Bataille de l'eau lourde

Le terme « bataille de l'eau lourde » désigne cinq opérations militaires successives menées par les Alliés durant la Seconde Guerre mondiale afin de détruire une usine productrice d'eau lourde en Norvège, dans le cadre de la course à la bombe.

L'usine hydroélectrique de Vemork dans les années 2000. L'eau lourde était produite dans un bâtiment aujourd'hui détruit, qui était situé devant le bâtiment actuel.

Opérations

L’opération française

En , Frédéric Joliot-Curie et Lew Kowarski sont prêts pour une expérience décisive. La France détient alors un stock d'uranium obtenu dès 1939 par Joliot, mais elle ne possède que quelques grammes d'eau lourde (oxyde de deutérium), indispensable en grande quantité pour jouer le rôle de « ralentisseur » dans l'expérience que les deux savants ont mise au point.

Or, dès 1934, la société norvégienne Norsk Hydro avait réussi à fabriquer dans son usine hydro-électrique de Vemork (commune de Tinn, comté de Telemark), située à 120 km à l'ouest d'Oslo, dans la Norvège encore neutre, 185 kg de ce précieux liquide. Cela constitue l'unique stock mondial.

À la veille de l’invasion de la Norvège par les Allemands, Raoul Dautry, ministre français de l'Armement confie alors au Deuxième Bureau la très délicate mission de prendre les Allemands de vitesse et de rapatrier ce stock norvégien.

Au début du mois de mars, le commandant Perruche, chef du service des Renseignements, envoie d'abord un officier de réserve du service des Poudres, Jacques Allier, pour négocier l'achat du stock auprès de la Société d'azote norvégienne[1]. Cette dernière, farouchement opposée aux Allemands, cédera gratuitement — en prêt — l'intégralité de l'eau lourde (encore utilisée au Canada, elle sera payée après la guerre). Trois agents sont alors dépêchés en hâte à la légation française de Stockholm : le capitaine Muller, le lieutenant Knall-Demars et le lieutenant Fernand Mossé[2].

Ils vont avoir la mission difficile de déjouer la surveillance des services de renseignements allemands déjà sur place et de rapatrier ce stock le plus discrètement et le plus rapidement possible, alors que toutes les voies de communication sont contrôlées par les Allemands et que chaque liste de passagers est scrupuleusement surveillée. Le stock est convoyé par avion vers la France via l'Écosse, fin mars 1940, deux semaines avant l'invasion de la Norvège, le 9 avril, par les troupes allemandes. Il connaît un parcours rocambolesque : Paris, Clermont-Ferrand, Bordeaux, Canada[3].

En , les Alliés obtiennent des renseignements donnant à penser que les Allemands essayent de mettre au point une bombe atomique. Pour réaliser ce projet, les spécialistes considèrent qu'il est indispensable de disposer d'oxyde de deutérium, plus connu sous le nom d'eau lourde. Il s'avère justement que les Allemands en continuent la production dans l'usine hydro-électrique de Vemork.

L'opération britannique

Le 19 octobre 1942, quatre parachutistes norvégiens formés par la Special Operations Executive en Écosse rejoignent l'agent local afin de préparer l'arrivée d'un commando britannique constitué d'hommes du génie de la 1re division aéroportée britannique.

Le 19 novembre, deux planeurs tentent un atterrissage dans la zone de l'usine. Le premier (il a rompu son câble) parvient à se poser en détresse. Les survivants seront fusillés par les Allemands, suivant le récent Kommandobefehl d'Adolf Hitler. Le second planeur s'écrase avec son avion remorqueur contre une montagne.

Les Allemands renforcent leur défense. Les quatre parachutistes norvégiens survivants et leur agent local se cachent tout l'hiver dans une hutte.

L'opération norvégienne

En février 1943, six autres parachutistes norvégiens sont largués dans la zone, portant à onze hommes l'effectif du groupe sur place.

Le 27 février, neuf de ces parachutistes parviennent à s'infiltrer en escaladant la montagne et atteignent l'usine. Ils réussissent à placer leurs charges et à détruire des parties vitales de l'usine.

