Bâtiment du Bauhaus (Dessau)

Le bâtiment du Bauhaus de Dessau est un ensemble architectural moderne situé à Dessau-Roßlau, en Allemagne et destiné originellement à accueillir l'école d'art, de design et d'architecture du Bauhaus. Il a été construit entre 1925 et 1926 selon les plans de l'architecte et directeur du Bauhaus Walter Gropius pour accueillir l'école auparavant située à Weimar et contrainte de déménager à Dessau en 1925.

Œuvre majeure du courant fonctionnaliste, inscrit au patrimoine mondial par l'UNESCO depuis 1996, ce bâtiment a assis la réputation du Bauhaus comme icône de la modernité. Il est en effet considéré comme l'un des plus influents édifices de l'architecture moderne et revêt une importance majeure dans l'histoire culturelle du XXe siècle.

Rénové, il accueille par le biais de la fondation Bauhaus Dessau des artistes, des chercheurs et des ateliers pédagogiques.

L'école du Bauhaus

Le logo du Bauhaus, créé en 1922 par Oskar Schlemmer.

De 1919 à 1933, l'école du Bauhaus révolutionne la manière de voir et de penser l'art et l'architecture et marque les prémices de la modernité dans les arts et l'architecture[1]. D'abord implantée à Weimar, la pression politique locale la contraint à déménager et l'école est accueillie à Dessau par la coalition sociale-démocrate au pouvoir, à une époque où l'État libre d’Anhalt devient l'un des centres industriels de l'Allemagne de Weimar. Elle accompagne donc, en tant qu'école de design, le développement industriel de la région[2].

Son créateur, Walter Gropius, souhaite que l'art comme l'architecture évoluent, ce qui se traduit dans le domaine architectural tant par le recours à des matériaux modernes (béton armé, verre, métal) qu'à des méthodes (mur-rideau, ossature métallique, etc.) et une approche innovantes[3],[4] : les bâtiments doivent être conçus selon leur fonction et non selon une vaine recherche esthétique, rejetant ainsi les formes architecturales traditionnelles ; il est fait recours à l'abstraction, les formes sont réduites à leur plus simple expression : un cubisme blanc[5]. Cette approche se double d'un idéal humaniste et de réforme sociale visant à créer un environnement « moderne à visage humain ». L'école du Bauhaus, devenue un lieu d'échange pour ces idées nouvelles, attire nombre de professeurs et d'étudiants désireux de s'affranchir de la tradition, parmi lesquels Vassily Kandinsky, Marcel Breuer, László Moholy-Nagy, Ludwig Mies van der Rohe, etc. Tous ont laissé une empreinte importante dans l'art et l'architecture du XXe siècle[1],[4]. Le mouvement a participé à briser « le pouvoir de la tradition » en matière d'architecture, de design comme de publicité, en ayant recours à un « nouveau langage formel » encore influent de nos jours[4].

En septembre 1932, le Parti nazi  principale force politique municipale  vote la fermeture de l'école de Dessau qui se réfugie à Berlin pendant quelques mois avant de fermer définitivement[3]. Ceci n'empêche pas le Bauhaus de devenir un symbole de la modernité artistique et architecturale, tant pour son héritage théorique que pour ses réalisations concrètes, dont le bâtiment du Bauhaus, l'un des représentants fondamentaux de l'architecture moderne. L'édifice est important non seulement pour l'art et la culture mais également en tant que témoin de l'histoire des idées au XXe siècle[1].

Histoire

Walter Gropius par Louis Held, vers 1919.

En 1925, l'école du Bauhaus est contrainte par les conservateurs de quitter Weimar. Elle s'implante alors dans la ville sociale-démocrate et libérale de Dessau, en plein essor industriel[2]. Le directeur Walter Gropius y entreprend la création d'un bâtiment pour accueillir l'école, financé par la municipalité[3] ; le terrain choisi est un espace naturel à l'écart du centre ancien[6]. Le bâtiment du Bauhaus est construit à partir de 1925[7] et inauguré le 4 décembre 1926[6].

Déjà à l'époque, plusieurs centaines de visiteurs venus du monde entier, viennent admirer chaque année ce qui était alors la quintessence de l'architecture moderne en Allemagne : le bâtiment fait ainsi l'objet de multiples expositions et publications[8].

