Corpus hippocratique

Le Corpus hippocratique (en latin Corpus Hippocraticum), la Collection hippocratique ou le Canon d'Hippocrate est un recueil d'une soixantaine de livres de médecine écrits en ionien et que la tradition attribue au médecin grec Hippocrate. Ils sont cependant très disparates dans leur contenu, la datation et le style et leur paternité réelle est en grande partie douteuse. De tous les volumes du Corpus, il s'est avéré qu'aucun n'était de la main d'Hippocrate lui-même, bien que certaines sources disent le contraire et ce travail est probablement l'œuvre de ses étudiants et de ses adeptes, plus d'une dizaine, peut-être plusieurs siècles après sa mort. La recherche sur les traités authentiques du corpus est désignée comme la Question Hippocratique.

Manuscrit byzantin du XIIe siècle du Serment d'Hippocrate sous la forme d'une croix
Magni Hippocratis medicorum omnium facile principis, opera omnia quae extant, 1657

En raison du caractère hétéroclite des sujets, des styles et de la date apparente de rédaction, les chercheurs pensent qu'il n'aurait pas pu être écrit par une seule personne. Mais le corpus porte le nom d'Hippocrate qui lui a été attribué dans l'Antiquité et les enseignements du corpus suivent en général ses principes. Il s'agirait peut-être des vestiges d'une bibliothèque de Cos, ou d'une collection d'œuvres compilées au IIIe siècle av. J.-C. à Alexandrie. L'école de médecine grecque de Cos n'a cependant pas été la seule qui ait contribué au Corpus, l'école de Cnide a également joué un rôle dans son élaboration.

Ce corpus, qui a bénéficié de nombreuses rééditions, a marqué la pensée médicale occidentale pendant plus de vingt siècles.

Contenu

Le Corpus hippocratique contient des manuels, des conférences, des études, des notes et des essais philosophiques sur divers sujets de médecine, regroupés sans aucun ordre particulier[1],[2]. Le nombre de traités est important mais est dû à la transmission manuscrite qui en disloqua plusieurs d'entre eux[3]. Ces ouvrages ont été rédigés pour différents publics, spécialistes et profanes, et ont parfois été écrits à partir de points de vue opposés, ce qui explique que d'importantes contradictions peuvent apparaître entre les différentes parties du Corpus[4],[3].

Une grande partie du corpus est constitué d'histoires de cas, qui sont au nombre de quarante-deux. Parmi ceux-ci, 25 (soit 60 %) ont eu pour issue la mort du patient[5]. La quasi-totalité des maladies décrites dans le Corpus sont des maladies endémiques : le rhume, la consomption, la pneumonie, etc.[6]

Liste des œuvres

  1. Le Pronostic[7]
  2. Des Airs, des eaux et des lieux[7]
  3. Du Régime dans les maladies aiguës[7]
  4. Les Aphorismes[7]
  5. Les Épidémies[7]
  6. Des Articulations[7]
  7. Des Fractures[7]
  8. De Instruments de réduction[7]
  9. Le Serment[7]
  10. De l'ancienne médecine[7]
  11. Des Fractures [7]
  12. L'établissement du médecin ou du Chirurgien
  13. Traité sur les blessures de la tête
  14. La loi
  15. De la Nature de l'homme[7]
  16. Les régimes et la santé
  17. Les Prénotions coaques [7]
  18. Les Prorrhétiques [7]
  1. Des ulcères
  2. Des fistules
  3. Des hémorroïdes
  4. Sur les poumons
  5. De la maladie sacrée
  6. L'homme et les lieux
  7. De l'art
  8. Des régimes et des rêves
  9. Des affections
  10. Des affections internes
  11. Des maladies
  12. Du septième mois du fœtus
  13. Du huitième mois du fœtus
  14. Sur la chirurgie
  15. Sur la génération
  16. Sur la nature de l'enfant
  17. Sur les maladies de la femme
  18. Sur les maladies des jeunes femmes
  19. Sur les femmes stériles
  20. La superfétation
  1. Sur le cœur
  2. Les affections
  3. Sur les semaines
  4. Sur les glandes
  5. Sur la nature des os
  6. Le médecin
  7. La conduite honorable
  8. Préceptes
  9. Sur l'Anatomie
  10. Sur la vue
  11. De la dentition
  12. Sur la nature de la femme
  13. Sur l'extraction du fœtus
  14. Sur les crises
  15. Sur les jours critiques
  16. Sur les médicaments purgatifs
  17. Sur les blessures dangereuses (perdu)
  18. Sur les armes de jet et les blessures (perdu)

Le serment

L'œuvre la plus célèbre du corpus hippocratique est le Serment d'Hippocrate, un point de repère pour l'éthique médicale. Le serment d'Hippocrate est à la fois philosophique et pratique, il traite non seulement de principes abstraits, mais aussi de questions pratiques telles que l'élimination des calculs rénaux et la rétribution des enseignants. Ce texte complexe n'est probablement pas l'œuvre d'un seul homme[8],[9].

