Avant-corps (mécanique des fluides)

En mécanique des fluides, l’avant-corps est la partie avant d’un corps, c'est-à-dire, en général, la partie comprise entre le point d’arrêt et la section maximale (ou maître-couple). Symétriquement, on utilise également la notion d' « arrière-corps » (partie d’un corps comprise entre le maître-couple et le point (ou l'ensemble de points) le plus aval du corps.

Si le décollement devant le pare-brise se réattache en C, le décollement de culot sur l'arrière corps ne se réattache pas.

En mécanique des fluides, on constate dans un grand nombre de cas une certaine indépendance des écoulements d'avant et d'arrière-corps. Entre « avant-corps » et « arrière-corps » on peut, au besoin, faire usage de la notion de « corps médian », surtout lorsque ce corps médian est de section constante (comme la partie cylindrique qui suit l'ogive de beaucoup de fusées d'amateur).

Du fait de leur position frontale, les avant-corps sont rarement le lieu de décollements (ou séparation) de couche limite. Mais lorsqu'il y a décollement, on assiste le plus souvent à un réattachement de l'écoulement plus en aval (comme cela se produit pour le décollement devant le pare-brise de la VW Coccinelle sur l'image ci-contre).

Avant-corps d'automobiles

Pente des courbes attachées à l’arrière-corps des berlines.

Très contre-intuitivement, l'avant-corps d'une automobile, s'il est suffisamment profilé, compte pour peu dans son total (c'est-à-dire que le créé par un avant-corps correctement profilé est très peu important[1]). Au contraire, le d'arrière-corps d'une automobile peut être très important, du fait de la dépression de culot qui attire ce culot vers l'arrière. Par chance, l'arrière-corps peut souvent être traité indépendamment de l'avant-corps.

On peut voir la preuve de l'indépendance des d’avant-corps et d'arrière-corps dans le graphe ci-contre qui donne l’évolution du de berlines en fonction de l’élancement de leur arrière-corps : Le fait que les quatre courbes fuchsia, rouge bleue et verte présentent à peu près la même pente prouve que les des arrière-corps de différentes longueurs est quasi indépendant du de l'avant-corps, c'est-à-dire que le de l’automobile vaut (si est le de l’avant-corps et est le d’arrière-corps), ce dernier n’étant fonction que de l’élancement de l’arrière-corps (surtout pour les berlines 3 et 4 qui sont correctement profilées).

Ce dernier graphe est basé sur les mesures en soufflerie de Walter E. Lay qui testa des modèles d'un peu plus d'un mètre de longueur à faces latérales planes et verticales raccordées sans arrondis à la face supérieure[2] ,[3].

Avant-corps de fusées

Différents avant-corps de fusées (ou ogives).

L'image ci-contre donne le frontal à attendre des ogives de fusées en subsonique[4],[5].

Dans le cas le plus simple d’une fusée ogivo-cylindrique, la détermination du se fait par sommation du d’avant corps (celui de l’ogive, image ci-contre), du de friction sur l’ogive et le corps médian (la partie cylindrique du fuselage), du de culot (qui dépend de l’épaisseur de la couche limite au culot) et du de pression, de friction et d'interaction des ailerons stabilisateurs. Le de l’avant-corps (l'ogive) apparaît comme indépendant des autres . Le du corps médian (la partie cylindrique) se ramène au seul de friction puisque ce corps médian ne présente aucune surface élémentaire susceptible de transformer le jeu de pression à sa surface en force axiale. Par contre, la détermination de la friction sur sa surface doit prendre en compte la longueur de l’ogive (la pointe de l'ogive, point d’arrêt de l'écoulement, étant le point de naissance de la Couche limite).

Entre 10 et 60° de demi angle au sommet, les résultats d'essais de cônes en tant qu’avant corps (c.-à-d. sans de culot, donc en tant qu’ogives)[6],[7],[8] peuvent être linéarisés sous la forme , étant le demi angle au sommet du cône en degrés. Cette linéarisation n’est valide qu'en subsonique, c.-à-d. pour .

Relative indépendance des d’avant-corps et d’arrière-corps d’un corps profilé

Indépendance des de l’avant-corps et de l’arrière corps.

