Enrichissement de l'uranium

L'enrichissement de l’uranium est le procédé consistant à augmenter la proportion d'isotope fissile dans l’uranium. L'opération la plus commune est l'enrichissement de l'uranium naturel en son isotope 235. Par extension, l'enrichissement est aussi la teneur en matière fissile.

Proportions atomiques d'uranium 238 (en bleu) et d'uranium 235 (en rouge) dans l'uranium naturel et à différents stades d'enrichissement.

L’uranium naturel contient 0,71 % massique d’uranium 235. Or, c'est celui-ci qui peut provoquer une réaction de fission nucléaire. Les deux isotopes 235U et 238U ayant les mêmes propriétés chimiques, leur séparation est effectuée en exploitant leur unique différence, la légère différence de masse atomique due aux trois neutrons d'écart.

L’enrichissement de l’uranium est à la base des filières de réacteurs électrogènes les plus courants : réacteurs à eau pressurisée et réacteurs à eau bouillante. L'enrichissement permet notamment de diminuer la masse du réacteur, parce que son chargement demande en conséquence moins d'uranium. Cette technologie fonde également le développement des bombes atomiques à l'uranium enrichi.

Procédés d'enrichissement

Il existe plusieurs méthodes d’enrichissement. Toutes reposent sur la légère différence de masse entre uranium 235 et 238, à l'exception de la séparation par laser qui exploite les différences de spectre électromagnétique. Toutes également nécessitent la mobilité des atomes individuels, donc l'utilisation d'uranium sous forme de vapeur, de gaz d'hexafluorure d'uranium UF6, voire de liquide pour la diffusion thermique.

Actuellement, les procédés de diffusion gazeuse et de centrifugation dominent le marché, avec une transition vers la seconde, nettement moins énergivore. La diffusion thermique et la séparation électromagnétique appartiennent au passé, tandis que les procédés de séparation chimique ou par laser sont encore à l'étude.

Diffusion thermique

Schéma de principe de la séparation isotopique dans le Calutron. Un fort champ magnétique dévie le faisceau d'ions d'uranium, la concentration en U-235 étant finalement plus forte sur la bordure interne du faisceau.

La diffusion thermique utilise le transfert de chaleur à travers une fine couche de liquide ou de gaz pour obtenir une séparation isotopique. Le procédé se fonde sur le fait que les molécules de gaz comportant des atomes de 235U, un peu plus légères, tendent à diffuser vers les surfaces plus chaudes, alors que les molécules à base de 238U, comparativement plus lourdes, tendent à diffuser vers une surface froide.

Ce procédé a été employé historiquement à l'usine S-50 à Oak Ridge (Tennessee, États-Unis), pendant la Seconde Guerre mondiale, comme première étape d'enrichissement avant une séparation isotopique électromagnétique. Le procédé a été abandonné depuis au profit de la diffusion gazeuse.

Séparation électromagnétique

Dans le procédé de séparation électromagnétique (en anglais electromagnetic isotope separation process - EMIS), l'uranium métallique est vaporisé, puis ionisé. Les cations ainsi produits sont accélérés, puis déviés par un champ magnétique. La différence de masse entre les isotopes 235 et 238 crée une différence dans le rapport de la charge électrique sur la masse. Le flux d'ions est accéléré par un champ électrique et dévié par un champ magnétique. La différence sur le rapport e/m conduit à une déviation différentielle qui permet d'enrichir l'uranium.

L'uranium enrichi de la deuxième bombe atomique (Little Boy), lors du Projet Manhattan, a été obtenu par séparation électromagnétique, en utilisant un spectromètre de masse de taille industrielle, le calutron. Cette méthode, assez inefficace, a été largement abandonnée depuis.

Diffusion gazeuse

Ce procédé est basé sur la différence de masse, très faible, existant entre les molécules d’hexafluorure d'uranium 235, plus légères que celles d’hexafluorure d'uranium 238. En les faisant filtrer à travers des membranes adaptées, on arrive en multipliant suffisamment le nombre de cycles à obtenir de l’uranium enrichi.

La diffusion gazeuse requiert environ 60 fois plus d'énergie que le procédé d'ultracentrifugation, soit environ 6 % de l'énergie qui sera finalement produite avec l'uranium enrichi résultant.

C'est une méthode qui était utilisée depuis la guerre froide et en France dans la première génération de l'usine d'Eurodif au Tricastin (Drôme), elle tend aujourd'hui à être remplacée par des procédés moins coûteux.

