Écocide

Un écocide est la destruction ou l'endommagement irrémédiable d'un écosystème par un facteur anthropique[1], notamment par un processus d'écophagie, qui traduit la surexploitation de cet écosystème, intentionnelle ou non. Par exemple, les marées noires, la déforestation des forêts tropicales, l'assèchement de la mer d'Aral dû au prélèvement excessif de l'eau des fleuves qui l'alimentent, sont parfois qualifiés d'écocide ou de « suicide écologique ». Ce néologisme est construit à partir des racines éco- (du grec ancien οἶκος / oîkos, « maison ») et -cide (du latin caedere, « tuer, abattre ») et signifie littéralement « abattre [notre] maison ».

Le concept de crime d'écocide est débattu depuis 1947 au sein de la Commission du droit international pour préparer le Code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité[2]. Dans les années 1970, il a aussi été proposé d'inclure le crime d'écocide dans la Convention sur le génocide de 1948. Mais il a été retiré en 1995 du projet de Code et donc n'a pas été inclus au Statut de Rome. Depuis la fin des années 1990, diverses tentatives ont visé à le réintégrer dans le droit international en proposant soit un amendement au statut de la Cour pénale internationale pour lui permettre d'élargir ses compétences, soit de l'adopter dans des directives européennes, soit de créer de nouvelles juridictions officielles comme le projet de Cour pénale de l'environnement[réf. souhaitée], ou par d'autres juridictions, type tribunal moral Russel par exemple.

Notion écologique d'écocide

Plusieurs exemples historiques témoignent d'interventions humaines ayant abouti à la destruction de grands écosystèmes, comme l'assèchement de la mer d'Aral ou la destruction des forêts du Viêt Nam ou du Cambodge.

Assèchement de la mer d'Aral

Assèchement progressif de la mer d'Aral.

Recevant les eaux de deux fleuves, l'Amou-Daria et le Syr-Daria, la mer d'Aral s'est progressivement asséchée depuis les années 1970. Le débit de ces deux fleuves a considérablement diminué (90 % pour le Syr-Daria), à cause des prélèvements excessifs faits par les républiques d'Asie centrale, commencés dès 1920 et intensifiés par la suite. L'Ouzbékistan irrigue ses cultures de coton, le Kazakhstan entretient des rizières en plein désert.

Les débits cumulés en année normale des deux fleuves sont passés de 60 km³/an dans les années 1950, à 1,3 km³/an en 1986.

En 2005, le niveau de la mer d'Aral a baissé de 22 m depuis 1960, elle a perdu 60 % de sa surface et les côtes ont reculé de plus de 80 km.

Cet assèchement a de multiples conséquences néfastes :

  • la diminution de l'évaporation rend le climat de la région plus sec, en diminuant la quantité de précipitations ;
  • les vastes fonds marins laissés à nu sont balayés par les vents qui emportent le sel au loin et stérilisent de vastes étendues de terres cultivables ; ces tempêtes de sable, qui vont jusqu'au Pamir, provoquent des anémies (80 % des femmes enceintes), des cancers de l'estomac et des tuberculoses (20 fois les taux de l'ex-URSS) ;
  • l'augmentation de la salinité (passée de 9 à 49 g par litre en moyenne, avec des pointes à 85 g, contre 30 à 35 pour les autres mers) de l'eau tue les poissons, ce qui a supprimé toute pêche ; seule une sole mutante a survécu ;
  • le recul de la mer combiné à la baisse des précipitations provoque la régression des nappes phréatiques, dont certaines sont devenues saumâtres.

Utilisation de l'agent orange pendant la guerre du Viêt Nam

Pendant la guerre du Viêt Nam, l'armée américaine a utilisé un puissant herbicide et défoliant appelé agent orange dans le but de détruire les forêts servant de refuge aux combattants ennemis ainsi que leurs récoltes. Quarante ans après, cet herbicide est toujours responsable de la naissance d'enfants anormaux, parfois même sans membres. Selon un rapport de l'UNESCO, il a aussi détruit deux millions d'hectares de forêts et 500 000 hectares de mangrove, soit 20 % de l'ensemble des forêts sud-vietnamiennes, ainsi que 400 000 hectares de terres agricoles[3] : il s'agit en volume du plus important emploi d'armement chimique recensé[réf. nécessaire].

