Blanquisme

Le blanquisme est un courant politique qui tire son nom d'Auguste Blanqui, socialiste français du XIXe siècle.

Portrait d'Auguste Blanqui, par Amélie-Suzanne Serre (1814-1841). — Paris, Musée Carnavalet.

Blanqui affirmait que la révolution devait être le résultat d'une impulsion donnée par un petit groupe organisé de révolutionnaires, qui donneraient le « coup de main » nécessaire à amener le peuple vers la révolution. Les révolutionnaires arrivant ainsi au pouvoir seraient chargés d'instaurer le nouveau système socialiste.

À la base du blanquisme le constat des inégalités sociales

L'ensemble de pratiques et de doctrines que l'on qualifie de blanquiste apparait dans le contexte de la révolution industrielle, dans la première partie du xixe siècle. Cette période est caractérisée par un développement économique et industriel qui accroit la misère des populations laborieuses, notamment urbaines. Comme socialisme, le blanquisme voit cette condition comme résultante d'une organisation sociale injuste, que l'on peut changer par l'action politique. Blanqui exprime cette opinion, notamment dans « Qui fait la soupe doit la manger »[1] en 1834 :

« Des individus se sont emparés par ruse ou par violence de la terre commune, et, s’en déclarant les possesseurs, ils ont établi par des lois qu’elle serait à jamais leur propriété, et que ce droit de propriété deviendrait la base de la constitution sociale, c’est-à-dire qu’il primerait et au besoin pourrait absorber tous les droits humains, même celui de vivre, s’il avait le malheur de se trouver en conflit avec le privilège du petit nombre. »

Cette situation est considérée d'autant plus injuste que le prolétariat est vue comme la classe sociale qui produit réellement les richesses, et dont le travail permet la reproduction de la société :

« Point de société sans travail ! partant point d'oisifs qui n'aient besoin des travailleurs. Mais quel besoin les travailleurs ont-ils des oisifs ? Le capital n'est-il productif entre leurs mains, qu'à la condition de ne pas leur appartenir ? Je suppose que le prolétariat, désertant en masse, aille porter ses pénates et ses labeurs dans quelque lointain parage. Mourrait-il par hasard de l'absence de ses maîtres ? La société nouvelle ne pourrait-elle se constituer qu'en créant des seigneurs du sol et du capital, en livrant à une caste d'oisifs la possession de tous les instruments de travail ? N'y a-t-il de mécanisme social possible que cette division de propriétaires et de salariés ? »[2]

Cette analyse sociale est basée sur l'idée de lutte de classe, elle ouvre donc la possibilité à l'action politique des prolétaires pour son renversement.

La méthode blanquiste

Le blanquisme est avant tout une doctrine d'action qui fournit un modèle d'organisation et d'action politique en vue de la révolution. Plus que par une analyse fine des rapports sociaux, cette idée politique réunit ses adeptes autour d'une certaine conception de l'action politique qui met au premier plan la croyance en l'efficacité de l'action résolue des militants.

La société secrète

Le blanquisme est un avant-gardisme. Pour les individus qui se rattachent à cette école politique, le travail préparatoire et l'initiative révolutionnaire incombent à une minorité consciente. Le cadre qui doit organiser ceux-ci est la société secrète, dont le fonctionnement est inspiré de celles qui ont cours sous la Restauration comme la Charbonnerie. Le modèle de cette société secrète révolutionnaire est la Société des Saisons.

La société secrète blanquiste doit organiser de façon disciplinée ses membres pour déclencher le moment venu l'insurrection.

L'insurrection

La doctrine blanquiste met en avant l'action armée, selon le mot de Blanqui : « Qui a du fer, a du pain ! »[3]

Blanqui cherche à opérer une modernisation constante de ces pratiques, ce qui débouche finalement sur la rédaction de son Instruction pour une prise d'armes[4] en 1866, véritable manuel de guérilla urbaine adapté aux conditions parisiennes sous le Second Empire destiné aux membres de sa société. Dans cet ouvrage, le théoricien prend acte des évolutions pratiques depuis les années 1830, l'armement plus perfectionné des forces de l'ordre, l'urbanisation haussmanienne qui a changé la configuration parisienne ; en tirant la leçon des échecs précédents et surtout de l'insurrection de juin 1848, il met en avant le caractère essentiel de la doctrine blanquiste : l'organisation et la discipline. L'insurrection doit être dirigée par un état-major compétent sur la chose militaire, les insurgés doivent être organisés sur le modèle de l'armée, l'érection même des barricades doit être décidée par les officiers de l'insurrection et doit répondre à une méthode modernisée qui n'est plus celle des années 1830 et 1840.

La méthode de l'insurrection urbaine, telle qu'imaginée par les conspirateurs révolutionnaires et que les blanquistes cherchent à mettre en pratique, reste fondamentalement la même : pour l'historien Jean-Noël Tardy, de 1832 à 1870 la méthode consiste à « prendre un point de la ville, le transformer en forteresse et espérer le renfort de ce peuple parisien si craint des conservateurs. »[5]

Comité de salut public

La tradition politique dont les blanquistes sont les héritiers est jacobine, le modèle du gouvernement révolutionnaire est inspiré par le gouvernement du Comité de salut public. Cette conception est notamment sous-entendue dans le « Catéchisme de la Société des Saisons » :

« - 6. Immédiatement après la révolution, le peuple pourrait-il se gouverner lui-même ? - L'état social étant gangrené, pour passer à un état sain, il faut des remèdes héroïques ; le peuple aura besoin, pendant quelque temps, d'un pouvoir révolutionnaire. »[6]

Cette vision de l'action politique révolutionnaire est partiellement mise en pratique sous la Commune, les blanquistes se rangeant alors aux côtés de la majorité constituée des républicains jacobins et des Internationalistes autoritaires pour mettre en place un Comité de salut public.