Ultracentrifugation

Centrifugeuse de type Zippe
Ce procédé consiste à utiliser des centrifugeuses tournant à très grande vitesse. Les molécules les plus lourdes (238UF6) se retrouvent projetées à la périphérie, alors que les plus légères (235UF6) migrent vers le milieu de la centrifugeuse. En outre, la partie inférieure de la centrifugeuse est chauffée[1], ce qui crée un mouvement de convection où la colonne centrale monte et s'enrichit en uranium 235 en hauteur, tandis que le 238 migre vers le bas.
Comme pour la diffusion gazeuse, le traitement doit être appliqué de nombreuses fois pour obtenir un enrichissement suffisant. Les centrifugeuses sont donc montées en cascades, le gaz passant de l'une à la suivante en augmentant progressivement sa teneur.
La centrifugeuse Zippe est l'ancêtre de la centrifugeuse standard ; cette technologie a été employée au Pakistan.

Enrichissement par flux laminaire

Schéma de principe de l'enrichissement par séparation de flux.
L'enrichissement par séparation de flux utilise la force centrifuge créée dans un gaz suivant à grande vitesse une trajectoire courbe à faible rayon. Le principe de la séparation (le gradient de pression dû aux différences de masses moléculaires) est le même que dans l'ultracentrifugation, l'avantage du dispositif étant d'éliminer les pièces mécaniques mobiles. L'effet est amélioré en diffusant l'hexafluorure d'uranium dans de l'hydrogène ou de l'hélium, ce qui améliore la vitesse du flux sans freiner la diffusion de UF6 dans la veine gazeuse. Ce procédé a été développé en Afrique du Sud, et une usine expérimentale a été construite au Brésil. Toutefois, il n'est pas employé à échelle industrielle, du fait de sa grande consommation énergétique.

Séparation chimique

Le procédé Chemex : un procédé chimique, qui consiste en des échanges répétés entre une phase aqueuse d'uranium trivalent et une phase organique d'uranium tétravalent. L'enrichissement se fonde sur l'idée que la vitesse de réaction chimique n'est pas rigoureusement la même pour les deux isotopes, l'U-235 tendant à se concentrer dans la forme U4+[2]. Les solutions sont préparées en utilisant l'uranium naturel et non l'UF6.

Cette technologie développée par la France n'est pas arrivée à une maturité suffisante pour être industrialisée.

Séparation par laser

La séparation par laser joue sur la légère différence de spectre électromagnétique entre l'U-235 et l'U-238, due à ce que l'environnement des électrons externes n'est pas tout à fait le même dans les deux atomes. En ajustant convenablement la fréquence de la lumière excitatrice, il est alors possible d'exciter sélectivement l'un ou l'autre isotope, jusqu'à arracher l'électron externe et ioniser l'atome.

La Séparation Isotopique par Laser sur Vapeur Atomique de l’uranium (SILVA) est un procédé français, développé par le CEA à partir des années 1980[3]. Dans cette technique, l'uranium métal est vaporisé et des faisceaux laser éclairent cette vapeur pour ioniser sélectivement l'uranium 235, qui est collecté sur des plaques chargées négativement. L'uranium 238, encore neutre, se condense sur le toit du séparateur. Jugé peu concurrentiel par rapport à l'ultracentrifugation, ce procédé a vu ses études arrêtées en 2004[4] après que le procédé a atteint le stade de démonstrateur.

Développé en Australie depuis le début des années 1990, le procédé SILEX (en anglais Separation of Isotopes by Laser Excitation) se fonde au contraire sur l’excitation de molécules d'UF6. Cette technologie est l'objet d'études d'industrialisation [5] et apparaît être sur le point d'arriver à une maturité suffisante pour être employé industriellement[6].

Enrichissement industriel

Industrialisation des procédés

La plupart des procédés d'enrichissement ont un facteur de séparation faible, insuffisant pour obtenir l'enrichissement visé en une seule étape. De ce fait, l'enrichissement de l'uranium est généralement effectué à travers un procédé en cascade. Par exemple, pour enrichir de l'uranium naturel à 0,71 % jusqu'à une teneur de 3,5 % par un procédé dont le facteur de séparation est de 1,0833, il sera nécessaire d'enchaîner au moins log(4,93)/log(1,0833)= vingt étages d'enrichissement.

