Camouflage Dazzle

Le camouflage disruptif, aussi connu sous le nom de Razzle Dazzle aux États-Unis (Dazzle signifiant « embrouiller » en anglais) et sous celui de camouflage Dazzle, était une technique de camouflage destinée à protéger un navire des tirs d'artillerie et de torpilles, en empêchant l'adversaire d'estimer avec précision sa position et son cap.

Le RMS Mauretania, reconverti en navire de transport de troupes lors de la Première Guerre mondiale, repeint en Razzle Dazzle (vue d'artiste par Burnell Poole).

Attribué à l'artiste Norman Wilkinson, ce camouflage repose sur un motif complexe formé d'un enchevêtrement de lignes irrégulières et de couleurs très contrastées, afin de briser la silhouette du navire.

Très utilisé dans la dernière année de la Première Guerre mondiale, moins pendant la Seconde Guerre mondiale, il devint obsolète à cause des progrès réalisés dans la télémétrie et de l'avènement d'une nouvelle technique de détection : le radar.

Mécanisme

Le HMAS Yarra en 1942.

L'objectif de cette peinture n'est pas de dissimuler le navire, mais d'empêcher l'adversaire d'identifier avec précision le type de navire, ses dimensions, sa vitesse et son cap. Son efficacité repose sur l'illusion d'optique créée par des motifs entrecroisés, qui perturbent la vision d'un observateur utilisant un télémètre mécanique (outil utilisé par l'artillerie navale pour évaluer la distance de tir). En pratique, un observateur serait incapable de déterminer s'il voit la proue ou la poupe, et il lui serait tout autant difficile de dire si le navire se rapproche ou s'éloigne.

Les appareils de visée de l'époque étaient des télémètres optiques basés sur le principe de coïncidence de plusieurs mètres d'envergure. L'observateur devait régler l'appareil de façon que les deux facettes de l'image projetée dans l'oculaire par un jeu de miroirs se rejoignent parfaitement, afin de donner une seule image du navire ennemi. Une réglette donnait alors la distance séparant le navire de l'observateur. Les motifs disruptifs avaient pour but de perturber la vue de l'observateur au moyen d'une illusion d'optique, et de l'empêcher de reconstituer une image cohérente dans l'appareil : même lorsque les deux facettes étaient correctement alignées, l'enchevêtrement de lignes brisées du camouflage donnait l'impression que l'image finale était mal reconstituée[réf. nécessaire].

Il est impossible de camoufler un navire de surface à la vue d'un sous-marin. Sa silhouette se détache toujours sur l'horizon dans le périscope bas sur l'eau. L'attaquant, en revanche, doit estimer rapidement, sans télémètre, la distance, le cap et la vitesse de sa cible. La faible vitesse des torpilles oblige à anticiper la position du navire au moment où il croisera la trajectoire de l'engin. Les peintures fortement contrastées empêchent de distinguer la véritable forme du navire et l'endroit où se forment les vagues de proue[1].

Origine

Camouflage en cale sèche à Liverpool.
Peinture à l'huile d'Edward Wadsworth (1919). Cet artiste fut chargé du camouflage de 200 navires durant l'entre-deux-guerres.

Aux États-Unis, les peintres Abbott Handerson Thayer et George de Forest Brush étudièrent la transposition maritime des méthodes animales de dissimulation. Les rayures contrastées d'un zèbre ne lui permettent pas de se fondre dans son environnement, mais elles l'aident à échapper aux prédateurs, en perturbant leur perception de la distance et du mouvement. S'inspirant des travaux de Thayer, le zoologiste John Graham Kerr (en) proposa dès 1914 de briser, par la peinture, les lignes des navires ; le ministre de la marine Winston Churchill rejeta son projet[1].

L'origine du concept est attribuée à Sir Norman Wilkinson, peintre de profession et lieutenant réserviste dans la Royal Navy pendant la Première Guerre mondiale. À cette époque, les U-boote allemands mettent à mal le commerce maritime des Alliés, en procédant à la destruction systématique de leurs navires marchands (voir Bataille de l'Atlantique de 1917). Assigné à diverses missions de patrouille sous-marine et de déminage, le lieutenant Wilkinson apprend en avril 1917 les ravages causés par les U-Boots, dont l'activité venait de s'intensifier. Il réfléchit alors à un moyen de soustraire les navires à la vue des périscopes. Constatant qu'aucune technologie ne permettrait un tel artifice, il eut l'idée de recourir à des motifs en lignes brisées pour décorer les navires, et ainsi embrouiller les sous-mariniers.

