Araignée ichtyophage

Les araignées piscivores ou araignées ichtyophages sont celles qui se nourrissent de petits poissons ou de larves ou alevins de gros poissons (elles consomment aussi des proies aquatiques de taille équivalente et notamment des têtards ou de petites grenouilles)[2]. Elles sont considérées comme « semi-aquatiques »[1].

Pour les articles homonymes, voir Araignée aquatique.
Dolomedes triton est l'« araignée pêcheuse » la plus souvent observée en train de capturer ou manger de petits poissons[1]
Araignée semi-aquatique (Dolomedes plantarius) en train de manger une épinoche (photo prise dans une tourbière anglaise d'une réserve naturelle "Redgrave and Lopham Fen National Nature Reserve" dans l'East Anglia)

À titre d'exemple, l'araignée Dolomedes triton, très à l'aise sur l'eau[3], peut capturer un poisson deux fois plus grand qu'elle en un instant.

La plupart de ces araignées « prédatrices de poissons » sont associées aux zones humides et vivent en zone tropicale, peut-être (selon Nyffeler) car l'eau plus chaude y contient moins d'oxygène, surtout la nuit où la photosynthèse n'agit plus, ce qui oblige les poissons à remonter en surface où les araignées peuvent alors plus facilement les détecter et les saisir[2].

Histoire

Localisaton dans le monde des observations d'araignées ichtyophages photographiées en train de capturer ou manger de petits poissons[1] (en 2014)
A En zone marécageuse (réserve faunique de Cuyabeno, Équateur), cette Araignée adulte Ancylometes (sans doute Ancylometes rufus) a capturé un poisson-chat (probablement de la famille des Pimelodidae) bien plus lourd qu'elle
B Araignée Ctenidae (Ancylometes. sp) se nourrissant sur un characiforme (région de la rivière de Tahuayo - Conservacion Regional Communal Tamshiyacu-Tahuayo Loreto ; Pérou
C Adulte mâle d' Ancylometes sp. (peut-être Ancylometes rufus ) ayant capturé un characiforme (Cyphocharax.sp ) près de Samona Lodge, (Réserve faunique de Cuyabeno, Équateur), photo de Ed Germain, Sydney, Australie.
D Adulte d'Ancylometes sp. portant un poisson characiforme (près de Samona Lodge)

On a récemment (2014) montré qu'elles étaient plus communes que ne l'avaient imaginé les biologistes[2] ; en Nouvelle-Zélande, les espèces les plus observées par Williams (1979) en train de manger des poissons appartiennent au genre Dolomedes [4] notamment en Europe où ces espèces sont présentes[5],[6] mais localement disparues, rares ou menacées[7],[8]

Les espèces arachnides piscivores ont longtemps été méconnues, mais au début du XXe siècle quelques naturalistes (comme Gudger en 1922[9], 1925[10], 1931[11] ou Abraham (1923)[12] ou encore Berland & Pellegrin 1934)[13] s'intéressent aux araignées qui capturent des vertébrés (dont poissons, souvent)[14], dont aux araignées-pêcheurs. On a longtemps cru qu'il y en avaient peu, mais on sait aujourd'hui qu'il en existe au moins 26 espèces, que les biologistes ont trouvé sur tous les continents hormis l'Antarctique[2].

L'attention de l'arachnologiste suisse Martin Nyffeler de l'université de Bâle (Suisse) qui avait commencé à étudier les signalements inhabituels de comportements alimentaires (relatifs par exemple à des araignées mangeant des chauve-souris ou des escargots) a été attiré par le fait qu'il existait sur Google Images des photographies montrant clairement des araignées en train de manger des poissons (en bordure de torrents, rivières, lacs mares, marais et tourbières), plus fréquentes que ce que signalait la littérature scientifique qui ne signalait que quelques araignées piscivores principalement dans le genre Dolomedes et dans un genre apparenté (Nilus), vivant en Amérique du Nord, en Europe, en Nouvelle-Zélande, et en Australie, où on les nomme notamment araignées de mer et araignées-radeau parce que vivant à proximité de l'eau douce ou salée et pouvant marcher sur la surface de l'eau grâce à ces poils emprisonnent de l'air et leur permettant de flotter ou de respirer quand elles s'enfoncent sous l'eau ou y sont provisoirement emportées par leur proie.

