Estran

L'estran, zone de balancement des marées, zone de marnage, zone intertidale ou replat de marée également appelé foreshore (de l'anglais) en sédimentologie, est la partie du littoral située entre les limites extrêmes des plus hautes et des plus basses marées. Il constitue un biotope spécifique, qui peut abriter de nombreux sous-habitats naturels.

Pour les articles homonymes, voir Estran Cité de la mer.

Estran à marée basse dans les Côtes-d'Armor, en France.

Il est découpé en trois étages, de haut en bas : l’étage supralittoral, l’étage médiolittoral et l’étage infralittoral.

Terminologie

Carte de 1751 signalant des zones de battures sur les côtes de l'île Royale (Nouvelle-Écosse).

L'estran est aussi appelé batture dans l'Amérique du nord francophone. On utilise aussi pour le désigner le terme « zone de marnage » ou l'anglicisme « zone intertidale » (de l'anglais tidal signifiant « relatif à la marée ») ; en termes administratifs et juridiques, on emploie aussi l'expression « zone de balancement des marées ».

Provenant du néerlandais, et utilisés en français, un estran vaseux prend le nom de « wadden » (qui se répartit en slikke, nu ; et schorre, fixé par la végétation[1],[2]). 

Historiquement, le mot estran signifie « délaissé sableux de la mer ». Il est attesté sous la forme estrande dans un texte normand au XIIe siècle et a déjà plus ou moins le sens qu'on lui connaît aujourd'hui. Le terme picard stranghe, estranc, attesté au XVIIe siècle, puis estran, est, avec le terme normand, la source du mot français, mais de manière directe. Il s'agit d'un emprunt au moyen néerlandais strang, au sens de « grève ». Il est à mettre en rapport avec le terme actuel strand en anglais, allemand, néerlandais ou suédois.

Localisation dans le monde

Ce sont des milieux en régression forte et rapide partout dans le monde[3], mais qui restent mal connus, car ayant longtemps été moins bien cartographiés que d'autres milieux littoraux, bien qu'étant l'un des écosystèmes côtiers les plus vastes et très important en termes de services écosystémiques[4].

Fin 2018, une cartographie haute résolution, basée sur plus de 700 000 images satellite, a précisé leur étendue et leur évolution récente (1984-2016, soit 33 ans, le temps d'une génération humaine)[3].

Les zones intertidales à substrats sableux, rocheux ou vaseux, soumises à une inondation régulière, couvrent plus de 127 921 km2 (entre 124 286 et 131 821 km2, pour un intervalle de confiance à 95 %)[3].

Environ 70 % de ces zones sont situées sur trois continents : l'Asie (44 % du total), l'Amérique du Nord (15,5 % du total) et l'Amérique du Sud (11 % du total). En termes de pays, 49,2 % sont dans huit pays (Indonésie, Chine, Australie, États-Unis, Canada, Inde, Brésil et Birmanie)[3].

Certaines régions ont fait l'objet de suivis depuis plusieurs décennies, dont en Asie de l’Est, au Moyen-Orient et en Amérique du Nord : selon cette étude, environ 16 % de la surface (entre 15,62 et 16,47 %) y a été perdue entre 1984 et 2016[3].

Caractéristiques de l'estran

Géomorphologie

Le terme estran recouvre des faciès géomorphologiques très différents qui se traduisent par l'installation de populations végétales et animales diversifiées. En considérant les côtes bordant des mers présentant des marées importantes, il est aisé d'observer trois systèmes principaux :

  • les côtes rocheuses ; ces substrats durs permettront l'installation d'algues qui pourront servir de nourriture à certains animaux ; les irrégularités de ce même substrat ainsi que les algues présentes leur fourniront aussi des abris de choix ;
  • les plages, qu'elles soient de sable ou de galets, correspondant à des zones d'accumulation (parfois d'érosion) de sédiments ; ces substrats mous ne permettront que très difficilement la fixation d'algues ou de plantes ; les animaux seront plus rares et le plus souvent en position endogée ;
  • les zones estuariennes, où les apports terrigènes sont plus ou moins importants, se déposant sous forme de boues ; dans les régions tropicales et équatoriales, où les fleuves ont des débits hors du commun, avec des apports terrigènes considérables, ces zones donnent naissance aux mangroves.

Exondation et inondation

L'estran est recouvert, au moins en partie, lors des pleines mers, et découvert lors des basses mers. La durée d'exondation (le retrait de la mer) des différentes parties de l'estran dépend de leurs emplacements par rapport au niveau moyen de la mer et du nombre de marées par jour (deux sur les côtes atlantiques de la France, mais une seule dans certaines régions du globe).

