Créole martiniquais

Le créole martiniquais (Kréyol Mat'nik ou tout simplement Kréyol) est une langue appartenant au groupe des langues créoles, parlée en Martinique et parmi la diaspora martiniquaise. Elle n'a pas le statut de langue officielle en Martinique, mais il s'agit d'une langue régionale parlée couramment dans toute l'île.

Créole martiniquais
Kreyol Matnik[1]

Interview en créole martiniquais et français lors des États généraux du multilinguisme dans les outre-mer (décembre 2011).
Pays France
Région Martinique
Nombre de locuteurs Martinique : 418 000 (2001)[2]
Typologie SVO
Classification par famille
Codes de langue
ISO 639-3 gcf (créole guadeloupéen)
IETF gcf (créole guadeloupéen)
WALS mqc
Échantillon
Article premier de la déclaration des droits de l’homme de 1789 version en créole martiniquais par la ligue des droits de l’homme (section Martinique) : « Lézom ka wè jou, ka lévé lib ek kantékant adan zafè dwa-a. Magrési toutmoun pa ka ni menm plas kon menm wotè adan sosiété-a, foda sé lespri yonn a lot ki mennen yo. »[3].

Ce créole est très proche de ceux des îles voisines, tels que le créole guadeloupéen (la différenciation d'avec ce dernier ne date que du XIXe siècle[4] et si le World Atlas of Language Structures lui a attribué un code différent, elle partage toujours les mêmes codes ISO 639-3, IETF et Glottolog que le créole guadeloupéen) ou les créoles dominiquais, saint-lucien (qui partagent des structures syntaxiques et grammaticales pratiquement identiques, quoique leur lexique comprenne plus de mots d'emprunt anglais), haïtien et guyanais.


Le créole martiniquais, tout comme les créoles guadeloupéen, haïtien, saint-lucien et dominiquais, est de base lexicale française, mais contient quelques apports de langues africaines qui proviendraient des langues d'Afrique de l'Ouest, telles que le wolof, le fon, l'éwé etc., des langues amérindiennes, ainsi que de l'anglais et de l'espagnol.

Genèse du créole martiniquais

Histoire

La genèse du créole martiniquais, est, comme tout créole, l'histoire d'un contact entre deux populations de langues différentes devant communiquer. Au sein de ces deux populations, l'une est subordonnée à l'autre, et par conséquent, tenue de parler la langue du dominant (les théories sur le détail de ces contacts, et la façon dont ils aboutissent à une langue créole, sont diverses et toujours débattues). On ne commence à parler de « langue créole » qu'à partir du moment où le langage/pidgin, développé au départ pour la communication entre le colon et le colonisé, est appris par une nouvelle génération de locuteurs et utilisé pour les usages de tous les jours, et non plus uniquement comme lingua franca.

Les premières descriptions des possibles ancêtres des créoles antillais sont le fait de missionnaires, de clercs ou de visiteurs blancs qui parlent d'un "baragouin", d'un "français corrompu" utilisé pour communiquer avec les "Sauvages" (Indiens Caraïbes) lorsqu'ils étaient nombreux dans les îles, puis avec les "Nègres" (esclaves)[5]. Le jargon utilisé par les colons pour communiquer avec les indiens caraïbes, un français populaire et extrêmement simplifié, n'est pas obligatoirement l'ancêtre à proprement parler du créole, mais au départ, celui-ci diffère peu du jargon utilisé pour parler aux esclaves[6].

« Seigneur, toy bien sçave que mon frère luy point mentir, point luy iurer ; point dérober, point aller luy à femme d’autre, point luy méchant, pourquoi toy le voulé faire mourir ? »

 extrait en "jargon des nègres" cité par P. Pelleprat (1655)

Puis, au fur et à mesure des contacts entre maitres et esclaves, les deux parties s'imitant mutuellement pour communiquer, le jargon s'éloigne progressivement du français, jusqu'à devenir la langue de la colonie[7]. D'ailleurs, à la fin du XVIIIe siècle, les visiteurs constatent que les Blancs usent déjà entre eux du "jargon" qui était au départ la langue des esclaves :

« Quoi qu'il en soit, le langage créole a prévalu. Non seulement il est celui des gens de couleur, mais même des Blancs domiciliés dans la colonie, qui le parlent plus volontiers que le français, soit par habitude, soit parce qu'il leur plaît davantage. »

 Justin Girod de Chantrans, Voyage d'un Suisse dans différentes colonies d'Amérique, 1785

Au départ, les colons français n'utilisent pas le terme "créole", mais le voient comme une déformation du français par des esclaves considérés comme incapables de bien le parler[8].

