Calendrier aztèque

Le calendrier aztèque était intimement lié à la mythologie des anciens peuples de la Mésoamérique, ceux qui jadis occupaient le plateau central de l'actuel Mexique, et qui ont formé, entre nos XIVe et XVIe siècles « occidentaux », la civilisation aztèque. Exprimant un système de croyances chargé de représentations abstraites (divinités, symboles, numéros, couleurs, qui se combinent et se reflètent les uns sur les autres)[2], le temps "mexicain" ne se distinguait pas radicalement de l'espace conçu comme un milieu hétérogène et doué de propriétés singulières selon les orientations cardinales. De même, à la différence de nos habitudes mentales, il n’était pas perçu comme linéaire (compte long), mais s’appréhendait de manière cyclique, à travers 3 systèmes comptables parallèles mettant en lumière des connaissances astronomiques élaborées[note 1]. On parlera donc, par la suite, du « système calendaire aztèque » et de ses cycles spatio-temporels divinatoire, solaire et vénusien[5].

Calendrier aztèque
Page 21 du codex Borbonicus montrant la moitié d'un siècle mésoaméricain de 52 ans (Xiuhmolpilli), soit 26 glyphes "Porteurs d'années". Au centre est représenté le couple primordial de l’humanité avec une figure féminine de la Nuit (Oxomoco) et une autre masculine se rapportant au Jour (Cipactonal). La femme à gauche sème le contenu d’un bol, tandis que son vis-à-vis brandit d’une main un encensoir et tient de l’autre une épine de maguey servant à verser le sang. Considérés comme les créateurs du "Livre des destins" (Tonalamatl), ils sont représentés à l’intérieur d’une grotte dans laquelle on reconnait, en haut à droite, le glyphe Crocodile, le 1er des 20 signes du "Compte des jours" (Tonalpohualli)[1].
Religion Aztèque
Lieu Plateau central du Mexique
Langue(s) Nahuatl
Localité significative Mexico-Tenochtitlan

En première lecture, ce système calendaire aztèque peut nous paraître anarchique. Juste après la conquête espagnole, le missionnaire franciscain Bernardino de Sahagún avait, du reste, cédé à cet a priori, en le décrivant comme une affaire de sorcellerie, plutôt que comme une chose quelconque, ingénieuse ou raisonnable[6]. Mais sa cohésion est faite des attitudes sentimentales et affectives codifiées en mythes et en rituels par le peuple qui l'a élaboré. En ce sens, il ne plonge pas ses racines dans des réflexions rationnelles fondées uniquement sur l'expérience. Son unité, sa solidité interne sont subjectives[2]. Finalement, il faut garder à l'esprit que le calendrier aztèque était issu des croyances anciennes (cosmogonie) de tribus diverses[7]. De ce fait, cet ensemble de computation du temps complexe et instable n'avait pas encore, au moment où les Européens l'ont découvert, subi une rationalisation comparable à celui des Mayas[4].

Origines et sources

Les connaissances astronomiques et l'élaboration des cycles calendaires mésoaméricains résultent d'observations et d’études menées durant plusieurs millénaires, essentiellement par les sociétés olmèques et mayas. Le cycle divinatoire de 260 jours, ainsi que son articulation avec les cycles solaire et vénusien, s'est dès lors diffusé largement à travers toute cette aire culturelle de l'Amérique précolombienne. Mais la première preuve tangible de l'existence de ce type de comput date d'environ 600 av. J.-C. Elle a été découverte dans les ruines de San José Mogote, près de Oaxaca au Mexique. Il s'agit d'une pierre servant de seuil à deux édifices sur laquelle est sculpté le corps d'un homme sacrifié. L'inscription qui l'accompagne indiquerait le nom calendaire du captif ou alors la date de son immolation. De même, datées entre 500 et 400 av. J.-C., les nombreuses stèles (los Danzantes) du site archéologique voisin de Monte Albán montrent quant à elles une série de prisonniers qui tous portent au pied le glyphe d'un jour du calendrier divinatoire. Hormis ce type d'informations (inscriptions sculptées sur des stèles en pierre et dont les Mayas nous ont laissé d'importants vestiges), la plupart des sources aztèques ou même mixtèques consistent dans les quelques codex qui ont échappé à la destruction par les Espagnols, et les manuscrits élaborés peu après la Conquête. L'aspect fragmentaire et hétéroclite de ces sources explique notamment que de nombreuses lacunes persistent dans la connaissance des calendriers précolombiens[8].

L’espace

Selon Jacques Soustelle, qui mentionne la Historia de los Mexicanos por sus pinturas, les Aztèques imaginaient l’espace organisé en strates. Au-dessus de leur tête se trouvaient 13 cieux superposés, avec leur population bigarrée de monstres et de divinités, auxquels ils attribuaient des particularités. Par exemple, le 1er ciel était le séjour des étoiles, le 2e celui de démons squelettiques (Tzitzimime) qui menaçaient l'équilibre du monde. Les « oiseaux précieux » occupaient quant à eux le 4e ciel. Il faut entendre par là les âmes des guerriers sacrifiés qui après 4 ans revenaient sur terre peupler les campagnes du Mexique. Dans le 6e ciel, habité par Quetzalcoatl, se trouvaient les 4 vents (un pour chaque point cardinal). Telle était, en résumé, la représentation mexicaine des cieux[9]. Par suite, plus bas, en dessous de la voûte céleste, venaient alors les 9 couches du monde terrestre s’étageant du sommet des montagnes (séjour de Tepeyollotl et des nuages) jusqu'aux profondeurs souterraines (pays de Mictlan), elles-mêmes parcourues par 9 rivières[10]. Hormis cet espace vertical, les anciens Mexicains reconnaissaient à chacune de ces strates une dimension horizontale à 4 directions. En voici une description succincte faisant principalement référence aux propositions de Durand-Forest[11].

Les 4 points cardinaux

Fig. 1 : page 72 du Codex Borgia, montrant les 4 directions (l'Est en bas à gauche, le Nord à droite, l'Ouest au-dessus et le Sud en haut à gauche). Au Centre, on distingue la figure d'un Tzitzimime[12].