L'opération aérienne

En novembre 1943, la production d'eau lourde, bien que fortement ralentie, a repris. Les Alliés en sont informés et font bombarder l'usine par l'aviation. Le résultat n'est guère probant ; la proximité des montagnes ne facilite pas l'approche des bombardiers. Le raid des bombardiers est un échec et de nombreux morts civils sont à déplorer.

L'opération finale

En février 1944, les Allemands décident de transférer par mer le stock d'eau lourde en Allemagne. Le 20 de ce mois, deux des parachutistes norvégiens restés sur place font sauter le bateau avec son chargement, sur le lac Tinnsjå. Les recherches de l'Allemagne pour concevoir la bombe atomique sont définitivement endiguées.

Agents SOE norvégiens impliqués

L'agent infiltré dans l'usine
Einar Skinnarland
L'équipe Grouse/Swallow
Jens Anton Poulsson
Arne Kjelstrup
Knut Haugland ; il fait ensuite partie du voyage du Kon-Tiki commandé par le capitaine Thor Heyerdahl en 1947.
Claus Helberg
L'équipe Gunnerside
Joachim Rønneberg
Knut Haukelid
Fredrik Kayser
Kasper Idland
Hans Storhaug
Birger Strømsheim
Leif Tronstad, planificateur au Royaume-Uni
L'équipe du lac Tinnsjø
Knut Haukelid « Bonzo »
Rolf Sørlie, résistant local
Einar Skinnarland, opérateur radio
Gunnar Syverstad, assistant laboratoire de l'usine
Kjell Nielsen, ingénieur responsable du transport de l'usine
« Larsen », ingénieur usine sénior
Knut Lier-Hansen, qui procura une voiture et un chauffeur[4].

Exploration de l'épave du ferry SF Hydro

Quasiment 60 ans plus tard, dans le cadre d'un documentaire télévisé, l'épave du ferry SF Hydro a été explorée à l'aide d'un ROV (robot sous-marin). L'épave en elle même étant considérée comme une tombe de guerre, c'est un fût d'eau lourde tombé à quelque distance de la coque qui a pu être remonté intact, et son contenu analysé. Il s'est avéré que ce baril contenait bien de l'eau lourde à faible concentration dans une solution alcaline à pH élevé. Par ailleurs le manifeste de chargement du SF Hydro indique que les fûts contenant l'eau lourde à haute concentration étaient à moitié remplis et ont surnagé. Le contenu de ces fûts est finalement parvenu en Allemagne. Toutefois la quantité totale d'eau lourde transportée lors du naufrage était plus de dix fois inférieure à ce qui aurait été nécessaire pour que les savants allemands (sous la conduite de Werner Heisenberg et Carl von Weiszacker) puissent mener une expérience à grande échelle d'enrichissement de l'uranium débouchant sur une bombe atomique opérationnelle. Les missions alliées d'évaluation scientifique (opération Alsos et opération paperclip) ont retrouvé à Haigerloch une installation souterraine avec une pile atomique expérimentale d'un modèle très primitif et non fonctionnelle, ce qui tend à indiquer que les savants allemands étaient plus intéressés par les applications de type production d'énergie électrique (utilisable pour les sous-marins atomiques) que par la réalisation d'une bombe atomique[5].

Dans la culture

Notes et références

  1. « La périlleuse mission d’un banquier parisien pendant la drôle de guerre | Archives & Histoire BNP Paribas », sur histoire.bnpparibas (consulté le )
  2. Louis Saurel, « La bataille de l'eau lourde », L'Histoire pour tous, vol. 11, n° 63, juillet 1965, p. 236.
  3. DEBORDES (Jean) L'allier dans la guerre 1939-1945. (2000), p. 52.
  4. Source : Capitaine Knut Haukelid, L'Épopée de l'eau lourde, éditions de l'Élan, 1948, p. 188.
  5. Mark Jones, « WW2: Hitler's Sunken Secret », (consulté le )

Voir aussi

Bibliographie

  • Per F Dahl, Heavy water and the wartime race for nuclear energy, Institute of Physics publishing. (ISBN 978-0-75030633-1)
  • Capitaine Knut Haukelid, L'épopée de l'eau lourde (Det Demrer en Dag), traduit du norvégien par G. Charbonnier, Ed. L'Elan, 1948, Paris.

Filmographie

Article connexe

Liens externes

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