Désindustrialisation de la France

La désindustrialisation de la France est un phénomène économique particulier relevant d'une dynamique de désindustrialisation plus large des pays développés. Le phénomène, qui a commencé dans les années 1970, s'est prolongé jusqu'à ce jour.

Histoire

La possibilité d'une désindustrialisation française fait l'objet de débats dans les années 1940 et 1950[1]. Le régime de Vichy promeut une désindustrialisation en vue d'un renforcement d l'économie agricole[2]. En 1946, un parlementaire affirme à la tribune que « la désindustrialisation de la France, en diminuant le nombre des consommateurs ouvriers, aurait pour premier résultat de réduire notre principal débouché agricole : le marché français »[3].

Les Trente Glorieuses voient un renforcement des capacités de production industrielles françaises. Le mouvement ralentit cependant, avant de chuter, à partir des années 1970[4]. La décennie des années 1980 est la première du grand mouvement de désindustrialisation français[5]. Entre 1979 et 1984, la chute est la plus brutale de l'Europe[6].

La France n'est pas spécifiquement touchée par la désindustrialisation, qui frappe l'écrasante majorité des pays développés depuis les années 1960 du fait de gains importants de productivité et du développement du secteur des services[7]. La France est toutefois plus touchée que certains pays développés[7],[8]. Entre 1970 et 2020, la France est le pays européen qui s'est le plus désindustrialisé, avec une perte de 2,5 millions d'emplois industriels depuis 1974[9]. Cette chute est concomitante de la chute de la part de l’industrie manufacturière dans la valeur ajoutée de l’ensemble de l’économie, qui est passée de 25 % en 1961 à 11 % en 2010[10].

La chute cause en partie une diminution des parts de marché de la France : entre 2000 et 2010, la part de marché de la France a diminué de 3,5 points, soulignant que « c'est le plus fort recul des pays de la zone euro »[11]. Cela contribue aussi au chômage : une étude estime qu'un emploi perdu dans l’industrie provoque la perte de trois emplois dans le reste de l’économie[12].

Selon le cabinet Trendeo, la France a perdu plus d'un millier d'usines employant plus de dix salariés entre 2009 et 2013[13]. Entre 2012 et 2017, l’emploi industriel a perdu 150 000 postes salariés[14]. Le nombre d'emplois industriels stagne à partir de 2015[9]. Il enregistre des créations nettes de 2017 à 2019, pour la première fois depuis 2000[15].

Causes

Concurrence internationale

Si Patrick Artus, Jacques Mistral et Valérie Plagnol estiment dans une note de 2011 que « le transfert de production industrielle vers la Chine » a provoqué une « profonde désindustrialisation »[16], la Direction générale du Trésor nuance ce résultat par ses calculs. Elle montre que, entre 1980 et 2007, les deux tiers des emplois détruits dans l'industrie l'ont été du fait de pertes de productivité ou par l'externalisation vers le secteur des services, et un tiers seulement par le commerce international. Ce tiers serait concentré sur la période 2000 à 2007[17]. Cela concorde avec les calculs réalisés aux États-Unis, qui montrent que seulement 10% de la baisse d'emplois observée entre 1999 et 2011 est due à la concurrence directe des importations[18].

Dans une note de 2021, le Conseil d'analyse économique estime que la compétition internationale n'a pas été déterminante dans la désindustrialisation française. La chute de sa productivité, la transformation des postes de consommation, la mutation de l'offre pour un accroissement des services, sont plus responsables de la désindustrialisation. La note remarque que ce sont des caractéristiques que l'on retrouve dans la plupart des pays riches[19].

Déficit d'investissement en recherche et développement

Une note de 2014, la Direction générale du Trésor éclaire le rôle du déficit d'investissement en recherche et développement dans la désindustrialisation. En effet, l'innovation permet d'augmenter la productivité des entreprises et de les rendre plus compétitives[20]. Or, en 2018, la France n'investit que 2,2% de son PIB en R&D, contre plus de 3% pour les États-Unis, l'Allemagne ou le Japon[21].

Externalisation du secondaire vers le tertiaire

La structure de l'emploi française a évolué pour donner une place prépondérante au secteur tertiaire, celui des services. Les entreprises industrielles qui auparavant effectuaient effectuaient toutes les tâches liées au droit, au marketing, aux ressources humaines, etc., en interne, ont de plus en plus externalisé, c'est-à-dire embauché des entreprises du secteur tertiaire pour effectuer ces tâches. Cette externalisation représente environ 25% des pertes d'emplois industriels en France entre 1980 et 2007, selon une note de la Direction générale du Trésor[17].

Modification de la consommation française

Les changements de la structure de la consommation des ménages joue un rôle majeur dans la désindustrialisation française. En effet, le progrès technique, ainsi que l'évolution des préférences des consommateurs finaux, explique 40% de la diminution de la part de l'emploi manufacturier français entre 1975 et 2015 selon une étude de 2017 de la Banque de France[22]. Cette évolution correspondrait sociologiquement à l'émergence de nouveaux besoins et à une modification du comportement d'achat des ménages[23].