Symbolisés par des couleurs, chargés d’attributs divers et traversés par des phénomènes naturels[note 2], les 4 points cardinaux étaient représentés dans l’ordre suivant : l’Est en haut du plan horizontal, le Nord à gauche, l’Ouest en bas et le Sud à droite[15]. Ces espaces orientés jouaient un rôle fondamental dans les conceptions cosmologiques des anciens Mexicains. À l'image du Soleil qui monte dans le ciel, atteint son apogée, avant de redescendre pour disparaître, ils fournissaient la représentation et les lieux de tout ce qui sur terre croît et décroît (végétation, vie humaine, astres, etc.)[16]. Plusieurs manuscrits représentent ces espaces et leurs associations avec des divinités qui y séjournaient[note 3], des arbres stylisés et des oiseaux comme le colibri, le quetzal, le perroquet, la chouette ou même le papillon (Fig. 5 et 7)[17].

  • L’Est était désigné par la couleur rouge et comme étant le « Côté de l'Aube » (Tlapcopa), car c’est à l’Est qu'apparaît le Soleil. Les Aztèques associaient à cet espace les notions de résurrection, de jeunesse et de fertilité. Le vent qui le traversait était doux, tiède et favorable. C’était un pays paisible, le paradis terrestre (Tlalocan). Les divinités résidentes étaient Tlaloc (Fig. 1) et Tonatiuh (Fig. 4).
  • Le Nord était évoqué par la couleur noire et comme étant le « Côté de la Nuit » (Mictlampa). C’est en ce lieu que se trouvait le séjour des morts. Mais le Nord était aussi le pays de la guerre, de la chasse. Il évoquait l’hiver, la saison sèche et les famines. Le vent qui s’y répandait était un souffle violent et glacial. Tlazolteotl (Fig. 1) et Tezcatlipoca (Fig. 4) demeuraient dans cette direction .
  • L’Ouest était figuré par la couleur blanche et comme étant le « Côté du Déclin » (Tamoanchan), là où disparaît le Soleil. C’était l’endroit où se retirait la végétation vieille et usée, le vieux maïs ainsi que les anciens dieux déchus. Mais l’Ouest était aussi le côté des femmes, des fleurs et de l'amour. Le vent qui le balayait était frais et humide. Avec le dieu Quetzalcoatl (Fig. 1), la déesse Centeotl (Fig. 4) y séjournait.
  • Le Sud, quant à lui, était symbolisé par la couleur bleue et comme étant le « Côté des Épines » (Huitzlampa). Ce lieu aride, où la végétation était maigre, asséchée par le Soleil du zénith et un vent brûlant, se transformait néanmoins à la saison des pluies en un pays tropical luxuriant. C'était aussi le lieu de résidence de Macuilxochitl (Fig. 1) et de Mictlantecuhtli (Fig. 4).

Aux yeux des Aztèques, le monde trouvait son équilibre au Centre, dans le « Nombril de la Terre » (Tlalxicco) qui conduisait de l’Est à l’Ouest et du Nord au Sud. Pourtant, là encore, on est loin de se trouver devant une image homogène pour cette 5e direction cardinale. Car si le Centre était souvent considéré comme le point où les particularités attachées à chaque direction se totalisaient dans un dessein favorable, parfois il n'était plus que le lieu inquiétant des apparitions et des mauvais présages[14]. Quoi qu'il en soit, même si les relations latérales et transversales opposaient les caractères antithétiques des divers espaces (directions et strates), elles les rapprochaient aussitôt à travers d'autres affinités ou particularités analogues. Cette association des contraires était familière à la pensée cosmologique mexicaine[18].

Le temps

Fig. 2 : sculptés sur la Pierre du Soleil, dans une configuration circulaire, les 20 glyphes temporels (colorisation didactique). La lecture se fait de midi et dans le sens contraire aux aiguilles d'une montre.

De même que les espaces étaient foncièrement différents les uns des autres et constituaient des aires qualitativement singulières, de même les temps étaient profondément distincts, et chaque temps particulier (cours annuel, saisonnier ou journalier) était en rapport avec un espace déterminé[19]. En suivant Dehouve et Vié-Wohrer, cette conception provient de l'expérience fondamentale vécue par les prêtres aztèques, observant, face à l'horizon et depuis un point fixe orienté, le lever du Soleil (cf. Note 1). De la sorte, le solstice d'hiver représentait pour eux une expérience à la fois temporelle et spatiale. Car à cette période de l'année, le Soleil apparaissait sur leur droite (le plus à l'Est). À l'inverse, au solstice d'été, il se levait sur leur gauche (le plus au Nord)[20]. En outre, au moment de l’équinoxe d'automne ou de printemps, l'Est n'était pas seulement face à l'observateur aztèque, il était aussi au-dessus puisque le Soleil montait au fil des heures dans le ciel comme s'il gravissait les degrés d'une pyramide[note 4]. Puis, lorsque l'astre redescendait pour disparaître à l'horizon, l'Ouest n'était pas seulement derrière lui, il était aussi au-dessous[16]. Ainsi, on l'a compris, les temps et les espaces étaient indubitablement imbriqués les uns dans les autres.

Les 20 signes temporels

Fig. 4 : pages 12 et 13 du Codex Cospi, illustrant les 4 points cardinaux, l'Est en haut à gauche, le Nord en dessous, l'Ouest à droite et le Sud au-dessus. À gauche des divinités y séjournant, les 5 signes associés à chacune des 4 directions[23].

