Edward Teller

Edward (Ede) Teller, né le à Budapest et mort le à Stanford, est un physicien nucléaire hongro-américain.

Pour les articles homonymes, voir Teller.

Il est connu proverbialement comme le « père de la bombe à hydrogène » et un fervent défenseur de cette arme, à l'encontre de plusieurs scientifiques ayant travaillé avec lui sur le Projet Manhattan (notamment Robert Oppenheimer). Cela entraîna une profonde rupture entre lui et le flanc gauche, « pacifiste », du monde scientifique, à tel point qu'Isidor Isaac Rabi déclare : « Le monde serait meilleur sans Edward Teller ».

Biographie

Edward Teller avant de quitter l'Autriche-Hongrie pour l'Allemagne.

Edward Teller[1] naît dans une famille juive à Budapest, alors en Autriche-Hongrie.

Il quitte en 1926 son pays pour l'Allemagne (en partie à cause du numerus clausus institué par Miklós Horthy, limitant le nombre de juifs pouvant être admis à l'Université) et y suivre un cursus de chimie à l'Université de Karlsruhe, où il obtient un diplôme en génie chimique.

Il se prend d'intérêt pour la physique et entre à l’Université de Leipzig en 1928 pour suivre cette nouvelle voie. À Munich, il a un accident de voiture qui blesse gravement une de ses jambes et le voit contraint de se faire amputer de son pied, qui est remplacé par une prothèse[2] (ce qui le fait boiter toute sa vie). Il obtient son doctorat en physique en 1930, sous la direction de Werner Heisenberg[3]. Cette même année, il se lie d'amitié avec deux jeunes scientifiques russes, George Gamow et Lev Landau, alors en visite en Europe de l'Ouest.

Il passe deux ans à l'Université de Göttingen. Avec l'arrivée d'Adolf Hitler au pouvoir, comme de nombreux scientifiques, il quitte l'Allemagne avec l'aide du Comité de secours juif. Il passe brièvement au Royaume-Uni et un an à Copenhague, au Danemark. C'est là qu'il travaille sous la direction de Niels Bohr.

En février 1934, il épouse Augusta Maria (Mici) Harkanyi, la sœur d'un ami d'enfance[réf. nécessaire].

En 1935, à la suite de l'encouragement de George Gamow, il obtient un poste de professeur de physique à l'Université George Washington aux États-Unis et travaille avec son ami jusqu'en 1941. Avant la découverte de la fission nucléaire par Lise Meitner et Otto Frisch en 1939, il était engagé dans des travaux théoriques sur la mécanique quantique, la physique moléculaire et la physique nucléaire. Mais à la suite de cette découverte, il s'intéresse alors aux deux réactions de l'énergie nucléaire, la fission et la fusion.

En 1941, il est naturalisé citoyen des États-Unis.

L'une des plus importantes contributions de Edward Teller à la science est peut-être l'explication de l'effet Jahn-Teller en 1939, qui décrit la distorsion géométrique du nuage d'électrons sous certaines conditions. Cela joue un rôle prépondérant dans la description des réactions chimiques des métaux et en particulier la coloration de certaines teintures métalliques. Avec Stephen Brunauer et Paul Hugh Emmett, il apporte également une importante contribution en chimie et physique des surfaces avec la théorie Brunauer, Emmett et Teller (BET).

Avec l'entrée en guerre des États-Unis, il cherche à contribuer à l'effort de guerre. Sur les conseils du célèbre aérodynamiste du Caltech et compatriote hongrois Theodore von Kármán, il collabore avec son ami Hans Bethe sur le développement d'une théorie sur la propagation des ondes de choc. Des années plus tard, leurs travaux servent à l'étude de la pénétration d'un missile dans l'air.

Projet Manhattan

Photo d'identification de Edward Teller pour le Laboratoire national de Los Alamos.

