de sciences sociales au ministère du Commerce, qui sera ultérieurement regroupée avec le Centre de documentation économique (voir l'article Bibliothèque centrale de l'Institut national de la statistique et des études économiques). En 1903, il participe à une vive polémique dans laquelle il accuse l'histoire, en dépit des prétentions de Seignobos et de Paul Lacombe, de ne pas suivre des règles méthodologiques qui puissent lui permettre de s'établir en tant que discipline scientifique[2] (voir Robert Leroux, Histoire et sociologie en France -- de l'histoire-science à la sociologie durkheimienne, Paris, PUF, 1998). De façon générale, la période 1900-1914 est une période d'intense activité. Il écrit brièvement à L'Aurore et à la Revue blanche. Il est de 1900 à 1906 secrétaire de rédaction des Notes Critiques Sciences sociales, il collabore à la Revue Syndicaliste d'Albert Thomas. En 1908, il participe à la fondation du Groupe d'Etudes Socialistes[3]. Il est également de l'équipe de L'Année sociologique avec Émile Durkheim, Marcel Mauss et Célestin Bouglé. Enfin, il publie en 1912 une livre : La Méthode Positive en Science Economique. Pour Ludovic Frobert[5], qui a travaillé sur l'oeuvre de Simiand :

« Sa production scientifique d'avant-guerre est alors particulièrement brillante, sa signature apparaissant, outre dans l'Année Sociologique, ou dans les Notes Critiques, dans des publications telles que la Revue de Métaphysique et de Morale, le Bulletin de la Société Française de Philosophie, le Journal de la Société de Statistique de Paris.. »

De 1914 à 1924

Il se marie en octobre 1914 avec la fille d'un artisan forgeron et n'aura pas d'enfants. Mobilisé, il devient chef de Cabinet de 1915 à 1917 d'Albert Thomas (homme politique), au Secrétariat d'Etat à l'artillerie et aux munitions. Au moment de l'armistice, il est membre du comité interallié de statistique des fabrications de guerre[6]. Puis de 1919 à 1920, il est directeur du travail, de la législation ouvrière et des assurances sociales au commissariat général de la République à Strasbourg[6].

En 1919 il devient également professeur au Conservatoire national des arts et métiers[7], d'abord à la chaire d'organisation du travail puis à celle d'économie politique ; enfin il est nommé chargé de conférences à la IVe section de l'École pratique des hautes études (1924), occupant pour la première fois un poste d’enseignement stable qui lui permet de se consacrer à la recherche.

Durant cette période, il fonde l'Ecole Technique de la fédération nationale des coopératives de consommation et signe avec Charles Gide le manifeste coopératif. Il devient aussi en 1918 membre du comité de rédaction de la revue d'économie politique[8]

De 1924 à 1935

Durant cette période, François Simiand publie trois de ces œuvres majeures : un Cours d'économie politique en trois volumes (1929-1931), et surtout en 1932 Le Salaire, L'évolution Sociale et la Monnaie ; enfin, dans les Annales Sociologiques, son article « La monnaie, réalité sociale » (1934).

Durant cette période, c'est un homme influent dont on discute les œuvres. Il devient titulaire de la chaire d'histoire du travail au Collège de France de 1932[9] et donne des conférences à « l'Institut des Hautes Etudes de Bruxelles (1932), au Centre Polytechnicien d'Etudes Economiques (1933) à l'Institut universitaire de hautes études internationales fondé par William Rappard, à la Royal Society [10]. »

Lorsqu'il meurt en 1935, Marcel Mauss lui rend un hommage vibrant dans le populaire du 19 avril 1935 écrivant « .. dans l'histoire de la science française, dans celle de l'économie politique, de la statistique, de la sociologie, dans le progrès de nos sciences, bases de toute politique rationnelle, peu auront marqué leur place plus fortement que François Simiand »[11].

Œuvre

Les questions de méthodologie

Selon L. Frobert [12], il fut « l'un de ces intellectuels français qui ont su alterner la réflexion théorique et les responsabilités concrètes d'un service ministériel ou d'un organisme public. Il a été aussi un enseignant ayant professé au sein de plusieurs institutions. [...] Comme il le déclare dans la leçon inaugurale au Collège de France, sa réflexion avait un seul but : le conduire au cœur des questions économiques et des problèmes du travail de son temps. » « D'où l'importance presque obsessionnelle qu'il réserve à la méthode [...] comme si cela constituait la garantie d'une pensée qui avait le sceau de la scientificité. »[13].

Simiand est soucieux d'appliquer à l'étude des phénomènes économiques les principes d'analyse des faits sociaux exposés par le sociologue Émile Durkheim. Selon lui, les raisons que se donne l'homme pour expliquer sa conduite expriment rarement les causes véritables des institutions : « C'est un préjugé de croire que l'action humaine est consciente de ses vraies raisons ».

Sa démarche valorise l'usage des données statistiques et manifeste son désir constant d'ancrer la science économique dans l'histoire. Trois thèmes sont particulièrement étudiés par lui : le cycle du charbon, les cycles économiques sur longue période et le progrès, ainsi que la monnaie en tant que « réalité sociale ».

