Antigone (Sophocle)

Antigone (en grec ancien Ἀντιγόνη / Antigónê) est une tragédie grecque de Sophocle dont la date de création[2] se situe en 441 av. J.-C. Elle appartient au cycle des pièces thébaines, avec Œdipe roi et Œdipe à Colone, décrivant le sort tragique d'Œdipe (roi de Thèbes) et de ses descendants.

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Antigone

Antigone prise sur le fait et arrêtée par les gardes.

Auteur Sophocle
Genre tragédie grecque
Durée approximative 1 h 40
Date de parution 441 av. J.-C.[1]
Personnages principaux
Antigone, fille d'Œdipe
Ismène, sa sœur
Polynice et Étéocle, leurs frères
Créon, roi de Thèbes
Hémon, fils de Créon et fiancé d'Antigone
Le Coryphée
Tirésias, devin de Thèbes
Eurydice, femme de Créon
Un garde

Dans l'économie du cycle, Antigone est la dernière pièce, mais elle a été écrite avant les autres.

Genèse et histoire

Antigone est chronologiquement la dernière partie d'une tétralogie (qui a survécu sous forme de trilogie) sur Œdipe et la famille royale de Thèbes. Thèbes est dans l'Antiquité la rivale historique d'Athènes, la ville natale de Sophocle. Sophocle écrit dans Antigone une légende de la mythologie grecque très populaire à son époque, il voit un potentiel dramatique et moral à la raconter comme une tragédie. Sophocle utilise le personnage d'Antigone pour plaider contre la tyrannie, soutenant ainsi les valeurs démocratiques attachées à Athènes[3]. Il écrit cette pièce, comme la plupart de ses pièces, pour participer aux compétitions théâtrales associées aux festivals annuels du monde grec données dans le Théâtre de Dionysos[4].

Résumé

Œdipe, le fils de Jocaste et de la Laïos, va tuer son père et épouser sa mère pour donner naissance à deux frères et deux sœurs, Etéocle, Polynice, Ismène et Antigone. Le frère de Jocaste, Créon, et Eurydice donnent naissance à un fils, Hémon, amant de Antigone. Après la mort d'Œdipe, ses deux fils Etéocle et Polynice se battent pour le titre de roi de Thèbes. Ils meurent finalement sur un champ de bataille et Créon prend la suite du règne. Il décide d'enterrer Étéocle, mais pas Polynice ce qui provoque la colère d'Antigone. Elle décide de jeter quelques poignées de terre sur son frère décédé, mais Créon remarque que quelqu'un a commencé à l'enterrer. La nuit suivante, Créon va avec deux gardes vers la tombe de Polynice. Antigone avait décidé de terminer d'enterrer son frère, mais se fait surprendre par Créon et ses gardes. Créon refuse de faire accuser Antigone. Il veut faire disparaître les trois gardes qui l'ont découvert. Antigone lui dit que quoi qu'il en soit, elle retournera enterrer son frère. Finalement Créon la condamne en disant que rien n’est au-dessus de sa loi. Hémon et Eurydice se suicident à la mort d'Antigone.

Personnages

  • Chœur composé de vieillards thébains

Plan

La pièce est découpée en six épisodes introduits par un prologue.

  • Prologue : Antigone, Ismène, le choeur
  • Premier épisode : Créon,  le garde, le choeur
  • Deuxième épisode : Créon, le garde, le chœur, Antigone, Ismène
  • Troisième épisode : Créon, Hémon, le choeur
  • Quatrième épisode : Créon, Antigone, le chœur
  • Cinquième épisode : Créon, Tirésias
  • Dernier épisode : Le messager, Eurydice, Le choeur

Arbre généalogique

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Laïos
 
 
 
 
 
 
Jocaste
 
Créon
 
 
 
Eurydice
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Œdipe
 
 
 
 
Jocaste (mère et épouse d'Œdipe)
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Étéocle
 
Polynice
 
Ismène
 
Antigone
 
Hémon
 
 
 

Argument

Antigone fait part à sa sœur Ismène de son intention de braver l'interdiction émise par le roi Créon (leur oncle) d'accomplir les rites funéraires pour leur frère Polynice — tué par son autre frère Étéocle lors d'une bataille où chaque frère voulait la mort de l'autre pour devenir roi de Thèbes et où chacun d'eux perdit la vie. Antigone risque la mort. Tout en reconnaissant la justesse du geste, Ismène refuse de la suivre dans cette entreprise (« Je cède à la force, je n'ai rien à gagner à me rebeller »[5]).