Pour réaliser leurs mesures chronologiques, les prêtres aztèques, astronomes et astrologues, utilisaient une base arithmétique vigésimale[4] composée d’une série de 20 signes ou symboles appelés trecenas[24]. Ces signes journaliers, représentant des entités ou des phénomènes naturels (animaux, végétaux, vent, eau, pluie) et des symboles religieux (temple, objets de culte, invocations spatiales, etc.), se succédaient indéfiniment, toujours dans le même ordre et sans interruption d'aucune sorte[19]. Rattachés au symbolisme de l’une ou l’autre des 4 directions cardinales, et placés sous le patronage d'une divinité régente, ils revêtaient alors, selon une lecture magico-religieuse, des caractéristiques prophétiques[25]. En plus du 20, les nombres utilisés pour la computation du temps étaient : le 13, relatif à la somme des strates de l’espace céleste ; le 18, totalisant les 9 couches de l’espace terrestre et ses 9 rivières souterraines ; le 4 et le 5, se rapportant aux 4 points cardinaux et au « Centre »[note 5]. Voici, à la suite, la pictographie des 20 signes temporels. Ils sont accompagnés de leurs noms en français, traduits de la langue nahuatl, de l’influence spatiale et de la divinité dont ils étaient affectés. Leur numérotation est ici relative.

(1)(2)(3)(4)(5)
Cipactli - CrocodileEhecatl - VentCalli - MaisonCuetzpalin - LézardCoatl - Serpent
Est-rougeNord-noirOuest-blancSud-bleuEst-rouge
TonacatecuhtliQuetzalcoatlTepeyollotlHuehuecoyotlChalchiuhtlicue
(6)(7)(8)(9)(10)
Miquiztli - MortMazatl - ChevreuilTochtli- LapinAtl - EauItzcuintli - Chien
Nord-noirOuest-blancSud-bleuEst-rougeNord-noir
TecciztecatlTlalocMayahuelXiuhtecuhtliMictlantecuhtli
(11)(12)(13)(14)(15)
Ozomahtli - SingeMalinalli - HerbeAcatl - RoseauOcelotl - JaguarCuauhtli - Aigle
Ouest-blancSud-bleuEst-rougeNord-noirOuest-blanc
XochipilliPatecatlTezcatlipocaTlazolteotlXipe Totec
(16)(17)(18)(19)(20)
Cozcacuauhtli - VautourOllin - MouvementTecpatl - SilexQuiahuitl - PluieXochitl - Fleur
Sud-bleuEst-rougeNord-noirOuest-blancSud-bleu
Itzpapalotl XolotlChalchiuhtotolinTonatiuhXochiquetzal
Fig. 3 : pages 9 à 13 du Codex Borgia, exposant en face à face la relation des 20 signes temporels avec leur divinité influente. La lecture se fait de la droite vers la gauche de la ligne du bas, puis de la gauche vers la droite de la ligne du haut[26].

L'espace-temps divinatoire

Fig. 5 : page 13 du Codex Borbonicus, exposant la 13e treizaine du calendrier divinatoire qui était consacrée à la déesse Tlazolteotl et à Tezcatlipoca (grande case supérieure à gauche). La lecture des 13 signes journaliers (numérotés par des points rouges) se fait de gauche à droite de la ligne du bas, puis de bas en haut de la colonne de gauche[note 6].

Consacré essentiellement aux lectures prophétiques, l'espace-temps divinatoire remplissait des fonctions que l'on peut qualifier d'astrologiques (prédictions établies en considérant les influences des divinités sur les différentes subdivisions temporelles)[25]. Il comptait 260 jours et se déroulait en un cycle continu de 20 mois de 13 jours (13 x 20 = 260) que les Aztèques appelaient : Tonalpohualli Compte des jours » ou « Compte des destins »)[28]. Pour la datation, chaque symbole temporel était numéroté de 1 à 13 en fonction de la position qu'il occupait dans la série. Dans cette compréhension, si le 1er mois de l'année débutait logiquement par le 1er signe temporel, le 2e commençait quant à lui par le 14e symbole qui était alors affecté du chiffre 1 (1er jour du 2e mois). En sus, sur un plan plus large, le symbole du 1er jour de chaque mois donnait son nom à la série de 13 jours et revêtait une importance particulière qui s'étendait aux 13 jours suivants[25]. De même, en mentionnant Hamy[29] et en référence au tableau ci-dessous, chaque série ou treizaine était consacrée à une divinité (parfois deux) qui régentait toute la période en cours. En résumé, chaque jour subissait l'influence conjuguée du dieu régent de la treizaine, de la divinité associée à son signe, des attributs de sa direction et de son nombre. Cycle après cycle, cette association était stable, chaque jour conservait les mêmes patrons[30]. Pour aider à fixer la compréhension, voici un tableau synthétisant les grands principes énoncés. Par souci de clarté, toutes les divinités régissant les treizaines n'y figurent pas.

Nom du mois Suite des jours (treizaine) Divinité consacrée Nom du mois Suite des jours (treizaine) Divinité consacrée
1 Crocodile1-Crocodile → 13-RoseauTonacatecuhtli 11 Singe1-Singe → 13-MaisonPatecatl
2 Jaguar1-Jaguar → 13-MortQuetzalcoatl 12 Lézard1-Lézard → 13-VautourItztlacoliuhqui
3 Chevreuil1-Chevreuil → 13-PluieTepeyollotl 13 Mouvement1-Mouvement → 13-EauTlazolteotl
4 Fleur1-Fleur → 13-HerbeHuehuecoyotl 14 Chien1-Chien → 13-VentXipe Totec
5 Roseau1-Roseau → 13-SerpentChalchiuhtlicue 15 Maison1-Maison → 13-AigleItzpapalotl
6 Mort1-Mort → 13-SilexTonatiuh 16 Vautour1-Vautour → 13-LapinXolotl
7 Pluie1-Pluie → 13-SingeTlaloc 17 Eau1-Eau → 13-CrocodileChalchiutotolin
8 Herbe1-Herbe → 13-LézardMayahuel 18 Vent1-Vent → 13-JaguarChantico
9 Serpent1-Serpent → 13-MouvementXiuhtecuhtli 19 Aigle1-Aigle → 13-ChevreuilXochiquetzal
10 Silex1-Silex → 13-ChienMictlantecuhtli 20 Lapin1-Lapin → 13-FleurXiuhtecuhtli
Fig. 6 : pages 1 à 8 du Codex Borgia, figurant un Tonalamatl (Livre des destins)[31]. De droite à gauche et de bas en haut, les 20 treizaines du cycle divinatoire de 260 jours[32].

