Commission Parent

La Commission royale d'enquête sur l'enseignement dans la province de Québec, mieux connue sous le nom de commission Parent, est une commission royale d'enquête qui a fait état de la situation de l'éducation au Québec dans les années 1960 (1961-1966). Son rapport, le rapport Parent, publié en 1963-1966 en trois tomes, répartis sur cinq volumes[1], contient près de 1 500 pages et quelque 500 recommendations[2]. Il suggère diverses réformes du système d'éducation québécois en proposant notamment :

En tant que produit de la Révolution tranquille, la commission Parent a favorisé la création radicale d'un système d'éducation unifié, démocratique et accessible à tout le monde à tous les niveaux d'enseignement. Cela en revanche aide à diminuer la disparité entre la population d'hommes et de femmes, urbaine et rurale, anglophone et francophone.

Historique

La commission Parent, du nom de son président Mgr Alphonse-Marie Parent, est formée le par le gouvernement libéral dirigé par Jean Lesage[3],[4], qui croit qu' « un système d'éducation correspondant à nos besoins et mis à la portée de tous, pauvres ou riches, citadins ou ruraux, est indispensable à notre progrès économique et à la hausse graduelle de notre niveau de vie »[5]. La commission naît dans la foulée de la vision idéologique de « rattrapage » lors de la Révolution tranquille instaurée par le nouveau gouvernement libéral et Paul Gérin-Lajoie, qui deviendra le premier ministre de l'éducation[6].

Avant la réforme pédagogique initiée par la commission Parent dans les années 1960, la situation dans le milieu d'éducation québécois était un chaos total: les écoles catholiques ou protestantes étaient dirigées par plus de 1 500 commissions scolaires divisées par la confessionnalité, avec chaque commission scolaire en charge de ses propres curriculum, manuels scolaires, et reconnaissance des diplômes[7].

La sous-scolarisation des Canadiens français était apparente: comparé avec 36 % d'élèves anglophones, seulement 13 % d'élèves francophones terminaient leur 11e année. En plus, 63 % de jeunes francophones arrêtaient à la 7e année. Au niveau post-secondaire, la différence entre les deux groupes linguistiques est facilement remarquée par une statistique démontrant le taux d'admission à l'université en 1960: 3 % des francophones âgés de 20-24 ans fréquentaient l'université, tandis que dans les trois universités anglaises de la province, le taux est de 11 % pour le même groupe d'âge[8].

Grâce à la prospérité d'après-guerre tant sur le plan économique qu'au plan démographique, les baby-boomers étaient en voie d'entrer l'adolescence, et l'État avait un urgent besoin d'un système d'éducation qui fournissait des programmes d'enseignement adéquates pour former des travailleurs nécessaires dans une société industrialisée.

Membres

Les membres de la commission sont choisis pour tenter d’offrir une représentation équilibrée de la société québécoise: homme-femme, anglophone-francophone, catholique-protestant, milieu académique-monde des affaires, privé-public, et laïque-religieux. Parmi les huit commissaires, on dénombre six hommes et deux femmes; six francophones, un anglophone d'origine irlandaise, et un anglophone d'origine écossaise[9]; sept catholiques et un protestant, tous pratiquants à l'époque[9]; quatre professeurs d'université et un homme d’affaires; sept représentants des institutions privées (incluant les universités) et un seul représentant le secteur public ; six Montréalais et deux Québécois, aucune autre région n'est représentée; une religieuse et un prêtre. Six des huit membres ont fait le cours classique dans des collèges qui sont surtout des institutions de garçons (parmi quelque cent collèges classiques, environ 20 d'entre eux s'adressent aux filles[10])[9]. Les membres sont :

S'ajoute un membre adjoint, Arthur Tremblay (sans droit de vote), fonctionnaire du ministère de la Jeunnesse, directeur de l'école de Pédagogie de l'Université Laval, ancien de la Faculté des sciences sociales, et trois membres du secrétariat : C. Wynne Dickson, directeur de la commission scolaire de Pointe-Claire, Michel Giroux, enseignant et syndicaliste de la CIC, et Louis-Philippe Audet, frère enseignant et historien de l'enseignement du Québec.

Déroulement

Pendant plusieurs années, la Commission a reçu 349 mémoires, interviewé 125 éducateurs, visité une cinquantaine d'établissements d'enseignement au Québec, au Canada, aux États-Unis et en Europe pour compléter le rapport avec les recommandations qui réformeraient le système d’éducation de la province[11]. La communauté Sainte-Croix a dû faire une exception pour permettre à la sœur Marie-Laurent de sortir seule sans compagne, et en plus, de voyager avec des hommes jusqu’en Californie[9].