Alors qu'Antigone s'en va accomplir ce qu'elle estime être son devoir religieux, Créon développe devant le chœur des vieillards thébains — des conseillers, représentant la sagesse et le peuple — sa philosophie politique (le service de la cité, le bien du peuple et le respect des traditions) et se propose à l'épreuve du commandement et des lois. Il y glisse une menace voilée adressée au Coryphée, le soupçonnant de corruption (au service des esprits rebelles). Il faut noter que lors du règne d'Œdipe, Créon menait une vie de fortune tranquille, comme un roi, sans toutefois devoir se soucier de toutes les angoisses du pouvoir. Il n'a jamais voulu du pouvoir royal.

Le Garde vient alors informer le roi de la violation de son décret, sans toutefois connaître l'identité du coupable. Le Coryphée suggère à celui-ci que son interdiction était peut-être excessive (« Cette affaire-là pourrait bien être envoyée par les dieux »). Créon se fâche et lui ordonne le silence. Le Garde, lui, est accusé d'être complice de l'auteur du forfait rapporté, de cacher son identité, et cela « pour de l'argent ». Le roi le menace des pires sévices s'il ne ramène pas rapidement un coupable afin de s'innocenter.

C'est dans un mélange de soulagement et de réticence (« Il y a une chose qui importe avant tout : sauver sa peau ») que le Garde revient accompagné d'Antigone, prise en flagrant délit de récidive. L'affrontement est immédiat et total : la jeune fille affirme l'illégitimité de l'édit royal en se réclamant des lois divines, non-écrites et éternelles, tandis que Créon soutient que les lois humaines ne peuvent être enfreintes pour des convictions personnelles et qu'en outre, Polynice était un paria qui s'était associé aux ennemis de la cité. Après que la jeune fille eut justifié sa lutte par l'amour fraternel, exposant ainsi sa motivation fondamentale (« Je ne suis pas faite pour vivre avec ta haine, mais pour être avec ceux que j'aime »), il conclut : « Ce n'est pas une femme qui fera la loi ». Quand Ismène réapparaît, c'est pour s'entendre accuser par son oncle d'avoir participé à la cérémonie mortuaire ou, du moins, d'en avoir eu connaissance sans dénoncer (ce qui ferait d'elle une complice). Elle exprime son désir de partager le sort de sa sœur. Celle-ci refuse, la jugeant intéressée (terrorisée à l'idée de se retrouver seule survivante de sa famille), mais l'obstination d'Antigone à revendiquer son acte dans sa totale culpabilité pourrait être une marque d'orgueil. Créon, exaspéré par ce comportement, les traite de folles et les fait placer en réclusion.

Puis arrive Hémon, le fils de Créon et fiancé de la condamnée. Le jeune prince s'enhardit à déclarer à son père qu'il se trouve dans l'abus de pouvoir en refusant « les honneurs que l'on doit aux dieux », commettant ainsi une « faute contre la justice » mais, surtout, en refusant d'écouter la voix du peuple qui, elle, réclame qu'on épargne Antigone. Encore une fois, et peut-être toujours avec une part d'orgueil, Créon réitère que la justice et ses conséquences s'appliquent à quiconque agit à leur encontre, sans ajouter qu'à l'origine le peuple thébain avait certainement soif qu'on le venge des maux infligés par Polynice. Finalement, il soutient que le comportement de Hémon est sans aucun doute influencé par l'amour qu'il porte à la condamnée (« Créature dégoûtante, aux ordres d'une femme »). Il conclut le débat par des injonctions à l'obéissance inconditionnelle que les fils doivent aux pères, le peuple à son chef. Hémon quitte brusquement les lieux en proférant une promesse morbide que Créon interprète, à tort, comme une menace contre sa vie.

Tirésias sera le dernier adversaire de ce triple affrontement. Le devin est venu dévoiler au roi que les dieux n'approuvent pas son action et qu'il en pâtira pour la cité si Antigone n'est pas libérée et Polynice enterré. Créon insulte Tirésias en l'accusant de s'être vendu aux comploteurs qui en veulent à son pouvoir. Mais, secoué par les sombres prédictions du devin aveugle, lequel ne s'est jamais trompé, il se ravise et écoute la voix de la sagesse pour finalement procéder aux funérailles de son neveu avant d'aller délivrer Antigone de la grotte au fond de laquelle elle avait été emmurée vivante « avec assez de nourriture pour ne pas offenser les dieux ». Il est hélas trop tard car la fille d'Œdipe, qui refuse de devoir sa mort à un souverain obstiné, s'est pendue à l'aide de ses vêtements. Hémon, qui l'avait rejointe avant Créon, tire son épée et, après avoir tenté quelques coups furieux contre son propre père, se la plonge dans le corps pour mourir auprès de sa bien-aimée.

