Attaque de Lemera

La bataille de Lemera, suivie par le massacre de Lemera, est un évènement qui a eu lieu le au Zaïre. Soutenus par le Rwanda, les rebelles Banyamulenge attaquent la ville de Lemera. Ils massacrent ensuite les occupants de l'hôpital de la ville, géré par le futur prix Nobel de la paix Denis Mukwege. Cet événement marque le début de la première guerre du Congo, qui opposera l'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo de Laurent-Désiré Kabila au régime de Mobutu Sese Seko.

Attaque de Lemera

Informations générales
Date
Lieu Lemera, Kivu, Zaïre
Issue Victoire Banyamulenge
Belligérants
ZaïreBanyamulenge
Rwanda
Forces en présence
Une centaine d'hommesUne centaine d'hommes
Pertes
39 malades et civils tués

Première guerre du Congo

Contexte

Denis Mukwege (ici en 2009) dirigeait l'hôpital en 1996.

En 1994, le Front patriotique rwandais prend le pouvoir au Rwanda en mettant fin au génocide des Tutsi par les Hutu[1]. Au printemps 1996, les miliciens hutu Interahamwe réfugiés au Zaïre chassent de la région des milliers de Banyamulenge[2], nom désignant en fait toute personne assimilée aux Tutsi[3]. Les exilés rwandais souhaitent lancer des raids sur le Rwanda[2].

À partir de cette date, des infiltrations des soldats de l'armée patriotique rwandaise (APR) sont signalées dans la région, tandis que des milices Banyamulenge se constituent. Le , des éléments des forces armées zaïroises (FAZ) ripostent à une attaque d'« éléments non identifiés » à Lemera[4].

L'hôpital de Lemera est le plus grand hôpital du Kivu. Dirigé par le docteur Denis Mukwege, il compte 230 lits et un bon équipement. De par sa proximité avec les combats, il accueille trois cents malades[5], dont des soldats des FAZ et des miliciens Hutu[6]. Des combattants revenus du Burundi y sont notamment soignés[5]. À cause de l'insécurité, l'hôpital a demandé à être protégé par les FAZ. Une compagnie d'une centaine d'hommes a été envoyée sur la base de Kidoti, à trois kilomètres de l'hôpital[6].

Bataille

Le , les troupes Banyamulenge et de l'APR entrent au Zaïre en franchissant la Rusizi. Des combattants s'infiltent dans le village[7]. L'assaut démarre le au matin[5] après un tir de mortier sur la base zaïroise. Coordonnée par des talkie-walkie, l'attaque est lancée depuis plusieurs directions mais une voie de repli est volontairement laissée aux FAZ[7]. Les deux camps subissent des pertes[5] mais après quelques heures de combat, le lieutenant-colonel Urom Doge Ukongo[réf. nécessaire] des FAZ est tué et ses troupes fuient vers Uvira, au sud[7]. Une centaine d'assaillants attaquent ensuite l'hôpital[8].

[Our ennemies] were stunned by the effectiveness of the Rwandan and the Rwandan-trained troops.

 Paul Kagame, ministre de la défense et vice-président rwandais, interview, juillet 1997[9]

« [Nos ennemis] ont été stupéfiés par l'efficacité des Rwandais et des troupes entraînées par les Rwandais. »

 interview, juillet 1997[9]

Dans leur repli, les soldats zaïrois, sans solde depuis plusieurs mois, pillent les populations qu'ils croisent. De nombreux pilleurs des FAZ sont ainsi tués par les Bembe du territoire de Fizi, pourtant des ennemis acharnés des Tutsis[7].

Massacres

À l'hôpital, 34 patients[10], majoritairement des soldats des FAZ, sont tués sur le sol en tentant de s'échapper ou dans leurs lits, achevés par balles ou à l'arme blanche[11]. Trois infirmières, Kadaguza, Simbi et Maganya sont également massacrées. Les autres malades ont pu s'échapper[5].

Les corps d'autres soldats des FAZ sont trouvés près de la paroisse catholique[11]. Deux prêtres catholiques sont également assassinés. L'abbé Koko est abattu immédiatement tandis que l'abbé Ndogole est emmené dans les montagnes avant d'être tué[5].

Le docteur Denis Mukwege est alors absent. Malgré ses demandes de lutter contre l'impunité et bien que le massacre soit documenté, ses auteurs n'ont jamais été poursuivis[12]. Selon le politologue Filip Reyntjens, les Banyamulenge et l'AFDL ne sont pas les principaux responsables du massacre mais bien l'APR[13].

