Apprentissage implicite

Selon Pierre Perruchet (1988), l'apprentissage implicite repose sur l'intuition selon laquelle les structures qui orientent nos conduites les plus complexes n'ont jamais fait l'objet d'une prise de conscience explicite[1]. Un individu aurait la capacité d'apprendre sans en avoir conscience. Perruchet (1988) prend l'exemple du petit humain qui apprend à marcher sans s'en rendre compte.

Pour amorcer cet apprentissage implicite, voici une méta-analyse de recherches scientifiques menée par Cofer (1967); Jacoby et Dallas (1981) ; Tuling, Schacter et Stark (1982), dont Perruchet fait état dans son article. Ces études portent sur l'identification d'items, le sujet prend connaissance d'une liste (par exemple une liste de mot) dont il doit identifier les items après un intervalle variable. On parle d'apprentissage implicite car durant la présentation de la liste, l'expérimentateur ne dit pas au sujet qu'il va devoir s'en souvenir. Le sujet le fait tout seul et inconsciemment.

Rôles de l'attention et de l'intention

L'apprentissage et la mémoire sont liés, car l'apprentissage est la première étape du processus de mémoire qu'on appelle l'encodage. En psychologie cognitive on considère que la façon dont une information est encodée peut fortement influencer l'accès ultérieur à cette information. De nombreux facteurs influencent l'encodage comme par exemple : l'attention, la volonté de mémorisation (intention), la répétition et la profondeur de traitement. Le facteur de l'intention va donner lieu à deux formes d'encodage : l'encodage incident aussi appelé apprentissage implicite et l'encodage intentionnel soit l'apprentissage explicite. La profondeur de traitement est un facteur déterminant concernant le type d'encodage, elle est directement en lien avec l'intention.

Concernant l'attention et l'intention, Pacton et Perruchet (2004) soulignent l'importance de les distinguer. Cette distinction constitue une des caractéristiques permettant de différencier les deux apprentissages, implicite ou explicite[2].

Différents types d'apprentissages implicites et points communs

Selon Bernard Lété, l'apprentissage implicite est la capacité d'apprentissage sans conscience. Nous acquérons de nouvelles connaissances sans avoir l'intention de le faire et sans qu'il nous soit possible de les exprimer verbalement[3]. Voici quelques exemples d'apprentissage implicite : stéréotypes, normes sociales, connaissances sur le monde, comportements moteurs, musiques tonales, l'apprentissage statistique de l'écrit. Les chercheurs ont mis en évidence des points communs à ces apprentissages implicites. Premièrement, ce sont des situations gouvernées par des règles complexes, également on ne possède pas d'information sur ce qui constitue une erreur et enfin il nous est difficile d'expliquer ces connaissances comme dire comment on les a acquises par exemple.

L'apprentissage statistique de l'écrit est un type particulier d'apprentissage implicite étudié par de nombreux chercheurs, notamment Bernard Lété qui le définit comme un apprentissage non renseigné, pour lequel on considère que l'apprenant s'ajuste aux régularités statistiques des évènements linguistiques (Ex : répétition, fréquence de mot) auxquels il est confronté grâce à des processus associatifs élémentaires[4]. Pour donner un exemple, il fait état de l'étude de Pacton, Fayol et Perruchet (2002) avec des enfants et des jeunes adultes francophones. Ils présentaient une suite de syllabe à l'oral "Byvelo" en leur demandant de l'écrire de la façon la plus naturelle. Les résultats ont révélé que le son /vo/ était en général plus transcrit en "veau".