L'amirauté britannique, alors en recherche d'un moyen d'empêcher les attaques répétées des sous-marins allemands, avait déjà testé de nombreuses peintures différentes[2].

L'amirauté fut rapidement séduite par l'idée du camouflage disruptif. Le navire marchand SS Industry fut peint de la sorte, afin d'en vérifier l'efficacité. Le test fut concluant et cette innovation fut immédiatement adoptée par l'amirauté, qui créa une unité de brouillage perceptif spécialisée à la tête de laquelle elle plaça le lieutenant Wilkinson. Installé dans les studios de la Royal Academy of Arts de Londres et aidé par deux douzaines d'artistes et d'étudiants de l'académie (camoufleurs, modélistes, préparateurs de plans de construction), il avait pour mission de créer les schémas, de les appliquer à des modèles et de les soumettre à la critique d'observateurs expérimentés. Ceux-ci disposaient d'un studio aménagé pour recréer les conditions d'observation au périscope. Enfin, les schémas retenus devaient servir à préparer les plans définitifs destinés aux artistes à quai. Le plus célèbre d'entre eux était le peintre vorticiste Edward Wadsworth, qui supervisa le camouflage de plus de deux cents navires militaires et immortalisa ses créations sur des toiles après la guerre.

Dans une conférence de 1919, Norman Wilkinson expliquait ceci[réf. souhaitée] :

« L'objectif de ces motifs n'était pas tant de faire échouer les tirs de l'adversaire, mais de l'induire en erreur, lorsque le navire était visé, quant à la position exacte sur laquelle il devait faire feu. [Le camouflage disruptif était] une façon de produire un effet d'optique par lequel les formes habituelles d'un navire sont brisées par une masse de couleurs fortement contrastées, augmentant ainsi la difficulté pour un sous-marin de décider sur quelle trajectoire attaquer le navire… Les couleurs les plus utilisées étaient le noir, le blanc, le bleu et le vert… Lors de la conception d'un schéma, les lignes verticales étaient à éviter. Les lignes inclinées, courbées et les rayures sont de loin les meilleures et engendrent une plus grande distorsion de l'image. »

Utilisations

Première Guerre mondiale

Le SS Leviathan en camouflage Dazzle (1918).
L'USS West Mahomet en camouflage Dazzle (1918).

Le camouflage disruptif fut employé par les britanniques dès août 1917, avec le camouflage du navire marchand HMS Alsatian. Protéger les navires marchands était une priorité, car ils étaient la cible privilégiée des sous-marins allemands. Le camouflage fut ensuite rapidement étendu à l'ensemble des navires de guerre, et à la fin 1917, plus de 400 navires avaient été repeints de la sorte[2].

Le camouflage disruptif fut également adopté par des marines d'autres nations. La marine française établit une section de camouflage naval en novembre 1917[1]. Le peintre impressionniste Everett Warner, familier avec les techniques de camouflage testées par l'armée américaine, inventa un concept similaire et le proposa à l'US Navy. Celle-ci jugea l'idée intéressante et l'intégra en 1918 dans son arsenal de techniques de camouflage, en plaçant Warner à la tête d'une unité de recherche, comme cela avait été fait avec son homologue britannique. L'US Navy aura d'ailleurs pris soin d'engager le lieutenant Wilkinson en tant que consultant pendant un mois à Washington, afin de mettre leurs idées en commun. « À partir de 1917 et en l'espace d'un an, plus de 4 400 navires, civils ou militaires, ont été repeints selon des méthodes s'inspirant directement de l'art abstrait et du cubisme pour échapper aux torpilles ennemies[3] ».

La généralisation de cette technique stimulera les recherches scientifiques ultérieures sur le camouflage disruptif, recherches qui avaient été insuffisantes dans la marine britannique[4]. Ces études portaient essentiellement sur l'impact des différents types de motifs et sur l'efficacité des couleurs utilisées (avec pour facteurs la réflexion lumineuse, la teinte et la saturation)[5].

