Croisades baltes

Les croisades baltes, appelées également croisades nordiques, ont été menées à partir de la fin du XIIe siècle par les puissances de l'Occident chrétien contre les peuples baltes, riverains de la mer Baltique : les païens de Prusse, Livonie et Lituanie, afin de les christianiser et de les coloniser.

Leur lancement a été prononcé officiellement par le pape Célestin III en 1193[1],[2], mais les royaumes germaniques[3] et scandinaves convertis au catholicisme avaient déjà commencé à envoyer des croisés à la conquête de leurs voisins à cette date. Ainsi, l’Ordre de Livonie et encore plus l’ordre Teutonique, suivis des marchands et des colons germaniques, ont été sollicités pour christianiser la région où ils ont agi plus par le glaive que par la croix[4]. Les royaumes de Danemark et de Suède se sont partagé la mission et la croisade en Estonie et en Finlande[5].

Les invasions ont duré jusqu’au début du XIVe siècle. Comme bien des croisades, elles se détournent de leur but originel et s'achèvent par la territorialisation des ordres militaires germaniques qui les ont conduites. Ainsi est né l'État monastique des chevaliers Teutoniques qui deviendra plus tard le Royaume de Prusse.

Chronologie

L'État de l'ordre Teutonique en 1260

Lancement

Les croisades du Nord remontent à 1195 à la suite de l'appel du pape Célestin III, l'auteur de la bulle du (Cum ad propulsandam) puis celle du (Misericors et miserator). La même indulgence que pour les croisés en Terre Sainte est promise afin d'encourager l'engagement des chevaliers[6] ,[7],[8],[9],[10],[11].

C'est sous le pontificat d’Innocent III que s’organise un véritable programme de conquête de cette dernière région européenne encore païenne, qui vise explicitement à y extirper l’erreur du paganisme et à étendre les frontières de la foi chrétienne. Après la mort en 1198 dans une embuscade de l’évêque Berthold de Hanovre (en), le successeur de Meinhard de Holstein, le 5 octobre 1199, le pape proclame la croisade pour la protection de la jeune Église de Livonie[12]. Les couroniens proto-lettons, les sémigaliens, les séloniens et les latgaliens, ainsi que les livoniens, s’opposent aux envahisseurs.

Déroulement des opérations

Les croisades baltes 1202-1260

La christianisation de Livonie se transforme rapidement en une entreprise militaire. Pour protéger durablement les colons venus du Saint Empire germanique l’évêque de Livonie Albert de Buxhoeveden fonde en 1202 l'Ordre des Chevaliers Porte-Glaive dont le premier siège est à Riga. En 1207, la Livonie est reconnue comme une principauté d'Empire et Albert se fait octroyer par l’Empereur Philippe de Souabe le titre de prince d'Empire. Cependant la progression vers l'Est et la conquête de l'Estonie est arrêtée par le débarquement de l'armada de Valdemar II de Danemark. En 1218, les Chevaliers Porte-Glaive s'allient au souverain danois et ensemble soumettent le Nord de l'Estonie au Danemark. À l'issue de la bataille de Lyndanisse livrée le , Revel tombe aux mains des Danois[13]. Maîtres de la Livonie[14], les chevaliers achèvent la conquête de l'Estonie en 1223.

Ordonné évêque en Prusse en 1215, Christian de Oliva fonde l'Ordre de Dobrzyń pour protéger la Mazovie et la Cujavie contre les attaques des tribus prussiennes païennes qui défiaient continuellement Conrad de Mazovie. Le , le pape Grégoire IX reconnaît les chevaliers de Dobrzyń, mais, peu nombreux, ils ne laisseront leur trace que dans la ville éponyme de Dobrzyń sur la Vistule. Pour juguler la menace prussienne, le duc Conrad fait alors appel aux Chevaliers teutoniques qui s'installent dans la région de Chełmno. Le grand maître s’emploie aussitôt à obtenir de l'empereur Frédéric II la confirmation de la donation de Conrad et la concession de toutes les terres qu'il pourrait conquérir en Prusse païenne avec les droits régaliens égaux à ceux des princes du Saint-Empire.

Les Teutoniques débutent alors une longue guerre contre les Prussiens et commencent à s'approprier leurs terres. Il leur faudra 50 ans pour y parvenir et achever la construction de leur État monastique. Ils livrent une guerre sans merci aux païens qui ne cessent de se rebeller. Ainsi, la population prussienne passera d'environ 150 000 habitants en 1250 à moins de 80 000 un siècle plus tard.

Le , les chevaliers Porte-Glaive subissent une lourde défaite contre les Lituaniens lors de la bataille du Soleil[15] où le grand-maître de l'Ordre Volkwin perd la vie. Le , le pape Grégoire IX prononce à Viterbe l'union de l'Ordre des Porte-glaives, avec toutes ses possessions, à l'ordre Teutonique. Cependant, l'avancée des croisés unis n'est pas plus aisée pour autant. Au Nord-Est, en direction de Novgorod, elle est arrêtée par le prince Alexandre Newski - déjà vainqueur du suédois Birger Jarl à Neva en 1240 - à la fameuse bataille du 5 avril 1242 sur les glaces du lac Peïpous. L'Estonie, reprise aux Danois en 1227, leur est cédée à nouveau en 1238. La soumission de la Semgalie et de la Courlande s'achève en 1251. La fondation de Memel en 1252 permet d'établir un trait d'union fragile entre la Courlande et les pays récemment conquis en Prusse orientale.

