Fédéralisme européen

Le terme de fédéralisme européen désigne le courant politique visant la construction d'une Europe fédérale, comme le projet de fédération européenne de Robert Schuman. Il se distingue des courants confédéralistes (appelés parfois unionistes), partisans d'une simple coopération inter-étatique, en cela qu'il considère que l'union de l'Europe n'a de sens que par l'exercice en commun de la souveraineté au niveau européen (pour les domaines où ce partage de souveraineté est nécessaire) et par la création d'une autorité politique européenne issue d'un processus démocratique. Il s'oppose au souverainisme qui prône l'affaiblissement, voire la disparition des institutions européennes communes.

Le drapeau fédéraliste, représentant un E vert, a été longtemps utilisé par le Mouvement européen. Il reste aujourd'hui en usage chez les fédéralistes européens.

Les organisations se réclamant du fédéralisme européen ont eu une influence significative entre 1945 et la création des Communautés européennes, et moindre depuis.

Origines

Premières initiatives

Fédéralisme européen dans la Résistance

  • 1941 : Altiero Spinelli et Ernesto Rossi écrivent à Ventotene le Manifeste pour une Europe libre et unie[2] où ils attribuent à l’État national la cause de la guerre et déclarent comme priorité stratégique pour l'après-guerre la lutte pour la fédération européenne plutôt que la transformation de l’État national.
  • En Allemagne, à Munich, les étudiants du mouvement « La Rose blanche » prennent position pour une fédération européenne pendant la guerre. Ses dirigeants seront exécutés.
  • 1943 : fondation du Mouvement fédéraliste européen à Milan. Il adopte le manifeste de Ventotene comme programme.
  • 1944 : fondation à Lyon du Comité français pour la fédération européenne[3].
  • Printemps 1944 : réunion à Genève des délégués des mouvements de résistance de plusieurs pays européens pour discuter du projet de fédéralisme européen.
  • 7 juillet 1944 : Déclaration des résistances européennes issue de ce projet.

Fondation des mouvements fédéralistes dans l'après-guerre

  • Septembre 1946 : discours de Zurich de Winston Churchill et rencontre d’Hertenstein
  • Décembre 1946 : Fondation de l’Union européenne des fédéralistes (UEF) à Paris.
  • Février 1947 : création du Mouvement pour les États-Unis socialistes d’Europe (plus tard renommé Mouvement Socialiste pour les États-Unis d'Europe)[4].
  • Autres mouvements créés : United Europe Movement (Winston Churchill), Nouvelles équipes internationales.
  • Août 1947: premier Congrès de l'« Union européenne des fédéralistes » à Montreux (Suisse), discours inaugural de Denis de Rougemont.
  • Novembre 1947 : création d’un comité de coordination.
  • Mai 1948 : Organisation du Congrès de La Haye, clivage entre fédéralistes et unionistes.
  • Octobre 1948 : fondation du Mouvement européen avec la participation des fédéralistes.

Historique

Naissance des Communautés européennes et bataille de la CED

La naissance de la CECA à la suite de la déclaration Schuman, laquelle mentionnait l'objectif de « la Fédération européenne »[5], puis en 1957 la création de la CEE suscitera au sein des fédéralistes un clivage entre constitutionnalistes et fonctionnalistes. Les premiers souhaitent la création d'une fédération européenne dans le cadre d'un processus démocratique où une assemblée élue rédigerait une constitution pour l'Europe. Les seconds acceptent que les progrès vers le fédéralisme se fassent progressivement à travers les institutions supranationales existantes, en s'assurant d'abord du succès des Communautés européennes, même si celles-ci sont limitées à des aspects économiques.

La « bataille » pour la Communauté européenne de défense laisse entrevoir la possibilité de voir les deux approches aboutir puisque l'intégration dans un domaine limité, la défense, implique la création d'une autorité politique. Un projet de traité de Communauté politique européenne sera d'ailleurs élaboré par une assemblée ad-hoc[6] mais partagera l'échec du projet CED.