Après avoir étudié 89 rapports ou signalements d'araignées sauvages observées en train de chasser ou consommer de petits poissons (les poissons étaient souvent des Gambusia spp. dans le Sud-Est des États-Unis, ou des poissons de l'ordre des Characiformes dans les néotropiques, des killies (Aphyosemion spp. en Afrique centrale et de l'Ouest ou encore des espèces endémiques d'Australie, des genres Galaxias, Melanotaenia, et Pseudomugil). Certains de ces phénomènes de prédation ne sont connus que grâce à des photos partagées en ligne par leurs auteurs. Nyffeler et ses collègues ont ainsi découvert qu'au moins huit familles d'araignées comprennent des espèces s'attaquant (à l'état sauvage) à des poissons.

Éthologie ; Comportement de chasse

La chasse se fait « à l'affût » en bordure de l'eau ou à partir d'un objet flottant. L'araignée repose sur quatre pattes sur le substrat dur et pose les quatre autres sur l'eau pour détecter les vibrations[2],[15].

L'araignée saisit rapidement sa proie, et lui injecte une dose mortelle de venin. Elle le traine ensuite dans un endroit où durant plusieurs heures elle pourra aspirer la chair liquéfiée de sa proie, lysée par les enzymes digestives qu'elle lui aura injecté[2].

Impacts trophiques et écosystémiques

Aspects quantitatifs

Les sources scientifiques signalent des poissons mesurant 2 à cm[1] (selon les signalements disponibles en 2014) pesant jusqu'à 9 grammes, mais les plus grandes de ces araignées pourraient théoriquement attraper des proies atteignant 30 grammes[2]. Selon un article récemment publié dans PLoS ONE, des araignées du genre Ancylometes peuvent atteindre une largeur de 20 centimètres (pattes écartées) et plonger jusqu'à 20 minutes. Elles ont été trouvées de nuit au bords d'étangs d'Amérique du Sud et capturent aussi des grenouilles, des têtards et des lézards, comportement souvent documenté par des photographes amateurs, mais qui n'avait pas ou peu été étudié par les scientifiques.

Aspects qualitatifs

Ils intéressent notamment les arachnologistes et les écologues qui cherchent à mieux comprendre le rôle des araignées dans les réseaux trophiques et les réseaux écologiques[16], dont à l'université de l'Illinois (Chicago), qui appellent à un travail complémentaire de confirmation[2] et exploration (car à ce jour le genre Dolomedes représente environ 80 % des observations trouvées sur l'Internet via Google Image).

On ignore encore dans quelle mesure les poissons malades, blessés ou affaiblis risquent plus d'être ainsi capturés et si ce comportement prédateur joue un rôle en matière de sélection naturelle, mais certaines araignées sont localement des prédatrices importantes du neuston.

Selon l'ichtyologiste Richard Vari[17] « Étant donné le grand nombre de poissons dans la plupart des plans d'eau », on peut douter « que la prédation ait beaucoup d'impact sur les populations de poissons »[2], mais en augmentant la pression d'observation et de recherche sur le sujet, on découvrira sans doute encore d'autres espèces s'alimentant de la sorte en identifiant mieux les habitats et les régions du monde concernés[2].

Espèces d'araignées concernées

Quelques exemples d'araignées semi-aquatiques ichtyophages ;
A Dolomedes triton capturant un poisson du genre Gambusia (mare, Floride)
B Dolomedes triton capturant un poisson (Gambusia holbrooki probablement) dans une mare de jardin(Floride)
C Dolomedes triton mangeant un petit killie (Heterandria formosa ?) (lac Tsala Apopka, Floride)
D Dolomedes triton mangeant un poisson (Gambusia holbrooki ?, dans une mare de jardin (Floride)
E Dolomedes triton mangeant un poisson (Gambusia holbrooki ?) au bord d'un ruisseau lent près de Fayetteville (Caroline du Nord);
F Dolomedes okefinokensis mangeant un poisson (Gambusia holbrooki ?, marais du Big Cypress National Preserve, Floride)

Dans le milieu naturel, on en a identifié en 2014

  • une douzaine d'espèces de la superfamille Lycosoidea appartenant aux familles Pisauridae, Trechaleidae, et Lycosidae)
  • deux espèces de la superfamille Ctenoidea, toutes deux appartenant à la famille des Ctenidae,
  • une espèce de la superfamille Corinnoidea (famille Liocranidae).