Ces descriptions des "jargons" ancêtres du créole commencent au XVIIe siècle[5], et les premiers textes apparaissent dans la 2e moitié du XVIIIe siècle[5]. Toutes ces anciennes retranscriptions émanent de francophones qui ne parlent pas forcément ce créole qu'ils décrivent[9], et à cette époque, on n'emploie pas encore le mot "créole" pour décrire ce langage[10].

L'un des plus anciens de ces textes (31 mai 1671) transcrit la déposition d'esclaves pécheurs dans une langue qui est l'ancêtre du créole martiniquais. Il s'agit d'un témoignage de rencontre en mer d'une créature "surnaturelle" en Martinique, au large du rocher du Diamant. Ici la déposition de l'un d'entre eux[5]:

"Proto-créole" créole martiniquais actuel Français
« moi mirer un homme en mer du Diamant, moi voir li trois fois, li tini assés bon visage et zyeux comme monde » Man wè an nonm an lanmè bò Dyaman-an, man wè'y twa fwa, i té ni an mannyè bèl fidji épi zyé kon moun. J'ai vu un homme en mer près du Diamant, je l'ai vu trois fois, il avait un assez beau visage et des yeux humains.
« li tini grande barbe grise, li sorti hors de l'eau, regardé nous tous » I té ni an gran bab gri, i sòti an dlo-a, la ka gadé nou tout Il avait une grande barbe grise, est sorti de l'eau et nous a tous regardés.
« moi prendre ligne et zain pour prendre li. Moi teni petit peur; non pas grand » Man pran lyen epi sen-lan pou pran'y. Man té ni pè tibren, tibren sèlman. J'ai pris ma ligne et mon filet pour l'attraper. J'avais peur, juste un peu.
« et puis li caché li. li tourné pour garder nous enpartant. li tini que comme poisson » Epi i anni chapé séré. I tounen pou gadé nou lè i téka pati. I té ni an latjé kon an pwason. Puis il s'est caché. Il s'est retourné pour nous observer en partant, il avait une queue de poisson.

Différenciation avec le français

Le créole martiniquais s'est éloigné du français sur le lexique et sur la grammaire de façon assez similaire aux autres créoles antillais. L'essentiel de son lexique provient du français, malgré quelques apports anglais, espagnols, amérindiens et africains.

Le français et le créole s'éloignent au fur et à mesure, d'abord par imitation mutuelle des maîtres et des esclaves, puis simplement par éloignement géographique.

Dans les grammaire, conjugaison et syntaxe

Les syntaxe et grammaire sont radicalement différentes de celles du français, à l'instar des temps verbaux se manifestant par une particule (par exemple ka pour le présent, téka pour l'imparfait) avant le verbe plutôt que par une terminaison:

Créole français
Infinitif manjé manger
Présent 1re personne du singulier Man ka manjé Je mange
Imparfait 2e personne du singulier Ou téka manjé Tu mangeais

La généralisation de l'utilisation de ces particules, et leur stabilisation, est assez tardive. Par exemple, la particule ka, qui d'ailleurs fait la différence entre les créoles en ka des petites Antilles (Martinique, Guadeloupe, Dominique) et les créoles en ap (haïtien), ne se généralise et se stabilise qu'au XIXe siècle[11], peut-être du fait de la convergence entre le créole des esclaves et celui des Blancs. Les transcriptions de créole les plus anciennes utilisent encore des infinitifs sans particules.

On observe également en grammaire créole quelques simplifications par rapport au superstrat français, notamment l'absence de genre grammatical ou de voix passive. Les pronoms personnels sont toutefois plus nombreux. Exemple de conjugaison du verbe dormir, dòmi :

Français Créole Remarques
Je Man, Mwen, An Man/Mwen/An ka dòmi An est un guadeloupéanisme récent
Tu Ou Ou ka dòmi
Vous (formel) Ou Ou ka dòmi
Il (neutre) I I ka dòmi Le créole possède un pronom personnel neutre qui peut être à la fois synonyme de il ou de elle.
Il (masculin) Misyé, mesyé, musyeu Misyè ka dòmi Exemple : Musyeu pa djè ni tan: il n'a pas beaucoup de temps.
Elle (féminin) Manzel Manzel ka dòmi Exemple : Manzèl pa djè enmen jwé : elle n'aime pas beaucoup jouer
Nous Nou Nou ka dòmi
Vous (pluriel) Zòt Zòt ka dòmi Il ne s'agit pas d'un "vous" de vouvoiement
Ils(neutre), Ils (masculin), Elles Yo Yo ka dòmi Exemple : Yo ka jwé : ils jouent.