Dans sa thèse, publiée en 1911[14], à l'encontre des théories usuelles de la productivité, il établit en analysant les faits que « le salarié s'efforçait avant tout de défendre son niveau de vie auquel il était parvenu. Et que sa productivité était donc plus forte en période de dépression, alors qu'il était menacé d'une baisse de salaire, qu'en période de prospérité où il aurait pu espérer un salaire plus élevé[15]. »

Il expose ses méthodes d'analyse des phénomènes économiques dans La Méthode positive en sciences économiques (1911). À l'opposé des tendances conservatrices illustrées par Frédéric Le Play, Simiand promeut en économie l'école sociologique – positiviste et socialisante – fondée par Durkheim à la fin du XIXe siècle, selon laquelle les faits sociaux présentent une autonomie propre et doivent être étudiés comme des « choses ». Ses études sur les salaires montrent effectivement les avantages de la méthode sociologique et psychologique mais aussi ses limites[16] lorsqu'elle « prétend traiter les faits sociaux comme des faits chimiques, superposant statistiques sur statistiques, comme on met différents corps en présence pour constater leurs réactions. »

Ainsi Le Salaire, l'évolution sociale et la monnaie (1932), représente une tentative d'établir une théorie des salaires sur la base d'observations statistiques.

La monnaie chez Simiand

En 1933, son essai Monnaie et réalité sociale défend une vision nominaliste de la monnaie :

« La monnaie n'est plus qu'une création de l'opinion et la décision de l'État ne fait que renforcer celle-ci. Ainsi toute monnaie est fiduciaire. L'or n'est que la première des monnaies fiduciaires[17]. »

Dans Les Fluctuations économiques à longue période et la crise mondiale (1933), il interprète la crise des années 1930 à la lumière de sa théorie des cycles longs. L'accroissement de la quantité de monnaie (que ce soit du fait de nouvelles découvertes de mines d'or ou d'argent, en régime d'étalon métallique, ou du fait de la fabrication de papier monnaie et de l'octroi de crédits) engendre une phase de croissance longue, tandis que les restrictions monétaires génèrent une phase de ralentissement prolongé de l'activité économique.

Ouvrages

  • Le Salaire des Ouvriers des Mines en France, Thèse de doctorat 1904
  • La méthode positive en science économique, Paris, Félix Alcan, coll. «Bibliothèque de philosophie contemporaine», 1912.
  • « Le salaire, l'évolution sociale et la monnaie », Revue d'économie politique 1931, pp.1169-1189
  • Le Salaire, l'évolution sociale et la monnaie, essai de théorie expérimental du salaire, 3 vol., PUF 1932.
    Dans sa préface aux Paysans de Balzac, l'historien Louis Chevalier le cite parmi les historiens qui ont pris en considération les apports historiques et sociaux du roman[18]
  • Les Fluctuations économiques à longue période et la crise mondiale. Alcan 1932.
  • La monnaie réalité sociale, Annales Sociologiques, série D, fasc.,1 p1-86,1934
  • Les essais économiques et monétaires de M. Charles Rist in Revue d'économie politique, 1934, pp.172-188.
  • De l'échange primitif à l'économie complexe, éd. de la Pensée ouvrière, 1935.
  • Inflation et stabilisation alternées : le développement économique des États-Unis, Domat-Montchrestien 1934

Bibliographie

  • Lucien Gillard et Michel Rosier (dir.), François Simiand (1873-1935). Sociologie. Histoire. Économie, Amsterdam, éditions des Archives Contemporaines, 1996.
  • Robert Leroux, Histoire et sociologie en France : de l'histoire-science à la sociologie durkheimienne, Paris, PUF, 1998.
  • Gérard Noiriel, « L'éthique de la discussion chez François Simiand. À propos de deux conférences sur l'Histoire (1903-1906) », dans Penser avec, penser contre. Itinéraires d'un historien, Paris, Belin, 2003, p. 47-61.
  • (en) Philip Whalen, « François Simiand (1873-1935) », dans Philip Daileader et Philip Whalen (dir.), French Historians, 1900-2000 : New Historical Writing in Twentieth-Century France, Chichester / Malden (Massachusetts), Wiley-Blackwell, , XXX-610 p. (ISBN 978-1-4051-9867-7, présentation en ligne), p. 573-588.
  • Ludovic Frobert, Le travail de François Simiand (1873-1935), Paris, Economica, .

Notes et références

  1. Frobert2000, p. 9.
  2. Jacques Revel, « Histoire et sciences sociales : Lectures d'un débat français autour de 1900 », Mil neuf cent. Revue d'histoire intellectuelle, , p. 101 à 126 (lire en ligne)
  3. Frobert2000, p. 10.
  4. Frobert2000, p. 12.
  5. Frobert2000, p. 11-12.
  6. Frobert 2000, p. 13.
  7. Voir C. Fontanon, A. Grelon (sous la direction de), Les Professeurs du Conservatoire national des arts et métiers, vol. 2, INRP, 1994, p. 567-576.
  8. Frobert2000, p. 13-14.
  9. Annuaire du Collège de France, 2008-2009, p. 41.
  10. Frobert 2000, p. 14.
  11. Frobert 2000, p. 5-6.
  12. L. Frobert, Le Travail de F. Simiand, Economica, 2000
  13. L. Frobert, op. cit
  14. Les Salaires de ouvriers des mines de charbon, Th Lettres 1911
  15. Pensée économique et théories contemporaines, A Piettre, Thémis 1979
  16. R Marjolin, «Prix, Monnaie et Production» 1941; p. 800
  17. A. Piettre op. cit.
  18. Louis Chevalier, préface des Paysans, Gallimard, Folio classique, 2006, p. 23-24, (ISBN 2070366758)

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