Arthur Galston (en), biologiste et éthicien, est crédité du premier usage du terme d’« écocide », en 1970, au sujet de l'usage de l'agent orange au Viêt Nam[4],[5]. Cette même année, lors d’une conférence sur la guerre et la responsabilité nationale à Washington, il propose « un nouveau traité international pour interdire l’écocide », défini comme « la destruction intentionnelle et permanente de l’environnement dans lequel un peuple peut vivre de la façon qu’il a choisie », estimant qu'il devrait être considéré comme un crime contre l’humanité[4].

Tentatives pour criminaliser l'écocide

Face aux désordres climatiques qui s'accélèrent et à la mise en cause des écosystèmes, plusieurs ONG ont jugé urgent de développer le droit international dans le domaine de l'environnement et de mettre en place des juridictions climatiques mondiales pour faire appliquer les mêmes règles partout sur la planète. De tels progrès de la gouvernance mondiale sont possibles et prolongent le mouvement qui a vu la naissance de l'ONU en 1945, puis de la Cour pénale internationale dont le statut a été adopté à Rome en 2002. Il est à noter que l'article 358 du code pénal de la Fédération de Russie punit expressément l'écocide d'une peine de 12 à 20 ans d'emprisonnement.

Mouvement Eradicating ecocide

Depuis sa mise en place, la Cour pénale internationale (CPI) peut d'ores et déjà juger quatre formes de crimes contre l'humanité, mais elle ne reconnaît pas encore les atteintes à l'environnement comme facteur de conflit menaçant la Paix. Un mouvement a été initié par Polly Higgins pour permettre de compléter ce manque en jugeant et condamnant des personnes dont la responsabilité en tant que supérieurs hiérarchiques est engagée dans un crime qualifié d'écocide[6]. En , le mouvement "Eradicating ecocide" vise à conférer aux crimes contre l'environnement le statut de cinquième crime contre la Paix[7] afin d'élargir les capacités de la CPI et de lui donner les capacités d'obliger les multinationales et les États à restreindre leurs émissions et pollutions en deçà des seuils admissibles[8].

Initiative communautaire européenne End ecocide

Le en Europe, une initiative citoyenne européenne a été lancée afin de demander l'adoption d'une directive criminalisant l'écocide et visant pénalement les personnes physiques, décideurs et dirigeants, dont les ordres porteraient atteinte à l’environnement et aux populations qui en dépendent. Ce projet de « directive Ecocide » visait à faire reconnaître la responsabilité de personnes physiques selon le principe de supériorité hiérarchique, quelles qu’elles soient, même si les actes ont été commis sans intention, et aurait ainsi empêché toute impunité. Chefs de gouvernement et PDG pouvaient ainsi être concernés. Ce projet visait également à reconnaître la responsabilité de personnes complices qui auraient facilité un écocide en conseillant ou subventionnant des activités dangereuses telles que les institutions financières ou les cabinets d’expertise environnementale.

Même si l'initiative End Ecocide in Europe[9] n'a recueilli au qu'un nombre certes honorable de signatures mais ne lui permettant pas d'engager l'examen par la Commission européenne[10], cette ICE a eu pour résultat de diffuser largement la notion d'écocide et de sensibiliser aux besoins d'une justice internationale sur les questions de l'environnement. Elle a de plus permis de montrer en quoi la crainte de la loi et de ses sanctions pourrait induire une responsabilisation des multinationales et États, régulation indispensable pour mener vers plus de justice climatique, en Europe et dans le monde entier, au Nord comme au Sud. Ce mouvement a ainsi permis de donner naissance à d'autres initiatives touchant les associations de juristes internationaux et les mouvements de scientifiques, notamment en médecine.

Les initiateurs de End Ecocide se sont rassemblés en plusieurs mouvements et ont signé le la Charte de Bruxelles au sein du Parlement européen. Durant l'année 2014, ils ont élargi leur mouvement et lui ont donné en conséquence un nouveau nom : End Ecocide on Earth[11].

Tribunaux moraux sur les crimes contre la nature

Depuis 2009, l'ONG Oxfam organise des « tribunaux sur le climat » et des événements destinés à promouvoir l'idée que ceux qui sont responsables du changement climatique devraient en répondre devant la loi. « Ces tribunaux ont aussi pour but de faire des propositions concrètes aux niveaux national et international, telles que la mise en place d'un véritable tribunal indépendant international sur les questions climatiques[12]. » Une série de climate hearings auditions du climat ») a ainsi donné l'occasion aux victimes du changement climatique de faire entendre leur voix à l'échelle locale, nationale et internationale dans le cadre de nombreux événements publics. En 2009 et 2010, Oxfam a impliqué plus de 1,6 million de personnes autour de telles « audiences » sur le climat dans plus de 36 pays, parmi lesquels l'Éthiopie, le Kenya, le Brésil, les Philippines, l'Inde et le Bangladesh[13].

