Grande Dépression

La Grande Dépression (The Great Depression en anglais), dite aussi « crise économique des années 1930 », est la période de l'histoire mondiale qui va du krach de 1929 aux États-Unis jusqu'à la Seconde Guerre mondiale.

Pour la crise économique de 1873 à 1896, voir Grande Dépression (1873-1896).

Ne doit pas être confondu avec Dépression majeure.

Grande Dépression
La foule se presse devant la Bourse de New York, après le Krach.
Résultat Bouleversement politique poussant certains pays à gauche ou à droite de l'échiquier politique. Propulse Adolf Hitler au pouvoir, ouvrant ainsi la voie à la Seconde Guerre mondiale.
Chronologie
Krach de 1929
Adolf Hitler devient chancelier du Reich allemand
Franklin D. Roosevelt devient président des États-Unis et lance une nouvelle politique interventionniste, le New Deal
Début de la Seconde Guerre mondiale

Précédée par la puissante expansion des années 1920, c'est la plus importante dépression économique du XXe siècle, qui s'accompagna d'une importante déflation et d'une explosion du chômage et poussa les autorités à une profonde réforme des marchés financiers.

Chronologie

Jeudi noir et conséquences directes

Évolution du PIB de quelques pays entre 1929 et 1939.

Après le krach du 24 octobre 1929, aux États-Unis, l'un des problèmes principaux était, qu'avec la déflation, une même somme d'argent permettait d'acquérir de plus en plus de biens au fur et à mesure de la chute des prix. Dans ces conditions, les agents économiques ont individuellement intérêt à :

L'effet du krach de 1929 sur la Grande Dépression a fait l'objet d'analyses diverses. Pour Paul Samuelson il n'est qu'un des facteurs, facteur d'ailleurs « fortuit », qui ont conduit à la Grande Dépression[1].

Crise boursière et bancaire

Mère migrante (Migrant Mother), par Dorothea Lange, 1936. Cette photographie est devenue un des symboles de la Grande Dépression.

La population entre dans un cercle vicieux destructif, qui durera plusieurs années. La chute se traduit aussi dans les cours de bourse : l'indice Dow Jones perd pratiquement 90 % entre son plus haut de 1929 et son plus bas en 1932. Dans l'éclatement de la bulle spéculative, trop de plans d'investissements se sont avérés insolvables, voire frauduleux. La crise boursière dégénère très vite en crise bancaire. Prises en tenaille entre l'effondrement de la valeur de leurs actifs (parfois trop engagés dans des affaires douteuses, mais même des entreprises honorables et solides sont massacrées[2]), les défauts de remboursement de leurs emprunteurs, et la réduction de leur activité de crédit, des banques font faillite au premier faux pas et finalement le système bancaire s'effondre. Avec la déconfiture du système bancaire, et la population s'accrochant au peu de monnaie qu'elle possédait encore, il ne resta pas assez de liquidités sur le marché pour qu'une quelconque activité économique puisse inverser la tendance.

En 1933, la production industrielle américaine a baissé de moitié depuis 1929. Entre 1930 et 1932, 773 établissements bancaires font faillite, ce qui fait augmenter de manière conséquente le taux de chômage chez les ouvriers[3]. Aux États-Unis, le taux de chômage augmente fortement au début des années 1930 : il atteint 9 % en 1930[4]. Le pays compte quelque 13 millions de chômeurs en 1932[4]. En 1933, lorsque Roosevelt devient président, 24,9 % de la population active est au chômage[5] et deux millions d’Américains sont sans-abri.

Les manifestations de la faim se multiplient. En mars 1930, 35 000 personnes défilent dans les rues de New York[6]. En juin 1932, les anciens combattants réclament le paiement des pensions à Washington : ils sont violemment délogés par les soldats. Une grande grève dans le secteur du textile éclate en 1934[7]. Dans les campagnes, la situation économique se dégrade, notamment à cause de la sécheresse et du Dust Bowl (1933-1935). En 1933, la diminution de 60 % des prix agricoles affecte durement les agriculteurs (effet ciseaux). La ruine des fermiers des Grandes Plaines pousse des milliers de personnes à s'installer dans les États de l'Ouest. Face à la misère qui grandit, l'influence communiste progresse dans les milieux populaires[4].

Diffusion de la crise au plan mondial

La diffusion de la crise se fera par deux canaux. Comme les banques américaines ont alors des intérêts dans de nombreuses banques et bourses européennes et qu'elles rapatrient d'urgence leurs avoirs aux États-Unis, la crise financière se propage progressivement dans toute l'Europe. Parallèlement, les échanges économiques internationaux subissent de plein fouet d'abord le ralentissement qui commence aux États-Unis, ensuite l'effet négatif des réactions protectionnistes, d'abord des États-Unis, puis de tous les autres pays quand ils sont touchés à leur tour ; la France et le Royaume-Uni effectuent un recentrage sur leurs colonies, mettant au point la « préférence impériale », interdite lors de la Conférence de Berlin (1885) mais à nouveau pratiquée après 1914. Les relations économiques étant à l'époque bien moindres qu'aujourd'hui, ces répercussions mettent quelques mois à se manifester : ainsi la France est touchée à partir du second semestre de 1930, soit six mois plus tard. L'Italie fasciste est touchée à partir de 1931. Dans Tintin en Amérique, Hergé ne consacre qu'une image à la crise, de façon très anecdotique.