Pour la 3e personne du singulier neutre "I", il est à noter également que, contrairement à d'autres créoles antillais, l'utilisation de "li" en pronom personnel non-réfléchi est quasiment absente.

Dans le lexique

Un grand nombre de mots créoles dérivent du français via une transformation prévisible. Ces mécanismes ont progressivement transformé le vocabulaire français en vocabulaire créole.

  • L'aphérèse désigne l'omission d’un ou de plusieurs sons au début d’un mot. Dans la différenciation du créole avec le français, l'aphérèse a surtout concerné les préfixes « a », « é », « em », « ou », et « en » des verbes français[12].
Français Créole
Allumer Limen
Ecouter Kouté
Oublier Bliyé
Enterrer Téré
Embarquer Batjé
  • La syncope est l'omission d'un ou de plusieurs sons au milieu d'un mot[13]. En créole, elle concerne souvent la lettre "r" des mots français. Ça arrive le plus souvent à la frontière des syllabes qui rend la dernière syllabe ouverte.
Français Créole
Marcher Maché
Marquer Matjé
Dormir Dòmi
  • L'apocope est l'omission d'un ou de plusieurs sons à la fin d'un mot[14]. En créole, elle peut concerner la lettre r finale d'un mot français. Cette apocope du "r" final était déjà présente dans certains patois de l'Ouest français.
Français Créole
Table Tab
Calvaire Kalvè
  • La prosthèse est l’addition d’un son au début d’un mot. Il peut s’agir d’une voyelle (mais ce phénomène tend à disparaître au fil des générations), soit d’une consonne, notamment les consonnes z et l, soit d’une syllabe : la, lan, ma, mon[15].
Français Créole
Stylo Estilo
Statue Estati
Aiguille Zédjwi
Orange Zoranj
Mer Lan
Sœur (religieuse) Ma
  • L'épenthèse est l'insertion d’un son au milieu d’un mot. Attesté dans les créoles à base lexicale anglaise, ce phénomène est rare dans la créolisation du français[15].
Français Créole
Chavirer Chalviré
Trébucher Trilbiché

Parmi les créoles dans le monde

Comme tous les créoles, le créole martiniquais est l'évolution d'un pidgin créé pour l'intercompréhension d'une classe de colons et d'une classe de colonisés. La parenté entre les différents créoles ainsi créés par l'expansion coloniale européenne, et leur modalités d'apparitions est un sujet toujours débattu. Pour cette raison, et de par leur mode formation un peu particulier, les créoles ne sont en général pas placés dans grandes familles de langues selon leurs affinités génétiques, mais dans le groupe non-génétique des langues créoles. Ainsi, bien que classés dans ce groupe, les créoles du monde ne découlent pas d'un seul pidgin qui serait leur ancêtre à tous. Par exemple, les créoles à base lexicale anglaise découlent d'un autre épisode de créolisation que les créoles à base lexicale française.

Parmi les créoles « français »

La question de savoir si les créoles à base lexicale française sont le résultat d'un ou plusieurs épisodes de créolisation (c'est-à-dire de savoir si tous les créoles français ont un seul pidgin ancêtre en commun, ou se sont constitués indépendamment à plusieurs endroits de l'empire colonial français), n'est pas aussi controversée que pour le cas des créoles à base anglaise[16]. En effet, ces créoles se retrouvant dans trois régions très éloignées (Amériques, océan Indien, océan Pacifique), il est considéré qu'ils ne peuvent être issus de moins de trois genèses différentes et indépendantes[17]

Le créole martiniquais fait partie du continuum des « créoles antillais » (dont il est parfois considéré comme un dialecte), à l'instar des créoles guadeloupéen, saint-lucien, dominiquais, et trinidadien. Ces créoles antillais sont apparentés d'abord au créole haïtien, puis moins étroitement aux créoles continentaux louisianais et guyanais. Enfin, ces créoles américains se distinguent des créoles de l'océan Indien (mauricien, réunionnais, seychellois), ainsi que ceux du Pacifique (par exemple le Tayo, en Nouvelle-Calédonie).