En retournant au palais, Créon apprend que son épouse, Eurydice, vient elle aussi de se tuer, le messager annonçant le suicide de Hémon lui ayant délivré son message peu avant. Il est anéanti par cette série de catastrophes (« désastre venu de nos propres plans ») et n'aspire plus qu'à une mort rapide (« Débarrassez cet endroit d'un propre à rien »). Le Coryphée tire la leçon de cet « entêtement qui tue », un entêtement ou plutôt une démesure qui pousse le destin à la vengeance (par la mort, voire d'une manière bien pire) pour rétablir l'équilibre des choses : un concept qui s'applique aussi bien à Antigone qu'à Créon, dans ce cas-ci.

Analyse

Caractères des personnages

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C'est en allant à l'encontre des traditions que Créon bouleverse l'ordre des choses (lui-même poussé à cela par les actes de Polynice et la malédiction des Labdacides) : il garde l'âme d'un mort (Polynice) chez les vivants en ne lui offrant pas les derniers hommages et fait mourir une femme (Antigone) dont l'heure n'était pas venue ; il empiète ainsi sur le rôle des dieux. Mais Antigone aussi bouleverse l’ordre : elle n'agit que pour son frère en oubliant les Thébains et les tourments qu'ils ont subis par la main de Polynice, vu comme un traître. De plus, elle n’a pas d'enfants, ce qui est hors du commun pour l'époque, et préfère l'honneur et la mort plutôt qu'une vie auprès de Hémon, malgré son amour pour lui. Il existe une véritable dualité entre Créon et Antigone, ils partagent une fierté orgueilleuse et sans compromis qui les pousse tous deux dans leur obstination, leur solitude et leur certitude, faisant d'eux de purs héros sophocléens[6],[7][source insuffisante].

C’est l'idéalisme contre le réalisme politique, les violences de Polynice contre l'enterrement d'un frère — l'un ne se comprend que par rapport à l’autre : honorer Étéocle serait banal si l'on accordait le même honneur à Polynice. C'est la lutte de l'État contre la famille, le respect universel contre l'amour personnel, la vie contre la mort. Antigone, c'est la tragédie des oppositions et, surtout, celle de la justice sociale : Créon et Antigone sont inébranlables dans leurs convictions personnelles, convaincus de faire le bien. Ainsi l'un comme l'autre sont-ils responsables de la tragédie.

De plus, comme l'a montré Jacqueline de Romilly, Créon ne pense que par opposition et évidences (hommes/femmes, opposants/alliés) qui le conduisent à la tyrannie, quitte à contredire ses beaux discours initiaux. Il veut la cohésion et tout se détruit, sa famille comme l’État, car il souille la cité et veut se substituer au divin. Antigone et Créon, c’est l’affirmation de soi qui exclut les autres, ce qui implique la solitude, caractéristique du héros supérieur au commun des mortels. Hémon et Ismène sont quant à eux les représentants d’une position humaine et conciliante, leur mort signifie leur échec, l'impossibilité de modérer les pulsions quasi pathologiques des deux héros[8],[9].

Toutefois, Jean Anouilh, dans son adaptation en un acte de cette tragédie, fait ressortir de manière plus évidente l'obligation que Créon a de régner sur Thèbes (depuis le départ forcé d'Œdipe, puis la mort de ses fils) et de prendre des décisions qui ne lui plaisent guère. C'est un homme qui aime vivre dans l'opulence lorsqu'elle est dénuée des angoisses de ceux qui ont le pouvoir, sans parler des complots et autres insatisfactions populaires. Mais surtout, Créon a vu naître la malédiction des Labdacides (les descendants de Laïos, en l’occurrence : Œdipe, Polynice, Étéocle, Antigone et Ismène) lorsque la première prophétie de Tirésias s'est réalisée (voir le mythe d'Œdipe), laquelle devait se réaliser, de par la volonté des dieux : la fatalité. Le destin devait mener cette famille à poser des actes condamnables sinon monstrueux tout au long de sa lignée ; peut-être le roi espérait-il réparer ces fautes et briser le cycle ? Autrement dit, vouloir casser cette séquence de tragédies, forcément douloureuses pour les hommes, serait ce contre la volonté des dieux ? Là est tout le débat : des mortels ou des dieux, quel parti prendre ?

