Explosion de vapeur d'eau

Le phénomène d'explosion de vapeur, redouté dans les fonderies et les centrales nucléaires, se produit lorsqu'un liquide froid volatil (de l'eau le plus souvent) entre en contact avec un liquide chaud dont la température est très supérieure à la température d'ébullition du liquide froid.

Explosion de vapeur à Waikupanaha sur la grande île d'Hawaï causée par l'entrée de la lave dans l'océan

Selon la rapidité du phénomène, il faut distinguer ce que l'on appelle plus généralement les interactions combustible-réfrigérant (ICR, Fuel-Coolant Interaction en anglais) des explosions. À l'échelle humaine, ceci peut ne pas faire grande différence puisqu'une interaction très faible suffit largement pour tuer quelqu'un. En effet, dans les fonderies, on rapporte dans le monde quelques dizaines d'accidents par an, surtout dans l'industrie de l'aluminium. Les pompiers redoutent également ce phénomène. Mais il ne s'agit pas en général d'explosions telles qu'elles sont décrites par la suite. De la même manière, des interactions sont rencontrées en volcanologie et sont à l'origine de certaines des éruptions volcaniques.

L'exemple le plus célèbre d'explosion de vapeur est cependant sans conteste celle qui est supposée avoir détruit le réacteur de la Centrale nucléaire de Tchernobyl (il subsiste des incertitudes, une explosion hydrogène dans le bâtiment réacteur aurait également eu lieu).[réf. nécessaire]

Le phénomène physique

Le liquide volatil se vaporise au contact du liquide chaud. Il suffit alors qu'une petite perturbation intervienne dans le mélange des deux liquides pour qu'au moins l'un des deux se fragmente finement (quelques dizaines de microns), augmentant la surface d'échange entre les deux liquides et par suite le taux de vaporisation. En pratique, les explosions ont lieu dans le cas où le fluide chaud est dispersé dans le fluide froid. Dans ce cas, le phénomène se propage à la vitesse du son et est donc très rapide (quelques millisecondes). La situation inverse où le fluide froid est dispersé dans le fluide chaud mène plutôt une interaction, potentiellement dangereuse, mais sans le même caractère explosif. Les situations où les deux fluides sont stratifiés et donc non dispersés, peuvent également mener à des explosions mais d'ampleurs nettement moins fortes. Expérimentalement, les situations stratifiées ont mené à des intensités d'explosion de quelques dizaines de bars au maximum (sur des échelles cependant très réduites), alors que des pressurisations de l'ordre de 1000 bars ont été enregistrées dans les expériences KROTOS menées au centre JRC d'ISPRA (voir par exemple Nuclear Engineering and Design 155 ( 1995) 391 -403).

Si la fragmentation du fluide chaud est plus rapide que le relâchement de la pression (via un déplacement des fluides), la vaporisation du fluide volatil induit une compression locale des fluides. Cette compression locale participe à une montée en pression globale. Dans sa phase ultime, le phénomène s'apparente à une détonation chimique ainsi que l'ont démontré Board et Hall (Nature 254 (5498), 1975). Le front de détonation (onde de choc de quelques centaines de bars) pulvérise le combustible chaud, cette fragmentation contribuant elle-même à l'onde de choc. La surpressurisation est ensuite suivie d'une importante détente engendrant une très grande vaporisation au cours de laquelle l'énergie interne se transforme en travail. C'est en général cette phase de détente qui est la plus destructrice pour les structures.

La modélisation

En pratique cependant, l'extension des théories classiques de détonation ne peut se faire qu'au prix d'approximations non physiques (instantanéité des phénomènes de fragmentation et / ou de transfert thermiques) et ne permettent pas d'évaluations réalistes du phénomène. On utilise également souvent des modèles simples thermodynamiques (Hicks et Menzies[1], Hall[2]). Ceux-ci sont également en pratique largement insuffisants. En effet, l'intensité du phénomène dépend de multiples paramètres et surtout de la configuration du mélange au moment de l'initiation de l'explosion. Le taux de vapeur présent dans le mélange est en particulier très déterminant. Des processus chimiques tels de l'oxydation peuvent également augmenter considérablement l'énergie mécanique délivrée par l'explosion. C'est le cas en particulier en présence de métaux tels que l'aluminium ou le zirconium dont l'oxydation est très exothermique.