Bien qu'il soit d'origine inconnue, comme beaucoup d'autres œuvres de cette période, il est inclus dans le corpus et attribué à Hippocrate par la tradition historique. En effet, ce court travail est devenu une œuvre très importante dans l'histoire de la médecine. Traditionnellement, il était prononcé au début de la carrière des médecins, peut-être par de jeunes diplômés de l'école de médecine. En raison de son ancienneté, toutefois, le serment est rarement prononcé aujourd'hui dans sa forme originale. Mais, il a inspiré d'autres serments similaires et les lois qui définissent les règles d'une bonne pratique médicale et de l'éthique médicale. Ces serments sont encore prononcés de nos jours[9].

Paternité et constitution du corpus

La paternité du corpus divise grandement les historiens et philologues[10]. L'ensemble du débat est souvent désigné comme la « Question hippocratique », à l'image de la question homérique[11],[12].

Ainsi, bien plusieurs sources proclament que le corpus est entièrement authentique[1], la plupart des savants refusent l'authenticité partielle ou complète[3]. Durant l'antiquité, les contemporains soupçonnaient alors qu'un tiers des traités étaient apocryphes, désignés alors comme « bâtards ». L'érudition moderne est très sceptique sur la paternité du corpus. Sur la soixantaine de traités, Littré n'en authentifie que onze, et d'autres philologues revoient ce nombre à la baisse[3]. Le style, le vocabulaire et les doctrines diffèrent trop pour voir un seul et même auteur[3]. Dès l'antiquité, la théorie des humeurs, la base de sa pensée, est attribuée à son disciple Polybe[3]. L'éditeur Franz Zacharias Ermerins (en) repéra 19 auteurs différents[13]. Polybe et Syennénis sont les deux seuls auteurs connus du corpus, d'après le témoignage de l'Histoire des Animaux d'Aristote[3]. Des hypothèses sur la question hippocratique furent formulées tout au long de l'histoire, les savants étant divisés sur un passage du Phèdre de Platon, le plus vieux témoignage parvenu, pour recouper une partie des écrits[10].

Des listes d'œuvres furent établies et permettent de connaître l'évolution du corpus. Bacchios de Tanagra, au -IIIe siècle, liste une vingtaine d'écrits, soit le noyau primitif de l'école de Cos, des étudiants d'Hippocrate. Plusieurs savants déclarent que cette liste serait les restes d'une bibliothèque de Cos, auquel les ouvrages recouvrés sont attribués à Hippocrate[14]. Érotien donne une quarantaine d'écrits, comprenant les ajouts de l'école de Cnide. La distinction ou rivalité entre les écoles de Cos et de Cnide n'est pas certaine[14]. Une vingtaine de traité supplémentaire vient des ajouts dû à la transmission manuscrite durant l'antiquité et le moyen-âge pour avoir la soixantaine d'écrits du corpus actuel[3],[15].

Style

Le Corpus a été écrit dans un style qui, depuis des siècles, est jugé remarquable et que certains décrivent comme « clair, précis et simple »[16]. Il est souvent apprécié pour son objectivité et sa concision, mais certains le trouvent « aride et austère »[17]. Francis Adams, un des traducteurs du Corpus, va plus loin et le qualifie parfois d'« obscur ». Si tout le Corpus n'est pas rédigé dans ce style laconique, c'est le cas de la plus grande partie. Hippocrate avait l'habitude d'écrire ainsi[18].

L'ensemble est écrit en dialecte ionien, alors que l'île de Cos se trouvait dans une région où l'on parlait le dorien. Cette utilisation littéraire du ionien à la place du dialecte dorien évoque les habitudes des scientifiques de la Renaissance, qui utilisaient le latin pour écrire leurs traités, au lieu de la langue vulgaire[19].

Histoire du texte

Le regroupement de traités rattachés à Hippocrate remonte à l'Antiquité, comme en témoigne le travail de commentateurs comme Galien ou les éditions d'Artémidore Capiton et de Dioscoride[20]. La Souda, une encyclopédie byzantine du Xe siècle, est la première à se référer au Corpus à proprement parler, qualifié de ἑξηκοντάϐιϐλος / exêkontábiblos, c'est-à-dire « composé de soixante livres »[21],[20].