Hydrodynamisme

L'exposition de l'estran à l'action de la mer n'est pas anodine. Une côte ouverte recevant la houle du large sans que celle-ci ne rencontre d'obstacle n'aura pas la même structure qu'une côte abritée.

Structuration verticale

La structuration en « étages » est la conséquence des périodes plus ou moins longues d'exondation de l'estran en fonction du positionnement du lieu étudié. Plusieurs facteurs interviennent :

  1. l'humidité : celle-ci peut provenir de l'eau de mer ou de la pluie ;
  2. la température : un estran subit de grandes variations de température quand il est exondé (gel en hiver, fortes températures en été) ; par contre les variations de température sont faibles quand il est immergé ;
  3. la lumière : les flux lumineux sont assez vite arrêtés par les couches d'eau.

Sur une côte rocheuse, quatre grands étages peuvent être définis (supralittoral, médiolittoral, infralittoral et circalittoral). Sur un estran sédimentaire ou en estuaire, la structuration verticale des plages est beaucoup moins nette.

Écologie

L'estran étant alternativement recouvert par la mer et exposé à l'air, il est propice à un écosystème spécifique, adapté à la fois aux conditions maritimes et aériennes, capable de résister aux effets de la force des vagues[5],[6] et des courants et marées, ainsi qu'aux effets de la déshydratation et des UV à marée basse. L'estran a un fonctionnement différent en zone estuarienne, dans les zones polaires et en milieu tropical (les marais à mangroves peuvent occuper la zone de l'estran, de même que des structures coralliennes).

Flore

La flore comprend des espèces d'algues qui se répartissent sur l'estran en fonction de leur mode de vie et de la nature du substrat. La flore dite « supérieure » ne comporte qu'un petit nombre d'espèces adaptées aux variations de salinité ou à l’exondation fréquente.

Bactérie

Biofilm superficiel intertidal, en grande partie photosynthétique sur vase estuarienne exondée, se formant à marée descendante ; c'est une source de nourriture essentielle pour le Bécasseau d'Alaska (et de nombreux invertébrés[7] qui trouvent là jusqu'à 50 % des ressources énergétiques dont ils ont besoin.

Un grand nombre d'espèces d'algues et bactéries vivent dans la colonne d'eau des estuaires (formant notamment le « bouchon vaseux ».

Le « biofilm intertidal » qui recouvre les vasières, constamment renouvelé est aussi une source de nourriture importante. On a montré[7] par l'étude conjointe d'enregistrements vidéo et du contenu stomacal et d'isotopes stables comme marqueurs, que le Bécasseau d'Alaska (calidris mauri) se nourrit en grande partie d'algues et de bactéries qu'il trouve dans le biofilm intertidal.

Auparavant, ce type de biofilm était uniquement considéré comme une source de nourriture pour les invertébrés rapeurs et quelques poissons spécialisés, mais on a montré qu'il constitue en fait de 45 à 59 % de la ration alimentaire totale d'un oiseau comme le Bécasseau d'Alaska, en lui fournissant environ la moitié (50 %) de son « budget énergétique » quotidien[7].

Ce constat implique aussi une concurrence entre cet oiseau et les invertébrés herbivores consommateurs primaires qui exploitent également cette ressource. Mais il est également possible qu'en remuant la couche superficielle du sédiment, l'oiseau favorise la régénération naturelle du biofilm qui à marée haute peut alors être consommé par les invertébrés aquatiques[7].

En outre, comme les taux de « pâturage » individuels sont estimés à sept fois la masse corporelle par jour, et que les colonies de bécasseaux d'Alaska atteignent souvent des dizaines de milliers d'individus, les oiseaux de rivage se nourrissant de biofilm pourraient avoir des impacts « majeurs » sur la dynamique sédimentaire[7]. En théorie, ces biofilms devraient ou pourraient profiter de l'eutrophisation générale de l'environnement, mais le dragage et le chalutage, l'apport de polluants piégés par le biofilm ou susceptibles de l'altérer (pesticides, antifoulings, cuivre…) peuvent aussi interférer négativement avec sa régénération et donc sa productivité.