S'agissant du corps fuselé 3D montré dans l'image ci-contre, les coefficients de pression sur une bonne partie de l’avant-corps s’avèrent indépendants de la forme de l’arrière-corps et vice versa. L’animation ci-contre montre bien que lorsque l’on intervertit les modèles d'avant-corps et d'arrière-corps, la courbe bleue des épouse sur une bonne partie de l’avant corps la courbe relevée sur le corps complet (même si la partie arrière de ce corps complet a été changée) (et même chose pour la courbe des d’arrière-corps).

On peut aussi constater que dans ce cas particulier, la zone d'influence de l'arrière-corps sur l'avant-corps et vice versa est d'une longueur de l'ordre de 2 diamètres[9].

Influence d’une partie cylindrique sur la distribution des pressions d’un corps profilé.

Une réflexion similaire peut être faite à propos de l'ajout d'un corps médian cylindrique à un corps fuselé 3D (courbes de de l’image ci-contre, ici calculées par le même groupe de chercheurs[9]). Il apparaît que les parties avant et arrière des courbes du sont inchangées lors de l’introduction d’une partie cylindrique plus ou moins longue.

On note aussi que l’écoulement sur la partie cylindrique (et donc la courbe des ) anticipe, à une distance d’environ 1 diamètre, la présence du rétreint que constitue l’arrière-corps. L'information de la présence du rétreint de culot se propage donc bien vers l'amont (nous somme ici en subsonique).

Cas du tube de Pitot

La distribution des pressions sur l’avant corps du tube de Pitot (l’hémisphère avant, courbe bleu clair) est différente de la distribution des pressions sur l’hémisphère avant de la sphère (courbe rouge). On peut donc dire que l’écoulement sur l’avant-corps du tube de Pitot anticipe pleinement la présence (ou non) de la partie cylindrique : Il n'y a donc pas indépendance de l'écoulement d'avant-corps par rapport à l'écoulement de corps médian.

Les courbes tracées ici sont des courbes théoriques (calculs effectués en fluide non visqueux). L’intégration de la courbe des théoriques bleu clair produit un de pression de pour l’hémisphère avant du tube de Pitot. Force est cependant de constater que les essais relatés par la Note technique D-3388 de la NASA[10] attribuent à l’ogive hémisphérique un de pression très faible de jusqu'à Ma 0,4 (et jusqu’à Ma 0,7), ces très faibles étant conformes à celui relayé par Hoerner pour l’ogive hémisphérique (voir l'image de la section #Avant-corps de fusées).

Formes particulières

Distribution des pressions sur le disque exposé frontalement.

Disque exposé frontalement

Dans le cas du disque exposé frontalement, les mécaniciens des fluides pratiquent évidemment la distinction entre l’avant-corps (la face avant du disque) et l’arrière-corps (sa face arrière). Koenig et Roshko, dans leur étude de l’écoulement axial sur le cylindre à bout plat précédé d’un disque[11], s’appuyant sur d'autres auteurs, adoptent pour le de la face avant la valeur de . De même, Bob Hiro Suzuki[12] prend acte d’une valeur de pour la face avant du disque.

Le complet du disque étant admis comme valant , le de la face arrière du disque en ressort comme valant de à . Dans l'image ci-contre, Fail, Lawford et Eyre[13] ont mesuré un aval constant à (courbe rouge où les marques correspondent à des points mesurés). Cela signifie que la valeur moyenne du coefficient de pression sur cette face arrière vaut, pour ces auteurs, un peu plus que à cause des non mesurés sur le bord du disque.

Sur cette image, on peut noter la répartition presque ellipsoïdale des pressions sur la face avant (courbe bleue où seules les marques pleines correspondent à des points mesurés).

S'il est souvent admis que le coefficient de pression reste le même sur toute la face d'un culot plan, cette simplification ne peut convenir au bord aval du disque circulaire. Sur le bord du disque, l'écoulement est nécessairement accéléré à une valeur supérieure à la vitesse à l'infini (le devenant négatif). La courbe fuschia, marquée d'un point d'interrogation, est une proposition de courbe pour relier la courbe bleue à la courbe rouge au bord du disque.

Sphère

Distribution des pressions théorique et en sous-critique et super-critique.