Étrangement, les morts d'Antigone et de la famille de Créon marquent la fin des tragédies des Labdacides ; soit qu'Ismène, dernière survivante, n'a jamais eu d'enfant, soit que l'équilibre a été rétabli et les dieux sont satisfaits. En fait, Ismène est la seule qui soit réservée et prudente, la seule qui ne verse pas dans la démesure (ou l'hybris, l'un des pires traits de caractère, selon les Grecs) qui, loin de la sagesse, entraîne une vengeance (némésis) inévitable, fatale.

L’erreur et le malheur sont nécessaires pour apprendre, comme nous le montre le chœur. Nous sommes soumis au temps qui détruit tout (même idée que dans Œdipe roi).

Gradation des stasima dans Antigone :

  1. Grandeur de l’homme et puissance, nécessité de la société ;
  2. L’homme porte le mal et n’est pas à la mesure de toute chose ;
  3. Éros et Aphrodite dominent le monde ; intuition tragique : ce n’est qu’un jeu pour les dieux ;
  4. Fables mythologiques pour commenter Antigone ;
  5. Invocation de Dionysos qui réunit les contraires : leçon poétique ; la cité doit accepter ce qui la dépasse (loi divine, destin, fatalité).

Nouveautés et éléments traditionnels

On ignore si cette partie de la légende ne repose pas sur une invention de Sophocle[10]. Néanmoins, certains éléments de la pièce comme l'invocation du chœur à Dionysos prié de venir purifier la cité semblent très anciennes[11].

Adaptations et mises en scène notables

Pièces de théâtre et romans

Films

Compositions musicales

Mises en scène

Aenne Schwarz dans le rôle-titre d’Antigone, Burgtheater de Vienne, 2015.

Pour les mises en scène d'Antigone, cf. Eleni Papalexiou (2010). “Mises en scènes contemporaines d’Antigone”, in: Rose Duroux et Stéphanie Urdician (eds.), Les Antigones contemporaines (de 1945 à nos jours), Presses universitaires Blaise-Pascal, Collection Mythographies et sociétés, premier trimestre 2010, p. 89-103.

Influence philosophique

  • Martin Heidegger n'a pas cessé de s'inspirer de cette œuvre et, notamment, du deuxième chant du Chœur quant à la nature étrange, effrayante, terrible de l'être humain[13].

Pièces d'inspiration similaire

  • Rhinocéros, d'Eugène Ionesco, présente également une révolte de la conscience de l'individu face au choix du plus grand nombre.

Notes et références

  1. P. Demont et A. Lebeau, Introduction au théâtre grec antique, Paris, 1996, et S. Saïd, M. Trédé et A. Le Boulluec, Histoire de la littérature grecque, Paris, 1997.
  2. Antigone, introduction par Raphaël Dreyfus, Bibliothèque de la Pléiade, éditions Gallimard, 1967 (ISBN 2-07-010567-9), p. 551.
  3. (de) Hellmut Flashar, Sophokles, Dichter im demokratischen Athen, Munich, C.H.Beck, , 220 p. (ISBN 978-3-406-60913-8, lire en ligne)
  4. (en) Mark Griffith, Sophocles : Antigone, Cambridge, Cambridge University Press, , 321 p. (lire en ligne), p. 4
  5. Les citations sont extraites de la traduction de Jean et Mayotte Bollack (éditions de Minuit, 1999).
  6. (it) Chiara Casi, « L'immoralità della Giustizia » (consulté le ).
  7. Diane Cuny, « Les sentences héroïques chez Sophocle », Revue des Études Grecques, vol. 117, no 1, , p. 1–20 (DOI 10.3406/reg.2004.4559, lire en ligne, consulté le ).
  8. « ANTIGONE », dans Encyclopædia Universalis (lire en ligne).
  9. Philippe Touchet, « ANTIGONE Philosophie et tragédie ».
  10. Jean Haudry, Le feu dans la tradition indo-européenne, Archè, Milan, 2016 (ISBN 978-8872523438), p. 356
  11. Paul Vicaire, Place et figure de Dionysos dans la tragédie de Sophocle, Revue des Études Grecques, Année 1968, 81-386-388, pp. 351-373
  12. Actes Sud, 1997 ; Babel no 362.
  13. Voir article « Antigone » Le Dictionnaire Martin Heidegger sous la direction de Philippe Arjakosky, François Fédier, Hadrien France-Lanord, Cerf 2013, p. 83.

Bibliographie

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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