« Quand j'avais parlé avec l'ancien représentant spécial des Nations Unies, je pensais que ça allait l'émouvoir, j'attendais une réaction mais vingt ans après il n'y a pas eu de réaction. [...] C'est comme si on était complètement oubliés. »

 Denis Mukwege, Interview avec RFI, 2016[12]

Conséquences

Déclenchement de la guerre au Zaïre

Le , le vice-gouverneur du Sud-Kivu déclare les Banyamulenge hors-la-loi, leur donnant deux semaines pour quitter le Zaïre. Le , une importante colonne rebelle entre au Zaïre depuis le Rwanda en passant par le Burundi. Le , la ville d'Uvira, chef-lieu de la chefferie-collectivité du peuple Bavira, est prise, puis Bukavu, capitale du Sud-Kivu, tombe le [14]. La progression des rebelles ne s'arrêtera que lorsque tout le Zaïre aura été conquis par Laurent-Désiré Kabila[15].

Le protocle de Lemera

Le , l'alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo, AFDL, est officiellement fondée par le protocole de Lemera entre Déogratias Bugera (sv), André Kisase Ngandu, Anselme Masasu Nindanga et Laurent-Désiré Kabila[16]. La réunion n'a en fait pas eu lieu à Lemera mais dans un hôtel à Gisenyi, au Rwanda[17].

Notes et références

  1. O'Ballance 2000, p. 156.
  2. O'Ballance 2000, p. 164.
  3. Kennes 1998, p. 6.
  4. Prunier 2009, p. 70.
  5. Loin des regards de la communauté internationale : Violations des droits de l’homme dans L’Est du Zaïre, Amnesty International, (lire en ligne), p. 3
  6. Stearns 2012, p. 132.
  7. (en) John Pomfret, « In Congo, revenge became rebellion », The Washington Post, (lire en ligne)
  8. Zaïre : Violentes persécutions perpétrées par l’État et les groupes armés, Amnesty International, (lire en ligne), p. 6
  9. (en) John Pomfret, « Rwandans Led Revolt In Congo », The Washington Post, , A1 (lire en ligne)
  10. Prunier 2009, p. 71.
  11. Stearns 2012, p. 133.
  12. Rolley 2016
  13. Reyntjens 2009, p. 98.
  14. Cooper 2013, p. 38.
  15. O'Ballance 2000, p. 175.
  16. Prunier 2009, p. 113.
  17. Willame 1999, p. 15-49.

Bibliographie

 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • (en) Tom Cooper, Great Lakes Holocaust : First Congo War, 1996-1997, Helion & Company, coll. « Africa@War » (no 13), , 72 p. (ISBN 978-1-909384-65-1, présentation en ligne)
  • Erik Kennes, La guerre du Congo, , 28 p. (lire en ligne)
  • (en) Edgar O'Ballance (en), The Congo-Zaire experience, 1960-98, Houndmills, Basingstoke, Hampshire, Palgrave Macmillan, (ISBN 978-1-349-41119-1, DOI 10.1057/9780230286481)
  • (en) Gérard Prunier, Africa’s world war. Congo, the Rwandan genocide, and the making of a continental catastrophe, Oxford/New York, Oxford University Press, , 529 p. (ISBN 978-0-19-537420-9), p. 6
  • (en) Filip Reyntjens, The Great African War Congo and Regional Geopolitics, 1996–2006, Cambridge, Cambridge University Press, , 327 p. (ISBN 978-0-521-11128-7, notice BnF no FRBNF42194243, lire en ligne)
  • (en) Jason Stearns, Dancing in the Glory of Monsters : The Collapse of the Congo and the Great War of Africa, PublicAffairs, , 416 p. (ISBN 978-1-61039-107-8, lire en ligne)
  • (en) William G. Thom, « Congo-Zaire's 1996-97 Civil War in the Context of Evolving Patterns of Military Conflict in Africa in the Era of Independence », Journal of Conflict Studies, vol. 19, no 2, (ISSN 1715-5673, lire en ligne)
  • Jean-Claude Willame, L'odyssée Kabila. Trajectoire pour un Congo nouveau, Paris, Editions Karthala, coll. « Les Afriques », (lire en ligne), « Les origines d’une anabase »

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