En 1942, au cours d'une réunion avec son ami et collègue Enrico Fermi sur les perspectives d'une guerre nucléaire, Fermi suggère avec désinvolture qu'il est peut-être possible qu'une arme utilisant la fission nucléaire déclenche une réaction plus importante de fusion nucléaire. Bien que, dans un premier temps, il explique à Fermi pourquoi il pense que ce n'est pas possible, Teller reste tout de même fasciné par cette perspective et trouve rapidement le développement d'une « simple » bombe A ennuyeux (le développement d'une telle arme est encore très loin d'être réalisé au vu des nombreux problèmes à résoudre).

Quelques semaines plus tard, il est invité à participer à un séminaire de planification de Robert Oppenheimer à l'Université de Californie à Berkeley, pour les premiers travaux du Projet Manhattan, qui aboutit en 1945 à la mise au point de la première arme nucléaire. Au cours du séminaire, il détourne la conversation du développement d'une arme à fission vers une à fusion, qu'il surnomme la « Super » bombe (cette arme devient par la suite la bombe H ou bombe à hydrogène).

Le Projet Manhattan commence et Edward Teller fait maintenant partie de la Division de physique théorique du Laboratoire national de Los Alamos, qui est alors couvert par le secret militaire. Il continue tout de même de pousser l'idée de la création d'une arme à fusion, mais les difficultés dans la conception d'une arme à fission sont déjà importantes et son idée n'est pas la priorité du moment. Des tensions avec le reste de l'équipe scientifique apparaissent alors, certainement dues à sa frustration de ne pas voir son idée être plus étudiée et également le fait qu'il n'a pas eu le poste de directeur de la Division de physique théorique (qui est offert à Hans Bethe). Il refuse de s'engager dans les calculs prédisant le comportement de l'implosion d'une bombe atomique, mais il apporte tout de même d'importantes contributions, principalement sur le mécanisme de l'implosion.

En 1946, il quitte Los Alamos pour l'Université de Chicago. La même année, il participe à une conférence sur les propriétés des combustibles thermonucléaires, comme le deutérium, la conception d'une bombe à hydrogène est alors discutée. Les estimations de Teller sur la faisabilité d'une bombe à hydrogène sont jugées trop favorables, notamment sur la quantité de deutérium nécessaire, mais également sur les pertes de radiations durant la combustion du deutérium. Malgré les oppositions de certains scientifiques, comme Robert Serber, Teller rédige un rapport optimiste sur la conception d'une bombe à hydrogène et c'est la raison pour laquelle il juge nécessaire la réalisation d'une telle arme. Klaus Fuchs (un espion de l'Union soviétique qui a réussi à travailler sur le Projet Manhattan), participe à cette conférence et transmet ces conclusions à Moscou. Mais le modèle de Teller d'une bombe à hydrogène n'est pas correct (ce dont s'aperçoivent les Américains lors du développement de leur bombe H) et Robert Oppenheimer a suggéré plus tard que c'était peut-être la raison qui a fait prendre du retard au programme soviétique, qui se basait sur le modèle de Teller. L'Union soviétique est alors obligée de développer son propre modèle.

Bombe à hydrogène

Le modèle Teller-Ulam garde le combustible fissile et fusible physiquement séparés l'un de l'autre et utilise les radiations du dispositif primaire pour comprimer le secondaire.

Juste après la première explosion de la bombe atomique de l'Union soviétique en 1949, le président Harry Truman annonce en catastrophe le développement d'un programme visant à concevoir une bombe à hydrogène. Edward Teller retourne à Los Alamos en 1950 pour travailler sur ce projet. Rapidement il s'impatiente devant le peu de progrès et insiste pour impliquer plus de théoriciens et accuse ses collègues de manquer d'imagination, ce qui provoque une détérioration de ses relations avec les autres chercheurs.