Division des fédéralistes

  • 1956 : Scission des Néerlandais et des Allemands de Europa Union et création du centre d’Action européenne fédéraliste (AEF). En France, La Fédération (Mouvement fédéraliste français) s'y rattache.
  • L’UEF prend le nom de Mouvement fédéraliste européen en 1959.
  • Le Congrès du peuple européen : l'UEF mène alors cette action qui vise à la contestation du processus communautaire et à la revendication d’une assemblée constituante. Il s'agit de faire élire par les citoyens sollicités lors d'actions de rue une assemblée constituante officieuse. L'action se poursuit de 1957 (72 000 électeurs) à 1960 (500 000 électeurs) mais cessera faute de moyens.
  • Trois orientations partagent le MFE (ex-UEF) dans les années 1960, marquées par l'arrivée au pouvoir en France du régime gaulliste très hostile aux thèses fédéralistes. Mario Albertini fonde le courant Autonomie fédéraliste qui refuse tout partenariat extérieur. Un second courant prône la coopération avec les autres forces pro-européennes notamment le Mouvement Européen. Enfin, Altiero Spinelli souhaite la fin de la neutralité et virage à gauche, orientation qui s'avérera majoritaire.

Réunification des fédéralistes

Les deux organisations continuent malgré la scission à mener des actions communes. Les membres de l'AEF participeront donc à la préparation d'une « Charte fédéraliste » qui sera adoptée lors du Congrès de Montreux de 1964 du MFE. Ce texte est nettement influencé par le fédéralisme intégral d'Alexandre Marc (les fédéralistes opposent, au fédéralisme intégral ou « global » qui s'intéresse à l'ensemble des questions politiques et sociale, le fédéralisme dit « hamiltonien » qui ne s'intéresse qu'à l'organisation des institutions politiques).

Mario Albertini, minoritaire, lance hors du MFE une action intitulée le « Recensement du peuple fédéral européen » sur un principe proche du Congrès du peuple européen.

AEF et MFE fusionnent dans l’Union des fédéralistes européens en 1972-1973. Les Jeunes Européens fédéralistes, organisation de jeunesse autonome, est fondée à la même époque. L'UEF se réoriente sur la réforme de la CEE et l’élection au suffrage universel direct du Parlement européen.

Campagnes

Cette campagne avait été lancée en février 1967 par le MFE. Elle consistait notamment en des pétitions auprès des parlementaires. Le projet est soutenu en France avec une proposition de loi de François Mitterrand en 1968. Une loi d’initiative populaire en est initiée en Italie en 1969. La décision est prise en décembre 1974 lors d'un sommet des chefs d'État et de gouvernement qui crée aussi le Conseil européen et l'acte juridique signé le 20 septembre 1976. L'UEF mène alors une action auprès des partis pour un programme européen. Les fédéralistes espèrent alors que la légitimité nouvelle donnée au Parlement européen lui permettra de relancer la construction européenne. Cet espoir est aussi la crainte de leurs adversaires exprimée notamment dans l'appel de Cochin. De fait, le Parlement européen adoptera le projet Spinelli en 1984.

Les campagnes suivantes menées par les mouvements fédéralistes porteront d'une part sur l'adoption d'une monnaie unique, qui sera retenue avec le traité de Maastricht et deviendra l'euro puis une campagne pour une constitution européenne marquée par une grande manifestation lors du Conseil européen de Nice en décembre 2000.

Conceptions du fédéralisme européen

Fédéralisme exécutif

Pour Jürgen Habermas, il s'agit du modèle en vigueur en Europe au moment où il écrit son livre fin 2011. Dans ce modèle, les décisions sont prises au Conseil européen où les élites politiques veulent négocier à huis clos et font tout pour éviter que les débats ne viennent sur la place publique[7]. Pour Habermas inverser cette situation imposerait aux élites d'une part de dire « quelle est la signification historique du projet européen » et d'autre part de passer d'une union économique à une union politique [7].