Dans le cas de la sphère, on gagne à s'intéresser à la valeur du de l'hémisphère avant. L'intégration du coefficient de pression théorique sur cet hémisphère avant (courbe fuchsia sur l'image ci-contre, due à Elmar Achenbach[14]) produit une valeur négative de [15],[16]. Bien que le de friction de la sphère soit négligeable, les mesures pratiques conduisent à un d'avant-corps de la sphère de au premier régime[17] mais l'intégration des coefficients de pression au deuxième régime (assez proche de l'écoulement non visqueux pour l'hémisphère avant) donne bien un de pression négatif.

Avant-corps particuliers

Avant-corps à aubages redirecteurs

Aubages de redirection sur des corps 2D mal profilés, d'après Hoerner, les avec ou sans aubages sont indiqués.

Le décollement au franchissement des arêtes vives d’un corps obtus fait naître une poche d’« eau morte »[18] immédiatement en aval de la face avant, cette poche augmentant la largeur vue par l'écoulement du corps et dégradant donc son . On peut prévenir la formation de telles poches d'eau morte par le montage d'aubages de redirection qui approvisionnent ces poches d'eau morte dépressionnaires avec de l'air en surpression capté sur la face avant du véhicule (image supérieure ci-contre).

Dans son ouvrage Drag[19],[20], Sighard F. Hoerner (en) précise qu'en plus de prévenir la formation de ces poches d’eau morte, les aubages de redirection avant sont l'objet d’efforts aérodynamiques qui tendent à tirer le véhicule en avant (à ce titre, ils diminuent donc encore la traînée)[21].

Un tel système d'aubage redirecteur a été largement utilisé pour caréner les moteurs d'avion en étoile, à une certaine époque (anneau Townend), avant que les capots NACA n'apportent la solution définitive au carénage des moteurs en étoile.

Le même principe d'aubage directeur pourrait être utilisé avec un net bénéfice au culot de certains corps (image inférieure ci-contre)[22].

Disque précurseur ou pare-vent

Écoulement en aval d'un disque précurseur pour diminution du , d'après Koenig.

Dans ses travaux[23],[24], le chercheur américain Keith Koenig a prouvé que le d'avant-corps d'un cylindre circulaire de diamètre pouvait passer de à par l'installation d'un disque précurseur de diamètre entre et devant la face avant de ce cylindre (le disque précurseur étant tenu par une hampe de petit diamètre). Le tourbillon torique qui s'installe entre le disque précurseur et la face avant du cylindre (image ci-contre) crée une sorte de tapis roulant qui carène l'ensemble. Assez contre-intuitivement, le remplacement du disque précurseur par des calottes sphériques (en apparence mieux profilées) ne donne pas des résultats meilleurs.

Pare-vent ou aerospike

Les résultats précédents valent pour le subsonique. Pour le transsonique et le supersonique peuvent être utilisés des pare-vent particuliers (nommés « aerospike (en) » en anglais) dont la fonction est de réduire la pression sur les avant-corps insuffisamment profilés (en regard des vitesses trans- et supersoniques atteintes, par exemple les ogives hémisphériques). Un corps précurseur d’assez faible section (disque ou calotte sphérique), porté par une hampe de faible section (image ci-contre), produit une onde de choc détachée en avant de l’avant-corps insuffisamment profilé qui le suit. De plus, entre cette onde de choc et l’avant-corps insuffisamment profilé, s’installe une zone de recirculation qui agit comme un corps virtuel mieux profilé.

De tels dispositifs à corps précurseur (pare-vent) sont utilisés au sommet des missiles lancés par sous-marins car la rétraction de la hampe diminue d’autant la hauteur desdits missiles et facilite leur stockage à bord.