Régularité statistique

Une étude de Kermiloff et Smith (1979) démontre plus précisément ce qu'est l'apprentissage implicite :

Avant propos des auteurs : En Français, il n'existe pas de règle pour catégoriser le genre des noms, mais certaines terminaisons sont associées à un genre en particulier. Dans cette étude il est question de la terminaison "ment" qui est associée à 99% au genre masculin. Les auteurs vont présenter deux figurines identiques à des enfants, qu'elles présentent comme des "maudiments" (mots fictifs). Il est à souligner que durant la présentation, les auteurs ne précisent pas de pronom personnel devant le mot "maudiment". La tâche demandée aux enfants est d'utiliser ce mot pour décrire une situation, une histoire concernant les deux figurines. Les résultats montrent que dès 3 ans, les enfants sont sensibles à la régularité des marques du genre en français. Une grande majorité des enfants ont utilisé le pronom personnel "le" pour désigner le mot "maudiment". On parle d'apprentissage implicite car dès trois ans, les enfants ont la connaissance que "ment" est plutôt associé au genre masculin alors que ce n'est pas une règle de français qu'on aurait pu leur enseigner.

Caractéristiques de l'apprentissage implicite

Selon les auteurs et les études scientifiques menées au fil des années, on peut donner quelques caractéristiques à l'apprentissage implicite pour le décrire. Il est inaccessible à la conscience, les informations résultant d'un encodage incident, sont stockées de manière non supervisé, il résiste à l'oubli, l'attention portée au matériel est essentiel, il reste robuste même pour les patients amnésiques[4].

Pour démontrer ce dernier point, on peut se référer à l'étude de Moussard, Bigand, Clément, Samson, (2009) "Préservation des apprentissages implicite en musique dans le vieillissement normal et la maladie d'Alzheimer". Les patients devaient effectuer deux tâches d'apprentissages implicites ( Catégorisation et segmentation de flux) ainsi qu'une tâche d'apprentissage explicite. Il y avait 5 groupes pour un total de 40 patients. Le premier groupe est constitué de 15 étudiants (M.A = 20 ans), le second groupe est constitué de 9 personnes âgées en vieillissement normal de 80 à 86 ans, le troisième groupe est constitué de 8 personnes âgées en vieillissement normal de 90 à 96 ans, le quatrième groupe est composé de 5 personnes âgées atteint de maladie d'Alzheimer avec un stade léger (M.A = 81 ans) et le dernier groupe composé de 7 personnes âgées atteint de la maladie d'Alzheimer avec un stade modéré (M.A = 84 ans). Les résultats démontrent que concernant les tâches d'apprentissages implicites, il n'y a aucune différences significatives entre les groupes. En revanche, pour la tâche d'apprentissage explicite le groupe 3 et le groupe 5 ont connu de grandes difficultés. De plus, on observe que le groupe 1 a des performances plus élevées que les autres groupes. Les auteurs concluent donc que les apprentissages implicites résistent aux pathologies, à l'amnésie mais aussi au vieillissement normal[5].

Il y a un consensus autre les auteurs pour définir l'apprentissage implicite comme un apprentissage sans conscience. Dans l'article "L'apprentissage implicite : un débat théorique" de Perruchet et Nicolas (1998) les auteurs différencie l'apprentissage implicite de l'apprentissage explicite par son aspect non conscient[6]. Cleermans et al. (1998) le définiront comme un apprentissage sans conscience.

Problématiques

En partant de cet aspect de non conscience, on relève certaines problématiques. On a des difficultés à définir précisément ce qu'est la conscience, et étant donné que l'apprentissage implicite est lié à cette notion, les auteurs ont des difficultés pour définir clairement ce qu'est l'apprentissage implicite. Egalement, l'apprentissage implicite peut être décrit de plusieurs manières selon si on se concentre sur les processus de stockage des informations, sur les processus de récupération des informations ou sur les processus d'exploration [4]. Mais en psychologie cognitive, on considère globalement un apprentissage implicite comme ne requérant pas de récupération consciente ou intentionnelle de l'information.

Positions théoriques

Il existe 4 grandes positions pour expliquer la nature de l'apprentissage implicite.