Les unités élémentaires employées dans ces cascades d'enrichissement ont généralement un pouvoir séparateur homogène quand il est exprimé en unité de travail de séparation (UTS). Cette unité représente le travail nécessaire à l'enrichissement isotopique d'un mélange ; elle évalue le coût technique de la séparation d'un kilogramme d'uranium en deux lots de teneur isotopique différente. Le coût économique du traitement par une filière dépend ensuite du coût d'une unité élémentaire et de sa consommation énergétique. Historiquement, les premiers procédés employés à échelle industrielle ont été dans les années 1950 la diffusion gazeuse, puis à partir des années 1970 l'industrialisation des procédés d'enrichissement par centrifugation a permis une moindre consommation d'énergie ; le procédé émergent des années 2010 devrait être la séparation par laser exploitant le procédé SILEX.

Marché mondial de l'enrichissement

L'industrie de l'enrichissement est concentrée sur le plan mondial. Quatre grandes entités cumulent la quasi-totalité des capacités d'enrichissement : Rosatom (Russie) : 44,8 % des capacités en 2015, Areva (à travers la Société d’Enrichissement du Tricastin, dont elle détient 88 %, qui détient l'usine Georges-Besse II) : 12,8 %, Urenco (Royaume-Uni, Pays-Bas, Allemagne, États-Unis) 32,6 % et CNNC (Chine) : 8,8 %. Le secteur fait face à des surcapacités depuis l'accident de Fukushima en 2011, avec un cours de l'UTS divisé par deux[7].

En 2004, les capacités mondiales d'enrichissement s'élevaient à 38 à 39 millions d'UTS par an, réparties sensiblement à parité entre les deux technologies. Les capacités de productions étaient respectivement les suivantes[8] :

RosatomCité atomique d'Angarsk (Russie)11 MUTS / anCentrifugation
Orano (ex-Areva)Georges-Besse II (France)7.5 MUTS / anCentrifugation
USECPaducah (États-Unis)5 MUTS / anDiffusion gazeuse
USECimportateur d'uranium hautement enrichi (militaire) russe5 MUTS / anDilution
UrencoCapenhurst (Royaume-Uni), Gronau (Allemagne), Almelo (Pays-Bas)6 MUTS / anCentrifugation
Japan Nuclear Fuel Ltd.Rokkasho (Japon)1 MUTS / anCentrifugation
CNNCShaanxi (Chine)1 MUTS / anCentrifugation
Total38 à 39 MUTS / an

La technologie de diffusion gazeuse équipe l'usine américaine de Paducah (11,3 millions d'UTS par an) et l'usine chinoise de Lanzhou (0,45 million d'UTS par an). Avant sa fermeture en 2012, elle équipait l'usine française du Tricastin - Georges Besse (10,8 millions d'UTS par an). Le fonctionnement à pleine capacité de cette usine utilisait la puissance de trois des quatre réacteurs du site du Tricastin[9].

La technique d'ultra-centrifugation est employée en France à Georges-Besse II, en Allemagne (Gronau : 1,3 million d'UTS par an), au Japon (Rokkasho : 1,05 million d'UTS par an), aux Pays-Bas (Almelo : 1,5 million d'UTS par an), dans la Fédération de Russie (quatre usines pour un total de 20 millions d'UTS par an), au Royaume-Uni (Capenhurst : 2 millions d'UTS par an) ainsi qu'en Chine (Shaanxi : 0,45 million d'UTS par an) qui dispose des deux technologies. L'usine russe de Seversk a la particularité de pouvoir ré-enrichir l'uranium de retraitement. L'usine Georges-Besse II est prévue pouvoir le faire aussi à terme[réf. nécessaire].

Classification de l'uranium selon son enrichissement

Uranium appauvri

Le résidu de l'enrichissement est de l'uranium appauvri, dont la teneur en 235U est de l'ordre de 0,2 à 0,4 %. La majorité de la production est stockée car il contient de l'uranium 238 (pour plus de 99,3 %), isotope fertile susceptible d'être employé dans le futur, par des filières à surgénérateur fondées sur le cycle du plutonium.

L'uranium appauvri est utilisé dans la fabrication du combustible MOX pour les REP ou les RNR, et sert de matériau constitutif dans d'autres utilisations marginales (obus, lests…).

Uranium naturel

Baril de yellowcake (précipitat d'uranium naturel extrait du minerai)

L'uranium naturel (en anglais natural uraniumNU) a une teneur massique en uranium 235 de 0,71 %, ce qui correspond à la teneur initiale de l'uranium extrait dans une mine d'uranium.