Constitution de l'Europe selon Jürgen Habermas

Il ne s'agit pas à proprement parler d'un modèle fédéral pur où la citoyenneté s'exprime essentiellement au niveau fédéral, il s'agit plutôt selon les termes de l'auteur d'une « démocratie transnationale » [8]. Pour la comprendre, il faut d'abord étudier la perception qu'a Habermas du monde actuel ainsi que de la souveraineté. Pour lui, la mondialisation et la fin du capitalisme intégré ont conduit les États à perdre une grande partie de leur capacité de régulation des marchés ainsi que de leurs capacités à impulser la croissance[9]. Par ailleurs les inégalités ont crû et les États n'ont pu maintenir un certain niveau social qu'en recourant à l'endettement[7]. La crise financière de 2008 a mis un terme à ces politiques[7]. Aussi, pour pouvoir peser dans la régulation mondiale les pays européens isolés n'ont pas le poids suffisants et ont donc intérêt à s'unir. Il convient de signaler que de façon plus large, le projet de Habermas s'inscrit dans une perspective kantienne de « constitutionnalisation du droit international »[10].

Dans l'économie de ce projet, il est important de faire la distinction entre la souveraineté du peuple et la souveraineté de l’État[11]. Pour Habermas, les fusionner conduit à une réification, on pourrait dire aussi une chosification, de la souveraineté du peuple[12]. L'intérêt de cette distinction est que la souveraineté du peuple s'exercera à deux niveaux, celui de l’État et au niveau fédéral. L'intérêt de cette façon de faire est double : il est possible de traiter de façon démocratique (i.e avec la participation des citoyens) des problèmes importants à l'échelon européen tout en laissant le monopole de la force au niveau du pays[13].

Globalement, Habermas trouve bonne la primauté actuelle du droit européen sur le droit national. Concernant les institutions, il est très critique envers le Conseil européen qui, selon Claudio Franzius qu'il cite, « n'est pas sans rappeler le roi au début du constitutionnalisme »[14] car ses décisions manquent de légitimité démocratique. En ce qui concerne la Commission européenne, actuellement responsable uniquement devant le Parlement, il la souhaiterait responsable à la fois devant le Parlement européen, représentant les citoyens, et devant le Conseil des ministres, représentant les États[14]. Enfin, les élections au Parlement européen manquent selon lui d'« un droit électoral unifié » et devraient s'européaniser[15].

Débats sur les projets : l'approche radicale et politique et l'approche gradualiste et technique

Le premier projet est porté par des hommes comme Daniel Cohn-Bendit et Guy Verhofstadt et plaide pour que le Parlement européen se mue en constituante après les élections de 2014 et élabore une constitution soumise à référendum dans chaque État. Le second projet est porté par Jacques Delors et le think tank Notre Europe[16] est centré sur l'établissement d'une union budgétaire[17].

Adversaires et débats

Nationalisme, euroscepticisme et souverainisme

Les fédéralistes européens se définissent avant tout en opposition au nationalisme, c'est-à-dire l'idéologie des partisans de l'État-nation. Les fédéralistes les plus radicaux considèrent l'unionisme ou l'intergouvernementalisme comme des formes de nationalisme.

En ce qui concerne plus spécifiquement la construction européenne, les fédéralistes se sont opposés au mouvement de l'euroscepticisme lequel se fait aujourd'hui appeler souverainisme, appellation que contestent les fédéralistes qui opposent la souveraineté théorique exercée dans le cadre de l'État-nation, dont l'impact est limité par la mondialisation et la possibilité de retrouver une souveraineté concrète en la partageant au niveau européen (on parle d'« exercice en commun » de la souveraineté).

Positions sur le traité constitutionnel européen

Les organisations se réclamant du fédéralisme ont apporté un soutien critique au traité constitutionnel. Même si celui-ci n'est pas la Constitution qu'elles appellent de leurs vœux, elles considèrent que les progrès institutionnels du texte étaient significatifs et que l'utilisation du terme de constitution donne une visibilité au pouvoir politique européen existant et constitue donc une étape importante dans la reconnaissance d'une communauté politique démocratique des Européens.