L'ensemble du Corpus hippocratique a été imprimé d'un seul tenant en 1525. Cette édition était en Latin et a été publiée sous la direction de Marcus Fabius Calvus à Rome. La première édition complète en grec est parue l'année suivante à Venise. La première traduction en anglais a été publiée près de 300 ans plus tard[2].

Une des éditions les plus importantes est celle d'Émile Littré, qui a consacré vingt-deux ans (1839-1861) de travail acharné au Corpus hippocratique. Ce qui a pu être jugé comme un travail scolaire, encore imprécis et parfois malhabile[22], a néanmoins servi de référence pendant près d'un siècle[23]. Une autre édition notable est celle de Franz Z. Ermerins, publiée à Utrecht entre 1859 et 1864[22]. À partir de 1967, une importante édition moderne dirigée par Jacques Jouanna a commencé à paraître (avec le texte grec, la traduction et les commentaires en français) dans la Collection Budé. Une autre édition bilingue avec traduction annotée (en allemand ou en français) continue à paraître avec le Corpus Medicorum Graecorum publié par l'Akademie-Verlag à Berlin.

Références

  1. Singer et Underwood 1962, p. 27.
  2. Rutkow, p. 23.
  3. Jacques Jouanna, Hippocrate, chap. IV (« Des écrits en quête d'auteur »)
  4. Singer et Underwood 1962, p. 28.
  5. Garrison 1966, p. 95.
  6. Jones 1868, p. 51.
  7. Liétard (Dr.), « Hippocrate et les hippocratistes », La médecine antique, Imago Mundi (consulté le ).
  8. Jones 1868, p. 217.
  9. Garrison 1966, p. 96.
  10. Robert Joly, « La question hippocratique et le témoignage du Phèdre », Revue des Études Grecques, t. 74, , p. 69
  11. Anonyme (trad. Antonio Ricciardetto), L'Anonyme de Londres : P. Lit. Lond. 165, Brit. Libr. inv. 137 : un papyrus médical grec du Ier siècle après J.-C., Paris, Les Belles Lettres, coll. « Collection des universités de France. Série grecque », , p. LXIX-LXXI
  12. Jacques Jouanna, « Hippocrate de Cos (460-env. 370 av. J.-C.) », dans Encyclopædia Universalis.
  13. Encyclopedia Britannica, entrée « Hippocrates ».
  14. Edoarda Barra-Salzédo, En soufflant la grâce: Eschyle, Agamemnon, v. 1206 : âmes, souffles et humeurs en Grèce ancienne, Editions Jérôme Millon, (ISBN 978-2-84137-207-2), p. 44
  15. The Hippocratic Tradition
  16. Garrison 1966, 99
  17. Jones 1868, p. 10.
  18. Adam 1891, p. 18.
  19. Jones 1868, p. 23.
  20. Irigoin 2003, p. 254.
  21. (en + grc) Souda (lire en ligne) à l'article Ἰπποκράτης (t. II, pp. 662-663 Adler).
  22. Jones 1868, p. 62-3.
  23. Irigoin 2003, p. 251.

Voir aussi

Bibliographie

  • Jacques Jouanna, Hippocrate, Les Belles Lettres, (1re éd. 1992), 728 p. (ISBN 978-2251446806, présentation en ligne, lire en ligne)
  • Jacques Jouanna, « Aux racines de la nature de l’homme » [PDF], , p. 1-6
  • (en) Francis Adams, The Genuine Works of Hippocrates, New York, William Wood and Company, .
  • (en) John Batty Tuke, « Hippocrates », dans Encyclopedia Britannica, vol. 13, (lire en ligne), p. 519.
  • (en) Fielding H. Garrison, History of Medicine, Philadelphie, W. B. Saunders Company, .
  • Jean Irigoin, « Quelques problèmes relatifs à la Collection hippocratique », dans La Tradition des textes grecs : Pour une critique historique, Paris, Belles Lettres, (ISBN 2-251-42021-5).
  • (en) W. H. S. Jones, Hippocrates Collected Works I, Cambridge Harvard University Press, (lire en ligne).
  • (en) Roberto Margotta, The Story of Medicine, New York, Golden Press, .
  • (en) Félix Martí-Ibáñez, A Prelude to Medical History, New York, MD Publications, Inc., .
  • (en) Ira M. Rutkow, Surgery : An Illustrated History, Londres et Southampton, Elsevier Science Health Science div, , 550 p. (ISBN 0-8016-6078-5).
  • (en) Charles Singer et Ashworth E. Underwood, Short History of Medicine, New York et Oxford, Oxford University Press, .

Liens externes

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