Augustin Berque

Augustin Berque, né en 1942 à Rabat, est un géographe, orientaliste, et philosophe français. Il est le fils de l'orientaliste arabisant, sociologue et anthropologue éminent du Maghreb, Jacques Berque (1910-1995), professeur au Collège de France, et de Lucie Lissac (1909-2000), artiste peintre, fille de Pierre Lissac.

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Élu en 1979 directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), il garde ce poste jusqu’à sa retraite en 2011. Docteur honoris causa de l'université Laval, il remporte pour ses travaux de nombreuses distinctions. Il est notamment le premier Occidental à recevoir, en 2009, le grand prix de la culture asiatique de Fukuoka. Ses travaux portent sur ce qu'il nomme l'écoumène, qu'il définit comme la relation onto-géographique de l'humanité à l'étendue terrestre, et refonde une mésologie pouvant être rattachée à une phénoménologie herméneutique.

Il est, depuis 1991, membre de l’Academia Europaea et, depuis 2012, membre d’honneur de l’EAJS (Association européenne des études japonaises).

Biographie

Augustin Berque passe son enfance dans le Haut-Atlas au Maroc, en Égypte et au Liban. Il fait à Paris des études de géographie à l'université de Paris, de chinois et de japonais à l'École des langues orientales. Études qu’il terminera à l'université d'Oxford (1963-1964) avant de faire son service militaire au Service géographique de l’armée, à Joigny puis Baden-Baden (1964-1965). Il obtient son premier poste, à l’automne 1967, comme assistant de sciences humaines à l’École des beaux-arts, tout en préparant un doctorat de 3e cycle en géographie sous la direction de Jacqueline Beaujeu-Garnier, qu’il passe en 1969[1].

Il part alors à l’aventure au Japon, où il restera sept ans (1969-1977), à Tokyo, Sapporo puis Sendai. Il épouse en 1970 Takahashi Tetsuko, avec qui il a deux enfants, Rié-Camille et Joannès. Il obtient son doctorat d’État (Paris IV, 1977) avec une thèse intitulée Les Grandes Terres de Hokkaidô, étude de géographie culturelle, publiée trois ans plus tard sous le titre La Rizière et la banquise : Colonisation et changement culturel à Hokkaidô. Après deux années au CNRS, il est élu en 1979 directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, poste qu’il occupe jusqu’à sa retraite en 2011. Il y dirige de 1981 à 1999 le Centre de recherches sur le Japon contemporain. En 1991, il participe aux côtés de Bernard Lassus au lancement de la formation doctorale « Jardins, paysages, territoires ». En 1998, il épouse en secondes noces la géographe québécoise Francine Adam.

Cette période post-japonaise est néanmoins marquée de nombreux séjours au Japon, notamment comme directeur de la Maison franco-japonaise, à Tokyo, de 1984 à 1988, ou encore comme délégué au Centre de recherches internationales sur la culture japonaise (Nichibunken, Kyôto) en 1993-1994 et en 2005-2006.

Prix et distinctions

Œuvre

La recherche d'Augustin Berque a commencé dans le cadre intellectuel de l’école française de géographie (la géographie vidalienne). Cette vision positiviste sera ébranlée par sa rencontre avec le Japon, en particulier par l’expérience du terrain à Hokkaidô, qui lui montrera qu’un même donné physique peut exister très différemment selon les sujets concernés. Sa pensée s’infléchit dès lors petit à petit vers la phénoménologie herméneutique, en particulier à la suite de la lecture de l’essai fameux de Watsuji Tetsurō, Fûdo 風土 (1935, qu’il traduira en 2011 sous le titre Fûdo. Le milieu humain)[12].

