Baïes

Baïes (prononcer [ba.i]), en latin Baiae, en italien Baia, est une station balnéaire de l'antiquité romaine, célèbre pour son ambiance sulfureuse, au propre comme au figuré. Aujourd'hui, c'est la cité italienne de Baia, une frazione de la commune de Bacoli, en Campanie.

Le site

Baïes est située au nord du golfe de Naples, dans une anse sur la rive est du cap Misène, entre la pointe de la Lanterne au sud et la pointe de l'Épitaphe au nord. Elle est à proximité de la base navale romaine de Misène et fait face à Pouzzoles, de l'autre côté de la baie de Pouzzoles.

Ensemble de villae de villégiature étagées sur la pente intérieure d'un ancien cratère en partie submergé par la mer, Baïes doit son succès à la douceur de son climat et à la présence de sources thermales engendrées par le volcanisme actif des Champs Phlégréens. Ces sources chaudes, sulfureuses ou salines, sont vantées comme les plus curatives et les plus abondantes d'Italie par Pline l'Ancien[1], Strabon[2], Florus[3], Fronton[4] et même Flavius Josèphe[5].

Le site antique est de nos jours en partie submergé, en raison de l'affaissement du terrain causé par des phénomènes bradysismiques[6].

Histoire

Selon la légende rapportée par l'historien Strabon, Baïes tirerait son nom de la présence de la sépulture de Baios, un des compagnons d'Ulysse. Silius Italicus confirme cette tradition, et indique que Hannibal Barca visite ce site après la reddition de Capoue[7]. Tite-Live nous donne la mention la plus ancienne que nous ayons de la réputation curative des bains de la région, avec la vaine tentative de traiter la paralysie partielle du consul Cnaeus Cornelius Scipio Hispallus à Cumes en 176 av. J.-C[8].

De nombreux notables romains à la fin de la République se font construire des résidences d'été, créant un climat de lieu de plaisirs qu'évoque Cicéron : « les accusateurs répètent avec affectation les mots de libertinage, d'amours, d'adultères, de Baïes, de rivages, de festins, de repas nocturnes, de chants de musique, de promenades sur l'eau[9] », ou Properce[10]. Caius Marius, l'orateur Lucius Licinius Crassus, Pompée, Jules César, Cicéron, Varron, Hortensius[11] y ont leur villa[12]. Le littoral est aménagé et exploité, Caius Sergius Orata construit les premiers parcs à huîtres, peu avant la guerre des Marses[11], puis des viviers alimentés en eau de mer. Vitruve et ultérieurement Pline l'Ancien signalent les intéressantes propriétés de la terre pulvérulente du lieu (il s'agit ici de cendres volcaniques). Mêlée à la chaux et aux moellons, elle forme un béton résistant à l'eau, et permet de construire des môles et des piscines d'eau de mer[13],[14]. Se régaler de poisson frais et d'huîtres devient un luxe ordinaire, posséder voire apprivoiser des murènes, un loisir remarqué[11].

Le thermalisme se perfectionne : on capte les vapeurs chaudes qui montent du sol dans un bâtiment qui forme une étuve naturelle[15]. L'abondance de sources chaudes n'empêche pas le médecin d'Auguste, Antonius Musa, de préconiser des bains de mer glacés, traitements dont il dégoûta Horace[16] et qui ne purent sauver le neveu d'Auguste, Marcellus, mort à Baïes en 23 av. J.-C.[17].

Le succès de Baïes continue sous l'Empire, et l'Art d'aimer d'Ovide fait de Baïes, de ses plages et de sa station thermale l'autre endroit après Rome où chercher des conquêtes féminines[18]. Auguste. Ses successeurs y aménagent un vaste et luxueux palais[5].