La forte productivité phytoplanctonique induit une biomasse importante des invertébrés, le benthos,qui confère à l'estran une place essentielle dans le réseau trophique et exerce une influence sur les écosystèmes marins. La productivité du milieu est souvent attestée par la présence d’une avifaune quantitativement et qualitativement de grand intérêt, comme dans la baie de Saint-Brieuc. Les données nouvelles sur sa valeur nutritionnelle[7] mettent en exergue « l'importance des processus physiques et biologiques de maintien du biofilm pour la conservation de certains oiseaux de rivage et des écosystèmes interditaux »[7].

Faune

La faune typique de l'estran inclut des anémones de mer, des coquillages (moules, berniques, etc.), des étoiles de mer, des crabes, etc. et de nombreux invertébrés. Les espèces ne sont pas nombreuses, mais certaines font preuve d'une haute productivité.

Habitats

L'estran recouvre une très grande variété d'habitats différents classés différemment selon les différentes typologies d'habitats. La classification European Union Nature Information System en compte trois grandes catégories : « Dunes côtières et rivages sableux », « Galets côtiers », et « Falaises, corniches et rivages rocheux, incluant le supralittoral ». La classification Corine Biotope comprend 10 catégories d'habitats littoraux : « Mers et océans », « Bras de mer », « Estuaires et rivières tidales (soumises à marées) », « Vasières et bancs de sable sans végétations », « Marais salés, prés salés (schorres) », « steppes salées et fourrés sur gypse », « Dunes côtières et plages de sable », « Plages de galets », « Côtes rocheuses et falaises maritimes », et « Ilots, bancs rocheux et récifs ».

La directive habitats définit 5 grands types d'habitats côtiers, subdivisés en plusieurs sous-types :

  • Eaux marines et milieux à marées
  • Marais et prés-salés atlantiques et continentaux
    • Végétations pionnières à Salicornia et autres espèces annuelles des zones boueuses et sableuses
    • Prés à Spartina (Spartinion maritimae)
    • Prés salés atlantiques (Glauco-Puccinellietalia maritimae)
    • Prés salés intérieurs
  • Marais et prés-salés méditerranéens et thermo-atlantiques
    • Prés salés méditerranéens (Juncetalia maritimi)
    • Fourrés halophiles méditerranéens et thermo-atlantiques (Sarcocornietea fruticosi)
    • Fourrés halo-nitrophiles (Pegano-Salsoletea)
  • Steppes intérieures halophiles et gypsophiles
    • Steppes salées méditerranéennes (Limonietalia)

Cartographie et législation

En droit romain, la mer comme les rivages de la mer sont res communis, choses communes: la mer étant commune son rivage qui en est l'accessoire devait avoir le même caractère. On entend par rivage de la mer la partie de la côte que baigne la mer dans ses plus hautes marées « est tittus maris quatenus hibernus fluctus maximus excurrit » en un mot c'est l'estran. Cependant le long de leur territoire les Romains considéraient la côte de la mer comme propriété de l'État attendu qu'elle forme une espèce de dépendance de la terre ferme et le droit public moderne contient une disposition analogue[8].

Le niveau correspondant à la limite basse de l'estran (laisse de basse mer) sert généralement d'altitude de référence pour les cartes marines (ou zéro hydrographique), à la différence des cartes terrestres qui utilisent le niveau de la mer comme référence. En revanche, tous les organismes cartographiques ne considèrent pas la même partie basse : en France par exemple, l'altitude prise en compte est le niveau des plus basses mers (coefficient de marée de 120), tandis que certaines anciennes cartes britanniques se réfèrent au niveau des basses mers moyennes de vives-eaux (coefficient de marée de 95).

Tout comme la partie sèche du littoral, la propriété et l'utilisation de l'estran peut donner lieu à des controverses légales et politiques :

  • En Nouvelle-Zélande, plusieurs groupes māori ont revendiqué leurs droits sur l'estran (et le plancher océanique) sur des bases historiques. Le Foreshore and Seabed Act, qui fut voté en 2004, établit spécifiquement la propriété de l'État sur ces zones. La controverse se poursuit toujours actuellement ( et ).
  • Aux États-Unis, pour les plages privées, certains États comme le Massachusetts utilisent le bas de l'estran pour séparer la propriété privée de la propriété de l'État. D'autres États comme la Californie prennent en considération le haut de l'estran.
  • En France, l’estran appartient au domaine public maritime. Il peut être concédé (autorisation d'occupation temporaire, concession d'utilisation) pour des usages privés (conchyliculture, mouillage, câbles...), mais pour des durées limitées ; ces concessions n'entraînent pas de transfert de propriété de l'estran et peuvent faire l’objet de redevances annuelles dues à l’État pour cette occupation. Dans ce domaine public, aucune construction même saisonnière ne peut se faire sans autorisation préalable par un service de l’État au-delà d’une utilisation supérieure à la journée, et cette occupation impose la protection des lieux, le respect de l’environnement (propreté) et la restauration des lieux en l'état initial. De plus, certaines utilisations non construites peuvent être interdites par arrêté préfectoral, telles que le campement, l’allumage de feux, la pêche ou la chasse, la cueillette ou les plantations, le creusement du sous-sol, la prospection et le pompage des eaux, l’usage de certains véhicules motorisés ou non, l’accès par des animaux domestiques ou le traitement des sols.