L'uranium naturel a été employé en l'état dans les premières générations de réacteurs nucléaires, faute de moyen d'enrichissement industriel compétitif : le premier réacteur nucléaire, la Chicago Pile-1, réalisé par Enrico Fermi à l'université de Chicago, était un empilage de blocs de graphite et d'uranium naturel (d'où le nom de « pile atomique » qui lui est resté). Industriellement, les premiers réacteurs ont également été réacteurs à l'uranium naturel : les réacteurs B, D et F du Complexe nucléaire de Hanford, qui produisirent le plutonium nécessaire au projet Manhattan, puis les réacteurs civils CANDU au Canada, Magnox en Grande-Bretagne, les réacteurs à eau lourde refroidis au gaz puis uranium naturel graphite gaz en France.

Uranium légèrement enrichi

L'uranium légèrement enrichi (en anglais, slightly enriched uranium - SEU) est une proposition[10] introduite vers la fin des années 1990, visant à remplacer l'uranium naturel comme combustible dans certains types de réacteur à eau lourde, comme les réacteurs CANDU. Un léger enrichissement permet d'optimiser les coûts, parce que le chargement demande en conséquence moins d'uranium pour produire la même quantité d'énergie[11]. Ceci réduit la quantité de combustible consommé, et le coût ultérieur de gestion des déchets.

Cette qualité d'enrichissement a une concentration de 235U comprise entre 0,9 % et 2 %. Il se classe donc parmi l'uranium faiblement enrichi (0,71 % à 20 %, voir plus bas).

Uranium faiblement enrichi

D'après une définition proposée par ASTM International et entrée dans la pratique internationale[12],[13], l'uranium dont l'enrichissement en 235U est de 20 % et moins est dit « faiblement enrichi ». C'est en particulier le cas de l'uranium destiné au combustible nucléaire des centrales électrogènes.

L'uranium faiblement enrichi (en anglais, Low-enriched uranium - LEU) est typiquement utilisé à des taux d'enrichissement de 3 à 5 % dans des réacteurs à eau légère, le type de réacteur le plus courant dans le monde. Des réacteurs de recherche utilisent des taux d'enrichissement allant de 12 % à 19,75 %, cette dernière concentration à la limite réglementaire étant utilisée comme produit de substitution pour faire fonctionner des réacteurs initialement conçus pour de l'uranium hautement enrichi.

L'uranium de retraitement (URT) est issu du traitement des combustibles UOX irradiés. Son enrichissement est de l'ordre de 1 % et sa composition isotopique est plus complexe (présence notable d'uranium 234 et 236). L'uranium ré-enrichi (URE) est de l'uranium de retraitement qui a subi une nouvelle étape d'enrichissement, l'amenant à une teneur en uranium 235 de quelques pourcents.

Uranium hautement enrichi

Au-delà d'une concentration en 235U supérieure à 20 %, l'uranium est considéré comme « hautement enrichi » (en anglais, highly enriched uranium - HEU) par les conventions internationales.

Cette qualité d'uranium est utilisée dans certains types de réacteur à neutrons rapides à des taux pouvant être compris entre 50 et 90 %. Il est également utilisé comme cible pour produire des radioisotopes à usage médical, dans certains réacteurs de recherche et dans les réacteurs de propulsion navale[14]. Le réacteur civil Fermi-1 fonctionne ainsi à un taux d'enrichissement nominal de 26,5 %.

Le stock mondial d'uranium hautement enrichi était de l'ordre de 2 000 tonnes en 2000 (à comparer aux 2 300 000 tonnes d'uranium produites au total dans le monde)[réf. nécessaire].

Uranium de qualité militaire

Lingot d'uranium de qualité militaire.

Bien que la limite fixée par la réglementation internationale soit de 20 %, la teneur en isotope 235 (ou en isotope 233) nécessaire en pratique pour des applications militaires dépasse 85 %. Pour des taux d'enrichissement de l'ordre de 80 à 99 %, l'uranium hautement enrichi est dit de qualité militaire. Il est utilisable pour fabriquer une arme nucléaire.

La masse critique nécessaire pour un uranium enrichi à 85 % est de l'ordre de 50 kilogrammes. Il est possible de fabriquer des bombes atomiques avec des taux d'enrichissement plus faibles, jusqu'à 20 % (voire moins, selon certains auteurs), mais cette possibilité est assez théorique : la masse critique nécessaire est d'autant plus grande que le taux d'enrichissement est plus faible. Quand le taux d'enrichissement est plus faible, la présence d'238U inhibe la réaction en chaîne, ce qui s'ajoute à l'effet de dilution de l'235U. Il est théoriquement possible de diminuer la masse critique nécessaire avec des réflecteurs de neutrons, et/ou en faisant imploser la charge, mais ces techniques ne sont en pratique accessibles qu'à des pays qui ont déjà une expérience suffisante dans la conception d'armes atomiques.

