Article 55 de la Constitution de la Cinquième République française

L'article 55 de la Constitution de la Cinquième République française définit la place des traités et accords internationaux dans la hiérarchie des normes en France.

Texte

« Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie. »

 Article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958[1]

Origine

L'article reprend, en les fusionnant, les articles 26 et 28 de la Constitution de 1946. Il traduit également la disposition de son préambule selon laquelle la France « se conforme aux règles du droit public international »[2].

Contenu

L'article 55 consacre la supériorité hiérarchique des conventions internationales sur les lois. En se basant sur l'article 54 de la Constitution et sur cet article-ci, les conventions internationales sont supra-législatives mais infra-constitutionnelles. La Constitution demeure au sommet de la hiérarchie des normes.

Le Conseil d'État a ainsi indiqué dans son arrêt Sarran et Levacher du  : « Considérant que [...] l'article 55 de la Constitution dispose que [...] la suprématie [...] conférée aux engagements internationaux ne s'applique pas, dans l'ordre interne, aux dispositions de nature constitutionnelle »[3]. Cette jurisprudence est confirmée par la Cour de cassation dans son arrêt Fraisse du .

Application

Le refus du Conseil constitutionnel de contrôler la conventionnalité des lois

Si ce traité introduit la supériorité des conventions internationales sur les lois, le Conseil constitutionnel a refusé de procéder au contrôle de conventionnalité (c'est-à-dire le contrôle d'une loi par rapport à un traité international) dans sa décision n° 74-54 DC du dite « IVG »[4]. Le Conseil constitutionnel justifie cette position pour deux raisons. Tout d'abord, il rappelle qu'il ne dispose que d'une compétence d'attribution, découlant des dispositions de la Constitution et qu'il ne peut procéder à un contrôle non prévu par celle-ci (« Considérant que l'article 61 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision identique à celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois déférées à son examen »[4]). Il ne peut donc pas s'appuyer sur l'article 61 pour contrôler la conventionnalité d'une loi car cette possibilité n'est pas explicitement prévue. Ensuite, il rappelle que le contrôle de constitutionnalité des lois auquel il procède en vertu de l'article 61 est un contrôle général et absolu. Une loi ne saurait être contraire à la Constitution, quelles que soient les circonstances. Or, l'autorité des conventions internationales sur les lois est relative et contingente. Elle dépend de l'application réciproque par l'autre partie. Si celle-ci ne respecte pas les stipulations d'une convention internationale, la ou les autre(s) partie(s) ne sont pas tenue(s) de les respecter :

« Considérant, en effet, que les décisions prises en application de l'article 61 de la Constitution revêtent un caractère absolu et définitif, ainsi qu'il résulte de l'article 62 qui fait obstacle à la promulgation et à la mise en application de toute disposition déclarée inconstitutionnelle ; qu'au contraire, la supériorité des traités sur les lois, dont le principe est posé à l'article 55 précité, présente un caractère à la fois relatif et contingent, tenant, d'une part, à ce qu'elle est limitée au champ d'application du traité et, d'autre part, à ce qu'elle est subordonnée à une condition de réciprocité dont la réalisation peut varier selon le comportement du ou des États signataires du traité et le moment où doit s'apprécier le respect de cette condition »[4].

Par-là, le Conseil constitutionnel en déduit qu'une loi contraire à un traité international n'est pas nécessairement contraire à la Constitution, ce qui implique qu'« il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, lorsqu'il est saisi en application de l'article 61 de la Constitution, d'examiner la conformité d'une loi aux stipulations d'un traité ou d'un accord international »[4].

Toutefois, si le Conseil constitutionnel refuse d'étudier la conformité d'une loi à un traité international, il vérifie qu'une loi ne méconnaît pas directement l'article 55, par exemple en restreignant son champ d'application. Ainsi, dans sa décision n°86-216 DC du , il censure une disposition qui considère que l'article 55 ne s'applique pas aux traités et engagements internationaux non soumis à la ratification (voir l'article 53 de la Constitution pour les traités et engagements internationaux soumis ou non à la ratification)[5].