Notes et références

  1. Pour l'homme de la rue, qui a une conception « collisionnelle  » de la mécanique des fluides, l'avant-corps d'une automobile est chargé de « faire la trace » pour le reste de la voiture. Il n'en est rien car l'action des surpressions existant autour de la zone du point d'arrêt (la calandre) est compensée par l'action des dépressions immédiatement en aval (sur le capot avant et sur les pare-brises suffisamment inclinés).
  2. (en) Walter E. Lay, Is 50 Miles Per Gallon Possible With Correct Streamlining ?, SAE Transactions, vol. 28, 1933, pp. 144-156 .
  3. (en) Aerodynamics of Road Vehicles, From Fluid Mechanics to Vehicle engineering, Edited by Wolf-Heinrich Hucho, 1990.
  4. Hoerner 1965, p. 49.
  5. Hoerner 1992, p. 2-5.
  6. (en) lyde D. Nevins et Benny W. Helton, AN INVESTIGATION OF VARIOUS PARAMETERS AFFECTING THE STRUCTURAL WEIGHT OF ROCKET VEHICLE NOSE CONES, Marshall Space Flight Center, .
  7. (en) AERODYNAMIC CHARACTERISTICS OF SPHERICALLY BLUNTED CONES AT MACH NUMBERS FROM 0.5 TO 5.0 , NASA TN D-3088, Robert V. Owens, George C. Marshall Space Flight Center Huntsville, Alabama [PDF].
  8. (en) THE AERODYNAMIC CHARACTERISTICS OF LARGE ANGLED CONES WITH RETROROCKETS, Contract N° NAS 7-576, Philip O. Jarvinen et Richard H. Adams, février 1970 [PDF].
  9. (en) A. J. Smits, S. P. Law, et P. N. Joubert, A Comparison of Theoretical and Experimental Pressure Distributions on Bodies of Revolution,
  10. (en) EFFECTS OF BLUNTNESS ON THE SUBSONIC DRAG OF AN ELLIPTICAL FOREBODY, NASA TECHNICAL NOTE D-3388 , by John D. Norris and Robert J. McGhee [PDF].
  11. (en) AN EXPERIMENTAL STUDY OF GEOMETRICAL EFFECTS ON THE DRAG AND FLOW FIELD OF TWO BLUFF BODIES SEPARATED BY A GAP by Keith Koenig and Anatol Roshko, California Institute of Technology, Pasadena, California, J . Fluid Mech. (1985), vol. 156, pp. 167-204 [PDF].
  12. (en) Thèse de Bob Hiro Suzuki, MAGNETOFLUID-DYNAMIC DRAG MEASUREMENTS ON SEMI-IMFINITE BODIES IN ALIGNED FIELDS, California Institute of Technology Pasadena, California 1967, [PDF].
  13. (en) R. FAIL, J. A. LAWFORD et R. C. W. EYRE, Low-Speed-Experiments: On the Wake Characteristics of Flat Plates normal to an Air Stream, [PDF].
  14. (en) Elmar Achenbach, « Experiments on the flow past spheres at very high Reynolds numbers », Journal of Fluid Mechanics, vol. 54, no 3, 8 août 1972, pp. 565-575 [présentation en ligne].
  15. Hoerner 1965, p. 23.
  16. Hoerner 1992, p. 2-5
  17. E. Hunsinger et M. Offerlin 1997
  18. Cette zone dépressionnaire (et tourbillonnaire) est nommée « zone d'eau morte » parce qu'on l'a observée, en premier, derrière les piles de ponts.
  19. S. F. Hoerner, Résistance à l'avancement dans les fluides, Gauthier-Villars éditeurs Paris.
  20. (en) S. F. Hoerner, Fluid-Dynamic Drag.
  21. Ces effets de traction sont bien sûr pris en compte dans les indiqués.
  22. L'augmentation de gabarit imposé par ces aubages peut néanmoins constituer un frein à leur installation, les camions semi-remorques par exemple, étant déjà au gabarit routier maximum.
  23. (en) Keith Koenig (thèse de doctorat), Interference effects on the drag of bluff bodies in tandem, California Institute of Technology, 22 mai 1978, [lire en ligne] [PDF].
  24. (en) Keith Koenig et Anatol Roshko (CIT), « An experimental study of geometrical effects on the drag and flow field of two bluff bodies separated by a gap », Journal of Fluid Mechanics, 1985, vol. 156, pp. 167-204, [lire en ligne] [PDF].

Bibliographie

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  • S. F. Hoerner, Résistance à l'avancement dans les fluides, Paris, Gauthier-Villars, (OCLC 727875556, ASIN B07B4HR4HP).
  • (en) S. F. Hoerner, Fluid-dynamic drag : theoretical, experimental and statistical information, (OCLC 228216619).
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  • Ewald Hunsinger et Michaël Offerlin, L'Aérodynamique et l'origine des trainées parasites, Inter Action, (lire en ligne [PDF]).
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