Cependant, son expérience de géographe le retient de s’en tenir à un simple constructivisme. Il s’agit, dans la « mésologie » (le terme est emprunté au médecin Charles Robin, qui le créa en 1848) qu’il professe à partir de Médiance, de milieu en paysage (1990)[13], de comprendre comment la Terre de Galilée (« Et pourtant, elle tourne… », 1633) peut devenir celle de Husserl La Terre arché-originaire ne se meut pas », 1934); autrement dit, comment le donné physique peut devenir la réalité sensible. Cette question fera notamment l’objet de Le sauvage et l’artifice. Les Japonais devant la nature (1986)[14]. Augustin Berque tirera parti en ce sens de la « logique du lieu » (basho no ronri 場所の論理) de Nishida Kitarō pour aboutir à une conception de la réalité comme un rapport analogue à la prédication S/P (S : le sujet logique, i.e. ce dont il s’agit, saisi en tant que P : le prédicat, i.e. la manière de saisir ce sujet par les sens, par la pensée, par les mots et par l’action). Cette conception s’affirme dans Écoumène. Introduction à l’étude des milieux humains (2000)[15]. Il l’appliquera notamment dans Histoire de l’habitat idéal, de l’Orient vers l’Occident (2010)[16].

Tirant parti de l’homologie entre la distinction établie par Watsuji entre shizen kankyô (l’environnement objectif) et fûdo (le milieu tel qu’il existe pour une certaine culture) et celle établie par Jakob von Uexküll entre Umgebung (le donné environnemental) et Umwelt (le milieu propre à une certaine espèce), il s’emploie désormais, tout en affermissant l’armature logique de la mésologie, à en étendre le champ des milieux humains aux milieux vivants en général, pour faire le lien entre histoire naturelle (l’évolution) et histoire humaine[17].

Les notions développées par Augustin Berque pour la mésologie en tant qu'étude des milieux humains sont entre autres : l'écoumène[18], la médiance[19], la trajection[20], le travail médial, ou encore les chaînes trajectives[21].