françaismartiniquaisguadeloupéendominiquaishaïtienguyanaislouisianaisréunionnaistayo
La maison de mon pèreKay papa mwenKaz a pap'an mwenKaz papa mwenKay papa mwenkaz mo papala mezõ dø ma pɛrla kaz mon papamesõ pu papa pu mwa
Trois de ses amis étaient làTwa kanmarad-li té laTwa zanmi a'y té laTwa frenn-li te latwa nan zanmi li yo te latrwa di so zanmi té latwa de so ami te latroi son bann dalon lété lana trwa parmi tle kamarad pu lja sa sola ete la
Où est-il?Eti-y?Ola i yé?Ola i ye?kote l'(i) (ye)?koté li fika ?Eu li je?ousa li lé?le u lka?
Sa mère l'appelleManman'y ka kriyé'yManman a'y ka kriyé'yManman'y ka kouye'ymanman'l ap rele'l?so manman ka aplé liso momã e pele (pɛle) lison moman i kriy alimater pu lja la ãtrãde aple lja

Les travaux précurseurs sur la classification des créoles français, en utilisant des caractéristiques morpho-linguistiques plutôt que géographiques, datent des années 1960[18]. Parmi ces caractéristiques morphologiques, on trouve notamment la particule préverbale ka pour le présent progressif, qui est partagé par les créoles des Antilles et guyanais, là ou les créoles haïtiens possèdent une particule ap. De la même façon, on observe la présence de ba(y) pour "donner" rapprochant tous les créoles caribéens + guyanais et les différenciant du créole louisianais.

Parenté entre créoles à base lexicale française

M. F. Goodman (1964) classe les créoles français comme ci-dessous[19]:

  • racine
    • Créoles de l'océan Indien
      • Réunionnais
      • Mauricien
    • Créoles américains
      • Lousianais
      • Présence de ba(y)
        • Guyanais (particule ka)
        • Haïtien (particule ap)
        • Martiniquais, Guadeloupéen, Saint-lucien, Dominiquais, Trinidadien (particule "ka")

Usage

Panneau en créole : dlo koko (eau de coco), soley (soleil), lanmè (mer).

Une langue historiquement reléguée

À l'origine langue parlée à la fois par les esclaves et les colons, le créole est progressivement entré en compétition avec le français qui se diffusait dans les Antilles. Assez rapidement, et comme dans les autres possessions françaises des Caraïbes, le créole martiniquais se voit relégué : « ces langues [sont] en butte à la répression scolaire et sociale »[8].

L'école participe activement à la francisation des Martiniquais. Pendant longtemps, le créole, considéré comme une variété inférieure, n'a pas droit de cité dans l'enceinte scolaire. Les différentes lois autorisant ou promouvant l'enseignement des langues régionales à l'école (loi Deixonne de 1951, loi Haby de 1975, circulaire Savary de 1982...) n'ont presque pas d'impact en Martinique. Seules quelques expériences d'enseignement du créole sont menées à Rivière-Pilote et à Basse-Pointe dans le premier cycle du secondaire[8].

Ce n'est que dans les années 1990 que le créole est intégré à l'enseignement, afin d'améliorer les résultats des élèves. En 2000, un CAPES de créole a été instauré, qui concerne tous les créoles antillais[20].

Diglossie face au français

En Martinique, le créole n'a aucun statut contrairement au français qui a valeur de langue officielle. Les deux langues sont dans une situation de diglossie, inégalitaire : « La langue française, à quelques exceptions (...) près, peut être utilisée dans toutes les situations de parole (formelles et informelles) tandis que la langue créole tend à n'être employée que dans les situations informelles »[20]. L'usage du créole obéit donc à des règles sociales, comme l'indique Jean Bernabé : « on ne parle pas créole impunément dans n’importe quelle situation »[20].

La transmission du créole se fait par deux biais. Dans les familles uniquement créolophones, la langue est transmise par les parents aux enfants. Dans les familles où le français domine et est la langue maternelle, les parents n'enseignent pas le créole à leurs enfants : la langue est transmise par les pairs (groupes d'amis, etc) qui ne parlent pas français[20]. Néanmoins, les locuteurs créolophones unilingues sont de plus en plus rares. En effet, « les progrès de la scolarisation précoce et plus encore, le développement des crèches sont à l’origine d’une mutation cruciale qui est en train de transformer la langue française en langue maternelle de tous les Guadeloupéens et Martiniquais »[20]. Cependant, pour Jean Bernabé, le créole ne semble pas menacé, car il est présent fortement dans les médias martiniquais (radio et télévision)[20]. Dans le même temps, le créole tend à se rapprocher de plus en plus du français, ce qui constitue selon l'auteur une « décréolisation qualitative »[20].