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

  • Cajeri, P., Curti, C., Lafon, V., Launay, R., & Sauriau, P. G. Cartographie des habitats intertidaux des sites Natura 2000 des Pertuis charentais : complémentarité des approches inventaire terrain, télédétection et SIG (PDF, 10 pages).
  • Fan D. in Principles of Tidal Sedimentology (eds Davis, R. A. Jr & Dalrymple, R. W.) 187–229 (Springer, New York, 2012).
  • Goodbred, S. L. & Saito, Y. in Principles of Tidal Sedimentology (eds Davis, R. A. Jr & Dalrymple, R. W.) 129–149 (Springer, New York, 2012)
  • Kirwan, M. L. & Megonigal, J. P. Tidal wetland stability in the face of human impacts and sea-level rise. Nature 504, 53–60 (2013)
  • MacKinnon, J., Verkuil, Y. I. & Murray, N. J. (2012) IUCN Situation Analysis on East and Southeast Asian Intertidal Habitats, with Particular Reference to the Yellow Sea (Including the Bohai Sea). (IUCN, Cambridge).
  • Murray, N. J., Clemens, R. S., Phinn, S. R., Possingham, H. P. & Fuller, R. A. Tracking the rapid loss of tidal wetlands in the Yellow Sea. Front. Ecol. Environ. 12, 267–272 (2014).
  • Murray, N. J., Phinn, S. R., Clemens, R. S., Roelfsema, C. M. & Fuller, R. A. Continental scale mapping of tidal flats across East Asia using the Landsat archive. Remote Sens. 4, 3417–3426 (2012).
  • Liu, Y., Li, M., Zhou, M., Yang, K. & Mao, L. Quantitative analysis of the waterline method for topographical mapping of tidal flats: a case study in the Dongsha sandbank, China. Remote Sens. 5, 6138–6158 (2013).
  • Liu, Y., Li, M., Cheng, L., Li, F. & Chen, K. Topographic mapping of offshore sandbank tidal flats using the waterline detection method: a case study on the Dongsha sandbank of Jiangsu radial tidal sand ridges, China. Mar. Geod. 35, 362–378 (2012).
  • Ryu, J. H., Won, J. S. & Min, K. D. Waterline extraction from Landsat TM data in a tidal flat – a case study in Gomso Bay, Korea. Remote Sens. Environ. 83, 442–456 (2002).
  • Tardy J., Tardy B. (1977). Le peuplement de la zone des marées du littoral. In : L'île d'Aix. Annales de la Société des Sciences Naturelles de la Charente-Maritime, Supplément, pp 167-172.

Références

  1. « wadden », sur gdt.oqlf.gouv.qc.ca (consulté le )
  2. https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/wadden/82673
  3. (en) Nicholas J. Murray & al. (2018) The global distribution and trajectory of tidal flats | publié le 19 décembre
  4. (en) Millennium Ecosystem Assessment (2005) Ecosystems and Human Well-being: Current State and Trends (Island, Washington DC)
  5. Carstens T (1968) Wave forces on boundaries and submerged surfaces. Sarsia 34: 37–60.
  6. Denny MW (1985) Wave forces on intertidal organisms: A case study. Limnology & Oceanography 30: 1171–1187. doi: 10.4319/lo.1985.30.6.1171.
  7. Tomohiro Kuwae, Peter G. Beninger, Priscilla Decottignies, Kimberley J. Mathot, Dieta R. Lund, Robert W. Elner. (2008) Biofilm grazing in a higher vertebrate : the westerne sandpiper, Calidris Mauri ; Ecology 89:3, 599-606 ; En ligne 2008-03-01 (résumé)
  8. Polynice Van Wetter. Cours élémentaire de droit romain contenant la législation de Justinien, avec l'histoire tant externe qu'interne du droit romain, Volume 1. lire en ligne
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