Le cycle divinatoire

Sur ces prémisses, et en suivant principalement Soustelle, le cycle divinatoire commençait par le signe « Crocodile » dédié à l'Est[33]. Il était donc affecté du chiffre 1, et constituait ainsi la date univoque 1-Crocodile. Dans le prolongement de ce mouvement en treizaines, le 1er mois dominé par Tonacatecuhtli se terminait par le jour favorable 13-Roseau. Le second débutait à la suite, sous les auspices de Quetzalcoatl, par la date néfaste 1-Jaguar qui était rattachée au Nord. Par enchaînements successifs, le 19e mois consacré à Xochiquetzal s’achevait alors par le jour favorable 13-Chevreuil venu de l'Ouest. Finalement, la 20e et dernière treizaine dominée par Xiuhtecuhtli s’amorçait par le jour 1-Lapin associé au Sud, et se terminait à la date 13-Fleur. 20 n’étant pas divisible par 13, il en résulte que les symboles n’étaient jamais affectés du même numéro au cours du même cycle de 260 jours[34]. À la fin de la 20e et dernière treizaine, un nouveau cycle divinatoire de 260 jours recommençait à la position 1-Crocodile. Par ailleurs et comme esquissé, à l'intérieur de ces treizaines, les jours portant les chiffres 3, 7, 10, 11, 12 ou 13 passaient généralement pour favorables ; ceux qui portaient les numéros 4, 5, 6, 8 ou 9, pour néfastes[35]. Mais il y avait une multitude de cas particuliers[note 7] : par exemple, les hommes qui naissaient le jour 1-Mort étaient destinés à devenir sorciers, 7-Fleurs était favorable aux peintres, 1-Serpent aux négociants, 9-Chien à la magie noire et aux ciseleurs, 1-Maison aux médecins et aux sages-femmes[35].

Avec le nombre 260, les Mésoaméricains avaient découvert un nombre immédiatement utile à leurs calculs calendaires. Mais comment a-t-il été trouvé ? Certains chercheurs pensent que 260 est tout simplement issu d'une opération arithmétique, c'est-à-dire de la combinaison des séries de 13 et de 20 ; d'autres estiment qu'il résulte de l'observation de divers cycles astronomiques, notamment solaire et vénusien. Car à la latitude de 15°N (parallèle géographique passant par l'Amérique centrale), les deux passages annuels du Soleil au zénith s'y produisent le 30 avril et le 13 août : de la première à la deuxième date s'écoulent 105 jours, puis justement 260 de la deuxième à la première[37],[note 8].

L'espace-temps solaire

Fig. 7 : page 1 du Codex Fejérváry-Mayer. Croix de Malte dont les 4 bras forment les directions cardinales. Du coin supérieur gauche et dans le sens contraire aux aiguilles d'une montre on remarque les 4 signes « porteurs d'années » du cycle solaire : Roseau (Est), Silex (Nord), Maison (Ouest) puis Lapin (Sud). Au centre, le dieu du Feu Xiuhtecuhtli, parce que le foyer se trouve au milieu de la maison aztèque[39].

Rythmant les saisons et les activités agricoles[40], l'espace-temps solaire se déroulait en un cycle continu de 13 séries de 4 années comptant 365 jours chacune[41]. Cela donnait une période de 52 ans (13×4) qui totalisait 18 980 jours (52×365). Tout comme notre calendrier grégorien, l’année solaire aztèque, nommée Xiuhpohualli (Compte annuel)[42], se référait à l’orbite sidérale de la Terre autour du Soleil[4]. Mais ses 365 jours étaient quant à eux subdivisés en 18 mois de 20 jours (360), plus 5 jours supplémentaires (Nemontemi) qui étaient perçus comme néfastes. Si, pour nombre d'auteurs, le comptage des jours et des périodes de 52 ans commençait par le signe 1-Roseau[43], année de l'Est, jour initial du monde, de la naissance du Soleil après que Quetzalcoatl se soit sacrifié pour réapparaître à l'Est comme astre du jour[44], d'autres, se référant aux travaux de Hamy, et notamment à la page 21 du codex Borbonicus, assurent que le signe 1-Lapin caractérisait la véritable année initiale du cycle solaire de 52 ans. Et même, au regard cette fois des pages 34 et 37 du même codex, aurait été rejetée, à un moment donné, en 2-Roseau[45]. Quoi qu'il en soit de ces divergences, la présence des 5 jours supplémentaires Nemontemi avait pour conséquence que le jour qui commençait et caractérisait l'année suivante était systématiquement décalé de 5 rangs par rapport à celui qui avait initié l'année précédente[46]. De la sorte, 20 étant divisible par 5, il n'y a que 4 symboles sur les 20 qui puissent marquer le début d'une année. Ce sont les signes dits « porteurs d'années » : Roseau, Silex, Maison et Lapin (un pour chacune des 4 directions)[41],[note 9]. D'autre part, à l'intérieur de l'année, les noms des 18 mois évoquaient des fêtes ou des événements eux aussi affectés par une ou plusieurs divinités singulières[note 10]. En voici la distribution non exhaustive selon Sahagún[50].