Les réactions gouvernementales en Europe ne sont pas plus adéquates qu'aux États-Unis. En France la crise est aggravée par les mesures déflationnistes (baisse des prix et des salaires) des gouvernements Tardieu et Laval, malgré le lancement de grands travaux (dont l'électrification des campagnes). En Allemagne, le taux de chômage atteint plus de 25 % de la population active en 1932, alimentant désillusion et colère de la population. C'est notamment en promettant de juguler la crise qu'Adolf Hitler parvient au pouvoir le 30 janvier 1933. En Espagne, la crise économique coïncide avec l’arrivée du Front populaire au pouvoir et aggrave les tensions politiques qui menèrent à la guerre civile de 1936.

En Amérique du Sud, en Asie et en Afrique, se produit la « crise des produits de dessert » liée à la forte baisse du pouvoir d'achat en Europe et en Amérique du Nord. Au Brésil, pour limiter les transports d'invendus et maintenir les cours, du café est brûlé dans les locomotives. Si le monde occidental entier est touché, l'Union soviétique de Staline reste à l'écart de la crise en raison de son système économique autarcique et de la non-convertibilité du rouble.

Causes

La réflexion économique a posteriori a porté d'une part sur les causes immédiates de la crise et d'autre part sur les raisons de la transformation de la récession en dépression. Mais les innombrables écrits sur la crise de 1929 n'ont pas permis de dessiner une explication généralement admise de sa survenue. Les ouvrages qui lui sont consacrés sont le plus souvent descriptifs, éventuellement normatifs, rarement explicatifs, à l'image de ceux qui se limitent à une explication, fondée par exemple sur l'excès de spéculation comme La Grande Dépression (1934) de Lionel Robbins ou La Crise économique de 1929 (1955) de John Kenneth Galbraith.

Du reste, plusieurs courants économiques ont une explication de la crise de 1929. L'explication par surconcentration de richesse, à l'époque soutenue par des économistes marxistes et keynésiens, n'explique pas l'emballement de 1928-1929 ni les modalités détaillées de la crise. L'explication monétaire, dans sa version soutenue par Milton Friedman et Anna Schwartz dans Une Histoire monétaire des États-Unis (1963), sera elle aussi jugée partielle ; en revanche, la version plus tard avancée par l'économiste français Jacques Rueff dans Le Péché monétaire de l'Occident (1971) couvre largement la période antérieure à la crise et explique la plupart des symptômes constatés[réf. nécessaire]. Enfin, l'historien de l'économie Charles Kindleberger[8] estime qu'il faut faire appel à plusieurs facteurs pour expliquer la crise. Les explications qui suivent doivent donc être regardées comme des hypothèses qui ont été avancées par des auteurs importants.

Explication monétariste de Milton Friedman

Surcharge « Stop Inflation Start Saving » effectuée par la Tarrytown National Bank and Trust Co. en 1930 sur une coupure allemande de 1922.

Pour Milton Friedman, la Grande Dépression a été provoquée par une politique monétaire inadéquate[9]. Les monétaristes, représentés par Milton Friedman, dénoncent la politique monétaire restrictive mise en place par la Réserve fédérale des États-Unis (la Fed), à partir de 1928. Cette politique entraîne une pénurie de crédits. Cette erreur serait à l'origine de la crise. La Fed aurait au contraire dû fournir des liquidités au système bancaire : le renchérissement du crédit a forcé les spéculateurs boursiers à retirer leur épargne, ce qui a entraîné la faillite de près de 5 000 banques aux États-Unis[10].

Les monétaristes pensent ainsi que la FED aurait mal répondu à la crise. Cette banque centrale aurait continué à agir à contretemps après le déclenchement de la crise. Cette pensée est devenue un credo qu'Alan Greenspan puis Ben Bernanke ont mis en application avec détermination au cours de leur présidence de la FED à chaque crise américaine depuis le krach d'octobre 1987. Beaucoup d'auteurs comme Ben Bernanke, qui fera sa thèse universitaire sur ce thème, considèrent qu'elle aurait dû alimenter massivement les banques en monnaie-banque centrale au lieu de maintenir la ligne de conduite orthodoxe qui proposait moins de laxisme plutôt qu'une inondation de crédits.

Surinvestissements et spéculations

Les banquiers ont prêté de manière importante aux spéculateurs. Ils ont aussi financé l'économie réelle, mais de façon très divergente selon les pays.

Trois grands pays industriels européens Royaume-Uni Allemagne France
Hausse de la production manufacturière entre 1913 et 1928 6 % 18 % 39 %

Aux États-Unis, lorsque la bourse a chuté, les prêts bancaires n'ont pu être remboursés, la panique s'est installée et la ruée vers les banques a provoqué leur blocage. L'économie, privée de crédits, s'est brutalement arrêtée. Les États-Unis ne sont pas seuls dans cette crise de spéculation. Dès 1925, le gouverneur à l'époque de la banque d'Angleterre, Sir Montagu Norman annonce le retour de l'Angleterre à l'étalon-or, la livre étant passée à l'automne 1923 de 76 à 91 francs en dix semaines[11]. Cette décision, acceptée par Winston Churchill, prise sous l'influence d'une « City » qui veut rester première place financière mondiale, est fustigée par l'économiste John Maynard Keynes, car reposant sur la parité d'une livre pour 4,86 dollars, qui pénalise l'industrie britannique[12]. L'indice de la production manufacturière n'atteint que 106 en 1928 au Royaume-Uni, sur une base 100 en 1913, contre 118 en Allemagne et 139 en France[13].