Le créole mélangé au français

Dans les années 1980, « L.-F. Prudent relève la propension des Martiniquais à employer le créole et le français en même temps, pratique qu’il nomme interlecte »[8]. Les deux langues s'interpénètrent, se mélangent : le français s'est répandu dans les salles de classe, mais le créole a fait son apparition dans la publicité et dans les médias. Cet interlecte est surtout pratiqué en milieu urbain (Fort-de-France), où se concentre la majorité de la population. Pour G. Daniel Véronique, « un nouveau rapport interlinguistique s’est instauré » entre créole et français[8]. Voici un exemple de créole mélangé au français[21] :

« Kréyol sé lang nou Martiniké... alo nou ka palé kréyol... tandis que, en France, c'est le français qu'on parle. Alors comme nou za abitué palé kréyol nou, sé kréyol nou ka palé... »

 L.F. Prudent, 1983

Pratique du créole au sein de la population martiniquaise

Le créole est la langue maternelle de la majorité de la population martiniquaise. D'autre part, il est parlé en tant que seconde langue maternelle par certaines catégories, notamment les békés, descendants des anciens propriétaires terriens français. De même, « tous les nouveaux immigrants d’Asie ou du Proche-Orient ont maintenant perdu leur langue d’origine et ont adopté le créole martiniquais comme langue maternelle »[21]. Les métropolitains, surnommés « métros » ou « zoreilles », ne parlent généralement que le français[21].

Systèmes graphiques

Comme la plupart des créoles antillais, le créole martiniquais s'est toujours écrit via l'alphabet latin. On distingue plusieurs types de graphies : les graphies étymologiques et les graphies phonético-phonologiques[22].

Graphie étymologique

Avant toute standardisation, et depuis le XVIIe siècle, les tentatives pour écrire le créole martiniquais se calquaient sur le français. Un mot créole était écrit de façon qu'il ressemble au mot français dont il est issu. C'est pourquoi on parle de graphie étymologique. Par exemple, J. Turiault écrit en 1874[23]:

Créole martiniquais français
« Monte ou assous couche ou bouc ou tou » Votre montre est sur votre couche, votre boucle aussi

La graphie étymologique fait en sorte que l'on puisse reconnaître que monte = montre, couche = couche, bouc = boucle.

Graphie GEREC (ou phonético-phonologique)

Depuis les années 1970, le créole martiniquais fait l'objet d'une standardisation par un organisme nommé GEREC (Groupe d'études et de recherches en espace créolophone[24]). Les graphies étymologiques sont abandonnées au profit d'une graphie standardisée phonético-phonologique[25].

Cette graphie, qui est aujourd'hui la plus employée[réf. souhaitée], est cependant largement critiquée par de nombreux segments de la population martiniquaise. La graphie phonétique rend en effet souvent le texte difficilement compréhensible par les locuteurs du créole, qui, étant tous alphabétisés en français, doivent faire un pénible effort de déchiffrement pour retrouver le sens des mots, comme le ferait un locuteur du français si ce dernier était écrit de manière purement phonétique. Par ailleurs, cette graphie est également critiquée[Par qui ?] sur un plan plus politique, ses détracteurs considérant qu'elle est motivée par des relents nationalistes et relève d'une volonté de faire passer le créole pour une lanque plus éloignée du français qu'elle ne l'est réellement[réf. souhaitée]

Graphie étymologique Graphie standard GEREC Français
Monte ou assous couche ou bouc ou tou Mont-ou asou kouch-ou bouk-ou tou Votre montre est sur votre couche, votre boucle aussi
Ça ou pa save grand passé'w Sa ou pa sav gran pasé'w Ce que tu ignores te surpasse (proverbe)
Ravèt pa janmin ni raison douvant poule Ravèt pa janmen ni rézon douvan poul Les cafards n'ont jamais raison face aux poules (proverbe)

Le standard GEREC pour le créole martiniquais contient 24 lettres : a, b, c, d, e, f, g, h, i, j, k, l, m, n, o, p, r, s, t, u, v, w, y, z[26]. Il comprend également les signes diacritiques que sont les accents aigus et graves sur les lettres e et o pour noter les phonèmes /e/ (é), /ɛ/ (è) et /ɔ/ (ó). Contrairement à la graphie choisie pour le créole haïtien, le créole martiniquais supporte les accents é, et è.