Nom du mois Évocation festive Divinité consacrée Nom du mois Évocation festive Divinité consacrée
1 Atlacahualo« Arrêt de l'eau »Tlaloc 10 Xocotl Huetzi« Chute des fruits »Xiuhtecuhtli
2 Tlacaxipehualitzi« Écorchement des hommes »Xipe Totec 11 Ochpaniztli« Balayage des chemins »Tlazolteotl
3 Tozoztontli« Petite veille »Coatlicue 12 Teotleco« Retour des dieux »Tezcatlipoca
4 Huey Tozoztli« Grande veille »Chicomecoatl 13 Tepeilhuitl« Fête des montagnes »Tlaloc
5 Toxcatl« Sécheresse »Tezcatlipoca 14 Quecholli« Plume précieuse »Mixcoatl
6 Etzalcuauliztli« Repas de maïs et haricots »Tlaloque 15 Panquetzaliztli« Élévation des drapeaux »Huitzilopochtli
7 Tecuilhuitontli« Petite fête des dignitaires »Huixtocihuatl 16 Atemoztli« Descente de l'eau »Tlaloc
8 Huey Tecuilhuitl« Grande fête des dignitaires »Xilonen 17 Tititl« Resserrement »llamatecuhtli
9 Tlaxochimaco« Offrande de fleurs »Huitzilopochtli 18 Izcalli« Croissance »Xiuhtecuhtli
Division et distribution des 52 années solaires en 4 séries de 13

Chaque signe « porteur d'années » domine 1 année sur 4

SérieNom du signeDirection12345678910111213
1 Roseau → Est-rouge → 15913172125293337414549
2 Silex → Nord-noir → 261014182226303438424650
3 Maison → Ouest-blanc → 371115192327313539434751
4 Lapin → Sud-bleu → 481216202428323640444852

Le cycle solaire

Considérant en abyme ces références complexes, le cycle solaire de 52 ans commençait donc par le jour 1-Roseau. Ce signe étant un « porteur d’année » venu de l’Est, les caractéristiques associées à cette direction et à Tezcatlipoca (divinité associée) marquaient de leur influence cette 1re année qui était affectée du chiffre 1. 19 jours plus tard, le 1er mois « Arrêt de l'eau », consacré à Tlaloc, se terminait par le signe 20-Herbe. Par suite logique, le 2e mois « Écorchement des hommes » présidé par Xipe Totec débutait alors par la date 1-Roseau. Et il en allait de cette même dynamique continue pour les 16 mois suivants. À la fin de ce comptage de 360 jours, les Aztèques complétaient la série par 5 jours néfastes. Ainsi, le jour 5-Mouvement bouclait cette 1re année. La 2e année s’initiait alors par le symbole suivant dans la série des 20 signes temporels, c'est-à-dire : le « porteur d'années » 1-Silex, caractérisant de ses attributs (Nord et Chalchiuhtotolin), comme par osmose, cette seconde période, qui prenait fin par le jour néfaste 5-Vent. Suivant cette mécanique en cascade, la 3e année débutait avec le signe « porteur d’années » 1-Maison, associé au champ de forces de l’Ouest et à Tepeyollotl, et s’achevait par le jour néfaste 5-Chevreuil. La 4e année commençait quant à elle par le jour "porteur d'années" 1-Lapin relié au Sud comme à la déesse Mayahuel, et se terminait 365 jours plus tard par le jour néfaste 5-Herbe. Au terme de ces 4 premières années, une nouvelle série s’amorçait, jusqu’à ce que chaque symbole « porteur d’années » soit numéroté à 13 reprises. Ainsi, ce n'est qu'au terme de 52 ans qu'une même date se répétait, qu'un même signe « porteur d'années » était affecté du même chiffre[51],[note 11].

Il existe de nombreuses interrogations, sur la méthode utilisée par les Aztèques pour éviter le déphasage entre leur calendrier solaire (365 jours) et l'année tropique de 365,2422 jours. Tout au plus pouvons-nous dire ici qu'ils disposaient de moyens sûrs leur permettant de ne jamais perdre la corrélation avec les principaux phénomènes solaires[3]. La question n'est donc pas de savoir si les Aztèques savaient calculer la durée exacte de l'année tropique, mais s'ils ajustaient leur calendrier annuel, et de quelle façon. Selon les auteurs, les propositions sont diverses, et pas encore tranchées : correction bissextile, avec l'ajout d'un jour Nemontemi tous les 4 ans ; ajout de 12 jours tous les 52 ans, et de 13 jours à la fin de la période suivante ; ajout de 25 jours, à la fin d'une période de 104 ans ; ou même ajout de 63 jours, tous les 260 ans[20],[note 12].

L'espace-temps vénusien

Principalement mythologique, l'espace-temps vénusien se déroulait en un cycle continu de 13 séries de 5 années, comptant 584 jours chacune. Cela donnait une période de 65 ans (13×5), qui totalisait ainsi 37 960 jours (65×584), et que les Aztèques appelaient Huehuetiliztli (Vieillesse)[52]. Les 584 jours de l’année vénusienne correspondent à une période synodique de la planète Vénus par rapport à la Terre[53]. Cette période est égale au temps qui s’écoule entre deux oppositions Terre/Vénus, entre deux alignements se réalisant sur le même axe intérieur au regard du Soleil. Les 584 jours de l’année vénusienne aztèque étaient subdivisées en 44 treizaines, ou mois de 13 jours (572), plus 12 jours intercalaires (584)[54]. D'autre part, si l'on divise, avec Soustelle, 584 par 20, nombre de signes temporels, on obtient un reste de 4. Par déduction mathématique, il n'y a donc que 5 signes qui puissent être "porteurs d'années" (20/4). Ce sont, dans l'ordre : Crocodile, Serpent, Eau, Roseau et Mouvement[55]. Sur le tableau des signes temporels donné plus haut, ces "porteurs d'années" sont tous dédiés à l’Est, là où se lève le Soleil et apparaît l’étoile du matin, la planète Vénus. Pourtant, certains auteurs, s'appuyant sur les travaux d'E. G. Seler[56], « redistribuent » les influences cardinales de la manière suivante : Crocodile à l'Est, Serpent au Nord, Eau à l'Ouest, Roseau au Sud et Mouvement au Centre (Fig. 9). Comme dans le Tonalpohualli, chaque jour subissait l'influence conjuguée du dieu régent de la treizaine, de celui de son signe, des attributs de sa direction et de son nombre.