Le contrôle de conventionnalité des lois par les juridictions ordinaires

Dès lors, ce sont les juridictions de droit commun qui se sont saisies de la question du contrôle de conventionnalité. La Cour de cassation a accepté de mener un tel contrôle dès le avec l'arrêt Jacques Vabre. Toutefois, le Conseil d'État, la cour suprême de l'ordre administratif en France a rejeté cette possibilité, s'appuyant sur la jurisprudence dégagée dans l'arrêt Syndicat général des fabricants de semoule de France rendu le . Néanmoins, le Conseil constitutionnel ne remet pas en cause sa décision « IVG » et, dans le cadre de son office de juge électoral, dans lequel il statue en tant que juge administratif, il effectue un contrôle de conventionnalité d'une loi (décision n° 88-1082/1117 AN du [6]), ce qui isole le Conseil d'État et conduit à une différence de situation difficilement acceptable en fonction du juge saisi[7]. Finalement, la haute juridiction administrative accepte de revenir sur sa jurisprudence dans son arrêt Nicolo du [8]. Il convient de préciser que les deux juridictions acceptaient déjà de contrôler la conventionnalité d'une loi antérieure à une convention internationale, la difficulté résidait en matière de lois postérieures à une convention.

Il convient de préciser que le contrôle de conventionnalité des lois en matière de conventions fiscales est particulier. En effet, conformément au principe de la subsidiarité des conventions fiscales, quand une mesure interne est susceptible d'être contraire à de telles conventions, il convient d'abord, pour le juge, de s'intéresser à la compatibilité entre cette mesure et la loi interne. Si ces deux normes sont compatibles, alors le juge accepte de contrôler la conventionnalité de la loi par rapport à la convention fiscale. En définitive, les règles de droit interne ont la priorité sur les règles conventionnelles tout en ne primant pas sur ces dernières[9]. Ce principe a été appliqué par le Conseil d'État sans son arrêt Schneider Electric de 2002 :

« Considérant que si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition ; que, par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification ; qu'il lui appartient ensuite, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer - en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de déterminer le champ d'application de la loi, d'office - si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale »[10].

Le contrôle de la conventionnalité des lois par rapport aux conventions a aussi soulevé le problème de l'interprétation de ces derniers. Longtemps, le juge a procédé à une question préjudicielle au ministère des Affaires étrangères en cas de doute sur le sens des stipulations du traité. Cela signifie qu'il demandait au ministère de lui indiquer quel sens il fallait adopter, en vertu du fait qu'étant chargé des négociations des traités, il était censé être le mieux informé. Toutefois, les deux ordres de juridiction sont revenus sur cette jurisprudence avec l'arrêt GISTI de 1990 du Conseil d'État et l'arrêt Banque africaine de développement de 1995 de la Cour de cassation. Dans le même ordre d'idées, le juge accepte aussi de contrôler la réalité de l'application par la ou les autre(s) partie(s), tout en se réservant la possibilité de demander l'avis du ministère des Affaires étrangères (Conseil d'État, 2011, Cherriet et Benseghir).

Notes et références

  1. Article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, sur Légifrance
  2. France., Guillaume, Marc, 1964- ..., Vedel, Georges, 1910-2002. et Normandie roto impr.), La Constitution, Éditions Points, dl 2019 (ISBN 978-2-7578-7976-4 et 2-7578-7976-6, OCLC 1122841782, lire en ligne)
  3. « Conseil d'État, Assemblée, du 30 octobre 1998, 200286 200287, publié au recueil Lebon », Légifrance (consulté le )
  4. « Décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975 », Conseil constitutionnel (consulté le )
  5. « Décision n° 86-216 DC du 03 septembre 1986 », Conseil constitutionnel (consulté le )
  6. « décision n° 88-1082/1117 AN du 21 octobre 1988 », Conseil constitutionnel (consulté le )
  7. Long et al. 2013, p. 658
  8. « Conseil d'État, Assemblée, du 20 octobre 1989, 108243, publié au recueil Lebon », Légifrance (consulté le )
  9. Alexandra Clouté, « Le principe de subsidiarité des conventions fiscales internationales », École de droit de la Sorbonne (consulté le )
  10. « Conseil d'État, Assemblée, du 28 juin 2002, 232276, publié au recueil Lebon », Légifrance (consulté le )

Articles connexes

Bibliographie

M. Long, P. Weil, G. Braibant, P. Delvolvé et B. Genevois, Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, Paris, Dalloz, , 1033 p. (ISBN 978-2-247-12748-1, notice BnF no FRBNF43660972)

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