Publications

  • Le Japon, gestion de l'espace et changement social, Paris, Flammarion, 1976, 340 p.
  • Du geste à la cité, Paris, Gallimard, 1993, 264 p.
  • La Rizière et la banquise, colonisation et changement culturel à Hokkaidô, Paris, Publications orientalistes de France, 1980, 272 p.
  • Vivre l'espace au Japon, Paris, Presses universitaires de France, 1982, 222 p.
  • Le Sauvage et l'artifice, les Japonais devant la nature, Paris, Gallimard, 1997 (1re éd. 1986), 314 p.
  • (direction) Le Japon et son double, logiques d'un autoportrait, Paris, Masson, 1987, 165 p.
  • (direction) La Qualité de la ville : urbanité française, urbanité nippone, Tokyo, Maison franco-japonaise, 1987, 327 p.
  • Médiance, de milieux en paysages, Paris, Belin/Reclus, 2000 (1re éd. 1990), 161 p.
  • Nihon no fûkei, Seiô no keikan, soshite zôkei no jidai (Le Paysage au Japon, en Europe, et à l'ère du paysagement), Tokyo, Kodansha, 1990, 190 p.
  • Toshi no kosumorojî, Nichi-Bei-Ô toshi hikaku (Cosmologie de la ville, comparaison des villes du Japon, des États-Unis et d'Europe), Tokyo, Kodansha, 1993, 236 p.
  • (direction) Cinq propositions pour une théorie du paysage, Seyssel, Champ Vallon, 1994, 125 p.
  • (direction) La Maîtrise de la ville : urbanité française, urbanité nippone, II, Paris, Éditions de l'EHESS, 1994, 595 p.
  • (direction) Dictionnaire de la civilisation japonaise, Paris, Hazan, 1994, 537 p. in quarto
  • Les Raisons du paysage, de la Chine antique aux environnements de synthèse, Paris, Hazan, 1995, 192 p.
  • Nihon no fûdosei (La Médiance nippone), Tokyo, NHK Ningen Daigaku, 1995, 130 p. et 2 vidéo-cassettes (total 6 h)
  • Être humains sur la Terre, principes d'éthique de l'écoumène, Paris, Gallimard, 1996, 212 p.
  • (direction, avec Philippe Nys) Logique du lieu et œuvre humaine, Bruxelles, Ousia, 1997, 276 p.
  • (avec Maurice Sauzet et Jean-Paul Ferrier) De Japon en Méditerranée, architecture et présence au monde, Paris, Massin, 1999, 189 p.
  • (direction) La Mouvance : du jardin au territoire, cinquante mots pour le paysage, Paris, Éditions de la Villette, 1999, 100 p.
  • (direction) Logique du lieu et dépassement de la modernité, Bruxelles, Ousia, 2000
    • tome I : Nishida, la mouvance philosophique, 390 p.
    • tome II : Du lieu nishidien vers d'autres mondes, 294 p.
  • Écoumène, introduction à l'étude des milieux humains, Paris, Belin, 2000, 271 p.
  • Les Déserts de Jean Verame, Milan/Paris, Skira/Seuil, 2000, 180 p.
  • (entretiens) Toshi, kenchiku kûkan to bashosei (Ville, architecture et sens du lieu), Sendai, Miyagi Daigaku, 2001, 331 p.
  • (avec Maurice Sauzet) Le Sens de l’espace au Japon. Vivre, penser, bâtir, Paris, Arguments, 2004, 227 p.
  • (direction, avec Philippe Bonnin et Cynthia Ghorra-Gobin) La Ville insoutenable, Paris, Belin, 2006, 366 p.
  • (direction) Mouvance II. Du jardin au territoire, soixante-dix mots pour le paysage, Paris, Éditions de la Villette, 2006, 120 p.
  • (direction) Nihon no sumai ni okeru fûdosei.jizokusei (Médiance et soutenabilité dans l’habitation japonaise), Kyôto, Nichibunken, 2007
  • La Pensée paysagère, Paris, Archibooks, 2008
  • (direction, avec Philippe Bonnin et Alessia De Biase) L’Habiter dans sa poétique première, Paris, Donner lieu, 2008, 404 p.
  • (direction) Une ville se refait-elle ?, Paris, L’Harmattan, 2009, 142 p. (Géographie et cultures n° 65, printemps 2008).
  • (direction, avec Nathalie Frogneux, Britta Stadelmann et Suzuki Sadami) Être vers la vie. Ontologie, biologie, éthique de l’existence humaine. Actes du colloque de Cerisy-la-Salle, Ebisu n° 40-41, automne 2008-été 2009, 224 p.
  • Histoire de l’habitat ideal. De l’Orient vers l’Occident, Paris, Le Félin, 2010, 399 p.
  • Milieu et identité humaine. Notes pour un dépassement de la modernité, Paris, Donner lieu, 2010, 150 p.
  • (traduction et glose de) Watsuji Tetsurô, Fûdo. Le milieu humain, Paris, Éditions du CNRS, 2011, 330 p.
  • (direction, avec Philippe Bonnin et Alessia de Biase) Donner lieu au monde : la poétique de l’habiter, Paris, Donner lieu, 2012, 402 p.
  • Poétique de la Terre. Histoire naturelle et histoire humaine, essai de mésologie, Paris, Belin, 2014, 237 p.
  • La mésologie, pourquoi et pour quoi faire ?, Nanterre La Défense, Presses universitaires de Paris Ouest, 2014, 77 p.
  • (et al.) Le Lien au lieu, Bastia, Éditions Éoliennes, 2014, 304 p.
  • Formes empreintes, formes matrices, Asie orientale, Franciscopolis éditions, Les presses du réel (ISBN 978-2-9544208-5-1), 2015, 63 p.
  • La Pensée paysagère (nouvelle édition), Bastia, Éditions Éoliennes, 2016, 128 p.
  • Là, sur les bords de l'Yvette – Dialogues mésologiques, Bastia, Éditions Éoliennes, 2017, 120 p.
  • Glossaire de mésologie, Bastia, Éditions Éoliennes, 2018, 48 p.
  • Descendre des étoiles, monter de la Terre – La Trajection de l’architecture, Bastia, Éditions Éoliennes, 2019, 80 p.
  • (avec le concours de Romaric Jannel, traduction et commentaire de) Yamauchi Tokuryû, Logos et Lemme. Pensée occidentale, pensée orientale, Paris, Éditions du CNRS, 2020, 498 p.