Les signalements les plus fréquents (plus de 75 % des cas) concernaient des araignées pisaurides des genres Dolomedes et Nilus.

En laboratoire, d'autres cas ont été observés, dont avec

On connaît aussi une araignée tropicale (Pisauridae) mangeuse de crevettes[19].

Notes et références

  1. Martin Nyffeler & Bradley J. Pusey (2014) Fish Predation by Semi-Aquatic Spiders: A Global Pattern ; Plos One, 2014-06-18 ; DOI:10.1371/journal.pone.0099459, publié en licence cc-by-sa 4.0, version en ligne
  2. Skwarecki B (2014) Fish-eating spiders more common than thought ; Latest news, Science, 18 juin 2014
  3. Suter RB, Rosenberg O, Loeb S, Wildman H, Long JH (1997) Locomotion on the water surface: propulsive mechanisms of the fisher spider Dolomedes triton. J Exp Biol 200: 2523–2538.
  4. Williams DS (1979) The feeding behaviour of New Zealand Dolomedes species (Araneae:. Pisauridae). New Zeal J Zool 6: 95–105. doi: 10.1080/03014223.1979.10428352
  5. Duffey E (1995) The distribution, status and habitats of Dolomedes fimbriatus (Clerk) and D. plantarius (Clerk) in Europe. In: Ružicka V, editor. Proceedings of the 15th European Colloquium of Arachnology, Ceské Budejovice. pp. 54–65.
  6. Helsdingen PJ van (1993) Ecology and distribution of Dolomedes in Europe (Araneida: Dolomedidae). Boll Acc Gioenia Sci Nat 26: 181–187.
  7. Smith H (2000) The status and conservation of the fen raft spider (Dolomedes plantarius) at Redgrave and Lopham Fen National Nature Reserve, England. Biol Conserv 95: 153–164. doi: 10.1016/s0006-3207(00)00030-6
  8. Leroy B, Paschetta M, Canard A, Bakkenes M, Isaia M, et al. (2013) First assessment of effects of global change on threatened spiders: Potential impacts on Dolomedes plantarius (Clerck) and its conservation plans. Biol Conserv 162: 155–163. doi: 10.1016/j.biocon.2013.03.022
  9. Gudger WE (1922) Spiders as fishermen. J Am Mus Nat Hist 22: 565–568.
  10. Gudger WE (1925) Spiders as fishermen and hunters. J Am Mus Nat Hist 25: 261–275
  11. Gudger WE (1931) Some more spider fishermen. Nat Hist 31: 58–61.
  12. Abraham N (1923) Observations on fish and frog-eating spiders of Natal. Ann Natal Mus 5: 89–95
  13. Berland L, Pellegrin J (1934) Sur une araignée pêcheuse de poissons. B Soc Zool Fr 59: 210–212.
  14. Bleckmann H, Lotz T (1987) The vertebrate-catching behaviour of the fishing spider Dolomedes triton (Araneae, Pisauridae). Anim Behav 35: 641–651. doi: 10.1016/s0003-3472(87)80100-8
  15. Bleckmann H (1988) Prey identification and prey localization in surface-feeding fish and fishing spiders. In: Atema J, Fay RR, Popper AN, Tavolga WN, editors. In sensory biology of aquatic animals. New York: Springer-Verlag. pp. 619–641.
  16. Wise DH (1993) Spiders in ecological webs. Cambridge, UK: Cambridge University Press. 328 p.
  17. Ichtyologiste à la Smithsonian Institution à Washington
  18. Seymour RS, Hetz SK (2011) The diving bell and the spider: the physical gill of Argyroneta aquatica. J Exp Biol 214: 2175–2181. doi: 10.1242/jeb.056093
  19. Berkum FH van (1982) Natural history of a tropical, shrimp-eating spider (Pisauridae). J Arachnol 10: 117–121

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

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