Fig. 8 : pages 80 à 84 du Codex Vaticanus B, illustrant, de droite à gauche, les 5 X 13 signes « porteurs d'années » : Crocodile, Serpent, Eau, Roseau et Mouvement[57]. On voit aussi le dieu Tlahuizcalpantecuhtli en train de percer de ses flèches des catégories d'humains : les vieillards sous le signe Crocodile, les jeunes gens en Serpent. Ses flèches s'attaquent même à l'Eau (ce qui provoque la sécheresse), à un symbole (le trône) et au Jaguar[58]. Les points correspondent à la datation chronologique des 5 signes au cours d'un cycle divinatoire de 260 jours (Tonalpohualli)[54].
Les 65 années vénusiennes en 5 séries de 13

Distribution des dates auxquelles les signes devenaient « porteurs d'années » dans le Tonalpohualli

SérieNom du signeDirection12345678910111213
1 Crocodile → Est-rouge → 19412721051383116
2 Serpent → Nord-noir → 13831161941272105
3 Eau → Ouest-blanc → 12721051383116194
4 Roseau → Sud-bleu → 11619412721051383
5 Mouvement → Centre → 10513831161941272

Le cycle vénusien

Fig. 9 : page 25 du Codex Borgia, montrant les 5 directions du cycle vénusien, c'est-à-dire les 4 points cardinaux avec leur dieu régent plus le Centre. En partant d'en haut à droite et dans le sens contraire aux aiguilles d'une montre, on a : à l'Est Quetzalcoatl, au Nord Mixcoatl, à l'Ouest Xipe Totec et au Sud Tlaloc. Le signe "porteur d'années" 10-Mouvement marque le Centre, point de rupture possible du monde[55].

En suivant ce protocole, le cycle vénusien de 65 ans commençait par le jour 1-Crocodile. Ce signe étant aussi un « porteur d’années », le dieu régent Quetzalcoatl et les particularités de l'Est marquaient donc de leur influence cette 1re année. Elle était affectée du chiffre 1. Comme dans le cycle divinatoire, le 1er mois vénusien se terminait par le jour 13-Roseau. De même, le 2e débutait à la suite par la date 1-Jaguar, et ainsi de suite sans interruptions d’aucune sorte jusqu’à la fin de la 44e treizaine. Dans le prolongement de ce comptage de 572 jours, les anciens "Mexicains" ajoutaient 12 jours supplémentaires, qui bouclaient cette 1re année par le jour 12-Lézard. La 2e année commençait alors par le jour 13-Serpent dédié au Nord (pour achever la treizaine). Et comme ce signe était aussi un « porteur d’années », le dieu influant Mixcoatl répandait à son tour ses présages sur cette période, qui se terminait par le jour supplémentaire 11-Lapin. Suivant ce principe d’incrémentation decrescendo, la 3e année consacrée à l'Ouest et à Xipe Totec, débutait avec le symbole « porteur d’années » 12-Eau et prenait fin le jour supplémentaire 10-Herbe. À la suite, la 4e année commençait invariablement par le jour « porteur d'années » 11-Roseau, associé au Sud et à Tlaloc, puis se terminait par le jour supplémentaire 9-Vautour. Finalement, la 5e année était « portée » par le jour 10-Mouvement lié au Centre et prenait fin le jour supplémentaire 8-Fleur. Au terme de ces 5 premières années, une nouvelle série s’amorçait, jusqu’à ce que chaque signe « porteur d’années » ait ainsi été numéroté 13 fois.

La cérémonie du Feu nouveau

À l'instar de bien d'autres peuples de la Mésoamérique, les Aztèques pensaient que de nombreuses forces divines se faisaient sentir sur le monde et qu'elles influaient sur les divers cycles du temps : jours, treizaines, vingtaines et années[51]. Selon qu’il s’agissait d’événements comme la naissance d’un enfant, le sort des moissons ou le début d’une campagne militaire, sans doute attribuait-on plus d’importance aux augures de l’un ou l’autre des 3 espaces-temps, aux influx qui régissaient les années qu’à ceux des mois ou des jours[59]. Mais il y avait cependant des dates anxiogènes qui conditionnaient les comportements du peuple tout entier et englobaient l’ensemble des 3 cycles spatio-temporels[note 13]. Ainsi, tous les 52 ans révolus et pas avant, la fin simultanée du cycle solaire et d’un cycle divinatoire (le 73e) avait lieu. On donnait à cette période le nom de Xiuhmolpilli ligature des années »)[note 14]. À cette date, au cours d'une cérémonie probablement d'origine toltèque, les prêtres aztèques tentaient, à l’aide d’une torche, d’allumer un feu sur la poitrine d’une victime[63]. Si le Feu nouveau (Mamalhuaztli) ne prenait pas, c’était le signe tant redouté que les Tzitzimime apparaîtraient sur terre pour anéantir toute l'humanité[62]. Mais si au contraire l’immolation réussissait, elle faisait charnière et un nouveau cycle temporel recommençait. Par suite, 52 ans plus tard, la fin simultanée d’un second cycle solaire et d’un 146e cycle divinatoire coïncidait, cette fois-ci, avec celle du cycle vénusien[note 15]. C’était alors l’accomplissement d’une vieillesse (huehuetiliztli)[61]. Et si le Feu nouveau s’allumait, les 3 espaces-temps s’ajustaient et recommençaient ensemble une nouvelle phase de 104 années[64]. Cette période est la plus longue que les Aztèques aient traitée dans leurs calculs chronologiques[55].

Les sacrifices humains

Pour Soustelle, la mission du peuple du Soleil consistait à repousser inlassablement l’assaut du néant. À cette fin, il fallait fournir au Soleil « l’eau précieuse » (le sang), sans quoi la machinerie du monde cesserait de fonctionner. C’est donc de cette croyance fondamentale que découlaient les pratiques aztèques de la guerre sacrée et des sacrifices humains. Puisque les dieux eux-mêmes avaient donné leur sang pour régénérer l’énergie cosmique, les hommes ne pouvaient en faire l'économie. Et si les victimes étaient le plus souvent des prisonniers de campagnes militaires, d’autres, désignées par les prêtres selon des méthodes mal connues, se prêtaient volontairement aux rites et à la mort qui les couronnait. Tel était le cas, par exemple, du jeune homme « parfait » en tous points que l'on sacrifiait chaque année à un dieu comme Tezcatlipoca, ou celui des femmes qui, personnifiant des déesses, dansaient et chantaient flegmatiquement en attendant le coup violent du silex[65].