Dernier exemple, le tribunal pour les crimes contre la nature et le futur de l'humanité, fondé à Quito les 10 et . Cette initiative est le résultat d'un appel lancé à Rio+20 en par Edgar Morin et un grand nombre d'intellectuels et politiques dont notamment le sénateur brésilien Cristovam Buarque, les juges Eva Joly et Doudou Diène, le professeur de sociologie Alfredo Pena-Vega et le professeur de droit de l'environnement Michel Prieur[14]. Pour ses initiateurs, « ce tribunal vise à attirer l’attention des gouvernements et des opinions publiques sur les menaces graves qui pèsent sur l’environnement, la nature et sur toutes les formes de vie ainsi que sur leurs répercussions sanitaires, économiques, sociales et culturelles portant atteinte aux générations futures[15]. » Il faut noter que le tribunal va d'abord exister sous une forme virtuelle avant d'apparaître sous une forme réelle : il permettra de revivre (avec des figurines virtuelles) les grands procès sur l'environnement en les rendant accessibles aux citoyens par des participations en ligne aux décisions qui y sont prises et, tout aussi bien, d'accéder aux archives majeures des jugements qui ont été rendus[16].

Pays ayant criminalisé l'écocide

Dans les années 1990, plusieurs pays ajoutent la notion d’écocide à leur code pénal : en 1990, le Viêt Nam devient le premier État à introduire l’« écocide » dans la loi, en le définissant comme « un crime contre l'humanité commis par destruction de l’environnement naturel, en temps de paix comme en temps de guerre »[5]. Depuis, une dizaine d’États ont intégré l'écocide à leur législation mais sans réelle application, parmi lesquels la Russie (l'article 358 du Code pénal définit cette infraction comme étant la « destruction massive de la vie végétale ou animale, de l’empoisonnement de l’atmosphère ou de l’eau, ainsi que d’autres actions qui pourraient causer une catastrophe écologique »[17]), l’Ukraine (en faisant référence à la catastrophe nucléaire de Tchernobyl), l’Arménie et la Géorgie[5],[4].

Demande de la Belgique d'inscrire le crime d'écocide dans le droit international

En , lors de l'assemblée des États parties au Statut de Rome, le gouvernement De Croo, par la voix de la ministre Sophie Wilmès, plaide pour que les membres examinent ultérieurement « la possibilité d’introduire les crimes dits d’“écocide” » dans le traité, et ainsi dans le droit international[18]. La Belgique devient ainsi le premier pays européen à plaider pour étendre la compétence de la Cour pénale internationale au crime d’écocide[18].

Tentatives en France

En 2019, le groupe socialiste à l'Assemblée nationale émet une proposition de loi visant à reconnaître le crime d’« écocide », défini comme une « action concertée tendant à la destruction ou dégradation totale ou partielle d’un écosystème, en temps de paix comme en temps de guerre, de porter atteinte de façon grave et durable à l’environnement et aux conditions d’existence d’une population . » La proposition est rejetée, le gouvernement ayant émis un avis défavorable : la garde des Sceaux Nicole Belloubet met en cause un manque de précision dans la définition du crime d'écocide, ainsi que les notions « trop floues » de « dommages étendus, irréversibles et irréparables », et affirme que l'arsenal législatif existant punit déjà les « atteintes d'ampleur »[19],[20].

En France, le rapport rendu par la Convention citoyenne pour le climat le propose l'insertion du crime d'écocide dans la Constitution. Cette demande est la deuxième, après une précédente ayant échoué en 2019 devant le Parlement. Selon la Convention,

« constitue un crime d’écocide, toute action ayant causé un dommage écologique grave en participant au dépassement manifeste et non négligeable des limites planétaires, commise en connaissance des conséquences qui allaient en résulter et qui ne pouvaient être ignorées. »

Ce terme pourrait ainsi permettre la sanction des acteurs ayant un comportement destructeur de l’environnement (gouvernements, entreprises, individuels, ONG)[21]. Il s’agit de pouvoir faire comparaître devant le juge pénal l’auteur ou les auteurs du crime de « dépassement des limites planétaires », afin que des magistrats déterminent si les limites ont été dépassées et si les agissements en cause constituent un crime d’écocide.