La décennie 1920 est surtout l'âge d'or de la Bourse de Paris, déjà rayonnante à la Belle Époque, qui voit son volume d'échanges décupler et son indice multiplié par 4,4 entre la fin 1921 et la fin 1928[14], performance encore plus élevée que celle du Dow Jones, multiplié par 3,6 sur la même période[15]. Mais cette spéculation est mieux répartie qu'aux États-Unis, où le marché financier n'est pas encore aussi mûr qu'en France. L'intérêt pour les sociétés moyennes dope les sept bourses de province, dont la capitalisation est multipliée par neuf entre 1914 et 1928[16], pour atteindre 16 % de la capitalisation française contre 9 % en 1914. Le total des émissions d'actions et d'obligations en France double, en valeur constante, entre la décennie 1901-1910 et la décennie 1920-1929, atteignant l'indice 217[17]. L'hydroélectricité en profite avec une production multipliée par huit sur la décennie[18] et 20 % des émissions de titres. Moins sous-capitalisées qu'au XIXe siècle, les sociétés françaises résistent relativement bien au krach de 1929. Leurs cours sont divisés par deux[19], quand ceux des américaines sont divisés par quatre[20].

L’École autrichienne d'économie représentée par Hayek et par Mises considèrent que c'est l'expansion du crédit et l'apparition d'un excès d'investissements qui a provoqué la crise. D'après Ludwig von Mises, « l'effondrement fut l'aboutissement fatal des pressions exercées pour abaisser le taux d'intérêt au moyen de l'expansion du crédit ». Son explication est institutionnelle. Elle est focalisée sur l'existence d'une banque centrale et sur ses interventions qui auraient permis l'apparition de bulles spéculatives : les disciples de l'école autrichienne critiquent vivement les interventions des banques centrales et une partie prônent leur suppression.

Parmi de nombreux textes qui mettent l'accent sur des « fautes », on peut citer celle de l'économiste Lionel Robbins dans son ouvrage La Grande Dépression 1929-1934, Payot, 1935. La crise était inévitable à cause des excès commis dans la période précédente incluant l'excès des spéculateurs et de l'endettement, et l'excès de l'État et de la banque centrale.

Robbins avance qu'après les excès doit venir la « purge », qu'il faut laisser se dérouler sans entraves. La crise vient assainir la situation économique et lui permettra de repartir sur des bases plus solides.

Crise de l'étalon-or

L'économiste Jacques Rueff, dans son essai Le Pêché monétaire de l'Occident (1971), explique que l'origine des difficultés se trouve dans l'établissement du Gold Exchange Standard par la conférence de Gênes au début des années 1920. Dans le système de l'étalon-or, tout déficit de la balance des paiements provoque une sortie d'or et une restriction proportionnelle du crédit. Cet effet est en principe stabilisateur et permet un retour à l'équilibre. Dans un système d'étalon de change or où une monnaie privilégiée peut être conservée comme réserve monétaire, le pays privilégié, lorsque sa balance est déficitaire, voit sa monnaie revenir chez lui et servir de base par l'intermédiaire du multiplicateur de crédit à de nouveaux crédits qui aggravent les déficits. Le Gold Exchange standard a donc tendance à accroître sans limite l'endettement du pays privilégié. Dans le cas des États-Unis avant 1929, l'endettement global s'est mis à grimper de plus en plus vite jusqu'à dépasser 370 % du PIB. L'efficacité marginale du capital a baissé. La spéculation a remplacé l'investissement industriel, lequel est entièrement financé par le crédit. La bourse a connu une expansion aussi spectaculaire qu'intenable. Finalement c'est toute la pyramide de dettes qui s'est écroulée, d'autant plus vite et fort qu'elle était plus haute. Comme cette pyramide avait ses racines dans les déséquilibres financiers mondiaux, c'est le monde entier qui a été atteint et les circuits économiques internationaux ont été électrocutés suivant un effet domino[21].

Cette analyse de Rueff est renforcée par celles d'économistes plus récents, qui font appel à la théorie de la dette souveraine pour expliquer cette crise. Lors de la conférence de quatre banques centrales (Banque d'Angleterre, Banque de France, Reichsbank et Réserve fédérale des États-Unis) qui se tient à Long Island en , une décision capitale mais insuffisante est prise : la FED accepte de réduire son taux d'intérêt, sachant que son directeur, Benjamin Strong s'y oppose, laissant entendre que, si rien n'est fait, « dans un ou deux ans, le mécanisme de recyclage qui permet à l'Allemagne de financer ses paiements de réparation [et toute son économie] via les prêts américains allait tomber en panne, provoquant la pire dépression de l'histoire[22]. La seule question est de savoir si la crise va éclater en Allemagne ou aux États-Unis ». En , les experts du plan Young décident de se réunir pour rééchelonner la dette souveraine allemande qui est, de facto, aux mains des investisseurs américains. On assiste alors à une première secousse de mouvements liquidateurs, bien avant le mardi . Pour donner une idée du volume des capitaux en jeux, il faut revenir sur la structure même du marché obligataire en 1928-1929, là où s'alimentent États et entreprises, et la peur générale que l'Allemagne refuse de payer (ce qu'elle fit), plusieurs dizaines de milliards de dollars, entraînant l'impossibilité pour la France et la Grande-Bretagne de reverser aux Américains en contrepartie les annuités d'emprunts contractés entre 1914 et le début des années 1920[23].

Explication par la sous-consommation

Les États-Unis, après une phase de très forte croissance depuis les difficultés d'avant guerre, ont accumulé la richesse du monde (l'Europe étant ruinée) et cette richesse n'a pas été assez diffusée dans la société malgré des théories comme le fordisme. La concentration de la richesse a réduit les possibilités de consommation que l'appareil de production permettait. John Maynard Keynes a donné une certaine caution à cette explication en expliquant que les riches dépensaient proportionnellement moins que les pauvres. Une augmentation de l'épargne de la part des plus riches provoquerait ainsi une situation de sous-investissement et donc de sous-emploi. Cette vision n'explique ni la mécanique d'emballement de 1928-1929 ni les modalités détaillées de la crise elle-même et en particulier ses dimensions internationales.