L'orthographe selon le standard GEREC est phonétique. À chaque son correspond une unique lettre ou combinaisons de voyelles.

Le digramme ch est considéré comme une seule même lettre, notant le phonème /ʃ/.

De même, u et x sont peu fréquents en créole et sont souvent substituées respectivement par ou et par ks, kz ou z. Ex. « Par exemple : Xavier, est-ce que tu es là ? » devient « Pa èkzanp: Zavyé, ès ou la? ».

Une certaine confusion règne entre l'utilisation du r et du w, mais ces deux lettres sont bien distinctes.

Dans une syllabe où se trouve une voyelle arrondie (o, ou, on), on utilise w. Ainsi on a wou (roue). Dans une syllabe comportant une voyelle non arrondie (a, e, è, i, an), on ne se réfère qu'à la prononciation de la syllabe pour savoir s'il faut écrire r ou w. Ainsi, rat devient rat /rat/ et non « wat ». Gras devient gra et non « gwa » qui correspond plus à la suite /gw/ de Guadeloupe qui devient Gwadloup.

Dans le tableau ci-dessous ne sont recensées que les lettres qui diffèrent de leur emploi français standard :

CréoleTranscription

API

Français standard
g/g/ /g/ ou /ʒ/
h/h/ Muet, le «h» n'influence que l'élision en français standard
w/w/ /w/ ou /v/
r/w/ /ʁ/
s/s/ /s/ ou /z/
y/y/ /i/ ou /j/
an/ɑ̃/ /ɑ̃/ ou /an/
an'/ɑn/ Rare comme dans «âne» → /ɑn/
ann/ɑ̃n/ Très rare, surtout en contexte de liaison.

J'en ai reçu → /ʒɑ̃nɛʁsy/

Comparativement à

J'en suis sorti → /ʒɑ̃sɥisɔʁti/

anm/ɑ̃m/ Aucune équivalence en français standard
ay/aj/ Généralement orthographié «ai»

Travail → /tʁavaj/

Bail → /baj/

Ail → /aj/

in/in/ Comme dans « Chine » /ʃin/
en/ɛ̃/ Généralement écrit « in » (d'autres formes existent)
enn/ɛ̃n/ Aucune équivalence en français standard
on/ɔ̃/
onm/ɔ̃m/ Aucune équivalence en français standard
onn/ɔ̃n/ Très rare, surtout en contexte de liaison

On a acheté → /ɔ̃nɑaʃte/

Le bon ami → /ləbɔ̃nami/

ch/ʃ/
tj/tʃ/ Généralement orthohraphié «tch» comme dans

République Tchèque

Exemple de proverbes créoles

Proverbesignificationsignification littérale
Bèf-la ka janbé la pak baOn recherche toujours la solution la plus facile/ on profite toujours de ceux qui sont les plus faiblesLe bœuf enjambe la barrière au plus bas
Pa fè moun sa ou pé té ké enmen yo fè'wNe fais pas aux autres ce que tu n'aurais pas aimé que l'on te fasseNe fais pas aux autres ce que tu n'aurais pas aimé que l'on te fasse
Mouton enmen kité kou'y pannIl faut se méfier de ceux qui affichent une grande humilitéLe mouton aime garder son cou penché
Ri diri, pléré lantirira bien qui rira le dernierrire du riz, pleurer des lentilles
Pati pa rivérien ne sert de courir, il faut partir à pointen partant, on n'est pas certain d'arriver ("parti, pas arrivé")
Yich tig paka fèt san zongtel père, tel filsun tigre ne naît pas sans griffes
Chyen paka fè chatles chiens ne font pas des chatsles chiens ne font pas des chats
Chak chyen ka léché tèt kal yo an gou kò yoChacun fait comme il l'entend[27]Chaque chien se lèche les parties selon son goût[28]
Tibèf pa janm fèt san latjétel père, tel filsun veau ne naît pas sans queue
Ti poul suiv' ti kanna mo néyéIl faut agir selon ses capacités, rester dans sa catégorieLe poussin qui suit le caneton meurt noyé
Ravèt pa janm ni rézon douvan poulla raison du plus fort est toujours la meilleurele cafard n'a jamais raison devant la poule
Sé bon pyé ki sové mové kòce sont les pieds sains qui peuvent sauver un corps maladece sont les pieds sains qui peuvent sauver un corps malade
Kabrit bwè, mouton souil ne faut pas se fier aux apparencesle cabri boit, mais on accuse le mouton d'être saoul
Sa ki ta'w, larivyè paka chayé'yNul n'échappe à son destinCe qui est tien la rivière n'emporte pas
Dapré manman makak se yich li ki pli bel/ Tout makak ka touvé yich yo bel/Makak pa janm touvé yich yo led On manque de recul par rapport à sa famille D'après la mère du singe, la plus belle créature sur terre c'est son fils/Tous les singes trouvent leurs enfants beaux/les singes n'ont jamais trouvé que leurs enfants étaient laids
Chien maré fèt pou lapidé Une personne coincée dans une situation/sans échappatoire est à la merci des autres Un chien attaché est fait pour se faire lapider
Trop pressé pa ka fè jou rouvè Chaque chose vient en son temps, rien ne sert de s'énerver Le jour ne se lève pas plus vite pour les gens pressés
Chyen pa lé bannann, pa lé poul pran'y Se dit d’une personne qui ne veut pas partager quelque chose, même si elle n’en veut pas Le chien ne veut pas de bananes, mais ne veut pas que les poules les lui prennent