Annexes

Notes

  1. L'astronomie aztèque était fondée sur l'observation "à l’œil nu". La méthode consistait à observer l'horizon et la voûte céleste à partir d'un point fixe convenablement orienté (depuis l'autel d'un temple), d'où l'observateur assistait tout au long de l'année aux phénomènes astraux[3]. Grâce à cette technique, les prêtres, astronomes et astrologues détenaient des connaissances précises quant à la durée de l'année, à la détermination des solstices, aux phases de la Lune, à la révolution de la planète Vénus et à l’agencement des diverses constellations[4].
  2. On note une variabilité importante dans l'utilisation des couleurs d'un manuscrit à l'autre, et jusqu'à l'intérieur d'un même manuscrit. Le choix des couleurs indiquées pour marquer une direction paraît, le plus souvent, dicté par des considérations rituelles et circonstancielles qui nous échappent[13]. Les 4 vents distincts des anciens Mexicains caractérisaient chacune des 4 directions. Le culte du dieu du vent Quetzalcoatl était très répandu. On lui consacrait des temples circulaires, lui offrant ainsi moins de résistance[14].
  3. Selon les auteurs, l'association des divinités avec les espaces varie sensiblement. Par exemple, si certains en proposent toute une liste, d'autres comme Durand-Forest se limitent à deux entités principales (Tlaloc ou Tlazolteotl) qui, du fait de leur conception quadruple ou quintuple (croyance selon laquelle elles étaient susceptibles d'incarner d'autres divinités) pouvaient être assignées à l'ensemble des grandes directions[17]
  4. La cosmovision prenait également forme dans le tracé des cités. Les pyramides et les agglomérations aztèques s'intégraient dans le paysage selon un dessein délibéré fondé sur l'observation de la course du Soleil et des saisons de l'année[21]. Cette dimension de la cité méso-américaine avait totalement échappé aux premiers Espagnols, dont les chroniques ne soulèvent jamais cet aspect[22].
  5. Cette assertion s'appuie sur l'analyse objective du séquençage des 3 espaces-temps : les 20 mois de 13 jours du cycle divinatoire ; les 18 mois de 20 jours et les 4 signes "porteurs d'années" du cycle solaire ; les 13 jours mensuels et les 5 symboles "porteurs d'années" du cycle vénusien.
  6. A cet ensemble déjà fort complexe, viennent s'ajouter des paramètres qui ne sont pas moins riches symboliquement. Chaque jour était assigné, d'une part, à l'un des 13 seigneurs du jour, les Tonaltetecuhtin, qui se succédaient dans un ordre invariable, accompagnés chacun de son oiseau, et d'autre part, à l'un des 9 seigneurs de la nuit, les Yoaltetecuhtin, dont le règne bénéfique ou maléfique durait du coucher au lever du Soleil[27].
  7. Les prêtres spécialisés nommés, Tonalpouhque, interprétaient les signes dans des circonstances particulières comme la naissance, le mariage, le départ des marchands ou l’élection des chefs. Chaque jour, ou chaque série de 13 jours, était également apprécié(e), en plus des augures dictés par la numérologie, en fonction des divinités qui le/la régentaient[36].
  8. Johanna Broda a depuis longtemps remarqué l'importance des dates du 30 avril et du 13 août en Mésoamérique[38]. Celles-ci constituent une donnée naturelle et évidente à la latitude de 15°N, qui est celle de l'ancienne ville de Copán au Honduras. Dès lors, l'ethnohistorienne suppose que cette division de l'année en deux parties de 260 et 105 jours aurait été "importée" en terre aztèque, via le développement politique et les échanges culturels entre certaines villes comme Teotihuacan et cette cité maya (ou d'autres) située plus au sud[37].
  9. De la même façon que le signe du 1er jour de chaque mois du cycle divinatoire revêtait une importance particulière qui s'étendait aux 13 jours suivants, les 365 jours d'une année solaire subissaient l'influence du signe porteur d'années - Roseau, Silex, Maison ou Lapin. Les années Roseau avaient une connotation favorable. Les années Silex risquaient d'apporter la sécheresse et divers malheurs. Les années Maison pouvaient être accompagnées d'inondations et les années Lapin exposaient à la famine[47].
  10. Ces mois de 20 jours portaient chacun plusieurs noms dont l'explication est malaisée. Pour s'y retrouver, les chercheurs ont pris l'habitude de les ordonner par numérotation. Pourtant, il ne s'agit guère plus que d'une convention car les avis divergent sur le mois par lequel commençait l'année. En réalité, il semble que les Aztèques aient accordé moins d'importance à la détermination d'un début d'année qu'à la rotation des mois[48]. Par ailleurs, parfois, certaines divinités se trouvaient associées à des fêtes qui ne leur étaient pas directement consacrées. Quoi qu'il en soit, presque toutes les fêtes comportaient des danses rituelles, donnaient lieu à des simulacres de combats et étaient l'occasion de sacrifices humains[49].
  11. Si pour Dehouve et Vié-Wohrer le calendrier annuel (Xiuhpohualli) avait pour but de mettre les 18 fêtes de 20 jours en correspondance avec les cycles naturels du Soleil, de la pluie, du maïs et d'autres événements agricoles, il ne visait pas pour autant à donner un nom aux jours (une date). Car selon eux, cette fonction revenait exclusivement au Tonalpohualli (Compte des jours ou Compte des destins), dont les cycles de 260 jours (20x13) "flottaient", se succédaient d'une année solaire à l'autre[28]. Il en résultait donc que la numérotation du 1er jour d'une année solaire n'était pas systématiquement le 1 (à l'image du 1er janvier), mais s’échelonnait de 1 à 13. Idem pour les 52 années, qui elles aussi étaient numérotées de 1 à 13, au gré des dates auxquelles elles débutaient dans le Tonalpohualli.
  12. Sur ces références hypothétiques et par extension, on peut alimenter le débat concernant le signe caractérisant l'année initiale d'un cycle de 52 ans (Roseau ou Lapin) en voyant précisément dans cette divergence (selon les sources) l'expression d'une correction périodique permettant d’harmoniser le calendrier annuel (365 jours) avec l'année tropique de 365,2422 jours.
  13. Le calendrier de 260 jours, combiné à celui de 365 jours, permettait d'établir la chronologie des jours et des années. Il se combinait également avec d'autres cycles astraux, en particulier celui de Vénus, dont l'observation revêtait une grande importance[60].
  14. Le plus petit multiple commun de 260 et 365 est 18 980. Autrement dit, un cycle solaire de 52 ans renfermait 73 cycles divinatoires, de la façon suivante : 52x365 = 72x260 = 18 980 jours. Ce n'est donc que tous les 52 ans qu'un jour portera à nouveau le même nom dans les deux systèmes comptables. On donne à cette période le nom de siècle mexicain, appelé en nahuatl Xiuhmolpilli, "Ligature des années"[61]. Cette idée de ligature a pour contrepartie celle de rupture, de fissure. On ne lie que parce que l'on craint que la rupture n'amène la fin du monde[62].
  15. Le plus petit multiple commun de 260, 365 et 584 est 37 960. Il s'ensuit qu'après 104 ans, les 3 cycles spatio-temporels se réinitialisent simultanément de la manière suivante : 104x365 = 146x260 = 65x584 = 37 960 jours[60].