C'est évidemment la thèse des marxistes qui reprennent les thèses de Marx de la sur-accumulation du capital et de la baisse du taux de profit qui sont à l'origine des multiples crises survenant dans le système capitaliste : la sur-accumulation du capital entraîne une surproduction de biens de production par rapport aux biens de consommation[24]. La crise de 1929 est vue comme « finale » par les marxistes. Toutefois, l'économiste soviétique Nikolaï Kondratiev affirmait que cette crise n'était que cyclique et circonstancielle, et que par conséquent le capitalisme reprendrait son expansion après la crise. Cette théorie considérée comme « pro-capitaliste » par le régime soviétique vaudra à Kondratiev d'être fusillé par Staline lors des Grandes Purges.

Une explication proche est celle des « théoriciens de la régulation » qui pensent que les économies développées ont été déstabilisées par les progrès de l'organisation scientifique du travail. Le taylorisme a en effet permis une augmentation très importante de la production : Robert Boyer a ainsi calculé que la production par tête a augmenté en France de 6 % par an entre 1920 et 1960. En revanche, les salaires réels ont progressé de seulement 2 % par an en France sur la même période, ce qui explique l'apparition d'une situation de surproduction et le déclenchement de la crise[25]. Ces thèses malthusiennes sont restées marginales.

Explication par le cycle économique

Dans cette vision, la crise n'est qu'un épisode de plus du cycle économique d'une dizaine d'années. Il n'aurait pris son allure de dépression qu'à la suite de mauvaises réactions de la part de l'État Fédéral américain (attentisme : « la reprise est au coin de la rue ») ou de la nouvelle banque centrale, la FED, qui aurait restreint le crédit là où il fallait ouvrir les vannes. D'autres dans la même approche cyclique supposeront comme Kondratieff que la crise a été particulièrement longue et violente par l'effet de mouvements de longues périodes sur l'innovation. L'innovation se serait tarie alors que l'électrification et les chemins de fer avaient été les moteurs de la croissance précédente. Ils auraient fini par s'arrêter. Cependant, les observateurs modernes pensent plutôt que la période a été riche en innovation : téléphonie fixe, TSF, début même de la télévision, automobile, aviation, électroménager, publicité, nouvelles idées de management, etc.

Théorie de l'hégémon bienveillant

C'est la thèse de Charles Kindleberger, un auteur qui tient l'analyse monétariste pour erronée car trop focalisée sur la politique monétaire aux États-Unis et négligeant des éléments importants tels que le rôle de la spéculation sur les valeurs mobilières, la mise en œuvre tardive du Glass-Steagall Act, l'incapacité des États-Unis à se comporter en nation créancière, la dislocation de l'Europe après la Première Guerre mondiale[26]. De façon plus générale, cet auteur refuse d'entrer dans la controverse des années 1970 entre monétaristes et keynésiens qui offrent, pour lui, deux explications uni-causales : les premiers pensant qu'une « croissance insuffisante de la masse monétaire a provoqué une baisse de la dépense », les seconds qu'une « baisse indépendante et autonome de la dépense a entraîné une diminution de la masse monétaire »[8]. Ce qui va l'intéresser c'est de répondre à la question : pourquoi l'impulsion initiale n'a pu être contenue ni par les forces automatiques (étalon-or) ni par des mécanismes de décision politique.

Pour lui si l'impulsion initiale n'a pu être maintenue, cela tient à la « forte instabilité latente du système » liée à de nombreux facteurs tant financiers que monétaires ou relevant de l'économie réelle. Sa thèse principale, inspirée de la théorie des jeux, est qu'en l'absence d'un pays dirigeant capable de fixer des règles, de les faire respecter et éventuellement de prendre plus que sa part de charges, les pays préfèrent adopter des solutions non coopératives[N 1], dont tout le monde pâtit[27]. Pour les tenants de cette thèse qui sera plus tard connue sous le nom de théorie de la stabilité hégémonique, si la crise de 1929 a engendré une dépression si longue et si dure c'est que le Royaume-Uni n'était plus en mesure d'assumer son ancien rôle dirigeant et que les États-Unis ne voulaient pas encore assumer leurs responsabilités à savoir[28] :

  1. Maintenir un marché ouvert pour les produits connaissant des problèmes d'écoulement ;
  2. Assurer un flux de prêts à long terme anti-cyclique[28] ;
  3. Mettre en œuvre un système relativement stable de changes[28] ;
  4. Assurer la coordination des politiques macro-économiques[28] ;
  5. Agir comme prêteur en dernier ressort et proposer des liquidités pendant la crise financière[28].

Crise mondiale

La longueur et la gravité de la crise qui verra la ruine de nombreuses familles, le développement d'un immense chômage, la faillite de milliers de banques et celle de dizaines de milliers d'entreprises a conduit à mettre en cause la manière dont les politiques économiques ont été conduites.

L'accusation d'aveuglement et de pusillanimité est bien prouvée par l'affirmation du Président de la Bourse de Wall Street qui s’exprime ainsi en  : « Bien des gens n’ont pas compris que c’en est apparemment fini des cycles économiques tels que nous les avons connus. Quant à moi, je suis convaincu de l’essentielle et fondamentale solidité de la prospérité américaine »[réf. nécessaire]. Ensuite l'idée constamment répétée que la prospérité était « round the corner » et qui expliquait qu'on ne fît rien a été mise systématiquement en cause. La critique de Keynes à partir de son livre majeur expliquera que lorsqu'un équilibre de sous-emploi s'est installé, seul l'investissement public permet de retrouver le plein emploi. Ces idées n'étaient pas celles du temps où on attendait plutôt d'une baisse des prix et des salaires les conditions de la reprise.

Quel fut le rôle du protectionnisme dans la crise ?