La première observation que la Commission a remarquée, fut la sous-scolarisation des Canadiens français, notamment des filles, comparés à des Canadiens anglais: la plupart d'entre eux n'allaient pas plus loin que les écoles primaires. Le système d'enseignement public catholique chapeauté par le Comité Catholique était le parent pauvre. La formation des élites se faisaient pour les Canadiens français dans les collèges classiques dirigés par des communautés religieuses ou les autorités diocesianes, le bacclauréat es art avait été la seule voie d'entrée dans les facultés professionnelles.

Que l'éducation soit placée sous une autorité politique ne faisait pas l'unimité à l’époque. Les protestants anglais étaient aussi choqués par le fait qu'ils allaient relever d’un ministère, car avant les années 1960, les protestants -- incluant l'Université McGill -- réjouissaient une autonomie presque totale dans le système d'éducation du Québec. Le gouvernement Lesage a dû négocier pendant un an avec les catholiques et les protestants pour qu'ils acceptaient la création de ce ministère sous la responsabilité de Paul Gérin-Lajoie, premier ministre de l'éducation.

La deuxième remarque de la commission fut qu'au niveau secondaire, plusieurs types d'institutions co-existaient en parallèle: les études au collège classique amenaient aux études universitaires; une formation dans des écoles normales amenait à une carrière d'enseignement; en plus des collèges d'arts libéraux et des instituts techniques sous l'autorité de plusieurs ministres qui fournissaient une formation de qualité inégale et diplômes incompatibles. D'ailleurs, après avoir écouté les opinions des spécialistes en éducation, la commission a pris conscience que le passage de l'école secondaire à l'université était difficile. L'université avait toujours du mal à enseigner des notions spécialisées aux étudiants sortant de l'école secondaire qui étaient mal équipés pour recevoir des notions de base relatives à leurs études. Les professeurs d'université, étant des spécialistes, n'étaient pas formés pour donner des cours généralisés.

Alors inspiré du « community college » californien, la commission a suggéré insérer un niveau intermédiaire, connu aujourd'hui sous le nom de collège d’enseignement général et professionnel ou cégep, dans le but de combler le trou entre l'école secondaire et l'université, ou l'école secondaire et le marché du travail. Ces collèges seraient créés à partir des collèges classiques et des instituts techniques. La nouvelle structure assumerait le rôle d'enseigner les cours de culture générale, les cours d'introduction aux divers champs d'études comme une préparation pour les études universitaires, ainsi que le rôle de former la main-d'œuvre qualifiée requise par une société moderne.

Rapport

En somme, du rapport Parent:

  • volume I publié en 1963 contient la proposition radicale de créer un ministère d'éducation ;
  • volumes II et III publié en 1964 donnent des suggestions pour améliorer la structure d'éducation de la province, incluant la recommandation de développer un réseau de maternelles publiques, mixtes, et gratuites pour les enfants de quatre ans ;
  • volumes IV et V rendus publics en 1966 concerne la diversité culturelle et religieuse, le financement des écoles, et l'administration des écoles au niveau local[12].

La commission souligne dans son rapport des problèmes rencontrés par le système d'éducation québécois et fournit des pistes de solutions pour régler ces problèmes. Cela amène la laïcisation, la démocratisation, et la modernisation d'un système d'éducation dépassé contrôlé par l'Église. Indignée au début, l'Église catholique a accepté la laïcisation du système d'éducation à condition que les commissions scolaires demeurent confessionnelles (la division confessionnelle n'est abolie qu'à la fin de 1990).

Le rapport s'appuie principalement sur quelques postulats tels le droit à l'éducation, la portée sociale de l'éducation, l'idée qu'elle doit être complète et la nécessité d'avoir des éducateurs cultivés.

Le rapport conduit à la création du ministère et du conseil supérieur de l'éducation en 1964, de l'école polyvalente et des cégeps en 1967. Il entraîne également une réforme de l'école primaire ainsi que de l'enseignement professionnel et technique.

Dans le but d'assurer le financement de l'éducation, sa démocratisation et la permanence de ses structures, le rapport a recommandé la création d'un ministère de l'éducation, responsable devant les citoyens, de la conception et de la gestion des programmes de formation, du contrôle de la qualité de l'instruction et de la délivrance des titres et des diplômes. Le conseil supérieur de l'éducation doit pour sa part remplir une fonction de veille quant au développement de l'éducation au Québec et un rôle de conseil auprès du ministère de l'Éducation du Québec. Il donne son avis sur toute question qui lui est soumise par cet organisme. Il peut également mener des études sur tout sujet d'intérêt pour l'éducation dans la province.

Le rapport redéfinit les fondements pédagogiques et la structure organisationnelle de l'école primaire, qui devient publique et gratuite, et recommande l'expansion des classes d'éducation maternelle. Cette nouvelle école, comme l'ensemble du système éducatif, est prise en charge par l'État. Quant au principe du respect du stade de développement de l'enfant et de son rythme d'apprentissage, à la base de cette réforme, il est inspiré par la psychologie génétique, notamment dans sa version piagétienne.