En 39, c'est dans ce palais que Hérode Antipas, tétrarque de Galilée et de Pérée, vient solliciter Caligula, en vain, car celui-ci l'exile en Gaule[5]. Parmi ses extravagances, Caligula réquisitionne tout ce qui flotte, et jette un pont de bateaux de Baïes à Pouzzoles, sur une longueur de trois mille six cents pas, sur lequel il parade pendant plusieurs jours[19]. Néron réside à Baïes, tandis qu'Agrippine a sa villa à proximité, à Baule, où elle est assassinée en 59[20]. Le philosophe Sénèque, contemporain de cet événement, exprime le mépris du sage pour ce lieu : « Baïes est devenu le lieu de plaisance de tous les vices. Là, le plaisir se permet plus de choses qu'ailleurs ; là, comme si c'était une convenance même du lieu, il se met plus à l'aise. [...] Avoir le spectacle de l'ivresse errante sur ces rivages, de l'orgie qui passe en gondoles, des concerts de voix qui résonnent sur le lac, et de tous les excès d'une débauche comme affranchie de toute loi, qui fait le mal et le fait avec ostentation, est-ce là une nécessité ? »[21].

Plus plaisamment, le poète satirique Juvénal qui caricature les prodigues endettés, fait de Baïes le refuge où ils se régalent d'huitres loin de leurs créanciers[22], huîtres dont Martial vante la qualité[23]. L'empereur Hadrien vient à Baïes soulager ses douleurs et y termine ses jours en 138[24],[25]. Alexandre Sévère embellit le palais impérial de Baïes de bâtiments dédiés à ses parents, et de lacs artificiels alimentés en eau de mer[26]. Tacite est désigné empereur par le Sénat en 275 alors qu'il séjourne dans sa villa de Baïes[27].

À la fin de l'Empire, le lent affaissement des terrains causé par le bradyséisme provoque la submersion du rivage, dans un premier temps entre le IIIe et le Ve siècle, puis du VIIe au VIIIe siècle. Les terres les plus basses, entre la pointe Castello et la pointe Epitaffio, se sont donc trouvées immergées. Aujourd'hui, par un fond d'entre trois et huit mètres gisent la via Herculanea, le complexe thermal de la villa dei Pisoni, les mosaïques de la villa Protir. L'éruption de 1538 du Monte Nuovo, à deux kilomètres au nord de Baïes, recouvrit des sites romains d'un cône de scories de 800 mètres à la base et provoqua d'importantes variations de niveau marin (gonflement de 6 mètres suivi d'un tassement de quatre mètres observé à Pouzzoles)[6].

Les parties englouties sont désormais protégées en tant que réserve marine[28].

Vestiges archéologiques

Intérieur du temple de Mercure.

Les importants vestiges archéologiques, dégagés à partir de 1923 par Amedeo Maiuri[29],[12], puis lors d'une intense campagne de fouilles en 1941, ont révélé une stratification des constructions, de villas et de complexes thermaux, appartenant à une période historique allant de la fin de l'époque républicaine à l'époque d'Auguste, d'Hadrien et des Sévères. La découverte en 1969, près de la pointe de l'Épitaphe, de statues de marbre représentant Ulysse et son compagnon Baios a été suivie d'une campagne de fouilles sous-marines, qui ont fait découvrir un nymphée daté de l'époque de Claude.

Le musée archéologique

Sérapis, marbre blanc, musée archéologique de Bacoli. La statue romaine a été retrouvée dans le golfe de Pouzzoles.

Sur un promontoire qui surplombe la mer se trouve le Castello Aragonese (château aragonais), construit en 1495 sur les ruines du palais impérial romain. On a découvert dans son donjon des vestiges de peinture antique en trompe-l'œil du IIe style pompéien et un sol en mosaïque au décor de lignes entrelacées, tracées en cubes blancs et insérées dans un fond de tuileau rose. Le château héberge le musée archéologique des champs Phlégréens, inauguré en 1993. En 2009, il totalise 57 salles qui sont rarement toutes ouvertes simultanément. Le musée expose des objets grecs, samnites et romains trouvés à Baïes même et sur les sites voisins[30].