Des mesures protectionnistes (par exemple, la loi Hawley-Smoot) entraînèrent une augmentation des droits de douane sur les importations, afin de protéger les producteurs locaux (mis en danger par la compétition internationale). En réponse à cette politique, d'autres pays augmentèrent à leur tour leurs droits de douane. D'une façon plus générale les grands empires, britannique et français, se replient sur eux-mêmes et ne recherchent plus le commerce international devenu trop dangereux, faute de monnaie mondiale.

Selon l'historien économique Paul Bairoch, les années 1920 à 1929 sont généralement décrites à tort comme des années de montée du protectionnisme en Europe. En fait, selon lui, d'un point de vue général, la crise a été précédée en Europe par la libéralisation du commerce. La moyenne pondérée des droits de douane est restée globalement la même que dans les années précédant la Première Guerre mondiale : 24,6 % en 1913, contre 24,9 % en 1927. En 1928 et 1929, les droits de douane ont été abaissés dans presque tous les pays développés[29]. En outre, la loi Smoot-Hawley sur les tarifs douaniers a été signée par Hoover le 17 juin 1930, tandis que le krach de Wall Street a eu lieu à l'automne 1929.

Jacques Sapir explique que la crise a d'autres causes que le protectionnisme[30] en faisant remarquer que « la production intérieure des grands pays industrialisés régresse […] plus vite que le commerce international ne se contracte. Si cette baisse (du commerce) avait été la cause de la dépression que les pays ont connue, on aurait dû voir l'inverse ». « Enfin, la chronologie des faits ne correspond pas à la thèse des libres-échangistes […] L'essentiel de la contraction du commerce se joue entre et , soit avant la mise en place des mesures protectionnistes, voire autarciques, dans certains pays, à l'exception de celles appliquées aux États-Unis dès l'été 1930, mais aux effets très limités »[31]. Il relève que« la contraction des crédits internationales est une cause majeure de la contraction du commerce ». Ces liquidités s'effondrent en 1930 (-35,7 %) et 1931 (-26,7 %). Une étude du National Bureau of Economic Research met en évidence l'influence prédominante de l'instabilité monétaire (qui entraîna la crise des liquidités internationales[30]) et de la hausse soudaine des coûts de transport dans la diminution du commerce durant les années 1930[32].

C'est également l'opinion défendue par Maurice Allais, prix Nobel d’Économie :

« Mon analyse étant que le chômage actuel est dû à cette libéralisation totale du commerce, la voie prise par le G20 m’apparaît par conséquent nuisible. Elle va se révéler un facteur d’aggravation de la situation sociale. À ce titre, elle constitue une sottise majeure, à partir d’un contresens incroyable. Tout comme le fait d’attribuer la crise de 1929 à des causes protectionnistes constitue un contresens historique. Sa véritable origine se trouvait déjà dans le développement inconsidéré du crédit durant les années qui l’ont précédée. Au contraire, les mesures protectionnistes qui ont été prises, mais après l’arrivée de la crise, ont certainement pu contribuer à mieux la contrôler. »

 Maurice Allais dans Lettre aux français : « Contre les tabous indiscutés »[33] Milton Friedman était également d'avis que le tarif Smoot-Hawley de 1930 n'avait pas causé la Grande Dépression. Douglas Irwin écrit : "la plupart des économistes, tant libéraux que conservateurs, doutent que Smoot Hawley ait joué un rôle important dans la contraction qui a suivi[34],[35]

Selon William J. Bernstein : « Entre 1929 et 1932, le PIB réel a chuté de 17 % dans le monde et de 26 % aux États-Unis, mais la plupart des historiens économiques estiment aujourd'hui que seule une infime partie de cette perte énorme du PIB mondial et du PIB des États-Unis peut être attribuée aux guerres tarifaires. Au moment du passage de Smoot-Hawley, le volume des échanges ne représentait qu'environ 9 % de la production économique mondiale. Si tous les échanges internationaux avaient été éliminés, et si l'on n'avait pas trouvé d'utilisation intérieure pour les marchandises précédemment exportées, le PIB mondial aurait chuté du même montant – 9 %. Entre 1930 et 1933, le volume du commerce mondial a chuté d'un tiers à la moitié. Selon la façon dont on mesure la chute, cela représente 3 à 5 % du PIB mondial, et ces pertes ont été partiellement compensées par des produits nationaux plus chers. Ainsi, les dommages causés n'auraient pas pu dépasser 1 ou 2 % du PIB mondial, ce qui est loin des 17 % enregistrés pendant la Grande Dépression… La conclusion inéluctable : contrairement à la perception du public, Smoot-Hawley n'a pas causé, ni même aggravé de manière significative, la Grande Dépression[36] »

Selon Peter Temin (en) : « Un tarif, comme une dévaluation, est une politique expansionniste. Cela détourne la demande des producteurs étrangers aux producteurs d'origine. L'argument populaire, cependant, est que le tarif a causé la dépression américaine... que le tarif a réduit la demande pour les exportations américaines en induisant des tarifs étrangers de représailles. Les exportations ont été de 7 % du PNB en 1929. Elles ont diminué de 1,5 pour cent du PNB de 1929 au cours des deux prochaines années. Compte tenu de la chute de la demande mondiale dans ces années… tout cela ne peut pas être attribué à des représailles du tarif Smoot-Hawley. Même si c'est le cas, le PNB réel est tombé plus de 15 % au cours de ces mêmes années. Avec un multiplicateur raisonnable, la baisse de la demande d'exportation ne peut être qu'une petite partie de l'histoire. Et il doit être compensé par l'augmentation de la demande intérieure du tarif. Tout effet contractif net du tarif était faible »[37]

Ian Fletcher indique que le tarif Smoot-Hawley ne s'appliquait qu'à environ un tiers du commerce aux États-Unis : environ 1,3 % du PIB. Le tarif moyen des États-Unis sur les marchandises assujetties[38] est passé de 40,1 % en 1929 à 59.1 en 1932 (+19 %). Or il était systématiquement supérieur à 38 % tous les ans de 1865 à 1913 (de 38 % à 52 %). De plus, il a augmenté aussi fortement en 1861 (de 18,61 % à 36,2 % ; +17,6 %), entre 1863 et 1866 (de 32,62 % à 48,33 % ; +15,7 %), entre 1920 et 1922 (de 16,4 % à 38,1 %; +21,7 %) sans produire de dépressions mondiales[39].