Ainsi, actuellement, ce phénomène est modélisé via des logiciels de simulation numérique multiphasique, multidimensionnelle. Ces outils sont principalement utilisés dans l'industrie nucléaire. En France, le seul logiciel de ce type existant est le code MC3D, issu d'une collaboration entre le CEA et l'IRSN (pour faire simple). Ces outils mettent en œuvre une modélisation très complexe devant gérer des conditions physiques très particulières (des milliers de degrés, des centaines de bars) avec des phénomènes multiples et très complexes. Le point le plus critique actuellement est sans doute la modélisation de la phase initiale de mélange entre les fluides. Ainsi, aussi sophistiqués que soient ces outils, il existe de nombreuses zones d'incertitudes tant en ce qui concerne la physique elle-même que la modélisation (la description numérique de la physique).

Le risque dans les réacteurs et centrales nucléaires

Dans le cadre de la sûreté nucléaire, c'est l'un des phénomènes les plus redoutés et des plus difficiles à évaluer. Il est étudié dans la plupart des pays nucléarisés, avec des aides de la commission européenne en Europe.

Il a fait l'objet d'un Projet conjoint de l'OCDE coordonné par l’Agence pour l'énergie nucléaire de l’OCDE (ou NEA pour Nuclear Energy Agency) dit SERENA (pour « Steam Explosion Resolution for Nuclear Applications ») et consacré à l'« étude des Interaction Combustible-Réfrigérant et des effets d'une explosion de vapeur dans un réacteur nucléaire à eau »[3]. Ce projet vise, au moyen de tests et d'une instrumentation de pointe à évaluer la validité des modèles informatiques actuels à correctement prédire les risques d'interaction combustible-réfrigérant et en particulier les explosions de vapeur. L'une des premières et principales conclusions de SERENA est que le risque de menace de l'intégrité de l'enceinte est nul si ce type d'explosion se produit à l'intérieur de la cuve d'un réacteur en difficulté, mais qu'un scénario de rupture d'enceinte ne peut pas être écarté si l'explosion se produit hors de la cuve. Afin de vérifier les capacités d'extrapolation des codes de calculs utilisés pour les modélisations, des expérimentations devaient fournir :

  • des données expérimentales visant à clarifier le comportement d'une explosion due à un corium prototypique[3] ;
  • des données expérimentales visant à valider les modèles d'explosion de matériaux provenant d'un corium (prototypique) (dont concernant la dynamique de l'explosion, et la distribution spatiale du combustible aux différents stades du processus)[3] ;
  • des données expérimentales acquises dans des situations plus proches de celle d'un véritable réacteur[3].

Le programme (clos en novembre 2012) a bénéficié des moyens et installations du CEA (KROTOS, plus adapté à l'étude des caractéristiques intrinsèques d'une explosion de vapeur dans une géométrie unidimensionnelle) et du KAERI (TROI, plus adapté au test de comportement des matériaux impliqués dans le réacteur dans des conditions plus multidimensionnelles)[3]. En 2011, les six essais prévus dans l'installation TROI et cinq des six essais prévus dans l'installation KROTOS étaient réalisés[3]. Un état des connaissances a été rédigé et présenté à 75 participants de 13 pays, avant publication en 2013 dans un rapport public du CSNI[3].

Des explosions de vapeur sont survenues sur trois réacteurs expérimentaux (petits réacteurs dédiés à l'expérimentation). Pour deux d'entre eux, il s'agit d'expériences américaines. Il y eut cependant un véritable accident (réacteur SL-1 aux US également) faisant trois morts. Dans ces cas, l'« excursion de puissance » est si rapide que le combustible du réacteur chauffe et fond (création de corium) sans que l'eau (de refroidissement ou de modération) ne puisse être expulsée. Il en résulte immanquablement une explosion de vapeur.