Notes et références

  1. Comment je suis devenu géographe, Le cavalier bleu (ISBN 978-2-84670-177-8), p43
  2. « 活動内容 - 日本文化デザインフォーラム - JAPAN inter-design forum », sur www.jidf.net (consulté le ).
  3. (ja) « 大阪府/これまでの山片蟠桃賞受賞者 », sur www.pref.osaka.lg.jp (consulté le ).
  4. « Augustin Berque | CNRS », sur www.cnrs.fr (consulté le ).
  5. « Prize2006 », sur www.aij.or.jp (consulté le ).
  6. Fukuoka Prize, « Prix de la culture asiatique de Fukuoka », sur fukuoka-prize.org/en/, (consulté le ).
  7. Japan Foundation, « Prix de la fondation du Japon », sur jpf.go.jp/e/index.html, (consulté le ).
  8. NIHU, « Prix du National Institutes for the Humanities », sur nihu.jp/e/index.html, (consulté le ).
  9. Université Laval, « Docteur honoris causa de l'Université Laval », sur ggr.ulaval.ca/index.php?id=26, (consulté le ).
  10. Le Dies academicus 2017 aura lieu vendredi 2 juin, Université de Lausanne (page consultée le 29 mai 2017).
  11. « Expo '90 Foundation », sur www.expo-cosmos.or.jp (consulté le ).
  12. Watsuji Tetsurô (trad. Augustin Berque), Fûdo. Le milieu humain, Paris, Éditions du CNRS, , 330 p..
  13. Augustin Berque, Médiance, de milieux en paysages, Paris, Belin/Reclus, 2000 (1re ed. 1990), 161 p..
  14. Augustin Berque, Le Sauvage et l'artifice, les Japonais devant la nature, Paris, Gallimard, 1997 (1re éd. 1986), 314 p. (ISBN 978-2-07-070677-8).
  15. Augustin Berque, Écoumène, introduction à l'étude des milieux humains, Paris, Belin, .
  16. Augustin Berque, Histoire de l’habitat ideal. De l’Orient vers l’Occident, Paris, Le Félin, , 399 p. (ISBN 978-2-86645-739-6).
  17. Augustin Berque, Poétique de la Terre. Histoire naturelle et histoire humaine, essai de mésologie, Paris, Belin, , 237 p. (ISBN 978-2-7011-9006-8).
  18. Augustin Berque, Être humains sur la Terre, principes d'éthique de l'écoumène, Paris, Gallimard, , 212 p. (ISBN 978-2-07-074549-4), pages 77-78.
  19. Augustin Berque, La mésologie, pourquoi et pour quoi faire ?, Nanterre La Défense, Presses universitaires de Paris Ouest, , 77 p. (ISBN 978-2-84016-188-2), pages 31-37.
  20. Augustin Berque, La mésologie, pourquoi et pour quoi faire ?, Nanterre La Défense, Presses universitaires de Paris Ouest, , 77 p., pages 39-46.
  21. Augustin Berque, La mésologie, pourquoi et pour quoi faire ?, Nanterre La Défense, Presses universitaires de Paris Ouest, , 77 p. (ISBN 978-2-84016-188-2), pages 57-66.

Voir aussi

Bibliographie

  • Sylvain Allemand (dir.), « Augustin Berque », in Comment je suis devenu géographe, Le Cavalier Bleu, Paris, 2007 (ISBN 978-2846701778)

Liens externes

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