On propose de remplacer les différents collèges fournissant la formation de la septième année de scolarité à la douzième, qui sont présents sous plusieurs formes : collège classique masculin ou féminin, école d'infirmière, par une seule école secondaire polyvalente, regroupant tous ces programmes en un seul établissement. Il devait être possible à la suite de la formation dans ces écoles polyvalentes, de pouvoir accéder tant à l'université qu'à la formation technique. En désirant l'accessibilité de cet échelon, on tente la démocratisation des collèges classiques.

On crée dans le rapport un nouvel échelon, que l'on appellera cégep. Ceux-ci seront décrits comme des institutions et auront la tâche de terminer l'éducation à la culture seconde, pour les cours pré-universitaires, ainsi que de réaliser l'enseignement technique qui avait commencé avec l'introduction aux humanités dans le cadre de l'école secondaire. On note encore la volonté de créer une communauté éducative par la création d'un seul cheminement, dans un seul établissement.

Finalement, le rapport propose une réforme des universités permettant leur démocratisation. De plus, il recommande que celles-ci reçoivent suffisamment de fonds pour pouvoir soutenir et promouvoir l'évolution des sciences et des connaissances de la société. On recommande également qu'elles pourvoient à la création des éducateurs.

Le rapport propose que la gratuité scolaire soit étendue à l'université sur le long terme. Le gel des frais de scolarité était une mesure transitoire établie dans l'optique de l'élimination complète de ces frais.

Influences

Le taux de fréquentation scolaire des jeunes de 15 à 17 ans en 1960 et 1970[5]
Âge 1960 1970
15 ans 75% 94%
16 ans 51% 84%
17 ans 31% 63%

'Qui s’instruit s’enrichit' exclamaient les réformateurs. Le peuple québécois, maintenant croyant au pouvoir de l'éducation, reconnait l'éducation comme la priorité de la société, et a accepté depuis la publication du rapport Parent que le budget alloué à l'éducation soit augmenté. En conséquence, le taux de fréquentation à l'école secondaire a augmenté significativement de 1960 à 1970[5].

La réforme engendrée par le rapport Parent a aussi amené un résultat inattendu : la fondation de l'Université du Québec qui n'était pas mise en place par la recommandation initiale de la commission. Après la création des cégeps, un nombre croissant d'élèves a choisi de poursuivre des études universitaires. Cela ajoute des pressions sur le réseau des six universités existant au Québec. Modelé après le système d'université d'état des États-Unis, l'Université du Québec avec ses campus initiaux situés à Montréal, Trois-Rivières, Rimouski et Chicoutimi, et par la suite en Outaouais et à Rouyn-Noranda, fut créé afin de favoriser l'accès à une éducation universitaire compréhensive pour les régions. Ces universités offrent des programmes correspondant aux atouts des régions : océanographie à Rimouski, aluminium à Chicoutimi, foresterie à Trois-Rivières, et mines à Rouyan-Noranda[2].

L'influence de la commission et du rapport Parent a été et est encore évoquée régulièrement par plusieurs intervenants.

Selon le sociologue et corédacteur du rapport Parent, Guy Rocher, le rapport a eu un impact durable sur l'évolution sociale du Québec :

« Si le Rapport Parent demeure un essentiel référent de l'évolution sociale du Québec, c'est qu'il a incarné une double aspiration de son époque : celle de l'entrée du Québec dans la modernité et celle de la démocratisation de la société québécoise »

 Guy Rocher, Un bilan du Rapport Parent: vers la démocratisation[13]

Notes et références

  1. http://classiques.uqac.ca/contemporains/quebec_commission_parent/commission_parent.html
  2. Claude Gauvreau, « Le rapport Parent: un document fondateur », sur Actualités UQAM, (consulté le )
  3. Lenoir 2005, p. 639
  4. « Commission Parent - 21 avril 1961 », sur http://www.revolutiontranquille.gouv.qc.ca, Gouvernement du Québec, 21 mai 2012 (archives de Wayback Machine)
  5. « La création du ministère de l'Éducation ou la démocratisation de l'enseignement - Le début d'un temps nouveau », sur www.larevolutiontranquille.ca (consulté le )
  6. Lenoir 2005, p. 641
  7. Mathieu Pigeon, « L'éducation au Québec, avant et après la réforme Parent », sur Musée McCord (consulté le )
  8. Mathieu Pigeon, « Education in Québec, before and after the Parent reform », sur McCord Museum (consulté le )
  9. Rocher 2019
  10. Pigeon
  11. « Un pavé dans la mare : le rapport Parent - Le début d'un temps nouveau », sur www.larevolutiontranquille.ca (consulté le )
  12. (en) Norman Henchey, « QUEBEC EDUCATION: THE UNFINISHED REVOLUTION », McGill Journal of Education / Revue des sciences de l'éducation de McGill, vol. 7, no 002, (ISSN 1916-0666, lire en ligne, consulté le )
  13. Rocher 2004, p. 7

Bibliographie

 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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