Certains fédéralistes se sont cependant opposés au traité en retenant avant tout ses insuffisances et le maintien d'une part importante d'intergouvernementalisme dans les institutions européennes.

La critique fédéraliste du traité a été aussi souvent utilisée par certains des adversaires du traité lors du débat français sur le traité constitutionnel européen.

Fédéralisme européen et les partis politiques

Il existe en Europe un Parti fédéraliste européen, créé le 6 novembre 2011 à Paris dans un contexte de grave crise de la gouvernance européenne. Deux partis fédéralistes pan-européens ont été créés en 2005 : Newropeans et Europe United (à l'origine du nouveau Parti fédéraliste européen). En mars 2017, Volt Europa est créé, un mouvement pan-européen en faveur du fédéralisme européen.

De nombreux élus de tous bords se sont prononcés en faveur du fédéralisme européen sans nécessairement participer aux mouvements qui s'en réclament. L'UEF est cependant dirigé généralement par un élu. Le Mouvement européen, plus proche du monde politique, se prononce aussi aujourd'hui en faveur du fédéralisme, quoique de manière moins prononcée. Les organisations fédéralistes tentent généralement de maintenir une certaine neutralité afin de pouvoir influencer les élus de droite comme de gauche. Le Parlement européen compte souvent dans ses rangs un intergroupe fédéraliste qui rassemble les eurodéputés au-delà des clivages partisans.

Devant la lenteur de la construction européenne et déçus par la faible adhésion des gouvernements à leurs thèses, des fédéralistes ont cependant souhaité s'engager en politique et tenter d'influencer le cours des choses en se présentant aux élections. En 1974, deux candidats se réclamant du fédéralisme se présentent : Jean-Claude Sebag (42 007 voix) et Guy Héraud (19 255 voix).

Parmi les politiques qui se sont prononcés en faveur du fédéralisme européen on peut noter Joschka Fischer alors ministre des Affaires étrangères d'Allemagne et Guy Verhofstadt, Premier ministre de la Belgique, Alain Juppé, en tant que ministre français des Affaires étrangères, ou encore Daniel Cohn-Bendit.

Stand Up For Europe a été lancé lors de la sixième Convention fédéraliste européenne de Bruxelles, le 3 décembre 2016[18].

Position quant au mondialisme

La perspective à terme d'un gouvernement fédéral mondial est parfois évoquée dans les écrits fédéralistes. Elle était déjà évoquée dans certains discours du Congrès de La Haye. La critique de l'État-national et les valeurs qui fondent le fédéralisme européen ne peuvent en effet se limiter au niveau continental. En cela on peut rapprocher la pensée fédéraliste du mondialisme. Il existe ainsi un World Federalist Movement (mouvement fédéraliste mondial) auquel certaines organisations de fédéralistes européens sont rattachées. Un partenariat existe également avec le Mouvement fédéraliste africain. Si les questions relatives à la gouvernance mondiale sont parfois évoquées, elles ne sont cependant généralement pas perçues comme une priorité stratégique. Des mobilisations ponctuelles ont pu être observées, par exemple par une participation des fédéralistes européens à la campagne pour la mise en place de la Cour pénale internationale.

    Sources

    Références

    Bibliographie

    • Jürgen Habermas, La constitution de l'Europe, Paris, nrf essais, .
    • Bernard Voyenne, Histoire de l'idée fédéraliste : Tome III, Les lignées proudhoniennes, Presse d'Europe, , « Le combat pour l'Europe fédérée »
    • Dusan Sidjanski, L'Union européenne sur la voie fédéraliste, Institut d'études européennes et internationales du Luxembourg, (lire en ligne)

    Compléments

    Articles connexes

    Liens externes

    • Portail de l’Union européenne
    • Portail de la politique
    Cet article est issu de Wikipedia. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.