Paul Krugman écrit que le protectionnisme ne conduit pas à des récessions. Selon lui, la diminution des importations (qui peut être obtenue par l'introduction de droits de douane) a un effet expansionniste, c'est-à-dire favorable à la croissance. Ainsi, dans une guerre commerciale, puisque les exportations et les importations diminueront de manière égale, pour le monde entier, l'effet négatif d'une diminution des exportations sera compensé par l'effet expansionniste d'une diminution des importations. Une guerre commerciale ne provoque donc pas une récession. En outre, il note que le tarif Smoot-Hawley n'a pas provoqué la Grande Dépression. Le déclin du commerce entre 1929 et 1933 « était presque entièrement une conséquence de la Dépression, pas une cause. Les barrières commerciales étaient une réponse à la Dépression, en partie une conséquence de la déflation »[40].

Indépendamment de la question du protectionnisme, l'explosion du système monétaire international défini à la conférence de Gênes conduit à des redéfinitions des valeurs en or des principales devises et à une suite de dévaluations qui faussent les termes de l'échange international et provoquent des troubles sur tous les marchés de biens et de services internationaux. On constatera que ces quatre contestations des politiques menées dans les années 1930 sont à la base des politiques suivies actuellement : gonflement des liquidités par la banque centrale, refus du protectionnisme, refus (verbal mais acceptation de facto) des dévaluations compétitives, activisme d'État via des plans de relance massifs.

Politiques mises en place pour sortir de la crise

New Deal (1933)

Franklin Delano Roosevelt en 1933.

Herbert Hoover, président républicain des États-Unis de à , tenta sans grand succès de remédier à la crise. Ses adversaires démocrates le surnommaient le Do nothing. Wall Street ayant perdu 3/4 de sa valeur, il faut d'urgence lancer les grandes réformes financières et boursières de son successeur Roosevelt. Reposant sur le crédit à la consommation, l'économie américaine est alors étranglée par l'effondrement de ses banques. En , les États-Unis élisent Franklin Delano Roosevelt (démocrate) pour remplacer Hoover à la tête de l'État. Le taux de chômage approchait alors les 25 % de la population active. Roosevelt prit ses fonctions en mars 1933 et lança plusieurs programmes nationaux afin d'accroître le volume de liquidités et réduire le chômage (c'est ce que l'on nomma le New Deal). Cet interventionnisme économique très fort, conduira la Cour suprême à des arrêts négatifs, immédiatement présentés par le gouvernement comme une opposition politique, cependant à partir de 1937, par l'arrêt West Coast Hotel Co. v. Parrish (en), la cour adapte sa jurisprudence et n'essuie plus guère cette critique.

Le Congrès envisagea de réduire la semaine de travail à trente heures afin de créer des emplois. Roosevelt mit en œuvre des mesures d'urgence impliquant un contrôle étatique du fonctionnement du capitalisme. Celles-ci incluaient la garantie des fonds bancaires par le système de la Réserve fédérale, l'utilisation de l'argent public pour acheter et détruire des récoltes afin de faire monter les prix, un programme de travaux d’intérêt général employant dans des chantiers 2,3 millions de jeunes chômeurs, une forme limitée d'autorégulation de l'industrie au moyen de cartels pour contrôler les prix et les niveaux de production, des quantités limitées de production étatique directe sous le contrôle de la Tennessee Valley Authority, ainsi que des mesures permettant aux travailleurs de former des syndicats et d'obtenir des hausses de salaire afin d'accroitre la demande des biens de consommation[41].

L'amélioration de la situation économique et des droits syndicaux entraîna chez une partie des travailleurs un sentiment nouveau de confiance en leur capacité à lutter. Des syndicats, tels que le Congrès des organisations industrielles (CIO), recrutent des millions de nouveaux membres. Dans les six premiers mois du New Deal, au moins quinze ouvriers grévistes furent tués, deux cents blessés et des centaines incarcérés. En 1934, les grèves des ouvriers de l'industrie automobile, des chauffeurs routiers de Minneapolis et des dockers de San Francisco furent victorieuses, malgré les attaques de briseurs de grève et de la police. Les grèves se multiplièrent au cours des années 1935-1937, permettant dans bien des cas d'obtenir des améliorations salariales. Ces mouvements sociaux, qui favorisaient la solidarité entre travailleurs blancs et noirs, permirent de faire reculer le racisme. Le CIO était alors la seule grande institution de la société américaine où les ouvriers noirs avaient une possibilité de « participation authentique » aux côtés des travailleurs blancs. Ce syndicalisme reflua en 1937, notamment lorsque 18 grévistes furent tués par la garde nationale et des centaines d'autres arrêtés lors d'une grève en mai. Dans plusieurs États, les gouverneurs renforcèrent la législation anti-syndicale. 10 grévistes sont également tués à Chicago par la police. En 1939, le nombre de grève fut deux fois moins élevé qu'en 1937[41].