Mais en 1931, plus d'un an avant l'accession à la chancellerie d'Hitler, le NSDAP devient l'un des principaux groupes politiques au conseil municipal de Dessau. Le premier point de leur profession de foi était ainsi dirigé contre l'école[9] :

« Annulation immédiate de toutes les dépenses liées au Bauhaus. Les enseignants étrangers doivent être licenciés sans préavis, car il est de la responsabilité d'un bon dirigeant de ne pas porter atteinte aux intérêts de ses citoyens ; or les ressortissants allemands meurent de faim pendant que des étrangers sont grassement payés par eux, les contribuables affamés. (...) La démolition du Bauhaus doit être entreprise immédiatement. »

C'est ainsi que seuls le maire Hesse et quatre communistes votent le 22 août 1932 contre la motion déposée par les membres du parti national-socialiste visant à fermer le Bauhaus, qui est effective en septembre 1932[10].

Menacé de destruction par les nazis qui n'y voit qu'un « sordide palais de verre orientalisant », le bâtiment du Bauhaus est tout d'abord pillé (la documentation présente sur place, les œuvres d'art, l'ameublement, etc.) avant de devenir tour à tour une école de filles, une école pour les cadres du parti national-socialiste puis une annexe du complexe militaro-industriel de la société Junkers[8]. Si les nazis tiennent leur revanche symbolique sur l'école, vecteur de « contamination judéo-bolchevique », ils se contentent de rajouter un toit traditionnel sur l'aile dévolue aux ateliers-logements des étudiants[2]. D'importants travaux de réparation sont entrepris entre 1934 et 1935[4].

Reconverti en camp de travail pour prisonniers de guerre[8] et bien que recouvert d'une peinture de camouflage en 1941, le bâtiment n'échappe pas aux bombardements de la Seconde Guerre mondiale[4]. C'est notamment le cas à la suite d'une attaque aérienne en 1943 qui voit la destruction du mur-rideau de verre[8], à la suite de laquelle il n'est que déblayé et sommairement réparé. Aucun effort de rénovation n'est entrepris avant 1961[4].

Utilisé au sortir de la guerre comme refuge pour personnes sans-abri puis comme école pour les enfants déplacés[8], il faut attendre 1972 et le classement en tant que monument historique[3],[11] pour voir le site reconnu et des travaux de restauration d'envergure être entrepris, en 1976[4]. L'inscription au patrimoine mondial par l'UNESCO en 1996 des sites du Bauhaus en Allemagne permet ensuite la mise en place d'une campagne de rénovation plus poussée, terminée en 2006[3],[11].

Depuis 1994, le bâtiment est géré par la fondation Bauhaus Dessau (en allemand Stiftung Bauhaus Dessau) dont la mission est tout à la fois patrimoniale (entretien du complexe, communication, attractivité touristique) et pédagogique, en s'assurant que le lieu redevienne un centre de recherche et d'enseignement expérimental[3],[11]. Des ateliers-logements étudiants rénovés peuvent par ailleurs être loués à la nuitée[12], de même qu'il est possible de déjeuner, un restaurant étant aménagé dans l'ancien réfectoire[13].

Conception

Le mur-rideau du bâtiment des ateliers.

Le bâtiment a été conçu par le fondateur de l'école et architecte Walter Gropius sur commande de la ville de Dessau, qui avait accepté d'accueillir l'école après la fermeture du site originel de Weimar[14]. Avant cette réalisation, Walter Gropius a conçu en 1911  aux côtés de Adolf Meyer  l'usine Fagus à Alfeld (Allemagne) qui marque un jalon important dans l'histoire de l'architecture moderne[15], notamment par ses verrières révolutionnaires et son approche fonctionnaliste[16]. Parmi les innovations apportées par la construction de l'usine Fagus, notamment la structure de béton armé dotée d'un parement de brique, la place importante laissée aux vitrages et l'édification de toits-terrasses recouverts de tuiles asphaltées, plusieurs seront reprises par Gropius lors de la conception du bâtiment du Bauhaus[3].

Pour la réalisation de celui-ci, Walter Gropius est aidé par Ernst Neufert, l'architecte en chef de son cabinet d'architecture et par Carl Fieger qui réalise les premières esquisses d'un bâtiment composé de trois ailes reliées entre elles[6].

L'équilibre entre les trois ailes de l'édifice montre comment Walter Gropius a actualisé « son ancienne vision de la réconciliation entre l'homme et la technique », en recourant librement aux principes De stijl de Theo van Doesburg. On y retrouve d'ailleurs l'influence probable de Mies van der Rohe, auquel Gropius a demandé en 1923 le plan de son « pavillon en béton armé » dont on retrouve les trois axes distincts[14].