La position abstractionniste qui est issue de la psychologie cognitive classique. Elle est défendue par Reber (1967). C'est l'idée que le participant apprend implicitement les règles qui structurent le matériel. Cette conception explique les phénomènes de transferts et de généralisations. Dans sa thèse, Arnaud Witt précise que face à un matériel structuré, mais dont les règles sont trop complexes pour être découvertes par la mise en œuvre de stratégies conscientes, les sujets pourraient extraire ces règles de manière inconsciente lors d’une exposition répétée aux régularités de l’environnement[7].

La position exemplariste est proposée par Brooks (1978)[8] qui s'oppose à la position de Reber. Il n’y aurait pas d’abstraction de la règle, mais mémorisation d’items entiers [7].

La position fragmentariste est portée par Perruchet (1994)[9] qui s’oppose à l’idée de mémorisation d’items entiers et d’autant plus à l’idée d’abstraction de règles, et propose que le sujet mémorise uniquement des fragments d'items, appelés « chunks »[7]. Ces chunks, sous forme de bigrammes ou trigrammes suffisent à contenir toutes les règles grammaticales.

L'apprentissage associatif est ensuite proposé par Perruchet et Vinter (1998, 2002). Le sujet segmenterait le matériel en petites unités composées d’éléments primitifs, ceci sur la base de perceptions et représentations conscientes, qui seraient dues à des traitements non intentionnels et automatiques[10].

Comparaisons entre apprentissage implicite et explicite

Implicite explicite
Nécessite de l'attention Nécessite de l'intention
Résiste au vieillissement normal Certains auteurs ont décelé des déficits dans les tâches explicites avec des patients en vieillissement normal
Reste robuste même chez les patients atteints d'amnésie[11]. Sensible aux troubles neuropsychologiques
Le sommeil n'a pas ou peu d'influence Le sommeil a une forte influence sur les apprentissages explicites
Connaissances et apprentissages incidents Connaissances et apprentissages provoqués
Sans conscience Avec conscience
Moins accessible verbalement donc moins manipulable [7]. Plus accessible donc plus facilement manipulable en situation [7].
Processus automatique qui donnerait lieu à des capacités "illimitées" et stables Processus contrôlé qui donnerait lieu à des capacités limitées et flexibles

Références

  1. Pierre Perruchet, « Les automatismes cognitifs. », Mardaga,
  2. Pierre Perruchet et Nicolas Pacton, « Qu'apportent à la pédagogie les travaux en laboratoire sur l'apprentissage implicite ? », L'année psychologique, (lire en ligne)
  3. Directeur du Laboratoire d'Étude des Mécanismes Cognitifs depuis janvier 2016 à l'université lumière Lyon 2.
  4. Conférence de consensus, LIRE, COMPRENDRE, APPRENDRE : Quel est le rôle des apprentissages des apprentissages implicites dans la lecture ?, LETE Bernard, 16 & 17 mars 2016
  5. (en) Moussard, Bigand, Clément et Samson, « Préservation des apprentissages implicites en musique dans le vieillissement normal et la maladie d'Alzheimer », Revue de neuropsychologie, , p. 127-142
  6. Pierre Perruchet et Nicolas S, « L'apprentissage implicite : un débat théorique », Psychologie française, , p. 13-25
  7. Arnaud Witt, L’apprentissage implicite d’une grammaire artificielle chez l’enfant avec et sans retard mental : rôle des propriétés du matériel et influence des instructions, Bourgogne, , 207 p. (lire en ligne), p. 5, 13,14
  8. (en) Arthur S. Reber, « Implicit Learningsof Artificial Grammars », Journal of verbal Learning and verbal Behavior, (lire en ligne)
  9. (en) Pierre Perruchet, « Defining the knowledge units of a synthetic language: Comment on Vokey and Brooks (1992) », sur leadserv.u-bourgogne.fr, (consulté le )
  10. (en) Perruchet et Vinter, « PARSER: A model for word segmentation. », Journal of Memory and Language, , p. 246-263
  11. (en) Abrams et Reber, « Implicit learning: Robustness in the face of psychiatric disorders », Journal of Psycholinguistic Research, , p. 425-439
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