Pour les réacteurs de type REP (en France) et REB (à eau bouillante, comme à Fukushima), le risque intervient lors d'une fusion du cœur quand celui-ci (avec une température de l'ordre de 2 500 °C) coule dans l'eau encore présente. Deux situations sont à risque :

  1. situation dite « en-cuve » lors de la coulée du corium vers le fond de la cuve du réacteur (le combustible est toujours confiné dans la cuve) ;
  2. situation dite « hors-cuve », si la cuve vient à rompre ou à être percée par le corium et que ce dernier se déverse alors dans l'eau située cette fois sous la cuve (qui a pour fonction de la refroidir).

L'explosion « en-cuve » est moins redoutée quant à ses effets, puisque la cuve est conçue pour résister à de fortes contraintes. L'explosion « hors-cuve » est plus dangereuse car ayant lieu dans une enceinte moins résistante à de telles pressions. Il s'agit d'un risque bien réel, notamment confirmé par l'accident de Three Mile Island (TMI-2), dans lequel environ 20 tonnes de combustible ont fondu et se sont déversées dans le fond de la cuve[4] (situation en-cuve).

En ce qui concerne l'accident de Fukushima, les cœurs de trois des réacteurs ont fondu et notamment la cuve du réacteur 1 semble percée (situations en-cuve et hors-cuve). Fort heureusement, aucune explosion de vapeur d'eau n'a été enregistrée (les explosions qui ont détruit les superstructures des bâtiments étaient des explosions d'hydrogène)[5].

Le réacteur EPR est, pour sa part, conçu afin de minimiser le risque d'explosion de vapeur (hors-cuve)[6] : en cas de fusion du cœur et perte de corium, ce dernier serait étalé dans une chambre sèche pouvant être refroidie puis inondée[7].

Le risque dans les fonderies

Le risque d'explosion de vapeur d'eau est particulièrement redouté dans les fonderies.
Dernier accident en date du 25 juin 2011 : explosion d'une fonderie à Feurs (Loire, France)[8].

Versé sur de l'aluminium ou de l'acier en fusion, un kilogramme d'eau se vaporise en provoquant une explosion semblable à un kilo de TNT, voire plus[9].

Liens externes

Notes et références

  1. Hicks, E. P. and Menzies, D. C. (1965) Theoretical studies on the fast reactor maximum accident, Argonne Lab Report, ANL-7120, Oct 1965
  2. A.N. Hall, Outline of a new thermodynamic model of energetic fuel-coolant interactions, Nuclear Engineering and Design, vol. 109, p. 407-415, (1988)
  3. NEA, Présentation du NEA Co-ordinated Programme on Steam Explosion Resolution for Nuclear Applications (SERENA) (consulté 5 janvier 2013).
  4. « L'accident de Three Mile Island », dossier IRSN.
  5. « Situation de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi au Japon - Point de situation du 10 juin 2011 », IRSN, 2011 [PDF].
  6. « Nucléaire : comment éviter un scénario catastrophe ? », Le Figaro, 10 janvier 2007.
  7. « « Élimination pratique » du risque d'explosion de vapeur », IRSN, page 44, section 6/2/3 :
    « Pour éviter une explosion de vapeur en cas de coulée de combustible fondu dans le puits de cuve, la conception du réacteur EPR comporte des dispositions telles qu'aucune arrivée d'eau dans ce puits n'est possible avant la percée de la cuve, même en cas de rupture d'une tuyauterie primaire. De plus, le récupérateur de combustible fondu étant constitué d'une « chambre d'étalement » (voir paragraphe 6/3/2), le réacteur EPR comporte des dispositions empêchant l'arrivée d'eau dans cette « chambre d'étalement » avant l'arrivée du corium, de façon à éviter une explosion de vapeur lors de la coulée de combustible fondu dans ce dispositif. »
  8. Deux morts dans l'explosion d'une fonderie à Feurs (Loire)
  9. http://www.metallurgy.no/M62279.pdf Alternative coolants and cooling system designs for safer freeze lined furnace opération

Articles connexes

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