Cette proposition est critiquée par certains juristes. Selon Marta Torre-Schaub, dès lors que la notion de « limites planétaires » n’existe pas, se pose un problème pratique, à savoir celui de déterminer l'autorité qui va fixer ces limites : « La création de ce crime va donc de pair avec la mise en place, proposée par la convention, d’une nouvelle institution : la Haute Autorité des limites planétaires, chargée de fixer les seuils auxquels devront se référer les juges[22]. » L'ONG Notre affaire à tous répond à ces critiques juridiques, estimant juridiquement possible d'instituer un crime d'écocide[23].

Alors que le gouvernement avait annoncé la création d'un délit d'écocide plutôt que d'un crime comme proposé par la Convention citoyenne pour le climat, il abandonne ce projet après avoir rencontré une très forte hostilité des organisations syndicales patronales (Medef, France Industrie, Afep[24]).

Notes et références

  1. Voir sur lapenseeecologique.com.
  2. Ce code est l'ancêtre du Statut de Rome, constituant de la Cour pénale internationale instituée en 2002.
  3. Voir sur monde-solidaire.org.
  4. Jade Lindgaard, « “Ecocide” : histoire d’une idée explosive », sur Mediapart, (consulté le ).
  5. Aurore Lartigue, « L’«écocide», un crime contre la planète comme les autres? », sur rfi.fr, (consulté le ).
  6. Polly Higgins, Eradicating Ecocide Shepheard Walwyn: 2010 (ISBN 0856832758).
  7. Voir la définition de la loi destinée à compléter le statut de Rome de la CPI.
  8. Cf. le site anglais précisant les domaines et modes d'application de la loi.
  9. Une initiative européenne pour criminaliser l'écocide, brève, Wikinews.
  10. L'ICE n'a recueilli que 114 842 votes validés sur les 28 pays de l'Union européenne, dont plus de 54 % dans trois pays : 25,6 % de ressortissants français, 15,1% du Royaume-Uni et 13,5 % de l'Allemagne.
  11. Ce qui s'est traduit dans le nouveau site de cette organisation.
  12. Site de la campagne sur le changement climatique sur oxfam.org.
  13. Cf. "climate hearings" sur le site d'Oxfam.
  14. C'était le sujet de la table ronde finale de l'activité « La Terre est Inquiète », activité que Edgar Morin avait contribué à initier dans le cadre de l'Institut International de Recherche, Politique de Civilisation, cf. le rapport du Workshop international « La Terre est inquiète » organisé à Rio les 18, 19 et 29 juin 2012.
  15. Cf. présentation du tribunal de la nature sur son site internet.
  16. Cf. description du fonctionnement sur le site du tribunal de la nature.
  17. Laurent Neyret, « Pour la reconnaissance du crime d'écocide », Revue juridique de l'environnement, vol. 39, no HS01, , p. 177-193 (lire en ligne, consulté le ). Via Cairn.info.
  18. Michel De Muelenaere, « Environnement: la Belgique défend l’idée d’un “écocide” dans le droit pénal international », sur lesoir.be, (consulté le ).
  19. Océane Herrero, « L’“écocide” tente sans succès son entrée dans la loi », sur L'Opinion.fr, (consulté le ).
  20. « L'Assemblée nationale rejette une proposition socialiste qui visait à créer un crime "d'écocide" », sur francetvinfo.fr, (consulté le ).
  21. « Le terme “écocide” dans la Constitution, entre réelle volonté écologique et limites juridiques », sur Radio Notre-Dame, (consulté le ).
  22. Marta Torre-Schaub, « Crime d’écocide : “La priorité serait plutôt d’appliquer le droit de l’environnement déjà existant” », Le Monde, (lire en ligne, consulté le ).
  23. Notre affaire pour tous, « Décryptage Convention Citoyenne pour le Climat : Réponse de Notre Affaire à Tous aux arguments contre l’écocide, la modification de la constitution et le référendum », sur notreaffairepourtous.org (consulté le ).
  24. « Délit d'écocide : le Medef a fait pression sur le gouvernement », sur Reporterre, .

Voir aussi

Bibliographie

  • Franz J. Broswimmer, Une brève histoire de l’extinction en masse des espèces, Agone, coll. « Éléments », Marseille, 2010 ; traduction et préface de Jean-Pierre Berlan (262 p. + préf. 23 p.) (ISBN 978-2-7489-0111-5)
  • Valérie Cabanes Un nouveau droit pour la Terre - pour en finir avec l'écocide, éditions du Seuil coll. « Anthropocène », Paris, 2016
  • Frédéric Deroche, Les Peuples autochtones et leur relation à la terre. Un questionnement pour l'ordre mondial, éd. L'Harmattan, 2006

Filmographie

Articles connexes

Liens externes


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