En 1950, les calculs du mathématicien polonais Stanislaw Ulam et de son collaborateur Cornelius Everett, sont confirmés par Fermi et montrent que non seulement les estimations de Teller sur la quantité de tritium dont la bombe H a besoin sont sous-évalués, mais également que si l'on augmente la quantité de tritium, la perte d'énergie lors du processus de fusion est telle que la réaction ne peut pas se propager. L'année suivante, Ulam propose une modification dans le modèle de Teller qui sépare physiquement les deux composants de fission et de fusion et utilise l'onde de choc de l'explosion de la bombe A, pour comprimer le combustible fusible. Une fois comprimé, la réaction de fusion est amorcée. Teller est réticent au début, mais ce modèle lui donne l'idée non pas d'utiliser l'onde de choc, mais les radiations pour comprimer le matériel fusible, c'est le modèle Teller-Ulam. La véritable part de la contribution de Ulam dans le modèle Teller-Ulam est sujette à controverse. Pour Teller, Ulam n'a aucunement contribué à l'élaboration de ce modèle[4]. Pour sa part Hans Bethe dans une biographie de Robert Oppenheimer, a écrit que c'est Teller qui a fait la découverte cruciale ayant permis la mise au point de la bombe H[5]. Cependant d'autres scientifiques, ayant eu des rapports antagonistes avec Teller comme J. Carson Mark, déclarent que Teller n'aurait jamais pu concevoir ce modèle sans l'assistance d'Ulam et des autres scientifiques[6].

La principale découverte dans ce nouveau modèle est donc la séparation des composants de fission et de fusion[7] et l'utilisation des radiations produites par la bombe à fission (la bombe A) pour amorcer la réaction de fusion.

Ivy Mike, la première bombe H.

Bien qu'il ait été un fervent partisan de la bombe H depuis toujours, ainsi que le principal concepteur du modèle de l'arme, il n'a pas été choisi pour diriger (sa réputation d'avoir une personnalité difficile a probablement joué un rôle à cela). En 1952, il quitte le laboratoire de Los Alamos pour rejoindre le Laboratoire national de Lawrence Livermore, nouvellement créé à la suite de ses recommandations auprès de Ernest Orlando Lawrence.

Le premier essai d'une bombe H, dont le nom de code est Ivy Mike, utilisant le modèle Teller-Ulam a lieu à Enewetak, une atoll des îles Marshall, le . Bien que déjà connu comme le père de la bombe à hydrogène, Edward Teller n'assiste pas directement à l'essai nucléaire, clamant qu'il ne se sentait pas le bienvenu sur le site d'essai du Pacifique. Lors de l'explosion, il se trouve à plusieurs milliers de kilomètres, dans les sous-sols de l'Université de Berkeley où il assiste sur un sismographe à la secousse provoquée par l'explosion thermonucléaire.

La controverse Oppenheimer

Le désaccord entre Teller et la plupart de ses collègues devient plus grand en 1954 après son témoignage contre Robert Oppenheimer, ancien directeur scientifique du Projet Manhattan et membre de la Commission de l'énergie atomique des États-Unis lors de l'audition de sécurité d'Oppenheimer. Durant le Projet Manhattan, il s'était opposé plusieurs fois à Oppenheimer. Et durant le procès de ce dernier en raison de ses sympathies communistes, il est le seul membre de la communauté scientifique à voir en Oppenheimer un danger pour la sécurité nationale.

Défenseur d'un vaste programme nucléaire

De 1958 à 1960, il est directeur du Laboratoire national de Lawrence Livermore, et après cela, il reste directeur associé. Pendant un temps, il a également été président du comité ayant été à l'origine du Space Sciences Laboratory (SSL) de Berkeley, ainsi que professeur de physique à l'université de cette ville.

Son témoignage, lors de la controverse Oppenheimer lui a valu d'être mal perçu dans les milieux universitaires, mais cela ne l'empêche pas d'avoir des liens importants auprès de certains membres de la communauté scientifique liée à des programmes gouvernementaux ou militaires. Cela lui permettra de continuer de travailler dans le domaine du nucléaire et ainsi participer au développement des standards de sécurité des installations des centrales nucléaires, comme ceux visant à mettre au point des réacteurs incapables théoriquement d'avoir un cœur qui fusionne.

Le cratère de l'essai Sedan de 1962, le plus puissant essai du programme Plowshare.