Notes et références

  1. Raphaël CONFIANT : « DICTIONNAIRE DU CREOLE MARTINIQUAIS » ; « BWETAMO KREYOL MATNIK » ; « DICTIONARY OF MARTINICAN CREOLE » ; « DICCIONARIO DEL CREOL MARTINIQUEÑO », consulté le 22 mars 2019
  2. Ethnologue [gcf].
  3. « Deklarasyon dwa lom ek ta lé sitwayen ki fèt an 1789, ki fèt nan kreyol an l’an 2013 adan LP André Aliker, an moun ki goumen pou la jistis. » « Artik prèmié: Lézom ka wè jou, ka lévé lib ek kantékant adan zafè dwa-a. Magrési toutmoun pa ka ni menm plas kon menm wotè adan sosié- té-a, foda sé lespri yonn a lot ki mennen yo. » William Rolle - Ligue des droits de l’Homme, section Fort-de-France consulté le 22 mars 2019
  4. https://www.lingv.ro/RRL%203-4%202009%20Hazael-Massieux.pdf Les langues créoles. Formation et évolution dans le contexte des contacts de langues dans la Caraïbe, p. 4
  5. Textes anciens en créole français de la Caraïbe : Histoire et analyse, Editions Publibook (ISBN 978-2-7483-7356-1, lire en ligne)
  6. Marie-Christine Hazaël-Massieux, Textes anciens en créole français de la Caraïbe : Histoire et analyse, 491 p. (ISBN 978-2-7483-7356-1, lire en ligne), p. 27.
    p. 29 "A l'examen des exemples donnés pour les premiers temps, le jargon utilisé par et avec les Caraïbes[..] ne semble guère différent du jargon en usage par et avvec les esclaves"
  7. Marie-Christine Hazaël-Massieux, Textes anciens en créole français de la Caraïbe : Histoire et analyse, 491 p. (ISBN 978-2-7483-7356-1, lire en ligne), p. 27.
    p. 28"le créole devient assez vite la langue de la colonie; même si les blancs usent d'une variété différente, sans doute assez marquée par le français qu'ils parlent aussi, c'est ensemble en s'imitant mutuellement (les blancs imitant le parler des noirs pour se faire comprendre, et le noirs s'efforçant de parler "français" même s'ils ne parlent selon l'expression du temps qu'un "français corrompu"), c'est en s'ajustant les une aux autres que les habitants des colonies d'Amérique [...] développent cette nouvelle langue."
  8. Georges Daniel Véronique, « Les créoles français : déni, réalité et reconnaissance au sein de la République française », Langue française, vol. 167, no 3, , p. 127 (ISSN 0023-8368 et 1957-7982, DOI 10.3917/lf.167.0127, lire en ligne, consulté le )
  9. Textes anciens en créole français de la Caraïbe : Histoire et analyse, Editions Publibook (ISBN 978-2-7483-7356-1, lire en ligne), p. 27
    "Ces dénominations diverses[..] sont aussi souvent accompagnées d'exemples de cette langue des esclaves. Même si l'imitation est parfois malhabile, toujours effectuée au XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle par des Blancs qui ne parlent sans doute pas toujours convenablement la langue..."
  10. Textes anciens en créole français de la Caraïbe : Histoire et analyse, Editions Publibook (ISBN 978-2-7483-7356-1, lire en ligne), p. 28
    on ne parle jamais encore de créole pour désigner la langue
  11. Textes anciens en créole français de la Caraïbe : Histoire et analyse, Editions Publibook (ISBN 978-2-7483-7356-1, lire en ligne), p. 68
    "Lorsqu'on parle de maturité, on entend souligner : - le développement du système verbal, dans le texte sont clairement opposés: les passés "comme jour pacques té proche"[...] des présents duratifs, graphiés "qu'a".[...] ils peuvent être bien plus rares dans des textes postérieurs, jusqu'à ce que l'usage en devienne systématique au milieu du XIXe siècle"
  12. « Leçon 7(a) : LES MOTS CRÉOLES (I.1) : leur formation (1) », sur www.cours-de-creole.com (consulté le )