Pour les contrôles internationaux, la « quantité significative » au-dessus de laquelle la possibilité de fabriquer un engin nucléaire explosif ne peut pas être exclue est de 25 kg d'235U sous forme de HEU[13].

Enjeux de non-prolifération

Enrichissement d'uranium et prolifération

Le contrôle international des installations d'enrichissement est un enjeu crucial pour la non-prolifération nucléaire, parce qu'une technique permettant de réaliser une capacité d'enrichissement industrielle peut non seulement donner accès à de l'uranium faiblement enrichi, nécessaire pour le fonctionnement de centrales nucléaires, mais également à de l'uranium hautement enrichi, nécessaire dans le domaine civil pour réaliser des réacteurs à haut flux, mais surtout utilisable dans le domaine militaire pour fabriquer des bombes atomiques.

Cette question était restée relativement académique tant que les capacités industrielles étaient surtout formées par des unités de séparation par diffusion gazeuse. De telles unités mobilisent un hold-up important de matière, et elles n'atteignent leur production d'équilibre que relativement lentement. De ce fait, pour cette technologie, une reconfiguration pour produire de l'uranium hautement enrichi serait complexe, demanderait de long délais, et serait de plus dangereuse compte tenu du risque de criticité que ces teneurs entraînent. Un simple examen de l'installation industrielle permet d'assurer dans ce cas qu'elle est effectivement dimensionnée pour produire de l'uranium faiblement enrichi, et qu'il ne lui est pas possible de produire de l'UHE dans des délais relativement courts.

En revanche, ce risque est beaucoup plus important avec la technologie par ultracentrifugation, où les unités sont de hold-up négligeable, et sont donc beaucoup plus facilement reconfigurées[15]. Ce risque est encore plus difficile à contrôler avec l'arrivée probable des technologies d'enrichissement par laser, qui ne demandent que des installations de faible taille, donc difficiles à détecter. C'est pour cette raison que l'autorisation de réalisation d'une installation industrielle fondée sur le procédé SILEX a fait l'objet d'un débat sur son caractère proliférant[16].

Cette difficulté du contrôle a posteriori rend d'autant plus nécessaire la surveillance a priori des technologies permettant d'accéder à l'enrichissement de l'uranium, telle qu'elle est mise en place par le groupe des fournisseurs nucléaires.

Délai de constitution d'un stock militaire

Pour lutter contre une éventuelle prolifération nucléaire, l'enjeu d'un contrôle international est d'être capable de déceler un enrichissement à des teneurs de type « militaire » (de l'ordre de 85 à 90 %) réalisé sur un stock civil préexistant par détournement de capacité de séparation civiles, ceci avant que le détournement n'ait permis de constituer une « quantité significative » suffisante pour réaliser une tête nucléaire, soit 25 kilogrammes d'uranium 235 fortement enrichi[17].

Pour remplacer le cœur d'une centrale comme celle de Bouchehr, il faut disposer d'un stock de l'ordre de 30 tonnes d'uranium[18] enrichi à 3,6%[19]. Si cette opération doit être faite tous les deux ans, il faut disposer de moyens d'enrichissements permettant d'enrichir 15t par an ; ce qui demande une capacité en unité de travail de séparation de l'ordre de 62 tonnes UTS. Cependant, l'Iran n'a en 2015 que le huitième de cette capacité[20], soit de l'ordre de huit tonnes UTS. On comprend dans ces conditions que ce pays puisse revendiquer le droit d'accéder à une capacité d'enrichissement dix fois supérieure[20] qui lui serait nécessaire pour assurer son autonomie énergétique (actuellement dépendante des fournitures russes).

Cependant, une telle capacité reste suffisante pour enrichir en moins d'un an de l'ordre d'une douzaine de « quantité significative » à un taux de 98 % (pour une teneur de rejet de l'ordre de 1,6 %), soit l'équivalent d'une par mois en régime permanent. En intégrant le temps nécessaire à la reconfiguration de l'usine et le délai pour convertir en métal l'hexafluorure d'uranium ou l'oxyde d'uranium (il ne serait autrement pas utilisable à des fins militaires[20]), l'Iran serait donc capable selon les experts de construire une bombe en trois mois[20] avec ses capacités actuelles. Inversement, avec ces mêmes capacités et ces mêmes délais, le nombre de « quantité significative » réalisables à partir d'une tonne d'uranium à 20 % (teneur que peut justifier un réacteur de recherche) serait de l'ordre d'une dizaine en quatre mois.