Références

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  2. Jacques Soustelle 1979, p. 89-90
  3. Danièle Dehouve et Anne-Marie Vié-Wohrer 2008, p. 95
  4. Jacques Soustelle 2011, p. 63
  5. Jacqueline de Durand-Forest 2010, p. 107
  6. Ernest Théodore Hamy 1899, p. 3
  7. Jacques Soustelle 1979, p. 57
  8. Danièle Dehouve et Anne-Marie Vié-Wohrer 2008, p. 133-134
  9. Jacques Soustelle 1979, p. 109-111
  10. Jacques Soustelle 1979, p. 46
  11. Jacqueline de Durand-Forest 2010, p. 112 et 169
  12. Eduard Georg Seler 1905, volume 2, p. 4
  13. Jacqueline de Durand-Forest 2010, p. 169
  14. Jacques Soustelle 1979, p. 146-147
  15. Danièle Dehouve et Anne-Marie Vié-Wohrer 2008, p. 238
  16. Danièle Dehouve et Anne-Marie Vié-Wohrer 2008, p. 96
  17. Jacqueline de Durand-Forest 2010, p. 112-113
  18. Jacques Soustelle 1979, p. 158
  19. Jacques Soustelle 1979, p. 159
  20. Danièle Dehouve et Anne-Marie Vié-Wohrer 2008, p. 139
  21. Johanna Broda 2004, p. 86
  22. Danièle Dehouve et Anne-Marie Vié-Wohrer 2008, p. 144
  23. Eduard Georg Seler 1906, p. 109-113
  24. « Comprendre le calendrier aztèque », sur JeRetiens, (consulté le )
  25. Danièle Dehouve et Anne-Marie Vié-Wohrer 2008, p. 125
  26. Eduard Georg Seler 1904, volume 1, p. 16-20
  27. Jacqueline de Durand-Forest 2010, p. 148-150
  28. Danièle Dehouve et Anne-Marie Vié-Wohrer 2008, p. 117
  29. Ernest Théodore Hamy 1899, p. 6-13
  30. Danièle Dehouve et Anne-Marie Vié-Wohrer 2008, p. 128
  31. Jacqueline de Durand-Forest 2010, p. 151
  32. Eduard Georg Seler 1904, volume 1, p. 21-28
  33. Jacques Soustelle 2011, p. 64
  34. Jacques Soustelle 1979, p. 158-160
  35. Jacques Soustelle 2011, p. 65-66
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  37. Danièle Dehouve et Anne-Marie Vié-Wohrer 2008, p. 137
  38. Johanna Broda 2003, p. 77-96
  39. Eduard Georg Seler 1901, p. 1
  40. Danièle Dehouve et Anne-Marie Vié-Wohrer 2008, p. 114
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  42. Danièle Dehouve et Anne-Marie Vié-Wohrer 2008, p. 93
  43. Danièle Dehouve et Anne-Marie Vié-Wohrer 2008, p. 122
  44. Jacques Soustelle 1979, p. 164
  45. Ernest Théodore Hamy 1899, p. 22-23
  46. Jacqueline de Durand-Forest 2010, p. 113
  47. Danièle Dehouve et Anne-Marie Vié-Wohrer 2008, p. 126
  48. Danièle Dehouve et Anne-Marie Vié-Wohrer 2008, p. 94
  49. Jacqueline de Durand-Forest 2010, p. 140
  50. Bernardino de Sahagún 1985
  51. Jacqueline de Durand-Forest 2010, p. 118
  52. Louis Cruchet 2009, p. 49
  53. Mireille Simoni 2002, p. 646
  54. Eduard Georg Seler 1906, p. 137-138
  55. Jacques Soustelle 1979, p. 160-161
  56. Eduard Georg Seler 1904, p. 4
  57. Eduard Georg Seler 1902, p. 40-42
  58. Jacques Soustelle 1979, p. 71
  59. Jacques Soustelle 1979, p. 163
  60. Danièle Dehouve et Anne-Marie Vié-Wohrer 2008, p. 136
  61. Danièle Dehouve et Anne-Marie Vié-Wohrer 2008, p. 119
  62. Jacques Soustelle 1979, p. 156
  63. Jacques Soustelle 2011, p. 65
  64. Jacques Soustelle 1979, p. 108
  65. Jacques Soustelle 2011, p. 87 et 89

Bibliographie

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  • Mireille Simoni, Encyclopædia Universalis, vol. 3, Paris, Encyclopædia Universalis, (ISBN 2-85229-550-4), « Aztèques ».
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  • Jacques Soustelle, L'Univers des Aztèques, Paris, Hermann, coll. « Savoir », , 170 p. (ISBN 2-7056-5901-3).

Articles connexes

Liens externes

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