Description

Vue aérienne du bâtiment.
Plan schématique des différents corps de bâtiment : 1. ateliers-logements ; 2. lieux de sociabilité (réfectoire, auditorium) ; 3. atelier ; 4. pont (locaux administratifs) ; 5. lieux d'enseignement.

Le bâtiment du Bauhaus présente un plan asymétrique rappelant un triskèle, symbole à trois protubérances évoquant une symétrie de groupe cyclique[3]. Il ne présente pas une façade traditionnelle mais se déploie donc en trois ailes[14] : une aile est réservée aux ateliers : situés dans un corps de bâtiment de trois niveaux, la façade de verre permet d'y faire entrer un maximum de lumière naturelle  il est question de « rigoureuse clarté »[17]  ; une deuxième aile abrite les locaux des enseignements techniques dans un corps de bâtiment de trois niveaux également ; enfin, une troisième aile abrite tout à la fois un ensemble à cinq niveaux regroupant les ateliers-logements des étudiants et des jeunes maîtres ainsi qu'un corps de bâtiment à un seul niveau regroupant les lieux de sociabilité  soit l'auditorium, la scène et le réfectoire  et faisant la jonction entre les logements et les ateliers. Un pont relie les deux premières ailes et abrite l'administration et le bureau d'architecture de Gropius[3].

Le bâtiment dévolu aux ateliers-logements des étudiants  et de certains professeurs  est appelé Prellerhaus (maison Preller), du nom du concepteur de l'édifice équivalent sur l'ancien site du Bauhaus à Weimar, Louis Preller. Elle regroupe 28 studios de 20 m2 chacun[12].

L'un des éléments les plus remarquables du bâtiment du Bauhaus reste son mur-rideau de verre ornant la façade des ateliers  à l'inverse de l'usine Fagus où la façade dispose toujours de piliers, certes encadrés de grandes parois de verre  qui se prolonge jusque dans les angles de l'édifice. Il est ainsi possible de voir à l'intérieur de l'édifice et notamment sa structure porteuse[3] tout en donnant aux étages l'impression de « flotter »[6].

Un exemple du Gesamtkunstwerk : la chaise Wassily dessinée par Marcel Breuer vers 1925 alors qu’il était à la tête de l’atelier de menuiserie du Bauhaus.

L'ensemble présente un équilibre minutieux des éléments verticaux et horizontaux, disposés dans une « stabilité asymétrique » dynamique[14].

D'un point de vue technique, il est constitué d'une structure de béton armé associée à un important système d'écrous et de vis, l'ensemble étant recouvert d'un toit-terrasse de pierre et de fer[4].

Le bâtiment reprend le concept de Gesamtkunstwerk, d'œuvre d'art totale cher à Gropius en ce que l'aménagement intérieur, l'ameublement de même que l'éclairage étaient produits au sein même des ateliers de l'école[3], ce qui est particulièrement visible dans le bâtiment abritant l'auditorium et le réfectoire[4].

D'une superficie très importante  plus de 28 000 m2 [6], l'ensemble présente quelques défauts de construction et notamment un chauffage insuffisant et sous dimensionné, une amplitude thermique due aux larges surfaces vitrées non isolées ainsi que de fréquentes fuites depuis les toits-terrasses mal entretenus. Surtout, les étudiants comme les personnels se plaignent d'un manque de vie privée dû au recours important au verre[8].

Intérêt patrimonial

Le bâtiment du Bauhaus de Dessau est une réalisation fondamentale de l'avant-garde artistique en Europe. Il manifeste un « renouveau radical de l'architecture et du design ». Ce monument est tout à la fois l'un des premiers et des plus importants représentants de l'architecture moderne, et une œuvre majeure du courant fonctionnaliste « la puissance de son expression artistique n'est contestée par aucun autre bâtiment fonctionnaliste ». Il revêt de ce fait une importance majeure dans l'histoire culturelle du XXe siècle. L'édifice rompt avec la tradition en ce qu'il se compose de formes architecturales particulièrement abstraites et simples : « une composition de cubes interpénétrants dans une transparence spatiale suggestive », typique de l'architecture moderne[4]. En 1954, Sigfried Giedion y voit le premier bâtiment à employer « une nouvelle et radicale conception de l'espace »[8].

Considéré comme l'œuvre la plus convaincante de Gropius avec l'usine Fagus[18], son chef-d'œuvre[17], le bâtiment du Bauhaus est aujourd'hui l'un des plus  si ce n'est le plus  influent édifice architectural de l'époque moderne, une « Mecque » tant pour les étudiants, les praticiens que les amateurs d'architecture[8].