Débats et critiques

Possibilité de réindustrialisation

La capacité de la France à se réindustrialiser fait l'objet de débats entre économistes. En 2016 le Medef estime qu'il est possible de faire passer en cinq ans le poids de l’industrie dans l’économie française de 11 % à 15 %[10]. Mais la même année, selon Patrick Artus, « La désindustrialisation de la France est inexorable »[24].

Certaines études ont considéré que la France devait se spécialiser dans les services, où elle est commercialement excédentaire, afin de compenser la perte de postes industriels[25]. La note de 201 du Conseil d'analyse économique remarque qu'aux États-Unis, la création d'emplois non-industriels a plus que compensé la baisse d'emplois industriels[19].

Surestimation de la désindustrialisation

Certains économistes font remarquer que la désindustrialisation française pourrait être surestimée. En effet, comme le fait remarquer la note de la Direction générale du Trésor de 2010, la désindustrialisation française est pour un quart due à une externalisation des entreprises industrielles à des entreprises du secteur tertiaire, qui réalisent pour le compte de l'entreprise comptabilisée comme faisant partie du secteur secondaire une mission qui aurait été par le passé comptabilisée comme émanant du secteur secondaire[17].

Références

  1. Léon de Poncins, L'enigme communiste, Beauchesne, (lire en ligne)
  2. Germaine Willard, La drole de guerre et la trahison de Vichy, Editions Sociales, (lire en ligne)
  3. France Parlement (1946-) Assemblée nationale, Débats, Direction des Journaux officiels, (lire en ligne)
  4. « Gros plan sur la désindustrialisation de la France », sur lexpansion.lexpress.fr, .
  5. « La désindustrialisation française a démarré dans les années 1980 », sur la-croix.com, (consulté le ).
  6. Collectif, 1974-1984. Une Décennie de désindustrialisation: Actes des premières journées d'histoire industrielle. Mulhouse-Belfort. 11-12 octobre 2007, Picard, (ISBN 978-2-7084-1165-4, lire en ligne)
  7. Lionel Fontagné, Jean-Hervé Lorenzi, « Désindustrialisation, délocalisations », sur www.cae-eco.fr (consulté le )
  8. Problèmes économiques, Documentation francaise, (lire en ligne)
  9. « La désindustrialisation à la française », sur France Culture (consulté le )
  10. Denis Cosnard, « Stopper la désindustrialisation de la France ? Le patronat y croit », sur lemonde.fr, (consulté le ).
  11. Marie Visot, « La France marquée par la désindustrialisation », sur lefigaro.fr, (consulté le ).
  12. Gabriel Colletis, « Analyse - Désindustrialisation : une erreur de diagnostic », sur alternatives-economiques.fr, (consulté le ).
  13. Sylvie Johnsson, « La désindustrialisation de la France s'accélère », sur francetvinfo.fr, 5 février 2013, mis à jour 2 mai 2014.
  14. Philippe Jacqué et Denis Cosnard, « Un Etat incapable d’enrayer la désindustrialisation de la France », sur lemonde.fr, (consulté le ).
  15. « Focus sur l’emploi dans l’industrie française », sur www.ifrap.org (consulté le )
  16. Patrick Artus, Jacques Mistral et Valérie Plagnol, L'émergence de la Chine: impact économique et implications de politique économique, La Documentation Française, (ISBN 978-2-11-008672-3, lire en ligne)
  17. Lilas Demmou, « La désindustrialisation en France », Documents de travail de la Direction Générale du Trésor, , p. 52
  18. Delphine Pouchain, Jérôme Ballet, Julien Devisme et Catherine Duchêne, Économie des inégalités, dl 2020 (ISBN 978-2-35030-675-9 et 2-35030-675-5, OCLC 1232167690, lire en ligne)
  19. Xavier Jaravel, Isabelle Méjean, « Quelle stratégie de résilience dans la mondialisation ? », sur www.cae-eco.fr (consulté le )
  20. Direction générale du Trésor, « Trésor-Éco n° 122 - Quel positionnement « hors-prix » de la France parmi les économies avancées ? », sur Direction générale du Trésor, (consulté le )
  21. « Dépenses de recherche − Indicateurs de richesse nationale | Insee », sur www.insee.fr (consulté le )
  22. « Les causes de la désindustrialisation en France », sur Banque de France, (consulté le )
  23. William Honvo, La dissertation d'économie : préparation aux concours avec méthode et sujets corrigés, dl 2020 (ISBN 978-2-8073-2847-1 et 2-8073-2847-4, OCLC 1198603316, lire en ligne)
  24. Muriel Motte, « Patrick Artus : «La désindustrialisation de la France est inexorable» », sur lopinion.fr, (consulté le ).
  25. Les Cahiers français, La Documentation Française, (lire en ligne)

Article connexe

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