Le contrôle de la non-prolifération, de ce fait, passe par de nombreux moyens non exclusifs :

  • Réduire le taux d'enrichissement nominal produit par ces moyens industriels, un taux de « recherche » de 20 % étant dix fois plus critique qu'un taux « électronucléaire » de 3,6 % ;
  • Réduire si possible la capacité d'enrichissement et le stock disponible en uranium faiblement enrichi, de manière à limiter le nombre de « quantité significative » réalisable clandestinement en cas de suspension des inspections internationales ;
  • Principalement, contrôler le non-détournement des installations d'enrichissement, par la vérification périodique de leur configuration, ou par des contrôles inopinés que permettrait le protocole additionnel de l’AIEA ;
  • Contrôler la présence et l'affectation conforme des stocks existant d'uranium déjà enrichi.

La capacité d'enrichir quelques « quantités significatives » en un intervalle de temps donné (break-out capacity en anglais) n'est cependant qu'une des nombreuses dimensions de la prolifération. Un État qui voudrait effectivement produire de l'uranium hautement enrichi clandestinement doit d'une part disposer de stocks d'uranium et des capacités d'enrichissement nécessaires, mais doit de plus les mettre en œuvre pendant suffisamment longtemps pour obtenir la matière nécessaire pour réaliser un certain nombre d'essais nucléaires (un à trois?), et prolonger cette utilisation jusqu'à obtenir un stock suffisant pour réaliser un arsenal nucléaire militairement significatif (plusieurs dizaines voire centaines de têtes), et de plus être capable de militariser ces têtes pour pouvoir les associer à un vecteur opérationnellement pertinent[21].

Notes et références

  1. Description des centrifugeuses, URENCO, 2001.
  2. Uranium Production, FAS, 2013.
  3. Fin des études du procédé d'enrichissement de l'uranium par laser SILVA, Futura-Sciences
  4. Uranium Enrichment and Fuel Fabrication, WISE, 2013.
  5. Actualité de Global Laser Enrichment (GLE), filiale de GE Hitachi Nuclear Energy ;
  6. « L'uranium enrichi au laser, nouvelle peur nucléaire », sur Le Monde,
  7. Pour Engie, l’uranium enrichi n’est plus stratégique, Les Échos, .
  8. Débat public sur la construction de l'usine Georges Besse II - Partie 1 - le contexte : l’enrichissement de l’uranium, (lire en ligne [PDF]), p. 15.
  9. Paul Reuss, L'Epopée de l'énergie nucléaire : Une histoire scientifique et industrielle, Les Ulis, France, EDP Sciences, coll. « Génie atomique », , 167 p. (ISBN 978-2-86883-880-3), p. 75.
  10. Cf. par exempleProposed use of Slightly Enriched Uranium (SEU) Fuel at the Bruce "B" Nuclear Generating Station, Canadian Environmental Assessment Agency, 2004-2005.
  11. Slightly enriched uranium fuel for a PHWR, C. Notari, A. Marajofsky, Centra Atomico Constituyentes, Comision Nacional de Energia Atomica, Buenos Aires, Argentina, 1997.
  12. Cf par exemple Management of high enriched uranium for peaceful purposes, Agence internationale de l'énergie atomique, juin 2005.
  13. IAEA safeguards glossary, AIEA, édition 2001.
  14. (en) « Minimizing danger, maximizing headaches], », Bulletin of the Atomic Scientists, (lire en ligne).
  15. The gas centrifuge and nuclear weapon proliferation, Physics today, september 2008.
  16. Craig McMurtrie, « Australian laser 'threatens nuclear security' », ABC Online, (lire en ligne[archive du ], consulté le )
  17. Glossaire sur les armes nucléaires, Organisation des Nations Unies.
  18. Pourparlers sur le nucléaire à Genève, Le Matin, 11 janvier 2015
  19. Russia delivers nuclear fuel to Iranian reactor, World Nuclear News, 17 December 2007
  20. Nucléaire iranien : le point sur les négociations, Le Monde, 12.11.2014
  21. Missing the point on Iran’s nuclear breakout time, Aljazeera America, March 2, 2015.

Voir aussi

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