La faim de terre pousse l'ordre Teutonique, sans prétexte d'évangélisation, vers la mainmise et la conquête de la Poméranie polonaise, terre chrétienne depuis bien longtemps. Ce qui sera à l'origine de l'union du Royaume de Pologne avec le Grand-duché de Lituanie et de la guerre commune contre l'ordre Teutonique.

Exception lituanienne

Christianisation des Lituaniens en 1387. Le grand-duc de Lituanie Jogaila s'était converti au christianisme catholique à l'occasion de l'union de Krewo (1385) ; il épousa l'héritière du trône de Pologne Hedwige et devint ainsi roi de Pologne sous le nom de Władysław II Jagiełło. La conversion par la force des baltes païens par le biais des croisades baltes avait échoué : l'opposition des Teutoniques continua.

Les Lituaniens ne se sont pas soumis aux Teutoniques et au début du XIVe siècle le Grand-duché de Lituanie se dresse contre l’ordre Teutonique, qui tient fermement la Prusse et la Livonie. Si les Lituaniens se christianisent en 1387 à la suite de leur grand-duc, c'est pour s'unir avec le Royaume de Pologne afin d'arrêter l’expansionnisme de l'État teutonique. Les habitants de Samogitie resteront de confession païenne jusqu'au XVe siècle.

La défaite contre le Royaume de Pologne et le Grand duché de Lituanie et la mort du grand maître Ulrich von Jungingen au champ de bataille de Grunwald en 1410 marque le début du déclin de l'Ordre. Le second traité de Thorn de 1466 transforme ses possessions en Prusse royale incorporée à l'État polonais.

Conséquences

Ces croisades ont réussi à soumettre les peuples de Prusse, Livonie, de Latgale et d'Estonie. L'ordre Teutonique y a gagné les terres qu'il recherchait depuis son éviction de Terre sainte. Il y installe une théocratie sous forme de l'État monastique des chevaliers Teutoniques. Les Allemands deviennent la classe dominante, les chevaliers allemands deviennent des barons terriens et conserveront des privilèges jusqu’à la Première guerre mondiale.[16]

La sécularisation en 1525 de cet État monastique et militaire donne naissance au Duché de Prusse, vassal du Royaume de Pologne. Le militarisme et l'expansionnisme de l'État teutonique laissent toutefois une marque de fer sur la mentalité nationale de ce qui deviendra d'abord l'État de Brandebourg-Prusse (1618) puis le Royaume de Prusse (1701).

Voir aussi

Notes

  1. (en) Jaan Einasto, Dark Matter And Cosmic Web Story, World Scientific, (ISBN 978-981-4551-06-9, lire en ligne)
  2. (en) Jonathan Howard, The Crusades: A History of One of the Most Epic Military Campaigns of All Time, BookCaps Study Guides, (ISBN 978-1-61042-804-0, lire en ligne)
  3. Germaniques et non allemands : Saint-Empire romain germanique. La nation allemande est née plus tard.
  4. Charles Higounet, Les Allemands en Europe centrale et orientale au moyen age, Éditions Aubier, coll. « historique », (ISBN 978-2-700-72223-9)
  5. Loïc Chollet, « Croisade ou évangélisation? La polémique contre les chevaliers teutoniques à l’aune des témoignages des voyageurs français de la fin du moyen-âge. », Ordines Militares, yearbook for the study of the military orders, , p. 175–203 (ISSN 0867-2008)
  6. (en) Jonathan Howard, The Crusades: A History of One of the Most Epic Military Campaigns of All Time, BookCaps Study Guides, (ISBN 978-1-61042-804-0, lire en ligne)
  7. (en) Ane Bysted, The Crusade Indulgence: Spiritual Rewards and the Theology of the Crusades, c. 1095-1216, BRILL, (ISBN 978-90-04-28284-1, lire en ligne)
  8. (en) Susanna A. Throop, Crusading as an Act of Vengeance, 1095–1216, Routledge, (ISBN 978-1-317-15673-4, lire en ligne)
  9. (en) Jessalynn Bird, Edward Peters et James M. Powell, Crusade and Christendom: Annotated Documents in Translation from Innocent III to the Fall of Acre, 1187-1291, University of Pennsylvania Press, (ISBN 978-0-8122-4478-6, lire en ligne)
  10. (en) Jean Richard, The Crusades, C.1071-c.1291, Cambridge University Press, (ISBN 978-0-521-62566-1, lire en ligne)
  11. (en) Ane Bysted, The Crusade Indulgence: Spiritual Rewards and the Theology of the Crusades, c. 1095-1216, BRILL, (ISBN 978-90-04-28284-1, lire en ligne)
  12. Charles Higounet, Les Allemands en Europe centrale et orientale au moyen age, Éditions Aubier, (ISBN 2-7007-2223-X), p. 227
  13. Voir aussi la légende du Danebrog, qui forme partie du récit national danois.
  14. Livonie en Estonie : cette terre porte alors ce nom pour eux et, du reste, pour leurs descendants germano-baltes.
  15. Schaulen en allemand, Saule en letton : la bataille se nomme Saulės Mūšis en lituanien et Saules kauja en letton.
  16. « De la tribu à la nation, Brève histoire de la Lettonie », sur L’Institut Letton,

Articles connexes

Bibliographie

  • Éric Christiansen, Les croisades nordiques, Alerion, 1995 (ISBN 2-910963-04-7).
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