Objets grecs, samnites, romains

Le nymphée découvert lors des campagnes de fouilles sous-marines de 1980-1982 sous les eaux de la pointe de l'Épitaphe a été reconstitué au musée dans une grotte artificielle. Il figure l'épisode de l'Odyssée dans lequel Ulysse, aidé d'un de ses compagnons, identifié ici à Baios, apporte un récipient plein de vin au Cyclope Polyphème, dont la statue n'a pas été retrouvée. Les niches sur les côtés du nymphée représentaient des statues de membres de la famille impériale à l'époque de Claude.

La statue équestre de bronze trouvée en 1968 dans le sacellum des augustales de Misène a d'abord figuré les traits de Domitien, mais après la damnatio memoriae de cet empereur, son visage a été scié et remplacé par celui de Nerva.

Une tombe samnite datée de 300-290 av. J.-C., dont les parois intérieures sont décorées de fresques, représente le banquet funèbre du couple défunt.

Dans la cour, le portique du forum de Pouzzoles a été reconstitué à l'aide de fragments antiques et de moulages de caryatides.

Baïes dans la culture

Le lieu est cité par le poète Valery Larbaud dans son poème Carpe Diem.

Le lieu est également cité dans Les tablettes de buis d'Apronenia Avitia de Pascal Quignard (Gallimard, 1984).

Une partie du tome 11 (paru en 2020) de la bande-dessinée Murena se déroule dans la cité.

Notes et références

  1. Pline l'Ancien, Histoire naturelle [détail des éditions] [lire en ligne], XXXI, 2.
  2. Strabon, Géographie [détail des éditions] [lire en ligne], V, 9.
  3. Florus, Abrégé de l'Histoire Romaine [détail des éditions] [lire en ligne], I, 16.
  4. Fronton, Lettres de Fronton à César, lettre V.
  5. Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques [lire en ligne], XVIII, 7-2.
  6. Maurice Krafft, Guide des volcans d'Europe et des Canaries, 1991 (ISBN 2603008137).
  7. Silius Italicus, Punica, XII.
  8. Tite-Live, Histoire romaine [détail des éditions] [lire en ligne], XLI, 16.
  9. Cicéron, Pro Caelio, XV.
  10. Properce, Élégies [détail des éditions] [lire en ligne], I, 11.
  11. Pline l'Ancien, IX, 79.
  12. Bernard Andreae, L'Art de l’ancienne Rome, Mazenod, 1973 (rééd. 1988) (ISBN 2850880043), p. 530.
  13. Vitruve, De l'architecture [lire en ligne], II, 6-1.
  14. Pline l'Ancien, XXXV, 47.
  15. Celse, Traité de la médecine, III, 17.
  16. Horace, Épitres, XV.
  17. Properce, III, 18.
  18. Ovide, Art d'aimer [détail des éditions] [lire en ligne], I, 255.
  19. Suétone, Vie des douze Césars, « Caligula », 19.
  20. Tacite, Annales [lire en ligne], XIV, 4-8.
  21. Sénèque, Lettres à Lucilius, lettre 51.
  22. Juvénal, Satires XI, v 49
  23. Martial, Épigrammes [détail des éditions] [lire en ligne], X, 37.
  24. Histoire Auguste, Vie d'Hadrien, 25 et Vie d'Antonin le Pieux, 5.
  25. Aurelius Victor, De Caesaribus, XIV.
  26. Histoire Auguste, Alexandre Sévère, 26.
  27. Histoire Auguste, Tacite, 7.
  28. GEO, no 398, avril 2012, p. 94..
  29. Amedeo Maiuri, Die Altertümer der phlegräischen Felder. Vom Grab des Vergil bis zur Höhle von Cumae., 1938.
  30. Alix Barbet, « Baïes, splendeurs romaines du golfe de Naples », Archéologia, no 469, septembre 2009.

Voir aussi

Lien externe

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