Galerie

Pour approfondir

Bibliographie

 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • Magdalena Droste et Bauhaus-Archiv (Berlin) (trad. de l'allemand), Bauhaus : 1919-1933, Köln/Paris/impr. en Pologne, Taschen, 549 p. (ISBN 978-3-8365-6553-0 et 3836565536, OCLC 1085887199, lire en ligne).
  • Magdalena Droste (trad. de l'allemand), Le Bauhaus : 1919-1933, réforme et avant-garde, Cologne, Taschen, , 96 p. (ISBN 978-3-8228-3648-4 et 3-8228-3648-6, OCLC 469464578, lire en ligne).
  • Peter Feierabend, Janine Fiedler, Ute Ackermann et Jacques Aron (trad. de l'allemand), Bauhaus, Cologne, Könemann, , 639 p. (ISBN 3-8290-2591-2 et 9783829025911, OCLC 45124225, lire en ligne).
  • (de) Kirsten Baumann, Bauhaus Dessau : architecture, design, concept = Architektur, Gestaltung, Idee, Berlin, Jovis, , 143 p. (ISBN 978-3-939633-11-2 et 3939633119, OCLC 153776959, lire en ligne).
  • (de) Wolfgang Thöner, Das Bauhaus : Führer durch seine Bauten in Dessau, Ed. RK, , 46 p. (ISBN 3-934388-19-1 et 9783934388192, OCLC 76622615, lire en ligne).
  • (de) Stiftung Bauhaus Dessau, Welterbestätte Bauhaus (ISBN 978-3-95905-153-8 et 3959051530, OCLC 989774959, lire en ligne).
  • (de) Claudia Perren, Christin Irrgang, Ingolf Kern et Stiftung Bauhaus Dessau, Das Bauhausgebäude in Dessau (ISBN 978-3-95905-126-2 et 3959051263, OCLC 987368595, lire en ligne).

Articles connexes

Liens externes

Références

  1. (en) UNESCO, « Bauhaus and its Sites in Weimar, Dessau and Bernau », sur UNESCO World Heritage Centre (consulté le ).
  2. Xavier de Jarcy, « Balade à Dessau parmi les sites du Bauhaus classés à l'Unesco », sur telerama.fr, (consulté le ).
  3. (en) Alyn Griffiths, « Walter Gropius designed school in Dessau to reflect the Bauhaus values », sur dezeen.com, (consulté le ).
  4. Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS), « Évaluation de l'organisation consultative - Le Bauhaus », sur Unesco, (consulté le ).
  5. Droste 2007, p. 7.
  6. (en) R. Stephen Sennott, Encyclopedia of 20th century architecture, New York, Fitzroy Dearborn, , 1525 p. (ISBN 1-57958-243-5, 978-1-57958-243-2 et 1-57958-433-0, OCLC 52688206, lire en ligne), p. 121.
  7. (en) Chris Moss, « 100 years of Bauhaus: Berlin and beyond », sur theguardian.com, (consulté le ).
  8. (en) R. Stephen Sennott, Encyclopedia of 20th century architecture, New York, Fitzroy Dearborn, , 1525 p. (ISBN 1-57958-243-5, 978-1-57958-243-2 et 1-57958-433-0, OCLC 52688206, lire en ligne), p. 123.
  9. (de) Sebastian Neurauter, Das Bauhaus und die Verwertungsrechte : eine Untersuchung zur Praxis der Rechteverwertung am Bauhaus 1919-1933, Tübingen, Mohr Siebeck, , 528 p. (ISBN 978-3-16-152477-6 et 3161524772, OCLC 931012003, lire en ligne), p. 426.
  10. (de) « 100 Jahre Bauhaus – 14 Jahre praktizierte Moderne », sur le site internet du GAT, le portail de Styrie pour l'architecture et l'habitat, (consulté le ).
  11. (en) « Bauhaus Building by Walter Gropius (1925–26) », sur www.bauhaus-dessau.de (consulté le ).
  12. (en) « Stay overnight at the Bauhaus – Stay in a World Cultural Heritage Site », sur www.bauhaus-dessau.de (consulté le ).
  13. (en) « Gastronomy », sur www.bauhaus-dessau.de (consulté le ).
  14. Droste 2007, p. 46 & 47.
  15. Droste 2007, p. 10.
  16. (en) UNESCO, « Fagus Factory in Alfeld », sur UNESCO World Heritage Centre (consulté le ).
  17. Hervé Gauville, « Le Bauhaus à Dessau. Maisons de maîtres. », sur Libération.fr, (consulté le ).
  18. Droste 2007, p. 47.
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