Le New Deal voulut offrir une réponse politique aux attentes sociales nées du désastre humain de la crise dont témoigne par exemple Les Raisins de la colère de Steinbeck. Il entend redonner espoir aux Américains. Roosevelt sera réélu en 1936, 1940 et 1944. Il fournit aussi aux États-Unis des infrastructures - routes, aménagements hydroélectriques - partiellement encore utilisées à l'heure actuelle.

Le New Deal est souvent crédité d'avoir permis de surmonter la crise. Ce point de vue, généralement admis jusque vers les années 1960, est aujourd'hui contesté par certains économistes. Lorsque survint la Seconde Guerre mondiale, soit 8 ans après les débuts du New Deal, les États-Unis étaient encore en pleine crise. Une personne sur sept était encore sans emploi à la fin des années 1930[41].

Certains affirment[réf. nécessaire] que l'instabilité inhérente des marchés économiques causa une crise si profonde, que même les interventions du New Deal, aussi pertinentes qu'elles fussent, n'auraient pas pu rétablir rapidement la situation. D'après eux, la crise de 1929 correspondant à la période de l'histoire américaine où l'intervention du gouvernement fut la plus forte, on pourrait raisonnablement penser que l'action du gouvernement n'a fait qu'accentuer la dépression, plutôt que d'y remédier. Ils tirent, entre autres, argument du fait qu'après un redressement initial, l'économie a replongé à partir de 1937, à peu près au moment où la Cour suprême a permis au New Deal de prendre plus d'ampleur.

La thèse défendue par l'Ecole autrichienne d'économie (Hayek, Mises) est que la crise fut en fait causée par les interventions politiques ayant permis le développement d'une bulle spéculative qui éclata le « jeudi noir ». Selon les monétaristes comme Friedman, elle aurait été aggravée par la politique monétaire trop restrictive de la Fed, et qu'elle prit fin lorsque cette politique cessa, pour redevenir plus accommodante. La Fed elle-même s'est ralliée à cette thèse et gère maintenant toutes les crises comparables en conséquence : elle fait largement crédit par des taux bas, crédit qu'elle résorbe ensuite par des taux croissants.

Glass-Steagall Act

Les États-Unis tentèrent également d'assainir les pratiques bancaires en leur donnant un cadre légal plus strict, afin de protéger et rassurer les clients. En 1933 et 1935, le Glass-Steagall Act et le Banking Act sont voté dans ce but. Il instaure une séparation entre les banques de dépôt (épargne et prêt) et les banques d'investissements (vente de valeurs mobilières diverses).

Après avoir été largement contourné par l'ensemble de la profession bancaire, il a finalement été abrogé en 1999 puis avec la crise économique de 2008 remis en place par Barack Obama (président des États-Unis) cette année-là.

Économie de guerre

L'Allemagne suivit dès le début des années 1930 une politique différente des recettes de l'orthodoxie de l'époque. Sous la responsabilité financière de Hjalmar Schacht elle se lance dans une politique d'investissement massif, avec des objectifs civils. Galbraith écrira dans son livre sur « la monnaie » que la politique allemande fut à cette époque une politique keynésienne complète avant l'heure. La doctrine de Keynes est en effet qu'il faut rétablir par une politique d'investissement public l'équilibre perdu entre épargne et investissement. C'est de cette époque que date le réseau d'autoroutes allemand (dont l'équivalent en France ne sera construit que trente ans plus tard). Cette politique est menée sans aucune inflation, ce qui vaudra une réputation durable au ministre des finances, malgré son rôle ultérieur dans l'appareil nazi. Malgré un apport non-négligeable de la politique de financement des grands conglomérats industriels de l'armement, le plein emploi est quasiment revenu avant même qu'Hitler n'oriente l'économie allemande vers la production militaire.

En Italie, où l'exemple allemand n'est suivi que très partiellement, les aventures coloniales extérieures absorbent une partie importante de l'énergie nationale et l'économie restera faible pendant toute la période.

La Grande Dépression en France ne commence qu'à l'automne 1931, lorsque les exportations s'arrêtent, à la suite de la dévaluation de la livre. La France se replie sur son Empire et ne parvient pas à élaborer une politique constante. Au lieu de relancer la demande d'investissement public comme en Allemagne, on s'oriente vers une politique malthusienne sur l'offre de travail, avec les congés payés et surtout les « quarante heures », qui selon Alfred Sauvy, dans son Histoire économique de la France entre les deux guerres, bloque la reprise qui commençait à se manifester. L'effort de production militaire est tardif et n'a qu'une influence marginale sur l'activité.

La situation est peu ou prou la même au Royaume-Uni, qui a tenté de revenir à un taux de change en or intenable pour la Livre avant même 1929, et qui a connu une stagnation plus longue que les autres pays. La politique d'armement ne commence vraiment que très peu de temps avant la guerre et ne peut être considérée comme la méthode qui a permis de sortir de la crise.

Le Japon connaît une période d'avant-guerre très différente des démocraties du fait de son expansionnisme militaire et de l'encadrement rigoureux de la population. Il manque de pétrole pour ses entreprises. La guerre avec les États-Unis sera largement provoquée par l'embargo décidé par ce pays sur les exportations pétrolières vers le Japon.