Cependant, si les jacobins révèrent la figure de Robespierre, les blanquistes sont des admirateurs des hébertistes[7].

Les blanquistes vus par les marxistes

Engels définit ainsi le blanquisme dans « Le programme des émigrés blanquistes de la Commune»[8] en 1873 :

« Blanqui est essentiellement un révolutionnaire politique ; il n'est socialiste que de sentiment, par sympathie pour les souffrances du peuple, mais il n'a pas de théorie socialiste ni de projets pratiques de transformation sociale. Dans son activité politique il fut avant tout un « homme d'action » qui croyait qu'une petite minorité bien organisée pourrait, en essayant au bon moment d'effectuer un coup de main révolutionnaire, entraîner à sa suite, par quelques premiers succès, la masse du peuple et réaliser ainsi une révolution victorieuse.

(…) De l'idée blanquiste que toute révolution est l'œuvre d'une petite minorité dérive automatiquement la nécessité d'une dictature après le succès de l'insurrection, d'une dictature que n'exerce naturellement pas toute la classe révolutionnaire, le prolétariat, mais le petit nombre de ceux qui ont effectué le coup de main et qui, à leur tour, sont soumis d'avance à la dictature d'une ou de plusieurs personnes.

L'on voit que Blanqui est un révolutionnaire de la génération précédente. »

Engels reproche en particulier aux blanquistes de vouloir décréter la révolution plutôt que de la construire. Il illustre cette tendance par cette citation du Programme :

« Nous sommes communistes parce que nous voulons arriver à ce but sans nous arrêter aux moyens termes, compromis qui, ajournant la victoire, sont un prolongement de l'esclavage. »

Ce refus total des compromis et cette volonté de sauter les moyens-termes par « impatience » illustre, pour Engels, l'immaturité de cette forme de socialisme qui refuse de prendre en compte le développement historique et ses lois. Trotsky résume, dans son Histoire de la révolution russe, cette critique marxiste du blanquisme ainsi : « En principe, l'erreur du blanquisme consistait à identifier la révolution avec l'insurrection. L'erreur technique du blanquisme consistait à identifier l'insurrection avec la barricade. »

Par la suite, le terme de « blanquiste » a surtout été utilisé pour disqualifier une théorie, par ses adversaires, surtout en opposition avec le marxisme. Ainsi, Lénine et les bolcheviks ont été qualifiés de blanquistes par divers marxistes, comme Charles Rappoport ou les mencheviks, et notamment par Georgi Plekhanov, qui s'appuyait principalement sur la conception avant-gardiste du parti révolutionnaire, prônée par Lénine. L'accusation fut longuement récusée par Rosa Luxemburg dans Blanquisme et social-démocratie[9], où elle considère cette accusation de blanquisme complètement caduque dans la mesure où elle est faite dans des conditions socio-historiques profondément différentes :

« Les social-démocrates[10] que nous sommes ont une tâche bien plus simple et bien plus facile [que les blanquistes] : il nous faut seulement aujourd’hui travailler à diriger la lutte de classe qui s’est allumée avec une nécessité inexorable. Les blanquistes s’efforçaient d’entraîner les masses derrière eux, tandis que nous, les social-démocrates, nous sommes aujourd’hui poussés par les masses. La différence est grande, aussi grande qu’entre un pilote qui veut à grand peine faire remonter le courant à son bateau et un pilote qui doit tenir la barre d’un bateau entraîné par le courant. Le premier peut ne pas avoir assez de force et il n’atteindra pas son but, tandis que le second a pour seule tâche de veiller à ce que le bateau ne dévie pas de sa route, ne se brise pas sur un récif ou n’échoue pas sur un banc de sable. »

Lénine réfute aussi cette accusation, arguant que les mencheviks l'utilisent de façon rhétorique et sans fondement[11].

Notes et références

  1. « Qui fait la soupe doit la manger - Wikisource », sur fr.wikisource.org (consulté le )
  2. Auguste Blanqui, « Qui fait la soupe doit la manger par Auguste Blanqui », sur www.marxists.org (consulté le )
  3. Auguste Blanqui, « Le toast de Londres », sur www.marxists.org (consulté le )
  4. « Instructions pour une prise d'armes par Auguste Blanqui », sur www.marxists.org (consulté le )
  5. Jean-Noël Tardy (dir.), « Les conspirateurs dans la ville. Stratégie et expérience de la clandestinité des conspirateurs républicains à Paris (1830-1870) », Clandestinités urbaines : les citadins et les territoires du secret, XVIe-XXe, PUR, , p.171 (ISBN 978-2-7535-0699-2, lire en ligne)
  6. Auguste Blanqui, « Formulaire de réception à la Société des saisons par Auguste Blanqui », sur www.marxists.org (consulté le )
  7. Tombs 2014, p. 155.
  8. Texte intégral du Programme des émigrés blanquistes de la Commune, sur le Marxists Internet Archive.
  9. Texte intégral de Blanquisme et social-démocratie, sur la Marxists Internet Archive.
  10. La social-démocratie étant à l'époque marxiste et révolutionnaire, c'était le mouvement où militait Rosa Luxemburg ; ne pas confondre avec le sens actuel de social-démocratie.
  11. Résumé du congrès, Lénine, mai 1906, sur le Marxists Internet Archive.

Voir aussi

Bibliographie

Articles connexes

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