C'est un défenseur de l'établissement d'un important programme de recherche nucléaire américain et est à ce titre un opposant du Traité d'interdiction partielle des essais nucléaires qui a été signé en 1963. Il a d'ailleurs témoigné à ce sujet devant le Congrès et participé à des émissions télévisées. Il considérait que les armes nucléaires pouvaient avoir une utilisation civile, notamment pour des travaux de terrassement. C'est ainsi qu'il soutient le programme Plowshare, durant lequel 27 explosions nucléaires ont eu lieu sur le sol américain, principalement sur le site d'essais du Nevada, de 1961 à 1973.

En 1975, il est nommé directeur émérite du Laboratoire national de Lawrence Livermore, ainsi que Senior Research Fellow de la Hoover Institution.

Dans les années 1980, c'est un des principaux soutiens de l'Initiative de défense stratégique, plus connu sous le nom de programme Guerre des étoiles, du président Ronald Reagan. Ce programme visait à mettre au point des satellites équipés de lasers qui devaient intercepter les missiles balistiques soviétiques et ainsi les détruire avant qu'ils n'atteignent leurs cibles. En « reconnaissance » de ses efforts constants en faveur du développement d'armes toujours plus puissantes, le premier prix Ig Nobel de la paix lui a été attribué en 1991[8]. L'intitulé en anglais de sa nomination est le suivant : « for his lifelong efforts to change the meaning of peace as we know it » [sic]. De plus, Edward Teller est souvent considéré comme étant le modèle du Docteur Folamour[9].

Son épouse est décédée en 2000.

Distinctions et hommages

Il a reçu plusieurs distinctions durant sa vie, parmi lesquelles[10] :

Un astéroïde, 5006 Teller, porte son nom[11].

L'American Nuclear Society a créé le prix Edward Teller.

Publications

  • Our Nuclear Future; Facts, Dangers, and Opportunities (1958)
  • Basic Concepts of Physics (1960)
  • The Legacy of Hiroshima (1962)
  • Energy from Heaven and Earth (1979)
  • The Pursuit of Simplicity (1980)
  • Better a Shield Than a Sword: Perspectives on Defense and Technology (1987)
  • Conversations on the Dark Secrets of Physics (1991)
  • Memoirs: A Twentieth-Century Journey in Science and Politics (2001)

Bibliographie

  • [Docteur Folamour] (en) Peter Goodchild, Edward Teller : The Real Dr. Strangelove, Harvard University Press, , 469 p. (ISBN 978-0-674-01669-9, lire en ligne)
  • Michel Rival, Les apprentis sorciers : Haber, von Braun, Teller, Paris, Seuil, coll. « Science ouverte », , 234 p. (ISBN 978-2-02-021515-2, OCLC 35713705).

Article connexe

Liens externes

Notes et références

  1. (en) « Edward Teller | American physicist », sur Encyclopedia Britannica (consulté le )
  2. (en) Gloria Witt, « Glimpses of an exceptional man », Science and Technology Review, Lawrence Livermore National Laboratory, , p. 4-5 (ISSN 2473-2729, lire en ligne).
  3. Bernard Pire, « Edward Teller », sur Encyclopædia universalis (consulté le ).
  4. (en) Gary Stix, « Infamy and honor at the Atomic Café: Edward Teller has no regrets about his contentious career », Scientific American, , p. 42-43.
  5. (en) Hans Bethe, « J. Robert Oppenheimer », Biographical Memoirs, National Academy of Sciences, vol. 71, , p. 197 (lire en ligne).
  6. (en) Bengt Carlson, « How Ulam set the stage », Bulletin of the Atomic Scientists, vol. 59, no 4, , p. 46-51.
  7. Les détails de ce modèle sont toujours classifiés et inconnus du grand public.
  8. (en) « Winners of the Ig® Nobel Prize », Improbable Research (consulté le ).
  9. Docteur Folamour.
  10. (en) Edward Teller—Awards & Degrees.
  11. (en) 5006 Teller (1989 GL5).
  • Portail de la physique
  • Portail des États-Unis
  • Portail de la Hongrie
  • Portail de la culture juive et du judaïsme
  • Portail du nucléaire
  • Portail de l’histoire militaire
  • Portail des forces armées des États-Unis
  • Portail de la guerre froide
  • Portail de l’histoire des sciences
Cet article est issu de Wikipedia. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.