  13. « Leçon 7(a) : LES MOTS CRÉOLES (I.1) : leur formation (1) 1.1 a) L'aphérèse », sur www.cours-de-creole.com (consulté le )
  14. http://www.cours-de-creole.com/PBCPPlayer.asp?ID=292023 1.1 c) L'apocope
  15. http://www.cours-de-creole.com/PBCPPlayer.asp?ID=292023 1.2
  16. https://www.researchgate.net/publication/318039855_The_typology_and_classification_of_French-based_creoles_A_global_perspective Aymeric Daval-Markussen, Creole Studies – Phylogenetic Approaches p. 177 "Besides, in contrast to their English-based counterparts, the question of whether this group of creoles descends from a single proto-pidgin ancestor is less controversial"
  17. https://www.researchgate.net/publication/318039855_The_typology_and_classification_of_French-based_creoles_A_global_perspective Aymeric Daval-Markussen, Creole Studies – Phylogenetic Approaches p. 177 "the three main areas where French-lexicon creoles are spoken (i.e. the Caribbean, the Indian Ocean and the Pacifc) are so distant geographically that they are less likely to have been transplanted from one conti-nent to another, in contrast to what was open the case within these territories (e.g. inter-island migration in the Caribbean)."
  18. https://www.researchgate.net/publication/318039855_The_typology_and_classification_of_French-based_creoles_A_global_perspective Creole Studies – Phylogenetic Approaches Aymeric Daval-Markussen p. 178 "The most seminal work on French-based creoles was undertaken by Goodman (1964), which represents one of the first attempts to propose a classification based on a systematic comparison of actual linguistic features found in these languag-es, rather than basing it on geographical criteria"
  19. https://www.researchgate.net/publication/318039855_The_typology_and_classification_of_French-based_creoles_A_global_perspective p. 178
  20. Jean Bernabé, « Guadeloupe et Martinique : un survol sociolinguistique », sur www.montraykreyol.org, (consulté le )
  21. « Martinique », sur www.axl.cefan.ulaval.ca (consulté le )
  22. http://www.cours-de-creole.com/Files/25482/Lire_ecrire_creole.pdf Quelques principes élémentaires pour écrire en créoles martiniquais et guadeloupéen par J-P. Arsaye, p. 5
  23. http://creoles.free.fr/articles/histoiredescreoles.pdf p. 7, citation de Turiault : « Étude sur le langage créole de la Martinique », extrait du Bulletin de la Société académique de Brest, 2e série, tome 1, 1873-1874, Brest, Impr. De J.B. Lefournier Aîné, 1874, p. 401-516.
  24. Le GEREC (Groupe d'études et de recherches en espace créolophone) fondé en 1975 par le Pr Jean Bernabé, regroupe des chercheurs travaillant sur la langue, la culture et les populations créoles (Martinique, Guadeloupe, Guyane…), avec un regard spécifique sur les créoles à base lexicale française et sur l'aire francophone. Le GEREC produit des travaux concernant l'écriture du créole, notamment une famille de normes concernant sa graphie, qui fait référence depuis 1976.
  25. http://www.cours-de-creole.com/Files/25482/Lire_ecrire_creole.pdf Quelques principes élémentaires pour écrire en créole martiniquais et guadeloupéen p. 5.
  26. « Page d'accueil - UOH », sur UOH (consulté le ).
  27. « Pwoveb kreyol - Accueil », sur pwoveb.kreyol.free.fr (consulté le )
  28. « Chaque chien lèche sa queue selon son goût » Proverbes Français, Proverbes Français L'Animal » Astussima », sur www.astussima.com (consulté le )

Voir aussi

Bibliographie

Dictionnaires :

Articles connexes

Liens externes

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