Durant les deux guerres mondiales, d'anciens paquebots de ligne, propriétés de compagnies maritimes civiles telles que la Cunard Line, furent réquisitionnés et intégrés dans la flotte britannique, pour soutenir l'effort de guerre. Ces navires auxiliaires furent équipés de pièces d'artillerie et repeints en camouflage disruptif. Le RMS Empress of Russia, de la compagnie de transports de passagers Canadian Pacific Steamships, en est un exemple.

Entre-deux-guerres

Bien que très utilisé à la fin de la Première Guerre mondiale, il tomba en désuétude durant l'entre-deux-guerres, notamment pour la connotation négative que lui prêtait l'amirauté britannique. Celle-ci affirma que ce camouflage n'avait pas d'effet significatif sur les tirs de sous-marins, et qu'il était préférable de revenir à une peinture plus sobre[réf. nécessaire]. Le développement des techniques modernes (sonar, radar) rendirent ce camouflage caduc dès 1921[3].

Si l'efficacité du camouflage disruptif n'a effectivement jamais été véritablement démontrée, il a tout de même eu le mérite d'améliorer le moral de l'équipage. Il a également eu un impact positif auprès des civils ; voir des centaines de navires colorés à quai était une première dans l'histoire maritime.

Seconde Guerre mondiale

Le porte-avions USS Essex (CV-9), repeint en 1944.

Ce camouflage sera à nouveau utilisé au cours de la Seconde Guerre mondiale, mais de façon beaucoup moins généralisée. En effet, les progrès réalisés dans les systèmes de détection (notamment le radar) ont rendu ce camouflage obsolète. Qui plus est, la montée en puissance de l'aviation constituait une nouvelle menace pour les navires de guerre, et les couleurs vives et colorées de leur coque facilitaient leur repérage depuis le ciel (jaune, violet, vert clair, etc.).

Vers la fin de la guerre, l'US Navy initia un programme de camouflage à grande échelle, qui visait tous les cuirassés de la classe Tennessee et quelques porte-avions de la classe Essex. En effet, une fois la menace de l'aviation japonaise écartée, ce sont les sous-marins qui sont revenus sur le terrain stratégique. Le camouflage disruptif redevenait nécessaire, et chaque schéma devait passer par un protocole d'évaluation avant d'être validé et appliqué en série.

Utilisations modernes

Patrouilleur rapide lance-missiles chinois Type022 (Désignation OTAN : classe Houbei).

À l'heure actuelle, le camouflage disruptif peut encore être rencontré de manière sporadique. La classe de corvette Visby suédoise, la classe de lance-missiles Hamina finlandais, la classe de lance-missiles Type 022 chinois, ou encore le prototype M80 Stiletto américain, arborent tous un camouflage disruptif, à des fins de furtivité.

Le camouflage disruptif peut également être rencontré dans le civil, à des fins artistiques. Des navires privés ont été peints en camouflage disruptif dans un but purement esthétique. Notamment les navires de la Sea Shepherd Conservation Society (SSCS) le Steve Irwin et le Bob Barker en bleu, gris et noir ainsi que le Sam Simon en blanc, gris et noir, navire utilisé dans le combat contre la chasse à la baleine, repeint en camouflage disruptif en 2011[6].

Ce camouflage a également connu des applications autres que maritimes ; par exemple en Autriche, des radars automatiques ont été peints avec des motifs disruptifs afin d'empêcher les conducteurs de déterminer dans quelle direction celui-ci prenait la photo.

Notes et références

  1. Jean-Yves Besselièvre, « Le razzle dazzle peinture de guerre », Chasse-Marée, no 291, (lire en ligne).
  2. (en) Alan Raven, « The Development of Naval Camouflage: 1914 – 1945 (Plastic Ship Modeler Magazine numéro #96/3) », sur Shipcamouflage.com (consulté le ).
  3. Thierry Dilasser, « Brest. Le camouflage, tout un art », sur letelegramme.fr, .
  4. (en) David L. Williams, Naval camouflage 1914-1945 : a complete visual reference, Naval Institute Press, , 256 p. (ISBN 978-1-55750-496-8), p. 35
  5. (en) David L. Williams, Naval camouflage 1914-1945 : a complete visual reference, Naval Institute Press, , 256 p. (ISBN 978-1-55750-496-8), p. 40
  6. (en) « Sea Shepherd Fleet Gets Ready for Upcoming Campaignsvideo » (consulté le )

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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