En outre, tous ces pays furent ruinés par la guerre. Les États-Unis connurent une période de forte activité pendant la Seconde Guerre mondiale avec le retour au plein emploi, la mobilisation des hommes jeunes étant compensée par le recours massif à la main d'œuvre féminine dans les usines d'armement. D'énormes investissements furent faits dans beaucoup de domaines qui, après-guerre, donnèrent un avantage technologique au pays. Lorsque la guerre arriva à son terme, le retour des millions de soldats dans leurs foyers imposa une période de réajustement de l'économie. C'est cette transition qu'était censée faciliter la G.I. Bill. En fait, ce fut le seul pays important à ne pas sortir ruiné de la guerre. La guerre avait également permis à des économistes keynésiens, sous l'influence de Hansen[réf. nécessaire], de peupler l'administration qui, pendant la période, se dote des moyens en hommes, en idées et en droit, de son action. La paix retrouvée, ils mirent en place une politique de dépense publique qui ne faiblira plus. Ces exemples montrent que la montée vers la guerre ne sera nulle part le secret de la fin de la crise de 1929. La guerre marquera une rupture dans les mentalités, provoquera un besoin de reconstruction intense pendant une dizaine d'années, provoquera une concentration du pouvoir économique dans l'État qui est désormais partout chargé du droit au travail et à la sécurité sociale. La nouveauté keynésienne devient la nouvelle orthodoxie et tous les gouvernements deviennent alors « keynésiens ».

Notes et références

Notes

  1. Pour Kindleberger 1988, p. 310, la France, pays assez puissant pour déstabiliser et pas assez pour stabiliser, a« recherché le pouvoir pour son propre intérêt, sans prendre en compte comme il l'aurait fallu les répercussions de son attitude sur la stabilité économique ou politique du monde ».

Références

  1. Kindleberger 1988, p. 17.
  2. Goldman Sachs passe de 104 dollars en 1929 à 1,75 en 1932, American Founders Group (société d'investissement) passe de 75 dollars à 0,75 en 1935, U.S. Steel passe de 262 dollars à 22 le , General Motors passe de 1 075 dollars à 40 en 1932 et General Electric de 1 612 dollars à 154 en 1932.
  3. André Kaspi, Franklin Roosevelt, Paris, Fayard, 1988, p. 20
  4. Binoche 2003, p. 174
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  6. Binoche 2003, p. 175
  7. Binoche 2003, p. 176
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  11. 1900-2000, un siècle d'économie, p. 119, aux éditions Les Échos, coordonné par Jacques Marseille.
  12. 1900-2000, un siècle d'économie, p. 438, aux Éditions Les Échos, coordonné par Jacques Marseille
  13. Histoire du XXe siècle : 1ères et terminales agricoles, par Florence Cattiau, Maryse Chabrillat, Annie Constantin, Christian Peltier, Gwenaëlle Lepage, chez Educagri Éditions, 2001 [lire en ligne]
  14. Indice boursier reconstitué par l'Insee, page 429, 1900-2000, un siècle d'économie, aux Éditions Les Échos, coordonné par Jacques Marseille.
  15. Indice Dow Jones "1900-2000, un siècle d'économie", p. 438, aux Éditions Les Échos, coordonné par Jacques Marseille
  16. Histoire de la Bourse, par Paul Lagneau-Ymonet et Angelo Riva, Éditions La Découverte 2011
  17. Fernand Braudel et Ernest Labrousse, Histoire économique et sociale de la France, volume 4, numéro 2, page 647,1980.
  18. "L'économie de guerre et ses conséquences (1914-1929)", par Belisaire.
  19. 1900-2000, un siècle d'économie, page 430, aux Éditions Les Échos, coordonné par Jacques Marseille.
  20. 1900-2000, un siècle d'économie, page 439, aux Éditions Les Échos, coordonné par Jacques Marseille
  21. Jacques Rueff, Le Péché économique de l'Occident, Paris, Plon, 1971.
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  24. Eugène Varga, La Crise économique, sociale, politique, Ed. Sociales.
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  30. https://www.monde-diplomatique.fr/2009/03/SAPIR/16883
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  35. Douglas Irwin, Peddling Protectionism: Smoot-Hawley and the Great Depression (lire en ligne), p. 116.
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  39. (en) Ian Fletcher et Jeff Ferry, « Protectionism Didn’t Cause the Great Depression », sur huffingtonpost.com, .
  40. (en) Paul Krugman, « The Mitt-Hawley Fallacy », The New York Times, (lire en ligne).
  41. Chris Harman, Une histoire populaire de l'humanité, La Découverte, 2015, p. 558-561

Annexes

Bibliographie

  • Jacques Binoche, Histoire des États-Unis, Paris, Ellipses, (ISBN 978-2-7298-1451-9)
  • Pierre-Cyrille Hautcœur, La crise de 1929, La Découverte, , 1re éd. (ISBN 978-2-7071-5906-9 et 2-7071-5906-9)
  • (en) Ben Bernanke, Essays on the Great Depression, Princeton University Press, , 1re éd. (ISBN 978-0-691-11820-8)
  • (en) Ben Bernanke, 1995, The Macroeconomics of the Great Depression, Money, credit and banking lecture [PDF]
  • Milton Friedman et Anna Jacobson Schwartz, A monetary history of the United States: 1867 - 1960, Princeton, Princton Univ. Press, 1963, 860 p.
  • (en) Milton Friedman et Rose D.Friedman, « The Anatomy of Crisis...and the Failure of Policy », Journal of Portfolio Management 6 no 1, automne 1979, p. 15-21
  • Charles P. Kindleberger (trad. de l'allemand par H.P. Bernard), La Grande crise mondiale 1929-1939 [« Die Weltwirtschaftskrise, 1929-1939 »], Paris, Economica, (1re éd. 1973), 366 p. (ISBN 978-2-7178-1473-6)
  • (en) D.E Moggridge, « Policy in the Crises of 1920 and 1929 » in Financial Crises : Theory, History, and Policy, édité par Charles Kindleberger et Jean-Pierre Laffargue, Cambridge University Press, 1982.
  • (en) Paul Samuelson, 1979, « Myths and Realities about the Crash and depression », Journal of Portfolio Management 6 no 1, automne 1979, p. 7–10.

Articles connexes

Liens externes

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